Les plumes...by Asphodèle: Ce passage-là était bien*

                                           Pas moins de 23 mots cette semaine dans l'escarcelle d'Asphodèle dont il faut saluer l'énergie pour mettre en oeuvre toutes ces animations autour de l'écriture: visage-camouflage-armée-plume-vénitien-jaune-déguiser-bal-argile-mensonge-embaumer-comédie-celer-mystère-pailleté-crème-farandole-grimace-hypocrisie-dissimuler-unir-usure-unique.

                                            Sur la Place de l'Hôtel de Ville où je l'ai croisé samedi  on ne s'est fait aucune grimace réciproque. Notre vieille rivalité doit être aujourd'hui prescrite et nulle comédie n'est plus à jouer entre nous. Il m'a confirmé qu'elle vivait toujours à Lyon avec ce type que j'ai vu une fois au concert de Jazz au Jardin en juillet dernier. Mon sourire était jaune en lui serrant la main alors qu'elle était partie acheter trois bières.Trois. Paraît que monsieur est musicien. Quel genre j'en sais fichtre rien. Ce que je sais c'est que ça m'étonnerait qu'il lui écrive les poèmes dont ma plume alors fertile l'inondait et qu'elle clamait à haute voix dans les rues de notre ville, du temps où ce n'était un mystère pour personne, du temps où je peaufinais ma pièce, qu'elle jouerait, c'est sûr, du temps où j'étais Branagh avec Thompson, Bergman avec Ulmann. Je n'avais pas pour habitude de celer mes modesties. Elle non plus, tous le savaient et le théâtre avait beau être amateur, la fièvre était rien moins qu'hollywoodienne et le virus vénitien. "C'était un temps déraisonnable*", aurait dit Louis, et, pas longtemps, j'ai près d'elle tutoyé le ciel, roi du monde et figure de proue. Mais le bal ne pouvait durer et aux corsages pailletés succèderaient vite les habits élimés du quotidien.

                                           Je n'avais guère envie de creuser le sujet. Pourtant il m'a entraîné au Bar de l'Imprimerie et devant un crème pour lui, je crois qu'il avait arrêté le reste, et un cognac pour moi, je sais pas pourquoi brusquement m'est venue l'envie de m'échauffer un peu, marre de dissimuler peut-être, ou à l'opposé l'idée de m'aider, fugace, à la retrouver huit ans plus tôt. C'était farandole assurée quand elle et moi étions dans la même salle, farandole de regards complices parmi les visages amis et banals, et coups d'oeil tout en méfiance aussi, vous-ai je parlé de sa jalousie, de ce sentiment qui fait que les femmes, en une occasion au moins, se ressemblent toutes, à ne pas déguiser leur haine sous un camouflage de compréhension bidon. Quelques mois, pas davantage, au moins ignorerions-nous l'usure, mais de cela voulait-il me parler? Et que me dire? Maintenant grand-pères, lui comme moi, deux silhouettes déjà voûtées et comme unies à la flammèche de son rire à elle, éclatant et communicatif, il nous semblait résonner, tout prêt à libérer la dérisoire armée de nos amours, d'argile cisaillée.

                                            Il ne m'a rien dit cet après-midi de janvier et moi non plus. Fervent adepte d'une hypocrisie salvatrice, je décidai de le laisser vieillir avec de moi une belle idée, une idée de loyauté. Je lui devais bien ça, à lui qui avait fermé les yeux sur nos mensonges de deux ou trois saisons. les plus belles de la vie de sa femme, que mi poète mi soudard j'avais annoblies. Voir dans mes yeux une lueur du bonheur enfoui et de la gaité d'antan lui suffisait pour embaumer le souvenir de notre bien commun dont curieusement je peine à me rappeler le prénom. Je la nommais, moi, je la nommais...Je crois que c'était unique. N'en parlons plus.

* Merci à Louis Aragon. Merci à Alain Souchon.

Comments

[Ethunelle]

Je découvre votre (ton?) blog avec plaisir

Ce texte --imposé de surcroît-- est superbe de sentiments...!on s'y croirait! (...?)

[pyrausta]

Le secret, il n' y a que ça quand deux ami(es) se retrouvent..A quoi bon aller déterrer la hache de guerre? J'avais bien reconnu mon cher Aragon , parfois.

Bel écrit riche, travaillé.

[claudialucia]

Un beau texte d amoureux loyal mais... pas modeste! En tant que metteur en scène de théâtre amateur : Bergmann/ Ulmann, Brenagh/Thompson! Rien que ça!!

[Wens]

Il faut savoir taire la vérité...parole de surineur

[ceriat]

Souvenir d'une belle rencontre qui ne veux pas finir. :D Superbe texte, j'adore. :D

[evalire]

Ah ces souvenirs uniques pour chacun ils doivent rester secrets pour garder leur charme .

[celestine T]

Il y a un autre sentiment par lequel les femmes se ressemblent toutes: c'est cette propension à prendre pour elles seules certains mots, comme s'ils avaient été écrits pour elles exclusivement.. Et j'avoue que tu y vas fort, dans ce sens, avec deux de mes idoles: Aragon, et Souchon. Tu as fait crépiter mes yeux de faïence.Et à te lire, la vie n'est vraiment pas un film de rien.

[jobougon]

Une "unique" qui doit être bien vivante pour susciter autant de passion.

L'escarcelle d'Asphodèle donne matière à beauté, la donne était de taille !

[Marie et Anne]

"Une idée de loyauté." il y en a si peu de nos jours. Merci pour ce texte.

[MCL]

Un beau texte, tout en retenue, jusqu'au bout, pour ne pas pas égratigner le souvenir de cette femme unique...

[Asphodèle]

C'est quand arrive l'arrière-saison que nous reviennent nos plus beaux souvenirs, et une muse à Lyon, hum hum !!! :lol: Un beau texte où les regrets s'invitent en pointillés mais on les sent bien... et beaucoup de pudeur, ce qui ne m'étonne pas venant de toi !....

[Jean-Charles]

Unique sans doute, comme le souvenir qu'elle laisse. !

[Soene]

Une "Unique" à Lyon, ça ne s'invente pas, Edualc :lol:

"La parole est d'argent, le silence est d'or" dit-on !

Aragon/Souchon/Edualc, un trio étonnant, assurément.

Il vaut mieux vivre avec des regrets qu'avec des remords...

Bon we et gros bisous de Lyon

[valentyne]

très belle rencontre de deux éconduits de cette Unique :-)

tu as bien fait de ne pas lui dire toute la vérité :-)