La décennie 1990-2000 a vu Nanni Moretti ne réaliser que deux longs métrages,en fait un dyptique Journal intime et Aprile.Rarement cinéma n'aura été aussi narcissique et universel cependant.Depuis Palombella rossa Moretti est devenu producteur,la Sacher Film,du nom de sa célèbre pâtisserie préférée.Les autres jeunes cinéastes, Mazzacurati, Luchetti, Calopresti, peuvent compter sur lui.Un peu moins la France qui distribuera tout ça chichement.1993, le film "manuscrit" Caro diario est en fait composé de trois parties de 30 minutes dans lesquelles Moretti s'implique corps et âme,même si ses films-rôles antérieurs,du Michele de Bianca au Don Giulio de La messe est finie n'ont en fait été qu'une très longue introspection, toujours en cours depuis 35 ans.En vespa est une superbe virée en scooter dans une Rome quasi déserte ou Moretti donne libre cours à son amour pour la ville,peut-être un clin d'oeil à Fellini et à la cinéphilie,ce gravissime virus qui nous vaut un hilarant règlement de comptes avec un critique et une balade sur les plages où vécut et mourut Pasolini.

     Dans Les îles Moretti retrouve un ami dans l'archipel des Eoliennes.Il trouve dans l'insularité et dans l'éloignement motif à se colleter à ses thèmes de prédilection,le rôle aliénant de la télé,l'éducation des enfants,le portrait d'une génération alors quadragénaire.Comme toujours chez lui une certaine gravité souriante irradie le film.C'est qu'il n'a jamais été dupe de la relative réussite de son cinéma,ni de l'engagement,ni de sa propre position,une sorte de leader en Italie,qu'il n'a surtout acquis que dans les années 2000.Journal intime est un hymne à l'écrit au moins autant qu'au cinéma.le générique silencieux et écrit,les têtes de chapitre,les ordonnances.Moretti a écrit tous ses films,souvent seul.Et comme l'écrit Alexandre Tylski,de la revue Cadrage,on peut considérer Journal intime comme un générique entier,rejoignant l'étymologie avec une sorte de genèse retrouvée au contact des volcans,en une Méditerranée où naviguerait toujours Ulysse,d'îles en îles justement.

  Ce chapitre sur les îles Salina,Stromboli,ramène aussi aux ancêtres,Rossellini bien sûr,mais aussi de façon très drôle et à travers les tyrannies téléphoniques des enfants à un certain manque de communication,celui d'Antonioni dont le film le plus célèbre, L'Avventura,se déroule lui aussi dans une île.

   La troisième partie de Journal intime est évidemment encore plus personnelle.Woody Allen à qui Moretti fut souvent comparé pointe un peu ses lunettes mais l'hypocondrie allénienne légendaire est battue en brèche par la réalité morettienne puisque Nanni a vraiment vécu les affres du cancer et les rebonds de spécialiste en spécialiste,ici nommés le premier dermatologue,le deuxième dermatologue,le troisième dermatologue,le prince (?) des dermatologues,le remplaçant du prince des dermatologues.C'est en se penchant sur lui-même,de façon épidermique,c'est le cas de le dire,que Moretti touche à son pays,intégralement,le radiographiant tout comme son propre corps dans le scanner.C'est bouleversant,caustique et hilarant.Peu,très peu de cinéastes en disent autant.

    Aprile en un sens va plus loin encore puisque Moretti endosse ici son engagement politique au même titre que son travail de cinéaste et finit par les mêler à sa propre existence et notamment à la naissance de son fils Pietro.Tant et si bien qu'on ne sait plus ce qui incombe à la fiction et au document et c'est en cela qu'Aprile est une grande réussite. Commencé avec la défaite de la gauche en 1994 et la première victoire de Berlusconi,devant la télé,avec sa mère,la vraie, le film embraie ensuite avec l'arrogance d'un journaliste français et cette impression de mouvement,cette impression de mise en marche,ce sentiment d'éveil qui constellent Aprile au long d'une balade à l'italienne sur ces deux ou trois ans de vie politique et privée.

               La désormais célèbre scène où Moretti jouant Moretti récite une surréaliste liste de publications qu'il achète afin d'en faire un mur,non,une couverture voire un linceul,se déguste toujours avec délectation.Cette démarche citoyenne,mais je déteste ce que l'on  a fait de ce mot,se mélange avec les interrogations sur le prénom de son enfant,partagées avec sa compagne,et entrecoupées d'appels téléphoniques souvent en lien avec le cinéma.Père et fils dans le miroir,ceci après le départ de Silvio et les cris de victoire de Nanni,pour la naissance de Pietro plus peut-être que pour le succès de la gauche,nous emmènent vers la fin du film,en vespa,cela va de soi.

            La conclusion d'Aprile,un brin traumatisante,joue du temps qui passe,qui a passé.Il est vraiment plus que temps de réaliser cette comédie musicale toujours remise au lendemain,sur la vie d'un pâtissier trotskiste incarné par Silvio (Orlando évidemment,pas l'autre).