L'autre cinéma
Vu récemment quelques films différents. Je ne polémiquerai pas et je n'ai rien contre un cinéma populaire qu'il m'arrive de fréquenter. Mais j'en ai un peu marre des comédies franchouillardes, des films d'adoaccrorésosocio, des franchises américaines d'une durée de 2h45, des épouvantes hebdomadaires, des animations pour certaines assez consternantes.
Faisons ensemble si vous voulez La juste route, film hongrois de Ferenc Török. En août 1945, au cœur de la Hongrie, un village s’apprête à célébrer un mariage de notable tandis que deux juifs orthodoxes arrivent, chargés de lourdes caisses. Un bruit circule qu’ils sont les héritiers de déportés et que d’autres, plus nombreux peuvent revenir réclamer leurs biens. Leur arrivée questionne la responsabilité de certains et bouleverse le destin des jeunes mariés.
Un très beau noir et blanc pose un regard sur la mauvaise conscience d'un pays qui n'en finit guère avec ses fantômes. Bien que salubre et efficace La juste route n'asssène pas son discours mais ses images fortes et ses personnages complexes en disent long sur les violences secrètes et les culpabilités rampantes. 1945 est le titre original. Et 1945 ne fut nulle part une année facile. Le film a suscité beaucoup d'enthousiasme, à mon sens mérité. La juste route se déroule presque en temps réel, quelques heures d'une journée au départ festive, qui se muent en moments d'inquiétude, de méfiance, lors que bien des villageois craignent pour leur tranquillité ou leurs biens. Ce portrait de village hongrois nous ramène à un antisémitisme ordinaire, pas forcément spectaculaire mais bien réel. Rappelons-nous que les spoliations n'ont pas concerné que les tableaux de maîtres et les oeuvres d'art des grandes familles juives.
Je ne peux que vous conseiller le chemin de La juste route, ce qui ne sera pas facile vu la distribution parcimonieuse du film. Mais vous n'oublierez pas l'ambiance rumeur et sous-entendus, peur qui change de camp, jeep russe arrogante, marche tout au long du film du père et du fils, quasi muets et droit devant suivant la carriole et les caisses contenant... Rarement l'époque charnière très courte ou la Hongrie aurait pu croire à un virage positif a été abordée au cinéma. Elle aura eu droit en fait à un simple changement de tyrannie, mais ceci est une autre histoire. Pour moi l'un des meilleurs films de cette saison.
Pour son premier film l'Anglais Mark Gill a pas mal séduit avec England is mine (Steven Patrick Morrissey), sorte de biopic partiel, ça se fait beaucoup, sur Morrissey, icône des eighties, leader des Smiths, groupe célèbre malgré une courte carrière et un seul concert en France. Mais l'on n'entendra jamais The Smiths ni Morrissey solo car ce n'est pas le propos du metteur en scène. Ce qui intéresse Gill ce sont les jeunes années de Steven Patrick, à 18 ou 20 ans, sujet de sa Majesté mal dans sa peau et peu enclin au moule thatchérien, peu enclin au boulot, diront certains, et sous les influences de Mark Bolan, David Bowie ou Oscar Wilde.
J'ai lu que si l'on n'entend pas The Smiths c'est aussi que cette biographie pas vraiment autorisée n'a pas recueilli ou pas pu financer l'acquisition des droits. A la limite peu importe, j'ai aimé ce tableau d'une Angleterre qui s'ennuie à nouveau (la fois d'avant ça avait donné la Brit Pop, ça vaut parfois la peine de s'ennuyer). Et puis j'ai tant de sympathie pour les obscurs gratouilleux et les besogneux songwriters qui s'escriment dans leur chambre d'étudiant ou de chômeur, la plupart risquant d'y rester, qu'il est facile de s'y retrouver au moins en partie.
Les jeunes acteurs d'England is mine sont convaincants et la bande musicale du film est assez étonnante. Elle reflète les goûts du jeune Steven Patrick Morrissey, curieusement fan des groupes vocaux féminins du début des années 60, Martha and the Vandellas, Marvelettes, Shangri-Las, une musique assez stéréotypée considérée comme ringarde depuis au moins dix ans au moment de l'action, milieu des seventies. Ajoutez Marianne Faithfull, Françoise Hardy. D'accord. Mais il y a surtout The Sparks, et Mott the Hoople, alors rien que pour ça....
Par ailleurs les assos SOS Homophobie et Prendre Corps nous ont présenté le très bon documentaire vietnamien Finding Phong, histoire authentique de Phong, fille prise au piège dans un corps de garçon. On assiste sans voyeurisme aucun à sa métamorphose jusqu'à la chirurgie dite de réattribution sexuelle. Et curieusement il émane de ce film pas mal de bonne humeur et aussi moins d'ignorance en sortant grâce à un débat très bien mené et très instructif.
Milos Forman et Vittorio Taviani n'étaient guère distribués non plus lors de leurs débuts. Les choses ne changent pas vite.