Là quand...
La question est banale et la réponse difficile. Je ne sais trop comment m’y prendre ni trop dire à quelle époque j’aurais voulu vivre. Simplement j’aurais aimé être là. Accordez-moi deux essais. D’ailleurs j’y étais.
J’étais arrivé comme les autres très tôt dans l’après-midi et déjà les sbires aux ordres nous avaient copieusement bombardés d’injures et de divers projectiles. Je revois la trogne d’Honoré se ramassant un chou pourri avant même l’entrée dans le théâtre, tumultueuse. Cette première promettait. Elle promettait surtout d’être la dernière. Hector était des nôtres et terminait sa propre détonation, fantastique. Et comme j’étais heureux dans cette agitation, ce brouhaha qui tournait à l’émeute. C’est Théophile qui faisait office, mi Spartacus mi Bonaparte. Et ses longs cheveux défaits ruisselant sur son gilet rouge. C’étaient nos barricades. Et comme j’étais fier, moi, moi le journaleux, le pisse-copie, d’être ainsi mêlé à ces jeunes hommes en colère qui, j’en étais sûr, feraient l’histoire. Je ne devais jamais les oublier et surtout pas Gérard, mon pays de Valois, qui raisonnait encore. La jeunesse triompha. Puis la jeunesse prit de l’âge et Mademoiselle Mars oublia Dona Sol qui avait si bien bafouillé son lion superbe et généreux. Mais j’y étais.
J’aurais voulu être de boue, tout de boue, parmi ces centaines de milliers hirsutes et sales, au milieu de la célèbre pâture. De fait beaucoup ne voulaient pas nous voir en pâture. Là, au cœur de l’élite, loin de toute sobriété et naïf comme c’est pas permis. Je ne jouerai pas le catalogue, je l’ai déjà fait bien souvent. La chaleur est auguste. De fait on ne s’embarrasse guère côté textile. Je n’ai pas beaucoup de recul en ces années qui résonnent tant sans raisonner. Je ne serai guère prolixe et j’userai, immodeste, de poésie, oh le grand mot. Mais j’y étais.
Souviens-toi
De peu, de très peu
De deux guitares immémoriales
La proue et la poupe
D’un navire amiral
Celui de mes vingt ans
Les cordes initiales
Au premier jour
Richie qui psalmodie
Freedom si longuement
Faire patienter
Si la guitare est sèche
L’envol est princier.
A l’aube crépuscule
Était le quatrième jour
Jour d’une âme électrique
Et Jimi moribond
Guernica de l’hymne étoilé
Et puis et puis
Début du long rideau.
J'y suis tellement moi aussi en te lisant.
Même si j'ai plus écouté Richie et Jimi que lu Victor, j'aime énormément les deux parties de ton texte, superbe idée et superbement écrit. Très dur d'écrire sur quelque chose qu'on n'a pas vécu. Tout ton texte est poétique de la première à la dernière ligne, avec des images dont je me souviendrai.
J'espère que cette série va continuer un peu et bien sûr avec elle ou sans celle de l'Ecrivraquier.
A bientôt.