Etre retenu dans le Club des Lecteurs Relay 2015 est une chance qui m'a permis de recevoir quatre livres. A charge de les lire (oui) et d'en poster une critique. Voici le premier. Jerôme Garcin a eu bien raison de nous faire redécouvrir Jacques Lusseyran, écrivain, résistant, aveugle (1924-1971) car c'est un beau récit d'amitié et d'admiration qu'il nous livre à travers le destin de cet homme, le visionnaire, le clairvoyant, le voyant. Frappé de cécité à huit ans Jacques Lusseyran fut très vite attiré par la musique et plus encore par la littérature et l'écriture. Sa prodigieuse mémoire lui permit des études brillantes qui le conduisirent, lui, le rescapé infirme de Buchenwald, à enseigner après-guerre la littérature aux Etats-Unis, pays où il se reconnaissait et où on le reconnaissait mieux que dans la France encore frileuse de 1950.
Le voyant se situe, bien que récit, dans une grande veine romanesque humaniste, mais ce dernier mot est si galvaudé, que j'hésite. A travers le prisme Jérôme Garcin, cet homme semble irradier une lumière contagieuse, renforcée à de multiples occasions par ce qu'on ne peut pas qualifier ici de handicap, tant les sens et les empathies de Lusseyran ont crû et embelli suite à la perte de la vue. Certains chroniqueurs, pas tout à fait à tort, y ont décelé, eux, du trop, du trop beau pour être vrai, du trop de facilités pour un seul homme, voire du trop peu de séquelles pour un retour des camps.
Mais Jérôme Garcin est encore plus bouleversant quand il revient sur les failles de Jacques Lusseyran car on finit par les connaître, ses mariages manqués, ses rapports inexistants avec ses enfants sauf sa fille ainée Claire, ses exigeances. Et ses relations avec un certain maître parfois contestable. De l'influence anthroposophe et de l'ésotérisme chrétien venus en partie de son père Pierre Lusseyran je n'ai pas compétence et me tairai donc. Enfin en une douzaine de lignes l'auteur fait le parallèle entre la mort dans un accident de la route de Lusseyran en 71, avec sa troisième et jeune épouse, et celui de son propre père le grand éditeur Philippe Garcin, mort de façon similaire en 73. Tous deux étaient khagneux de Louis-le-Grand, amoureux fous de la langue française et de la littérature en général, brillants et pleins d'avenir.