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                                 Oui, 40 ans après, me voilà de retour dans la Vallée de la Mort, aux confins de la Californie et de l'Arizona, cinématographiquement s'entend. Je termine ma petite série annuelle de communications à l'Université du Temps Libre qui d'ailleurs ne s'appelle plus ainsi,mais vous connaissez le principe.Le thème que j'avais retenu cette année était "Les grands d'Europe en Amérique". Michelangelo Antonioni,qui a connu un succès critique et même public, relatif, car il n'a jamais été bankable,avec Blow up, sillonne le pays en vue d'un film sur l'Amérique de 1970, avec agitation estudiantine sur fond de Vietnam, musique psychédélique et  charge contre la société d'hyperconsommation. Ce sera Zabriskie Point,Antonioni's Zabriskie Point (remarquez le cas possessif), échec total au box office,mal perçu par la plupart des critiques. Alors,back to Zab.,une bonne idée? 

                 Easy rider est sorti peu avant.C'est aussi le temps du Lauréat et des premiers livres de Philip Roth dont Goodbye Columbus.La contestation est de mise et de mode et je finis par penser ironiquement que les révolutionnaires seraient finalement plutôt les traders de Wall Street tant la Californie et le phénomène hippie drainent les foules.Antonioni dit avoir voulu recueillir le caractère profond et authentique de cette Amérique,la seule star du film.D'où des personnages plutôt prétextes et manquant de chair,l'amateurisme des deux jeunes acteurs n'améliorant pas forcément la crédibilité.Ceci dit c'est très intéressant de revoir Zabriskie Point, un peu cruel aussi car c'est un des films de mes vingt ans.

             Après un générique musicalement très identifiable pop seventies l'assemblée générale sur un campus de Los Angeles sonne juste.Logorrhée, vieilles lunes, Lénine, Castro, sur fonds de substances dont certains croient encore qu'elles ont fait avancer les choses, le mouvement étudiant est à son apogée.Antonioni,de la gauche italienne avec laquelle je n'arriverai pas à me fâcher,les dévisage avec sympathie.Sexe,drogues et rock'n'roll,coiffures afro et puis...les possibilités d'un dérapage.Mark, bien qu'innocent du meurtre d'un policier, ne trouve rien de mieux que d'emprunter un avion.Mais avant ça Antonioni nous offre un voyage jusqu'au commissariat haut en couleur locale, publicités, urbanisme, omniprésence de l'automobile et de la technologie.Nous ne sommes pourtant qu'en 1970.

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             Zabriskie Point fonctionne essentiellement par oppositions,parfois un peu schématiques,mais l'époque était un peu,un peu beaucoup, à la simplification bilatérale:jeunesse/establishment,ville/désert,rythme urbain effréné/temps dilaté du désert,pop art/land art (les lignes sur le sable).Antonioni tisse ainsi son américanité.Et le poème visuel sur l'Amérique vire au pamphlet avec l'hallucinante campagne de presse de Sunny Dunes,programme immobilier digne de la poupée Barbie,où ne manquent ni la musique de soap,ni la laideur des mannequins de cire,ni l'esthétique ghetto riche.Alors la liberté viendra-t-elle du ciel avec le vol de Lilly 7 et le ballet amoureux,rencontre de Mark planant et de Daria roulant vers Death Valley?

          La célèbre scène de nus,et le love-in rêvé de l'Open Theatre,troupe d'avant-garde inénarrable,ont fait beaucoup pour la (mauvaise) réputation du film.Quarante ans après on sourit bien sûr,nous étions si jeunes nous aussi.Au coeur de la vallée,c'est comme un retour aux origines,une démarche matricielle,biblique en même temps qu'orgiaque.Le grand cinéaste italien aurait eu peur de rater le dernier train branché qu'il n'aurait pas tourné autrement.Quand la contre-culture se piège seule et que l'anticonformisme se banalise,vaste débat dont j'ai cent fois devisé...Parfum de scandale vite éventé,ce qui n'évita pas le désastre critique et public de Zabriskie Point,sauf pour la bande originale qui devait beaucoup au Pink Floyd,beaucoup mais pas tout.

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          A le revoir,m'effleure la sensation que le mal être existentialiste de L'Avventura (1960) s'est un peu poursuivi jusqu'aux entrailles de Zabriskie Point,au sens géographique strict.Et aussi que,vieillissant doucement, le maître de Ferrare,qu'on a pu parfois croire hautain et arrogant,a crû possible cette ballade au coeur de l'Amérique de 1970,naïve et violente,puérile et blasée,explosive et désenchantée. En témoigne,après la mort de Mark, la mutiplicité des plans imaginés par Daria,la destruction de ces symboles de possession,montrés à l'infini par Antonioni.Back to Zab.?Pourquoi pas,puisque c'est aussi Back to my youth.

        Enfin,coïncidence,l'ami le Bison, qui a souvent le mauvais goût d'aimer la musique que j'aime,revient sur le film et sur le disque avec sa sensibilité habituelle.Il a découvert le film,je l'ai redécouvert,pourquoi ne pas vous laisser tenter vous aussi.Allez,Back to Zab! http://leranchsansnom.free.fr/?p=4196