Une chanson:Summer in the city
http://www.dailymotion.com/video/xliyd_the-lovin-spoonful-summer-in-the-ci Ecoutez!
Moins de trois minutes et l'une des meilleures chansons rock qui soit,le Summer in the city des Lovin' Spoonful,1969 et la fin des sixties à Woodstock.
Le groupe de John Sebastian connaîtra quelques succès Daydream,Nashville cats,Rain on the roof mais leur titre de gloire qui résonnera à jamais dans les coeurs est cet étouffante fournaise de klaxons et de bruits de la ville que je considère comme l'un des dix meilleurs 45 tours de la culture rock.Cette mini mini symphonie qui évoque la violence urbaine qui sourd sous le pavé fait preuve d'originalité avec ses saccades et ses effets spéciaux rudimentaires.Je trouve que c'est un des succès de l'époque qui est le plus évocateur de cette période de contestation étudiantine.Cela est bien loin mais conserve tant de charme...
David Lean ou les ambiguités
Il en est des films comme des hommes,clairs comme l'eau de la roche,sombres et souterrains,ou illisibles et fascinants.David Lean,parfois stupidement dépeint comme un cinéaste d'inspiration coloniale nous a donné il y a bien longtemps(57) une oeuvre qu'il faut toujours redécouvrir.Le pont de la rivière Kwaï est un des très rares films de guerre dont on ne peut à coup sûr dire s'il relève de la propagande ou s'il est un modèle d'antimilitarisme.Je crois que cela dépend du spectateur et de ses états d'âme.L'immense succès populaire du film et de sa célèbre marche ne l'empêche nullement de prétendre au titre de film d'auteur(pour autant que ce terme galvaudé signifie quelque chose).
"Folie" est le dernier mot prononcé dans le film et c'est bien de folie qu'il s'agit dans l'escalade d'egos des officiers anglais et japonais Nicholson et Saïto.La démesure et la logique d'aveuglement des deux colonels annonce celle d'un autre colonel,Kurtz,(Apocalypse now),de Coppola mais adapté de Joseph Conrad,autre chantre de cette mégalomanie(Lord Jim,la folie Almayer).
Quoiqu'il en soit ce mélange explosif de va-t-en guerre et de pacifisme nous interpelle de manière fort intelligente et spectaculaire sur les contradictions de l'homme en guerre.Je ne trancherai pas ce soir mais me contenterai de rappeler que Lawrence d'Arabie est lui aussi un personnage riche d'une belle ambiguïté que David Lean n'éclaircira jamais totalement et c'est tant mieux.
Les héros sont fatigués
Peut-être est-il un peu hasardeux de classer le très beau film de Robert Rossen,Ceux de Cordura(59) parmi les westerns.C'est en l'occurence un western tardif,l'action se passsant en 1916.Mais surtout il brode une histoire à partir d'une thématique plus contemporaine que les westerns classiques.Je dirais que dans ce film on cite plusieurs fois la Guerre de 14 et qu'il n'est pas si éloigné des grands film de genre comme Kwaï,Attack,Les Douze Salopards,voire Les sentiers de la gloire ou Les Hommes contre.Mais à la différence de ces deux derniers il n'inflige pas une sorte de "propagande pacifiste" et je mets là volontairement des guillemets.Ceux de Cordura,c'est un western presque bergmanien où l'introspection qui finit par saisir tous les personnages dans ce huis clos désertique nous conduit à nous poser la question qui hante Gary Cooper(un de ses derniers rôles,impressionnant):Où est le courage,où est la lâcheté?Terrible dilemme que nous connaissons tous un jour ou l'autre au cours de notre vie.
"Une lâcheté ne fait pas d'un homme un lâche,une action de bravoure ne fait pas d'un homme un héros" dit Rita Hayworth,dans un rôle de femme riche et secret,cerné de zones d'ombre comme les autres "héros" ,Ceux de Cordura,destinés aux honneurs militaires.Ces hommes,en fait sont veules,violents,cruels et fourbes.Ils sont aussi,ou ils ont été courageux,exemplaires.Ils sont des hommes,c'est tout.Nombre de beaux moments dans ce film,les silhouettes de ces soldats comme perdus,harassés,asséchés de fatigue,la draisine qui manque de tuer Cooper,l'humanité qui finit par saisir les personnages qui iront tous vers leur destin.On ne sait plus bien si ce sera la corde ou la médaille.
