Avec plaisir je me penche cette semaine sur la floraison avrilesque des Plumes que nous organise Aspho. Qu'elle en soit remerciée une fois de plus car c'est un bogro travail. Le bouquet se compose donc de 26 mots: allergie-velléité-brise-espérance-étincelle-écrire-déplaisir-censure-enfant-gourmandise-première-tramway-rides-éphémère-envie-amour-voyage-peluche-chocolat-tapir-envol-baiser-attente-vibrer-volutes-valser. Pour le chocolat, non merci.
Portulans, mappemondes et planisphères avaient toujours excité sa gourmandise. Dès l'âge tendre il avait épinglé au mur roses des vents et noms compliqués à souhait, aquilons, zéphyrs et foehns, ne se satisfaisant pas de la brise marine. Il avait aussi nanti chaque peluche d'un drapeau différent, aimant à installer sur la terrasse essoufflée une petite armée de nounours, lapins ou lions aborant fièrement ces oriflammes vibrant au grand air comme des incantations au voyage, premières velléités d'embrasser le monde. Pour l'enfant dans la cité ces passions précoces n'auraient rien d'éphémère.
La grande carte du monde se desséchait maintenant depuis si longtemps, sur ses rides il avait tant erré, Sinbad et Ulysse, mais avait tenu parole, celle de conserver la virginité géographique de ses amis d'enfance Vancou et Vladi. Ces deux là avaient toujours été ses préférés, deux étincelles qu'il me faut vous présenter. Deux points, aux deux extrémités, deux villes ouvertes et qui semblaient s'étreindre par delà l'océan. Les grands oiseaux marins étaient-ils capables d'un tel envol qu'ils pourraient porter à Vladi des nouvelles de Vancou? Sur les ailes des courlis, London et Kessel auraient-ils pu s'écrire, eux qui avaient hanté ces bouts du monde? Toute sa vie, lui qui avait essaimé au long des années toute latitude, s'était-il donné pour seule censure d'éviter ces deux jumelles éloignées. Rêves elles devaient ainsi demeurer, à tout le moins ainsi tout déplaisir, si fréquent lors de ses pérégrinations, serait banni.
Car l'inassouvi c'était encore l'espérance et l'illusion des tramways sur la colline. C'était la parabole de l'escalier, l'attente du septième ciel. C'était comme le premier baiser d'un amour voué à la déréliction comme un navire sur un Pacifique usurpant son nom. C'était l'envie, c'était la vie. De douces volutes havanaises qui ne s'estomperaient pas. Comme valser en habits d'empereur que ne guetterait aucune allergie révolutionnaire tapie dans l'ombre assassine. Nulle carte ne viendrait jamais de la Baie des Anglais ni du Zolotoï. Mieux ainsi.
Porter le chagrin des départs
Brûler d'une possible fièvre
Partir où personne ne part
Aimer jusqu'à la déchirure
Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure,
D'atteindre l'inaccessible étoile
Telle est ma quête,
Suivre l'étoile
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
Se damner
Pour l'or d'un mot d'amour
Je ne sais si je serai ce héros
Mais mon cœur serait tranquille
Et les villes s'éclabousseraient de bleu
Parce qu'un malheureux
Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s'en écarteler
Pour atteindre l'inaccessible étoile
Jacques Brel.