Qu'as-tu fait de ton talent?
Premier livre en France pour Phillip Lewis, Les jours de silence est une oeuvre majeure. Je crois avoir deviné que ma colistière Valentyne La jument verte de Val sera de mon avis. On verra. Nos lectures communes, régulières, nous ont conduits cette fois à une découverte importante dans la déjà prolifique et souvent talentueuse littérature américaine. Phillip Lewis vit en Caroline du Nord et y a situé son roman dans lequel on ne peut s'empêcher de trouver des relents autobiographiques.
Comme souvent il faut citer le titre orginal qui éclaire un peu la lanterne du lecteur car les traductions sont souvent des tractations. The Barrowfields, ce sont les contreforts des Appalaches, ces montagnes de l'Est américain, tout en mousses grises, éminences rocheuses et souches pétrifiées. Une bourgade, Old Buckram, où le narrateur Henry a vécu avec sa famille, dans une grande bâtisse maudite, famille dont le père, Henry lui aussi, a un jour disparu sans laisser de traces. Henry le père était un intellectuel autodidacte qui admrait Thomas Wolfe, Faulkner ou Fitzgerald, et se livrait lui-même à l'écriture se rêvant l'auteur d'un roman-somme, le grand roman de l'Amérique. Ils sont quelques millers depuis deux siècles à avoir espéré cela. De Twain à Roth, de Dos Passos à Styron, and so on...
Le dernier en date pourrait être Phillip Lewis tant son exploration des rapports familiaux, un père et son fils essentiellement, mais aussi frère et soeur, est aigüe et précise. Ces relations se développent dans l'immense maison sur les hauteurs, quasiment hantée, un quintuple meurtre-suicide y aurait été jadis perpétré. Confiné dans son immense bibliothèque, le père, avocat peu argenté et beaucoup alcoolisé, aime sa femme qu'il va quitter, respecte ses enfants qu'il va abandonner. Henry le fils, en quelque sorte suivra ses traces. Mais ce roman est si riche et profond qu'il faut s'y investir sans en savoir plus.
La passion pour la littérature, la difficile existence d'une famille, la relative misanthropie du père, les racines et les dévoiements, autant de pistes sinueuses et labyrinthique quelquefois, qui donnent toute sa valeur à ce grand roman américain.
(Le fils, parlant du père) Jusqu'à ce moment une part de moi avait voulu croire en lui sans réserve. A présent la façade soigneusement entretenue se dissolvait sous mes yeux, et j'en étais profondément blessé, car je voyais sur son visage éteint la tristesse entendue de qui sait que ceux qui croyaient en lui n'y croient plus.
(Idem) Je pensais à lui, là, sous l'herbe mourante, lui que le temps implacable avait réduit au silence avant qu'il ait pu donner voix au chaos qui bouillonnait et rugissait en lui.