Cinquante nuances de gris, surtout pas de refus
Quatrième incursion chez ce grand de Norvège, Per Petterson et c'est vraiment un auteur passionnant qui se confirme. La Scandinavie nous offre bien d'autres choses que les polars, souvent bons d'ailleurs mais répétitifs. Tommy et Jim sont amis d'enfance nés vers 1955, près d'Oslo. Leur enfance n'a pas été facile et quand ils se croisent par hasard, Jim remballe son matériel de pêche et Tommy descend la vitre de sa Mercedes, il y a trente ans qu'ils ne se sont pas vus. "C'est bien toi, Jim?"-"C'est bien moi, oui."
Je refuse est un si beau roman qu'il entre en vous à travers les deux garçons qu'on ne voit pratiquement qu' à deux époques, 1966-70 et 2006, soit leur adolescence et leur âge de retrait(e). Il entre en vous comme les autres livres de Petterson, plus aigu encore, tant les artifices usuels de la littérature sont peu utilisés par l'auteur. Tommy est riche, et seul. Jim est en arrêt maladie, fauché, et seul. Rien de triomphant ni chez l'un ni chez l'autre. Tommy, berline rutilante et pardessus luxueux, n'est pas mieux loti que Jim qui a jadis connu le Bunker, ce centre psychiatrique des années 75. C'est d'ailleurs à partir de là qu'ils se sont perdu de vue.
Qui l'aurait cru? Jim, enfant unique d'une famille qu'on appelait pas monoparentale, surprotégé par une mère très pieuse, semblait mieux armé que Tommy, nanti de trois jeunes soeurs, abandonné très jeune par sa mère partie un jour du port d'Oslo pour Singapour ou Manille, et jeune encore par son père alcoolique et violent. Fameux modèle social nordique , il a pas mal de ratés. Je refuse n'est pas l'histoire d'une longue amitié, estimable récit lu maintes fois. Non, Je refuse serait plutôt le rendez-vous manqué de deux jeunesses avortées, où Tommy et Jim, finalement tout tordus par la vie ont comme composé chacun une partition du ratage qui, personnellement, m'a secoué. Je boirais bien un verre d'aquavit, fort, à leur adolescence charriée, à leur maturité décevante, à leur vie somme toute banale. Mais que voulez-vous, ils n'en ont qu'une, de vie. C'est comme moi,au fait. Je propose rarement un extrait mais celui-ci est si beau dans sa simplicité.Tommy croise son père, quarante ans après.
Mais c'était un vieillard. Il avait les cheveux longs, il portait une grande barbe et il était tout gris; ses vêtements étaient gris, ils étaient tachés de gris et la lumière crue de l'ampoule électrique éclairait violemment ses yeux grands ouverts et semblait s'y perdre.
L'avis enthousiaste d'Aifelle ici Je refuse et celui d'un lecteur curieux que je ne connais pas, tout aussi favorable D'une berge à l'autre: Je refuse - Per Petterson. Et aussi chez Luocine Je refuse Et chez moi les chroniques des oeuvres précédentes Maudit soit le fleuve du temps et Pas facile de voler des chevaux