Une bonne notte
Aorès La nuit une légère déception car je préfère les deux autres volets de cette fameuse trilogie de l'incommunicabilité antonionienne.Je ne suis plus très sûr d'avoir d'ailleurs vu le film en entier avant ce jour.J'avais surtout souvenance de la soirée mondaine et de ces personnages en noir et blanc,vaguement erratiques,souvent filmés en plongée comme en un ballet drôlatique et d'une totale vacuité.La nuit reste un film remarquable et il arrive même que l'émotion affleure,notamment la scène de de l'hôpital et de l'ami si malade du couple Mastroianni-Moreau.Pourtant il me paraît que La nuit se présente davantage comme une suite de vignettes existentialistes un peu artificiellement enchaînées en 24 heures d'un récitatif minimaliste:l'hôpital,le cocktail à la maison d'édition,la soirée,la rencontre avec Monica Vitti,jeune fille de la maison et peut-être symbole d'une liberté tonique que Giovanni(Mastroianni), écrivain,comme par hasard dans le monde hyperintellectualisé du cinéaste Antonioni de ces années soixante,a perdue depuis longtemps.
La balade nocturne de Jeanne Moreau dans Milan ne me convainc pas vraiment.Je lui préfère l'île close ou presque de L'Avventura et pourtant La nuit est souvent préférée de peu à ce dernier et à L'éclipse.Je crois que c'est dû à Marcello Mastroianni,tout en retenue,si loin du matin lover,intellectuel encore jeune et fatigué,un des plus grands acteurs du siècle.Calme et mortifié il sait donner à ce ce cinéma de Milan,ennemi intime du cinéma de Rome,si charnel, l'étincelle de génie qui fait de La nuit un très grand film,malgré mes préférences.Je sais que l'on a le droit de penser qu'Antonioni se regarde filmer. Mais,imperturbablement, j'aime tant ce narcissisme que je comprends mal l'enfermement dans lequel on réduit souvent le grand Ferrarais.On peut retrouver dans Cinéma d'Italie plusieurs autres notes sur Antonioni,ce grand monsieur qui m'a fait aimer,beaucoup,bourgeois et blasés qui ont bien le droit d'être malheureux.
Deux livres de Norman Lewis
Norman Lewis,je ne le connaissais pas.J'ai par contre beaucoup lu Graham Greene.Et les deux hommes se sont croisés à plusieurs reprises,hantant les mêmes lieux.Si grand est le talent de Greene,largement popularisé par le cinéma,très intéressante est la musique de Norman Lewis,catalogué comme écrivain voyageur,ce qui m'énerve un peu car tout écrivain voyage,tout lecteur également d'ailleurs.Ce qui est génial quand on découvre un auteur tardivement c'est que l 'on a d'un seul coup une flopée de romans,ou récits,à se mettre sous la dent.Ceci pour les gens qui lisent avec les dents,souvent des gens très incisifs qui ne mâchent pas leurs mots.Lewis le Gallois est mort très âgé il y a quelques années et semble avoir réussi à s'effacer toute sa vie de toute médiatisation.Cette discrétion de bon aloi lui vaut peut-être un relatif anonymat que je vais modestement tenter de réduire un tout petit peu mais les amis de Parfum de livres s'y sont déjà sérieusement attelés.
Comme à la guerre est mon premier choix,au pif,sorti une première fois en 66 sous le titre traduit littéralement Une petite guerre sur commande.Court et sans divagations,strié d'un humour sarcastique,de ce type d'humour qu'on rencontre effectivement dans de bons romans sur l'espionnage ou la Guerre Froide.Cette drôlerie n'épargne aucun des deux camps puisque l'action se déroule au moment du débarquement de la Baie des Cochons à Cuba.Charles Fane,anglais sympathisant de Moscou et surtout de La Havane,se retrouve manipulé par la C.I.A et envoyé en reconnaissance sur les plages cubaines avant le grand jour.Il ne trouve rien de mieux que tomber amoureux,ce qui n'est pas une bonne idée.Rapidement on a compris qu'on ne comprendrait pas,jamais,qui utilise qui et qui sortira vainqueur de ces histoires de dupes.On comprend que Fane ne comprend plus.Mais surtout en moins de 200 pages Norman Lewis trousse une aventure passionnante où les pauvres humains sont vite réduits à l'état de fantoches.Tout ça pour la Cause.Laquelle?Ca je ne sais pas très bien.Mais après tout chacun sa cause et la Baie des Cochons sera bien gardée.