La Comtesse au théâtre
Il y a quelques années une rencontre avec une comédienne avait dans ma vie donné quelques étincelles.Le cinéphile que j'étais a eu l'idée d'écrire pour elle ce qui suit.Cette très courte pièce un instant envisagée lors d'une soirée n' a jamais vu le jour.Telle quelle je vous la présente,à titre amical.A propos les étincelles dont je parlais n'ont pas pétillé jusqu'à concrétisation de ce splendide morceau de théâtre.Le théâtre s'en est vite remis.L'actrice et l'auteur s'en sont remis aussi,peut-être un peu moins vite.(Pardon pourla pagination,pas terrible.Et pardon pour la pièce,pas terrible non plus)
Dialogue
Cinéma:lui l’écran(masculin)
Théâtre:elle la scène(féminin)
Le théâtre drapé ----dignité;elle est seule et se penche
sur l’humanité.La vie c’est elle.
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Elle,la Scène
Je vous connais bien tous,oui,tous là,grands et petits depuis si longtemps.J’ai vécu vos vies et plusieurs fois.Je ne meurs pas.Vous non plus vous ne mourrez pas.Mieux vous vivrez en moi.
Mon nom:protéiforme il est comme on veut,selon votrehumeur,selon vos amours,changeant comme le vent.Appelez moi la Scène,le Théâtre.Au fil des ans:c’est qu’ on me donne environ 2600 ans.Pas mal pour tant d’années,non?Tragédie,Comédie.
Des esthètes incertains m’ont parfois baptisée Tragi-comédie.Mais un peu plus loin dans le monde je suis Nô,je suis Kabuki,théâtre d’ombres,Pansori.Là bas vers l’Orient.J’ai été farce aussi.Et même rite.Plus tard on m’a appelée Pantomime,Boulevard,voir Grand guignol.J’arpentais le Boulevard du Crime,c’était le siècledernier,crinolines,hauts-de-forme.Je pourrais vous en raconter des anecdotes,j’ai tant aimé,j’ai tant vécu,mille vies peut-être.
Et les plus grands m’ont servie.Il me semble même que les historiens ne remontent pas assez loin.Dans le froid des cavernes,je suis sûre,on mimait la chasse à l’auroch,au félin géant. Au moins les costumes étaient d’époque.J’y étais déjà,vous-dis-je.
Et les enfants?Que dire desenfants qui jouent dans leurs récrés et jusqu’à leurs pleurs,leurs flatteries,leurspetitesvanités pour plaire à la maîtresse:la plus sage,la plus attentionnée pour ranger ou nourrir Jeannot Lapin.Des comédiennes;Tiens!On est plutôt femme déjà quand on parle de jouer.Le théâtre est femme,avec ses tours,ses perversités,ses...
Aparté:mais on arrive...
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Lui,l’Ecran
Je l’ai entendue.Une vieille querelle,une histoire quiremonte.Elle se prend pour l’Art,le seul,le vrai.Elle va vous faire,si ce n’est déjà fait le coup de l’Antique,des amphithéâtres sur la mer.Syracuse,Taormine et la Grèce.Ah la Grèce!Quelle prétentieuse que la scène.Et puis ce langage.Oui,même dans le langage,le vrai,celui des vraies gens,comme vous.Oh!Je ne voulais pas vous blesser.Non mais se faire une scène,une scène de ménage,la grande scène du III.Tout,vous-dis je,tout pour faire parler d’elle.Mademoiselle,faut-il les appeler,il paraît.
Et ces codes:la cour et le jardin,je ne sais trop quoi.Désuet comme leur jeu.Allez,moi,l’Ecran,le Grand Ecran,je le concède,elle a eu son heure de gloire,peut-être.Mais on a beau dire,le théâtre,c’est un peu l’école.Vous n’allez pas me contredire?On s’y ennuie ferme.Ca ne ressemble guère à la vie.Etpuis il faut aller avec son temps.On ne peut ignorer Méliès,ni lesfrères Lumière,1995,un fameux bail déjà.Moi aussi j’ai une histoire.Moi aussi!
