L'immense acteur qu'aurait pu être...
Parmi les destins brisés du cinéma bien peu de gens connaissent Laird Cregar dont l'impressionnante présence plane sur deux films passionnants du tout aussi méconnu John Brahm,réalisateur allemand faisant partie de la très fournie diaspora d'artistes germaniques ayant émigré aux Etats-Unis pour les raisons que l'on sait.Ces deux films sont assez proches l'un de l'autre,sortis la même année 1944 avec tous deux,en face de Laird Cregar,le flegmatique et lui-même inquiétant George Sanders.Il s'agit de Jack l'Eventreur que j'avais injustement oublié dans un précédent billet finement intitulé Fiche le camp, Jack, excellente version du mythe moralisateur d'un Jack the Ripper pourfendeur de prostituées ou d'actrices (synonyme?), et du meilleur encore Hangover Square.Avant d'aller plus loin je vous laisse en tête à tête avec les yeux de Cregar dans Hangover Square.Peu d'acteurs,Peter Lorre peut-être ou Mitchum dans M. et dans La nuit du chasseur sont aussi marquants dans la catégorie assassins.
Jack l'Eventreur arrive à nous surprendre non par le décor bien balisé depuis longtemps du Londres victorien et embrumé mais par quelques idées peu exploitées dans cette histoire archiconnue:les bobbies sont à cheval,ce qui donne de jolies teintes expressionnistes qui trahissent bien l'origine de John Brahm,né Hans Brahm à Hambourg dans les années 1890.L'ami Jack a des activités au fourneau comme un certain Landru et c'est dans les coulisses du théâtre,source de toutes les perversions,qu'il scellera son destin de monstre émouvant que la carrure de Laird Cregar rapproche d'un autre grand sentimental,King Kong.Là encore le mythe de La Belle et la Bête s'avère très cinégénique.Ce The lodger est une réussite mais Hangover Square me paraît plus original.
Laird Cregar y joue le rôle d'un compositeur frappé d'amnésies et de pulsions meurtrières.J'avoue n'avoir pas revu récemment ce film mais conserve un souvenir d'une vision noir et blanc d'une sorte de colosse fragile amené au pire à son corps défendant.Hangover Square culmine dans un hallucinant bûcher final.Ma mémoire y mélange,peut-être un peu infidèle,des sensations de pogroms et de chasse aux sorcières.John Brahm tourna peu d'autres films intéressants sauf Le médaillon avec justement un autre halluciné,Mitchum. Quant à Laird Cregar sa morphologie à la Falstaff qui lui valut d'interpréter à 25 ans des personnages de 45 lui valut aussi deux attaques cardiaques qui l'emportèrent à 28 ou 30 ans selon les biographes.