Mais c'est ainsi que sur une plage qui aurait pu être de rêve le théâtre s'est révélé sanglant et que l'imbroglio politique et économique a continué de perdurer.Cela ne s'est probablement pas tout à fait passé comme le raconte finement Norman Lewis.Mais imprimons la fiction,elle est plus vraie que nature.
Norman Lewis(1908-2003)
Le deuxième livre s'appelle L'île aux chimères et son action se déroule dans une petite île de l'archipel des Canaries après la guerre,île qui jouit d'une certaine autonomie, ce qui permet aux notables de ne pas trop se soucier du gouverneur jacobin en poste à Vedra.Ainsi le chef de la police,le représentant de l'Eglise,celui des propriétaires et les autres vivent leurs petits trafics,leurs alcôves et leurs petits secrets sans que tout cela ne tire vraiment à conséquence.Société un tantinet médiévale mais où les yeux et les oreilles savent se fermer Vedra vogue ainsi sur l'Atlantique et espère continuer.
Mais le temps à tous se plaît à faire un affront et la petite île,non pas paradisiaque, mais où "l'on s'arrange" va finir par basculer dans une certaine modernité qui prendra l'habit d'une compagnie de pêche de la métropole espagnole,mettant ainsi en péril le subtil équilibre de Vedra,jusque là épargné.Peut-être,mais ce n'est que mon avis,est-il possible de rapprocher cette délicieuse chronique,souvent hilarante d'autres écrivains "de la bougeotte" comme Redmond O'Hanlon l'auteur du Voyage à Bornéo.Humour et causticité garantie comme le Graham Greene de Notre agent à La Havane.Le cinéma anglais (surtout les studios Ealing dans les années cinquante) est aussi une parfaite émanation de ce climat où la perfide Albion essaie toujours de tirer son épingle du jeu,Passeport pour Pimlico,L'homme au complet blanc,La souris qui rugissait.
Bien que gallois Lewis est doté d'une solide drôlerie,de celle des PG.Woodhouse ou plus tard Tom Blott.On sait depuis longtemps que Gallois,Ecossais,Irlandais et même Anglais ne sont d'accord sur rien,sauf quand il s'agit d'être drôles mais très sérieusement, attention.
Curiosité et propagande
Curiosité à suivre...On comprend bien qu'Edward Robinson,né à Bucarest,Paul Lukas,né à Budapest et Anatole Litvak,né à Kiev,tous trois émigrés juifs à Hollywood aient eu envie de faire un film de pure propagande, sans grande originalité,mais qui avait pour objectif de dénoncer les infiltrations nazies aux Etats-Unis. Terriblement manichéen voire insupportable à la fin par son simplisme outrancier Les aveux d'un espion nazi se regarde comme un témoignage de la Warner,avant même le début de la guerre puisque sorti en 39.On y rencontre le si british George Sanders en officier nazi pur jus.Tout ce petit monde s'exprime évidemment en anglais.Peu importe l'objectif n'était pas de faire mais de faire savoir...
On découvre ainsi les meetings des sympathisants sous l'oeil d'Adolphe et les svastikas.Saviez-vous qu'un certain Walt Disney y participa?Et que Joseph Kennedy(le papa) aussi?C'était ma minute de délation.Plus sérieusement la démocratie vaincra bien sûr.D'ailleurs le film se clot par cette phrase délicieuse et peu ambigüe: "L'Amérique ne fait pas partie des dernières démocraties.Elle est la démocratie".Je vous avais prévenus,il y a les bons et les mauvais. Merci à Patrick Brion qui continue inlassablement son travail sur France 3.Il arrivera aussi qu'un film de propagande,oui,soit aussi une oeuvre magistrale.N'est-ce pas Patron(Bogart)?Je parle évidemment de Casablanca et Le port de l'angoisse.O.K. Patron!
...et les mouches à l'oeil des chevaux
Avant tout l'avis de Dasola Valse avec Bachir - Ari Folman et de Nightswimming Valse avec Bachir .Le graphisme très personnel de ce film d'animation est admirable.La ville de Beyrouth semble dans sa nuit se fondre avec les silhouettes de trois soldats se baignant dans la nuit.C'est proprement hallucinant,donnant à Valse avec Bachir une aura à nul autre égale et des frissons qui accompagnent les scènes,surtout les scènes de calme.Quant à la guerre,à la mémoire,à la violence je vous renvoie au très bon commentaire de Nightswimming,commentaire dont je me sens totalement solidaire.C'est la moindre des choses à mon avis de ne pas faire preuve de redondance et de couper court à mon bavardage sur ce film,très beau,dont un ami a si bien parlé.Encore un mot,un seul pour justifier mon titre:le plan des chevaux agonisants est l'un des plus saisissants documents animés de ma vie de spectateur.A rapprocher,en beauté pure du cheval mort sur le pont d'Octobre d'Eisenstein.J'espère que vous ne trouverez pas ce billet "trot" cavalier.