Vaniteuse!J’en ai assez d’être l’idiot de la famille.
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Elle,la Scène
Vous êtes là,évidemment.J’aurais dû m’en douter.Dèsqu’il y a quelques curieux,vous êtes là.Vous donner en spectacle.J’aurais dû m’en douter.
Lui,l’Ecran
On ne se tutoie plus?L a mémoire vous ferait-elle défaut?Nous avons pourtant pas mal de souvenirs,ensemble,belle théâtreuse.Ne suis-je pas votre jeune frère en quelque sorte?Même si vous m’accusez d’avoir mal tourné(mal tourné,j’ai quand même un peu d’esprit,non?)Allez,ne soyez pas sévère,vous avez aimé,vous avez eu votre chance.La roue tourne.
Elle,la Scène
Je ne veux rien avoir à faire avec vousVous n’êtes
après tout qu’un homme d’affaires sans scrupules.Le Cinéma,
unfaiseur,un truqueur.Ah les beaux titres de gloire.Moi,je
suis là face à la mer,le centre du monde,en Sicile ou en Grèce.
C’est presque l’éveil de l’humanité,de la conscience.
Laissez moi vous situer l’ambiance.Brûle le soleil des
îles proches.L’amphithéâtre,cette oreille démesurée pour le
plus beau des spectacles.La mise en scène de l’homme par l’
homme et pour les hommes.Le vent se lève un peu,la mer est
ionienne.Ils sont tous là avec ces noms si prodigieux.Ecoutez
comme cela chante:les choreutes,le coryphée,les protagonistes
et par dessus tout:le Destin.Eschyle,Sophocle,Aristophane et les autres.
Sans eux,sans leur plume,vous,pauvres humains vous
ne respireriez pas,le coeur à sec.Les sentiments,la grandeur,le pouvoir,la guerre,tout y est.L’essence même,ce qui fait que l’
homme est grand,palpite derrière un rideau.Le moindre tréteau
et les poumons s’emplissent de liberté.Tempête,violence,c’est
mon lot et c’est le monde.Je vous l’offre.
Lui,l’Ecran
Tout doux ma belle,comme vous y allez.Eh,j’ai appris
à parler,il y soixante-dix ans,à causer,c’est mieux.Leur langue,
c’est moi qui la connais.C’est que je viens de la rue,de la fête
foraine.Quand ils prennent leur marmaille par la main,c’est chez
moi qu’ils déboulent et pas à la Colline ou au Théâtre d’Expression du Peuple,ou quelque chose dans ce genre.Brechtien,c’est
cela?Le message,pourquoi pas le sacerdoce?Non,vous ne les ai-
mez pas vraiment.D’abord est-ce qu’ils mangent du pop-corn
au théâtre?Ca me donne faim.Allez la Scène,sois bonne joueuse.
On est resté proche,non!
Elle,la Scène
Cessez là ce jeu de démagogie,ce n’est pas mon goût
et je cultive une autre idée de l’Art.J’ai vécu la ferveur des ca-
thédrales,la foi des porches d’églises.Les mystères se jouaient
devant nombre de gens,illettrés,manants ou traîne-ruisseau
mal vêtus.Pourtant leur regard,j’ai su l’illuminer à la Passion
du Christ ou à la vie des saints.Ou bien encore en présentant la
Guerre Sainte et le voyage au Sépulcre.Si vousaviez vu comme
la communion inondait les parvis,ici-même en Picardie.Les femmes
à genoux comme contemplant le Ciel,entourées d’enfants aux
yeux écarquillés par la lumière émanantde cette scène si
chrétienne.Et les hommes se prosternant,eux pourtant rudes
à la tâche et obscurs,pour une fois transfigurés par le
théâtre.Transfigurés au sens premier,la figure comme
béatifiée.Les mystères médiévaux:la beauté,la grâce,seul Claudel
des siècles après a su...
Lui,l’Ecran
De grâce,il suffit,assez de grâce.Tu as vu,je parle
comme toi,un peu précieux”il suffit”.Pardonne moi ces facéties
mais je n’ai pas,moi,d’ancêtres canonisés à la sacristie.Tout au
plus mes premiers souvenirs remontent au sous-sol d’un café,
du Grand Café tout de même...Chapeau-claque plus qu’auréole.
