Plus noir que vous ne pensez

                                Ce bouquin est profond. Ce bouquin est brutal. Sombre et dur comme le titre original Hold the dark il campe un Alaska, cette curieuse entité presque animale, ce surnuméraire territoire américain qui commence vraiment bien au delà d'Anchorage, où la persistance de chamans mêlée aux conditions extrêmes et où le culte ancestral du loup frère et tueur constituent le terreau de cette histoire hallucinée, de glaces et de peaux vêtue. Y galope aussi, ou plutôt y glisse sur les rares chemins l'imaginaire du lecteur que William Giraldi emmène aux confins sans nous tenir trop la main.

                               Suite à des disparitions d'enfants on incrimine les loups à Keelut, village ravitaillé par les corbeaux mais même ceux là ne s'y aventurent qu'à ailes mesurées. Russell Core, écrivain, spécialiste du genre canis lupus, descend chez Medora Slone dont le fils est le dernier disparu. Vernon Slone le père est alors dans un quelconque désert irakien (il faut s'y habituer, le Vietnam ne se fait plus guère en littérature). Dans ces contrées ultimes ni le scientifique ni le flic ne sont maîtres des temps, pas plus le temps météo que le temps chrono. Ce noir qui vous tombe sur l'épaule en un souffle, ces taiseux de tout âge qui ne répondent pas, cette omniprésence du métal d'une dague ou d'une crosse de fusil, ces rafales de blizzard à égarer les plus rusés, ce pays est si rude que le titre français pour une fois est acceptable. Ni dieu ni homme pour vivre ici,seulement survivre. et tous ne survivront pas.

                               L'auteur a l'habileté de ne pas désigner de héros, ni le père, ni la mère, ni l'écrivain, ni le policier, ni l'ami indien. On emboîte les pas des uns, le sillage des autres. Mais rarement roman ne m'a paru aussi tranchant, lame effilée et gorges surprises. C'est qu'on tue beaucoup dans Aucun homme ni dieu, la plupart du temps vite, et bien. Curieusement c'est d'une langue de poète que nous apprenons , ou plutôt nous devinons quelques mystères. Il ne convient pas d'en dire plus sur ce bouquin qui fera date et nombre de blogs l'évoquent, voir plus bas. Encore deux mots si vous le permettez. Je recommande une extraordinaire scène d'accouchement, plus proche de la grotte que de la clinique. Et un petit extrait de dialogue très court, un chasseur dit au père:"T'as remarqué comme les gens qui vivent ensemble depuis longtemps finissent par se ressembler. C'est pour ça que je vis seul. Je ne veux ressembler à personne d'autre que moi". Quant aux loups ils finiront par être moins loups que les hommes car eux, au moins, sauront rester à leur place.

Aucun homme ni dieu - William Giraldi C'est l'avis de manU B. Mais il y a aussi Aifelle, Ariane, Clara, Dominique, Sandrine, Val  et Véronique .

Comments

[Ingannmic]

Ce que tu écris concernant l'absence de héros dans ce roman est très juste Giraldi nous fait évoluer au cœur d'une humanité complexe, où les notions de bien de mal sont très floues

[Nadine]

Après avoir lu le billet enthousiaste de manU je n’ai eu qu’une envie, lire au plus vite ce livre. D’ailleurs je suis en plein dedans en ce moment :D

Il semble t’avoir plu à toi aussi! J’en reparlerai tout bientôt…

Je me régale dans ce froid d’Alaska ;-)

Bises

[Asphodèle]

Encore du feu sous la glace dans cette chronique parfaite ! Je l'avais déjà noté (avec tant d'"autres) mais je pense le lire un jour : j'aime l'Alaska, les livres abyssaux où l'on se perd dans la noirceur humaine qui révèle parfois des lumières insoupçonnées, ne serait-ce que celle laissée par l'empreinte d'un livre qui emporte le lecteur ! Bises et à ttds "old sport" !!! :lol:

[jerome]

Je l'ai depuis sa sortie. Yapluka !

[Sandrine]

Après Nickolas Butler, encore une belle découverte des éditions Autrement. En repensant à ce livre, je me demande encore pourquoi l'auteur a créé un tel lien de parenté entre les protagonistes (sans vouloir en dire trop pour ceux qui n'ont pas lu le livre)...

[nathalie]

Pas mal entendu parler de ce livre, qui a l'air aussi assez perturbant. On verra si je passe à l'acte...

[Dominique]

je partage totalement ton sentiment, un livre qui surprend à chaque page et qui reste dans la tête une fois la lecture terminée

très réussit

on dira ce qu'on voudra les romans français à côté font un peu pâle figure

[manU]

Un beau billet pour un livre magnifique !

Un auteur à suivre, c'est certain...

Merci pour le lien ! :)

[Valentyne]

Tu donnes envie de partir vers ce froid ....

Bises Edualc :-)

[aifelle1]

C'est une lecture que je ne suis pas près d'oublier. Une très bonne surprise de la rentrée littéraire de janvier et un auteur à suivre.

[celestine T]

Implacable et impeccable chronique : on s'attend à grelotter, mais c'est une brûlure qui nous saisit à travers tes mots, celle de la peau rougie par le gel, celle des armes et celle de l'âpreté du décor et des personnages.Celle de tes allitérations choisies, telles "ces rafales de blizzard à égarer les plus rusés"

Me donner envie de lire un roman qui se passe en Alaska, à la sortie de l'hiver, dans ce printemps qui n'en finit pas de bredouiller, je trouve ça très fort de ta part.

ATTB

Bises brûlantes

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