Feuilletons,feuilletons,quelles merveilles!J'ignorais Camilo Castelo Branco.Et Raoul Ruiz adaptant Proust ou Giono m'avait pas mal ennuyé.Mais j'ai promis à D&D et ses 25 images qui s'occupe de ma lusophonie pas assez galopante selon lui mon avis sur Les mystères de Lisbonne,vu dans sa version télé.
Mystères de Lisbonne Bande-annonce 1
Ruiz et son scénariste Carlos Saboga ont véritablement osé le feuilleton.En France on pense à Hugo,Dumas ,Eugène Sue.Au Portugal je crois que leur contemporain Castelo Branco est très connu et comme toujours quand j'ignore je me renseigne un peu.Auteur de plus de 250 livres Camilo Castelo Branco a vécu lui même le mélo et le feuilleton. Fils naturel d'un noble et d'une paysanne,orphelin assez jeune il a connu la prison et a fini par se suicider.C'est avec délices que je me suis plongé dans ces cinq heures pour une cinquantaine d'années avec retours dans le passé, métamorphoses, duels et retraits au couvent.Du classique,infiniment respecté par le rythme, l'éclairage et la musique.Avec comme il se doit un personnage pivot,le Père Diniz,qui bien sûr n'a pas toujours été le Père Diniz.
Il faut pour s'immerger dans ce rocambolesque une disponibilité matérielle et psychologique,surtout pour une oeuvre totalement inconnue car si j'ai fréquenté pas mal Hugo,Dumas et Balzac,me familiarisant ainsi avec Dantès,Vautrin ou Thénardier et leurs multiples avatars,je ne connaissais pas cette histoire.J'ai eu un peu de mal à identifier chaque personnage et leurs changements d'identité. Inconvénient classique du genre roman-feuilleton mais qui se transforme en avantage tant on brode un peu sa propre saga au long du film.
Cela dit beaucoup de belles scènes truffent le film.Les couvents me paraissent décidément très cinégéniques et la noirceur des scènes de parloir étoffe paradoxalement les scènes de palais.Deux compères,Mange-couteau et le gitan négocient la vie d'un orphelin et se retrouveront des années plus tard en d'autres lieux et autre tenues.Des amours ancillaires,des captations d'héritages,des mariages arrangés,tous les ingrédients du serial (même si on n'appelait pas ça ainsi au XIXème Siècle),des complications qui font qu'on est à peu près sûr de passer à côté de certaines intrigues plus marginales,tout cela fait de nous un complice,un séide, un reître à la solde de la littérature,abusé et heureux de l'être par l'imagination de l'auteur et les splendeurs de l'adaptation.Car la mise en scène est de toute beauté et mériterait une seconde vision.Et s'il nous faut nous attacher c'est bien sûr au Père Diniz,figure du prêtre éclairé détenteur de vérités,ayant déjà vécu deux ou trois vies,dont l'ambiguité ne sera jamais tout à fait levée.De la haute littérature sûrement (j'essaierai de trouver le temps de lire Castelo Branco,c'est un peu un luxe de Chronos) et du grand ciné qui,Atlantique oblige,nous envoie comme il se doit jusqu'au Brésil en ce siècle passionnant et somme toute pas si éloigné.