Désolé.
Elle,la Scène
Le Café,les boulevards?Il est bien question d’un café,
fut-il grand,alors que j’évoque des centainesd’amateurs dans la
même liturgie,des tailleurs,des peintres,des jongleurs,tous
fiévreux de toucher au sacré,au coeur des villes pour édifier la cité.
Quel film,quelle fiction peut-elle ainsi toucherau sublime?Bien
sûr il y a peu de tartes à la crème dans la Passion.Comment dites-
vous,à Hollywood,”slapstick”?
Lui,l’Ecran
J’ai,moi,une toute autre idée du sacré,un respect du
public.Celui que vous ignorez,celui qui n’a pas honte de s’esclaffer
quand un flic tombe dans le bassin poursuivi par un chien.Bur-
lesque,les zygomatiques...Vous ne faites guère rire,ma belle
amie.Je vous l’ai dit,je sors à peine de la baraque en toile mais j’ai
grandi quand même et mes premiers maîtres,!les Méliès et sa
fantaisie,ses voyages extraordinaires,les Keaton,les Chaplin.
Ah!Celui-là au moins vous ne pouvez le nier.C’est officiel.
Elle,la Scène
Parlons-en.Il vient de chez moi.Il arpentait à huit
ans les théâtres londoniens,et pas les plus prestigieux.Plus près
de Jack l’Eventreur que de la Royal Company.Moi aussi,la Scène,
j’ai su accueillir les petits,les sans-grade sans flagornerie,sans
démagogie,dans la dignité.Au théâtre le petit Charles était
mime,acrobate,chanteur,enfant perdu,petit voleur et vieillard
chenu.Sans compter montage et démontage ,voire les tournées.
Chaque jour il faut remettre sur le tas l’ouvrage,rien n’est ja-
mais gagné.Au cinéma,c’est en boîte et voilà,on est tranquille,
ça roule.
Le métier de jouer est là:de vieilles planches,unvague
rideau,quelques spectateurs et j’aurai du talent.Pas toujours
celui du grand Will ou de Goldoni,je le concède et le revendique.
D’ailleurs ce soir,par exemple,l’auteur,bof...Il a beau essayer de
voir les choses derrière les choses.Pas toujours du génie,d’accord
mais du coeur;
“To be or not to be,that is the question”
Lui,l’Ecran
On croit rêver.Voilà ce Danois dégénéré à nouveau.
Et dans son royaume pourri.Non mais on croit vraiment rêver.Et
c’est la plus belle réplique du répertoire.Ca vous donne une idée.
Même une série B,chez nous,même ce ringard d’Ed Wood avait
plus d’imagination.Peut-être même Bresson:un minimaliste
pourtant lui,il aurait dû faire du théâtre.
Elle,la Scène
Moquez,moquez.Vous n’oserez taire la grandeur du
Roi Lear,père bafoué.Ni la violence des Henry,Richard.”Voici
l’hiver de notre déplaisir” Il y a là à Stratford/upon/Avon à la
fois Vérone et Azincourt,la guerre et le pouvoir,le Maure de Ve-
nise et ce traître de Iago,la perfidie des femmes et la veulerie
des grands.La paillardise de Fastaff elle-même est grandiose.
Lui,l’Ecran
N’oubliez pas que j’ai fait plus pour Shakespeare que
tous les vôtres.Je dois dire que lui,William,est l’un de mes meil-
leurs scénaristes.Avec mon grand à moi,mon très grand,Orson
Welles,quel attelage,non mais quel attelage!Et les Japonais,
aussi,créateurs de leur propre Shakespeare:Kurosawa,le
Château de l’Araignée.N’ai-je pas un peu mes titres de noblesse?
Elle,la Scène
Oui,à propos ce Welles est bien le mégalomane de 25
ans,brisé par Hollywood,pour cause de génie trop précoce.Pas
mal,l’idée de son traîneau et la neige de “Rosebud”.Pas mal pour
un cinéaste.Ca ne lui a pas porté chance:le cinéma,cette indus-
trie.Allez je vous l’accorde,vous avez eu quelques éléments de
valeur mais même pour Welles je vous ai précédé:son Mercury
Theatre,c’était bien avant Citizen Kane?