Une chanson:Rhythm of the rain
http://www.deezer.com/listen-3991594 Rhythm of the rain(The Cascades,1963)
Le gamin a une douzaine d'années.Depuis peu son frère aîné souffre d'onomatopées et s'écrie parfois "Wap doo wap".Lui,le gamin,ça ne l'intéresse pas trop d'écouter le transistor ni même ce curieux appareil qu'un copain parisien interne à Saint-Joseph lui a montré fièrement,un truc qui mange des disques.Mais le gamin,il connaît Sylvie Vartan, une blondinette qui chante En écoutant la pluie.Cependant il préfère encore jouer aux billes.Pourtant ce soir là à la radio il a entendu cette même chanson mais par des inconnus et en anglais.Son frère lui a dit que c'était un groupe vocal qui s'appelait les Cascades.On appelle ça une version originale.Le gamin,il a trouvé ça mieux que la chanson en français,il aime mieux le machin original.Le gamin,il ne sait pas encore que toute sa vie a changé.Il voudrait dire maintenant que le rock est comme le tourisme,composé de quatre étoiles en front de mer genre Hôtel Beau Rivage et de campings Les flots bleus sur la route départementale.Le gamin il croit se souvenir que Rhythm of the rain a été son premier camping sans les parents.
Risi le montreur de monstres
En 71 quand Dino Risi,récemment décédé,signe Au nom du peuple italien,la comédie italienne, justement, a cessé de plaire vraiment. Ainsi vont modes et courants au cinéma comme ailleurs. On y trouve bien encore le duo de comédiens,Gassman histrion et Tognazzi sur la réserve mais ce sont un peu les derniers feux de ce genre typiquement italien.Quelquefois cela a pu être le contraire dans les castings, les cinq magnifiques comédiens transalpins s'étant combinés de de toutes les façons.Le sujet en est la corruption dans l'immobilier,les louches acquaintances,les dérives populistes.Ce thème est proche du cinéma de Francesco Rosi mais il est bien dans la manière de Dino Risi.Car avec le personnage d'entrepreneur joué par Gassman on tient vraiment un de ces monstres de la comédie italienne. Hableur, baratineur, corrompu, peut-être meurtrier,et pourtant comme tous ces héros de Risi,Germi,Monicelli et consorts on ne peut s'empêcher de l'aimer et de le trouver sympathique.En contrepartie le procureur, parangon de vertu interprété par Tognazzi nous ennuie un peu avec sa mobylette et son honnêteté.C'est ainsi que vont les choses:il arrive que de braves types nous cassent les pieds et certains escrocs sont parfois bien séduisants.
Dino Risi n'a jamais eu la main trop légère et tout son cinéma s'en ressent.Pourtant le déferlement des tifosi dans Rome à la fin du film,après le match Italie-Angleterre,n'est rien moins que prémonitoire.On a beau dire on ne dira jamais assez de mal des supporters.Scène hilarante aussi que la première convocation de Gassman dans les bureaux minables et surchargés de Tognazzi(misère de la Justice dont le Palais s'effrite) quand le premier apparaît en costume de centurion.Clin d'oeil à la Rome décadente?J'ai dit mille fois la grandeur du cinéma italien.Tiens ça fait mille et une fois.
L'odyssée du Retour
Livre déroutant que Le retour du berlinois Bernhard Schlink,tenant du roman d'apprentissage et de la quête du père,et surtout du thème de L'Odyssée,du retour à la maison.Nous savons tous maintenant que si Ulysse a mis dix ans pour retrouver Ithaque c'est qu'il a musardé, peu pressé semble-t-il de retrouver cette chère Pénélope et ses soucis quotidiens.Le jeune Peter a retrouvé les traces de celui qu'il pense être son père.Mais il y eu la Guerre et dans cette Allemagne bientôt divisée en deux il lui est bien ardu de savoir la vérité sur ce père absent,lointain,irréel et ce n'est pas sa mère, étrangement aphasique à ce sujet qui peut le renseigner. La tendresse il l'aura trouvée chez ses grands-parents maternels, relecteurs de romans populaires qui vont orienter les recherches du jeune Peter.Sous influence littéraire certes Peter va remonter un fil d'Ariane qui s'avèrera une via dolorosa dont sa rencontre avec Barbara souffrira,entre remises en question et abandons.
