La ruée vers l'or
Un grand livre que La conquête des îles de la Terre Ferme d'Alexis Jenni, Goncourt avec L'art français de la guerre. Beaucoup de souffle pour cet épisode postcolombien de la colonisation du Mexique au début du XVIème siècle. On sait que la conquête des Amériques a surtout été un fleuve de sang. Les Espagnols ayant grandement massacré les Indiens au nom de Don Carlos et de Jésus-Christ. Les autochtones, en l'occurrence ici les Aztèques et autres Toltèques ou Chichimèques, pratiquant avec délicatesse sacrifices humains et anthropophagie. C'est comme ça.
Le roman, le récit est passionnant. L'aventure des grandes découvertes est un thème très riche duquel Alexis Jenni a su extraire la moelle de l'histoire, de chair et de sang, ce qui, lors des innombrables combats, n'est pas une simple façon de parler. Parfois un peu torrentiel c'est cependant à la mesure de l'évènement. Et dès l'arrivée des Espagnols on comprend bien le fossé d'incompréhension mutuelle des deux peuples. Mais tout ceci est conté sans démagogie et sans leçon de repentance. Il y avait du grandiose dans cette histoire, de l'épopée. Mais aussi bien des petitesses, bilatérales.
Le scribe Juan, moine vite défroqué, est un peu notre reporter en direct de la presqu'île du Yucatan. On vit au rythme des angoisses des navigateurs, de leurs privations, on comprend la folie de l'or, et le rôle du catholicisme. Une violence débarque en un pays violent. Ces violences là n'étaient pas faites pour s'entendre. Le fleuve littéraire d'Alexis Jenni ne charrie pas que du précieux minerai, mais aussi, de la boue, de la sueur et des larmes (sic). Il fait vivre tout ce monde, tant les capitaines castillans ombrageux, susceptibles et querelleurs, que les indiens misérables et très divisés. Tant les prêtres sales et dépenaillés organisant les holocaustes sacrificiels que les empereurs aztèques grandioses et grotesques. C'est aussi une jolie leçon de vocabulaire, en particulier sur l'art de la guerre, déjà, et la grande beauté des massacres.
Je l'ai écrit au début, le grand vent de l'épopée zèbre tout le livre, claquant et fouettant corps et âmes. Humains, pauvres humains, ballottés , Atlantique, îles , fièvres et moustiques, jungle et désert au coeur de ce pays au sud de l'Amérique du Nord, qui récuse le terme d'Amérique Centrale, et qui prétend à lui seul au statut de sous-continent. La conquête des îles de la Terre Ferme prétend, lui, au titre de très beau roman que je ne qualifierai pas d'historique car ce terme est souvent péjoratif. Je trouve par ailleurs qu'Alexis Jenni n'est pas très présent dans les (rares) émissions littéraires.