Comme ce grand Nordique,introverti,je suis à la re-
cherche de son nom.Grand metteur en scène de théâtre!Du
souffle assurément,mais quand vous m’accusez d’austérité,
repassez ses films.
Lui,l’Ecran
Ingmar Bergman,l’ermite de Farö.Un sacré client,pas
facile.Un tyran,obsédé par le péché.L’austérité très belle dans
son dépouillement.Tourments,la Honte,Crise,Cris et chuchotements.
Des personnages magnifiques de la part d’un homme qui
aimait les femmes et qui les a comblées,en les bousculant un peu
certes.Normal.De toute façon il m’ a quitté pour la télé,alors...
Elle,la Scène
J’en ai un peu assez du Nord.J’ai bourlingué plus au
chaud,en Méditerranée.Et ces lurons vous les avez toujours
ignorés,à part les Enfants du paradis.Je parle de mes vieux amis,
de ces caractères installés derrière un masque Pierrot(Pedrolino)
Colombine la fringante,Scaramouche,Arlequin le coloré,Mata-
more.Tous aux pieds légers,la Commedia dell’Arte,la comédie du
métier.Ils dansent,ils zieutent,ils écoutent,ils se moquent.On
appelle certains les Zanni,les histrions.Sveltes,ingambes,de la
porcelaine.
Lui,l’Ecran
Mon vieil ami Federico n’en était pas si loin.Une complice
à moi a dû vous en parler ici-même.Il n’aimait rien tant
que les bouffons,les clowns,les danseurs de corde et ceux qui
s’attardaient le nez dans les nuages au coeur de Roma,de la
Cité des Femmes et du Cinéma.Marcello!La belle équipe,oh,la bella squadra et la musique de Nino.
A propos de sud,chère consoeur,rappelez-vous le Prince:”Nousétions les guépards,les lions:ceux qui nous succè-
deront seront les chacals,les hyènes.Et tous tant que nous sommes,guépards,chacals,brebis,nous continuerons à nous
prendre pour le sel de la terre”.
Elle,la Scène
Je reconnais bien là Visconti,cet autre prince.Lui aus-
si m’a aimé,lui aussi m’a célébrée.Décidément nous avons des amis
communs.Peut-être sommes nous vraiment plus proches que
nous ne voulons le laisser paraître.
Lui,l’Ecran
Parfois j’ai été un peu nerveux,à l’Ouest,avec les chevaux,par exemple.Ils m’ont toujours excité,les chevaux et j’en
ai fait un genre à part entière,le seul spécifiquement cinéma-
tographique.Mais je l’assume et s’il ne devait rester de moi qu’
une image pourquoi pas un cavalier dans la plaine,ou une corde
au soleil attendant un cou de bonne volonté afin de l’étreindre.
Le western,le cinéma par excellence.Ou mieux encore parité
oblige,le seul grand rôle de femme dans un western,Joan Crawford,au piano,de noir vêtue,dans Johnny Guitar.Vous le savez
la tragédie grecque,les Atrides,ça s’est passé aussi le long du
Rio Bravo.Les Horace et les Curiace en guerre pour un ranch.
Universelle,la lutte pour le pouvoir.
Elle,la Scène
Oui mais la passion,la bataille d’Hernani,le romantisme
n’a pas d’égal.Qui n’a pas vu les “Jeune France”,mon tendre ami
Nerval,et Gautier,et bien d’autres,forcer les portes de la cita-
delle des classiques?1830,Hernani.Mort aux emperruqués,aux
vieux birbes!Quel cénacle autour de Victor,et Vigny et Dumas!
“Elle me résistait,je l’ai assassinée”
Lui,l’Ecran
J’ai moi aussi eu mes révolutions:l’expressionnisme
de Berlin,Murnau,Lang:”Ich weiss nicht”.Cet assassin égaré qui
sifflait Peer Gynt.
Et Jean-Luc et Truffaut pendus au rideau du Festi-
val;La Croisette en 68,la Nouvelle Vague,les Angry Young Men,
le néo-réalisme...
Elle,la Scène
Hola,on avait dit “Pas de catalogue”.Et ce n’est pas
parce qu’un chômeur a volé une bicyclette en Italie après-guerre que vous devez vous sentir investi d’une mission sociale.
