La poésie du jeudi, Boris Vian

 A propos de guerre, de novembre et de deuil (j'aime tout spécialement "une abeille de cuivre chaud").

L’Evadé

Il a dévalé la colline

Ses pas faisaient rouler les pierres

Là-haut entre les quatre murs

La sirène chantait sans joie

Il respirait l’odeur des arbres

Avec son corps comme une forge

La lumière l’accompagnait

Et lui faisait danser son ombre

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Il sautait à travers les herbes

Il a cueilli deux feuilles jaunes

Gorgées de sève et de soleil

Les canons d’acier bleu crachaient

De courtes flammes de feu sec

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Il est arrivé près de l’eau

Il y a plongé son visage

Il riait de joie il a bu

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Il s’est relevé pour sauter

Pourvu qu’ils me laissent le temps

Une abeille de cuivre chaud

L’a foudroyé sur l’autre rive

Le sang et l’eau se sont mêlés

Il avait eu le temps de voir

Le temps de boire à ce ruisseau

Le temps de porter à sa bouche

Deux feuilles gorgées de soleil

Le temps d’atteindre l’autre rive

Le temps de rire aux assassins

Le temps de courir vers la femme

Il avait eu le temps de vivre.

Boris Vian, Chansons et Poèmes

Comments

[Secrète Louise]

Je ne connais pas ce poème, ni beaucoup Vian pour tout dire. Je le trouve très beau à lire surtout la dernière strophe. Il les a bien eu finalement. Ces quelques vers disent beaucoup de choses mais la principale que je retiens est qu'il faut profiter de chaque instant.Et surtout des petits riens...

[Asphodèle]

Claude, comme quoi les hommes sont encore moins poètes que lecteurs !!! :lol: Ta sensibilité masculine nous est précieuse, nous avons de la chance de t'avoir, n'en profite pas !!! :D

Bises

[EEGUAB]

Merci à toutes cinq. Vian, derrière Saint Germain, la trombinette, La java des bombes atomiques, On n'est pas là pour se faire engueuler, J'suis snob, c'était aussi des textes comme celui-là, dans la lignée du Déserteur. Je suis heureux de vous savoir émues, et toujours stupéfait devant la sous-représentation masculine en littérature, poésie, etc... :)

[VALENTYNE]

Si triste ce jeune homme fauché en pleine jeunesse ....



On sent bien l'urgence avec la répétition "Pourvu qu’ils me laissent le temps"

[Asphodèle]

Je ne connaissais pas non plus ce poème, c'est fou comme Boris Vian n'a pas pris une ride, le ton n'est pas daté et l'émotion est au rendez-vous ! la guerre a fait couler tellement d'encre et de sang... Bises♥ Et pardon d'avoir confondu avec Prévert, hein Miss Soène de la Maréchaussée, ERRARE HUMANUM EST et je ne suis pas un robot, je suis faillible ! ;)

[Lili]

Je ne connaissais pas ce poème de Vian - en fait, je crois que je connais très peu de ses poèmes et c'est dommage car, à chaque fois, je les trouve fantastiques ! Merci de me rappeler de me plonger là dedans :)

[Soene]

Hello Edualc

En découvrant ton poème, j'étais surprise de l'annonce de Miss Aspho qui indiquait une des oeuvres de Prévert :lol:

Tu as la poésie triste :roll:

Je ne connais pas trop le répertoire de Boris Vian mais j'ai plaisir à le découvrir plus en profondeur.

Mais, sans comparaison aux atrocités d'une guerre, nous sommes un peu des "évadés" dans nos vies respectives... nous fuyons toujours quelque chose ou quelqu'un...

J'aime bien ce rendez-vous car il nous fait découvrir des auteurs, des poésies et les goûts des bloguinautes :lol:

Bonne fin de semaine Edualc

La mienne commence ce soir et s'annonce "agitée" comme la météo annoncée pour ce we. Question d'habitude, en somme :roll:

Gros bisous d'O.

[marieetanne]

Très beau poème. Je me rappelle l'avoir lu il y a longtemps, mais là de bon matin cette lecture m'a donnée des frissons. Merci.