Prague vue par Fritz Lang et Bertolt Brecht
Prochainement l'un des meilleurs films américains de Fritz Lang ou quand même la propagande peut avoir du talent.1942:depuis quelques années Fritz Lang se consacre à la lutte antinazie depuis Hollywood. Ce tryptique comprend Chasse à l'homme,Les bourreaux meurent aussi et Espions sur la Tamise.Pour ce dernier film voir Les miettes du Ministère ou Londres,nid d'espions - BLOGART(LA ....Les éditions Carlotta proposent un très bon double DVD comprenant les deux versions de Hangmen also die.Bernard Eisenschitz, spécialiste du cinéma allemand nous donne quelques clés,essentiellement sur la collaboration entre les deux exilés,très différents,Lang et Brecht.C'est d'aileurs à peu près la seule intrusion directe du grand dramaturge allemand dans le cinéma..L'ami Oggy qui a déjà dégainé,n'aime pas le film et je le trouve bien sévère.
Il est vrai que Lang a voulu en quelque sorte "polariser" le sujet(au sens film noir,pas au sens obsession) et je pense que cela peut effectivement choquer un peu.Il ne prétend pas faire oeuvre historique car Les bourreaux meurent aussi a été conçu dès le début comme un thriller,par Lang plus que par Brecht cela va de soi.D'une construction relativement éclatée avec plusieurs lignes directrices le film a décontenancé ses rares spectateurs à sa sortie aux Etas-Unis. Présenté en France en 47 avec nombre de films retardés il n'obtint guère plus de succès malgré un timing diminué de 25 minutes(reste encore 1h55).On connaît le sujet ,l'assassinat de Heydrich, "protecteur" de la Tchécoslovaquie. On ne voit pas l'évènement mais l'idée de Fritz Lang est bien ailleurs.Il a déclaré avoir voulu par le biais du canevas policier faire un film informatif sur l'idée même de résistance,méconnue forcément des Américains.Alors Oggy y a vu quelques grosses ficelles probablement et il n'a pas tort.Néanmoins je considère Hangmen... comme un film important,pas si éloigné de Mabuse... et de M...,non seulement par la mise en scène qui retrouve quelques touches expressionnistes,ombre et lumière,menaces,scènes de rue et importance du "monumental" (façades, brasserie, immeuble), mais aussi par l'épineuse question des méthodes qui conduisent la Résistance et la Cause(bonne) à utiliser des moyens guère plus reluisants que ceux de l'oppresseur.Thème éminemment langien,voir les films précités mais aussi Fury,premier film américain,déjà chroniqué ici.
La dispersion du film nuit certainement à la clarté,passant du rôle du collabo à la fuite du héros traqué et au sort des otages.Mais tout de même,quelques images frappantes demeurent,certaines ellipses foudroyantes, le chapeau de l'inspecteur gestapiste par exemple, roulant sur lui-même pendant que meurt le tortionnaire.Pour conclure je pense que ce film,peu diffusé je crois,est partie prenante de la cohérence langienne,dont je prétends à chaque article le concernant, qu'elle est totale depuis Les Araignées jusqu'au tout dernier,en 60,Le diabolique Dr.Mabuse.Enfin je ne peux que conseiller l'excellent film de Douglas Sirk Hitler's madman,de 1943,qui raconte la même histoire,plus centrée cependant sur l'évènement en soi, l'attentat contre Heydrich.Oggy s'il l'a vu,me donnera certainement son avis.
Des eaux d'Orient
Renoir après sa période américaine passe par la case Inde avant son retour en France.Ai-je eu tort de mettre The river dans le Cinéma d'ailleurs?Cas très à part dans la filmo de Jean Renoir cette adaptation du beau roman,très anglais,de Rumer Godden,Le fleuve n'a guère été compris à sa sortie.Il est vrai que la parenthèse indienne de Renoir a de quoi surprendre.Il est vrai que l'homme avait changé.Les méthodes de tournage américaines,avec leur pragmatisme,et d'excellents résultats parfois(L'homme du Sud),et la maturité ont conduit Renoir à s'interroger différemment à l'existentielle condition humaine.Loin de l'engagement facile de La vie est à nous,du pacifisme de La grande illusion,de l'ironie cruelle de La règle du jeu.Du joli livre de Rumer Godden,presque de la littérature de jeunesse(elle est aussi l'auteur du Narcisse noir dont Michael Powell tira un beau film),ce qui n'est pas péjoratif du tout tant qu'il n'y a pas trop de manipulation,Jean Renoir tire un récit qu'on dira souvent panthéiste.Je suis assez d'accord.Il y a dans les couleurs,ah les couleurs,une force cosmique et un tel tellurisme dans les racines de ces grands arbres et dans les eaux du fleuve,charriant tous les usages,Inde éternelle,où l'on ignore même Gandhi,qu'un grand créateur suprême semble avoir signé la photo,de toute beauté.Une sorte de néoacadémisme, comme dans un livre d'images ou mieux,un livre d'heures médiévales enluminées.
Y voir comme certains,l'influence de Rossellini,qui tournera India en 58,me paraît hasardeux.Je monte facilement sur mes grands chevaux quand on évoque le Néoréalisme et pense que la sagesse de ce film s'éloigne pas mal d'une certaine colère dans l'Italie de l'après-guerre.Non je crois que Le fleuve est presque unique.A chacun de se faire son idée.Jean Renoir n'est pas mon cinéaste préféré et ses engagements ont parfois été pesantisssimes mais je ne tiens pas ses derniers films pour négligeables.Loin de là.Libre à tous de trouver Le fleuve sulpicien dans son indianité de pacotille.Moi j'y ai vu un beau film,l'histoire douloureuse d'un apprentissage de la peine pour trois jeunes filles entre Europe et Asie,entre adolescence et féminité, dans le cadre,souvent très végétal et luxuriant d'un tableau de maître,enfin de fils de maître.
Deux choses encore.L'avis d'un certain Scorsese qui semble s'y connaître en cinéma.Et la thématique de la rivière que de nombreux exégètes ont relevée à juste titre,La fille de l'eau, Boudu,Une partie de campagne,Le déjeûner sur l'herbe et en Amérique,L'étang tragique et L'homme du Sud,ce dernier déjà évoqué sur ce blog.
Le Fleuve, un des plus beaux films qui soit !
Mon père m’a emmené le voir quand j’avais 8-9 ans.
C’est un film qui s’est imprégné en moi et ne m’a jamais quitté depuis.
Martin Scorsese