Lui,l’Ecran
“Ciel mon mari”
Elle,la Scène
Quoi,vous avez osé?Immonde...
Lui,l’Ecran
Mais je n’ai rien dit,enfin rien de plus que l’une de
vos phrases immortelles(Note:il pouffe de rire).Pardonnez moi.
Est-ce ma faute si le théâtre pour beaucoup se résume à un
placard?Pantalonnade!
Elle,la Scène
C’en est trop.J’en ai assez entendu.Vous ne changerez
donc jamais.Me réduire à ces pitreries.Est-ce vraiment votre
opinion?Adieu!
Lui,l’Ecran
Bon,ça va,reviens.Tu sais bien que je t’aime toujours
même si on est parfois concurrents.J’ai moi aussi,et tu le sais
bien,dans mon patrimoine,par exemple le Congrès des belles-
mères,d’Emile Couzinet.Invisible,perdu pour tout le monde et
c’est diablement heureux.Jamais rien fait d’aussi débile.
Elle,la Scène
Je te pardonne,espèce de grand escogriffe.Allez,pour
ta punition récite-moi quelque chose.Il y a,chez toi bien des
choses que j’aime,si tu veux bien t’en donner la peine.
Lui,l’Ecran
O.K.Princesse.Si tu me le demandes ainsi avec ton sourire,ton sourire d’une nuit d’été.
“Nous sommes dans l’Ouest ici.Quand la légende dépasse la réalité,on imprime la légende.”
Et François le fidèle:”Les jambes des femmes sont
comme les branches d’un compas qui arpentent la terre en tous
sens et lui donnent son équilibre et son harmonie”
Dis,sois ma partenaire,juste un peu.
Elle,la Scène(l’interrompant)
Allez,je t’aide,jepasse à l’ennemi.
“Qu’est-ce que j’peux faire,j’sais pas quoi faire”.Ou me veux-tu un peu flingueuse “J’ai déjà vu des cons,mais vous êtes
une synthèse” ou anarchiste “Salauds de pauvres,Jambier,Jambier,47 rue Poliveau”
“Tu me fends le coeur”,si tu me veux province,si tu meveux Provence.
Lui,l’Ecran
“Silence,j’écris”.Mais quel talent,la Scène,tu devraisvenir plus souvent.
“Vos gueules la-haut!On n’entend plus la pantomime”
Elle,la Scène
“Bon appétit,Messieurs,ô ministres intègres”
Mais ne préfères-tu pas “Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?”
Lui,l’Ecran
“Madame,il est tard demeurez ici.On vous y logera le mieux qu’on pourra”
Elle,la Scène
“Non,Dom Juan,ne me retenez pas davantage”
Ainsi mon ami,sensible à ce bon vieux Poquelin.Tu sais
que ça fait plaisir.Don Juan te plaît hein?Je reconnais bien là
ton curieux pouvoir,cette séduction un peu facile mais...
Lui,L’Ecran
Troublante
Elle,la Scène
Oui,voilà,troublante.Tu es content,là?Tu ne change-
ras donc jamais.Sors un peu de ton emploi.Tu vaux mieux que ta
complaisance,tu me l’as prouvé déjà.Dis moi plus,dis moi mieux.
Parfois tu sais cerner la vérité des êtres.Quand tu sais t’affran-
chir des contraintes et te donner les moyens,quand tu sais être
libre.Respire,respire la poésie surréelle et les haines du confor-
misme.Il y a eu Don Luis Bunuel et ses yeux de glace.Cette carte
tu ne l’as pas jouée à fond.
Lui,l’Ecran
Cette carte n’est un atout que pour la littérature.Il
me faut m’en affranchir.Moi je crois n’être jamais aussi vif
que dans le cartoon.Et Tex Avery est un maître,et l’animation
quel mot vivant et original.Le parfait sésame pour l’invitation
au voyage.Ah,ce loup au regard exorbité,hurlanT à l’amour au
cabaret!Waouh!Et la lune rieuse de Méliès, son clin d’oeil,l’un
des plus beaux appels du Septième Art,de moi quoi!