Point par point,pierre par pierre,il reconstituera le puzzle de ses origines et tout au long du roman nous assistons aux recherches entreprises par Peter,devenu spécialiste des questions de loi et de justice(comme Schlink lui-même professeur de droit et magistrat), pour connaître la vérité.Mais au bout d'une enquête en chausse-trapes la rencontre s'avèrera rude et très surprenante.On ne sera pas étonné de voir dans Le retour une réflexion très serrée sur la notion de culpabilité ,inhérente à tout romancier allemand depuis soixante ans.Et si à force de déconstruire l'Histoire se pointait quelque chose qui ressemblerait au révisionnisme.Je m'empresse de préciser que ceci concerne le roman,absolument pas le grand écrivain qu'est Bernhard Schlink dont on n'a pas oublié Le liseur ni les nouvelles d'Amours en fuite.
Les routes du Sud
Ce sud est celui du Liban et ce film s'appelle Sous les bombes.Un chauffeur de taxi chrétien accepte de conduire une jeune femme musulmane qui recherche son fils de six ans dans le Liban de 2006 qui vient de subir 33 jours de bombes israéliennes en réponse au Hezbollah.Ce films est accompagné en salle d'une fiche assez bien faite qui nous explique un peu le Liban.C'est une bonne idée.De plus c'est le type de film à thèse souvent présenté dans un cadre associatif,ce qui fut le cas au Cinéquai.Cette démarche a l'avantage et l'inconvénient de "scolariser" si j'ose dire les séances et ainsi d'attirer (ou d'obliger) les lycéens à voir un film plus ou moins contraints mais ceci est un autre problème.De plus des membres d'associations libanaises de l'Aisne étaient présents et quand on connaît un tout petit peu le puzzle que constitue le pays du cèdre on ne peut qu'applaudir et apprendre.
Le film a été tourné dans des conditions difficiles et la monteuse de Sous les bombes,présente elle aussi,nous l'a bien expliqué.Tourné avec seulement trois acteurs professionnels le film bénéficie d'un aspect quasi documentaire mais la fiction induite demeure très émouvante tout au long de ce road-movie presque néo-réaliste où les deux protagonistes vont peu à peu se connaître.Ni la passagère ni le chauffeur ne sont des extrêmistes et ceci permettra probablement un rapprochement(version optimiste).Philippe Aractingi a réussi à nous faire sentir au plus près le désarroi du Liban,pays au départ pourtant particulièrement pluriel.Les ruines d'après-guerre ne sont pas un décor pour une histoire mais partie prenante d'une tragédie qui n'en finit pas.Je suis sorti de la projection assez troublé mais un peu moins ignorant de ce Proche-Orient si douloureusement à la une depuis si longtemps et pour lequel chacun de nous a le devoir de dépasser les a priori.
La voix d'un maître
Il existe des centaines d'enregistrements de Sinatra.Il me semble que The crooner goes to jazz est une bonne compilation.Composé des classiques de Cole Porter dont I've got you under my skin ou Night and day qu'on ne présente plus,d'autres standards comme All of me,Sweet Lorraine,Body and soul,en tout une vingtaine de titres remastérisés illustrant ce que je pense être ses meilleures années,46-56.The crooner goes to jazz rappelle si besoin en était le mélange de charisme et de détente,presque une certaine nonchalance,mais surtout l'extraordinaire feeling de cet homme qui résume si bien à lui tout seul une Histoire de l'Amérique.Mais tout cela importe peu .Quand on la chance d'avoir Monsieur Sinatra,on l'écoute. J'aime bien la scène d'un film de Melville,L'aîné des Ferchaux,ou Belmondo se bagarre au juke-box pour imposer Sinatra à des soldats américains qui finissent par lui payer un verre.La seule chose que je regrette chez Frankie,ce sont les paresseux duos qu'il enregistra à la fin de sa carrière.Il faut vous dire qu'en général je ne goûte guère cet artifice qui consiste à accoler deux personnalités pour ne faire un produit marketing. Oublions cela et écoutons-le au mieux de sa forme.
http://www.youtube.com/watch?v=X--QWXGjXfg I've got you under my skin
http://www.youtube.com/watch?v=YF4ydh6cB10 Body and soul
Un petit jeu ciné de saison même que c'est facile mais qu'y faut tout trouver parce que quand même c'est rudement trop facile
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