Maisje neparle que de moi.Tu as des projets?Des nouveautés.”Qu’allait-il faire dans cette galère?” ou plutôt “Ca
vous chatouille ou ça vous gratouille?”A moins que ce ne soit
trois soeurs,avec leur oncle,devisant dans le verger.Attends:
c’est la cerisaie,oui,la cerisaie.Ca se passe en Russie,je connais.
Bonjour l’action.Il y a l’âme slave,tempête dans un samovar.
Elle,la Scène
fois encore
J’avais effectivement une idée,simple et modeste.Par une soirée presque d’été j’aurais aimé la paix,la paix partoutmais au moins
entre nous.La soirée aurait ressemblé à celle-ci et tes amis
auraient été les miens.On aurait bu un peu,peut-être dansé,
doucement.L’atmosphère...
Lui,l’Ecran
“Atmosphère,atmosphère”
Non,pardon,c’est un peu facile.Au diable tous ces mots
jetés à notre face.Retournons ensemble à la bibliothèque.Je suis
sûr qu’on y fera des découvertes.Le livre n’est-il pas lui aussi de
la famille?Allez,viens!Viens!
Souviens-toi:une bonne pièce a parfois donné un bon
film.Et il y a quelques exemples de bon livres bien adaptés qui
ont fait de très grands films.Si,si,je pourrais vous en citer.On
en parle après,ça m’intéresse.
Elle,la Scène
Par contre on n’a jamais vu ou presque de roman
transcrit pour la scène avec bonheur.Rarement.La preuve d’une
plus grande indépendance en ce qui me concerne.
Lui,l’Ecran
Le dernier mot.Sûr qu’elle aura ...le dernier mot
L'autre grand écrivain turc
Les falaises
Les falaises
Quand le vent crie au loup,si âpre
Que les fous et les goélands eux-mêmes
S’accrochent aux cavités granitiques
Les ailes affolées près des lames acérées
Et que des courants sans relâche
Giflent encore et encore de fragiles terrasses
Quand les gerbes d’écume,geysers recommencés
S’évaporent en violence dans ces vêpres bretonnes,
Quand les chapelles tintent
Et que les femmes prient la mer
Que veillent les enfants troublés
Que frappent les chevaux aux écuries nerveuses,
Quand les arbrisseaux s’humilient au chaos
Que les barques au quai dansent la sarabande,
Que les sirènes océanes séduisent
Les derniers imprudents,
Quand les calvaires déchirent la lande
Quand même les grottes marines
Referment leurs auvents
Quand la péninsule craint Dieu
Une femme apparaît.
Elle est noire de cheveux
Comme une veuve du Sud
Elle défie la cité et le ciel coléreux
Face aux dieux irrités elle a gravi les marches
Qui mènent au vieux sentier
De la falaise d’Aval toute de craie
Et d’embruns.
Elle est belle,elle est femme,elle est forte
Elle joue de ses mains,mime prodigieuse
Apparition,suis-je le seul à la voir?
Tragédienne,son amphithéâtre c’est le grand Ouest
Eole,tempêtueux
Lui donne la réplique,mieux
Transporte sa voix
Elle n’est pas Mater Dolorosa
Ses éclats de rire sont tout aussi sincères
Vigie face au destin elle entonne
Comme un chant amoureux
Mélange de ballade celtique
Et de blues fendant le soir.
Puis les mots que sa bouche libère
S’évadent et fraternisent dans le ciel
Avec nuages et oiseaux blancs
Elle se donne avec tant de rage,
Cette force d’aimer qui transcende le temps.
Les mots coulent en phrases voyageuses
Musicales,un peu versatiles
Elle les offre avec cette ardeur
De celles qui se savent aimées
Et jette à l’horizon dément sa propre folie
Une folie toute gothique,démesure et passion
La prose s’insinue et la mer pétrifiée
Accueille dans son ventre un hymne à l’amour.
J’entends,j’entends symphonie irradiante
Douces sonates un peu tristes
Fanfares et clairons,harpes de mes regrets
Ce sont mes mots prononcés par son coeur
Et ses lèvres les amplifient
Spirale à l’unisson du rire et de l’écrire
Le bonheur me happe:il existe
Autour d’elle...
Alors l’océan à l’écoute
S’emplit de rythmes,de routes d’Amérique
De verte Erin et Toscane bleutée
De prénoms,de héros,de nos frères poètes
De jardins russes,de soeurs éloignées
D’enfances révélées
De meurtrissures guéries
Elle vibre et son corps m’émeut,toujours recommencé.
Qu’elle chante notre vie,
Mutuelle incarnation d’un délire à nous seuls!
Je crains de perdre le fil de mes pages
La tourmente est si forte
La volupté si troublante
Je ne sais plus qu’écrire...des ailes
Qui s’envoleront,oies sauvages au pays lumineux
Libres dans les courants et les zéphyrs
Deux pour l’immense voyage
A quatre mains nouées
Au coeur de la Lovelande.
Renaissance hollywoodienne
Certes avec L'extase et l'agonie on est très loin des chefs d'oeuvre de Carol Reed,tellement plus à l'aise dans la noirceur de l'après-guerre(Le Troisième homme),de l'Irlande déchirée(Huit heures de sursis) ou de la Guerre Froide(L'homme de Berlin).Il est vrai aussi que des James Mason ou Orson Welles,modèles d'ambiguïté ont transfiguré ces films remarquables.C'est un Carol Reed vieillissant qui s'attelle en fin de carrière à l'évocation du duel Jules II-Michel-Ange et de la création du célèbre plafond de la Chapelle Sixtine.Le scénario tiré d'un best-seller peine à bien faire comprendre la situation historique de l'Eglise de Rome au début du Seizième Siècle.L'on n'a pas rendez-vous ici avec l'Histoire.A-t-on au moins rendez-vous avec la Renaissance?Pas vraiment.Reed a pourtant réussi quelques beaux plans d'échafaudages et de cordes,signifiant ainsi le travail de titan de l'artiste florentin.Mais la confrontation des deux monstres sacrés laisse une impresssion décevante.Restent quelques beaux dialogues sur l'amour voguant de l'extase à l'agonie et Rex Harrison,pape-guerrier convaincant,plus que Charlton Heston qui mesure mal la fragilité de l'artiste Michel-Ange.Cette version DVD,excellente techniquement,présente curieusement un entr'acte où résonne la partition d'Alex North,écran noir.Pourtant la durée n'est que de 2h15.Je pense surtout que le Cinéma est très rarement à l'aise dans l'univers des Arts Plastiques et verse très vite dans l'académisme un peu ennuyeux.
Alcools
L'alcoolisme a fini par emporter Joseph Roth l'extraordinaire romancier juif autrichien en 1939 à Paris.C'est un auteur que j'admire comme ses compatriotes Schnitzler, Zweig, Perutz dont on reparlera.
L'oeuvre la plus célèbre de Joseph Roth est La Marche de Radetzky qui met en scène la famille von Trotta à travers trois générations lors du déclin et de la chute de l'Empire Austro-Hongrois, cette charnière entre deux civilisations, deux modes de vie. Le choc de ce basculement de l'Europe a souvent été décrit notamment par les écrivains que je viens de citer. La Crypte des Capucins en est un peu la suite. Dans ces romans comme dans une bonne partie de l'oeuvre de Roth Vienne, personnage principal cherche à s'étourdir car bientôt la superbe et si romantique capitale des Habsbourg ne sera plus qu'une préfecture noyée dans la nouvelle Europe. Roth est un prosateur génial mais sa littérature ne s'arrête pas à Vienne.
Joseph Roth était aussi un très grand journaliste et Liana Levi a publié Une heure avant la fin du monde et Symptômes viennois, des bijoux de clairvoyance avant l'horreur des camps que son alcoolisme allait lui éviter en le faisant mourir en 39 dans un hôpital parisien.
Voici d'autres titres, tous excellents,Notre assassin(un soir de beuverie à Paris, comme Roth en a connu,des souvenirs s'échangent venus de loin,des moujiks et des princes) , Hôtel Savoy, des nouvelles dont La Légende du Saint Buveur qui fut un beau film d'Ermanno Olmi. Piocher dans Joseph Roth c'est, je crois, un peu mieux comprendre notre siècle. Les cinéphiles pourront peut-être rapprocher cet univers du grand film du Hongrois Istvan Szabo Colonel Redl.