Murnau entre aurore et nuit
Le titre de ce livre a attiré mon attention. Associer le nom du grand cinéaste de Nosferatu aux ténèbres me semblait couler de source. Et le destin de cet homme, intense et tragique, s'accommode bien de la nuit comme le Non-Mort des Carpates. 1929 F.W.Murnau rallie les Marquises, puis Tahiti et Bora-Bora, pour tourner ce qui sera son film ultime, Tabou. L'aventure de Tabou n'aura rien d'idyllique et méritera bien son titre. L'incursion dans la vie, la mémoire, l'intime des Polynésiens laissera des traces. Mais nul besoin d'être un cinéphile invétéré pour s'immiscer dans le roman de Nicolas Chemla, ce qui ne doit pas vous empêcher de voir L'Aurore, réalisé peu de temps avant et considéré par beaucoup comme le plus beau film de l'histoire du cinéma.
Tourner Tabou dans ces lieux a priori paradisiaques, c'est être bien loin de la Transylvanie, aux dents longues, de la ville tentatrice de L'Aurore, de l'Expresssionnisme du Dernier des hommes. C'est aussi tourner le dos en partie à Hollywood qui fait les yeux doux à Murnau. Mais Murnau, comme Eisenstein, n'était pas fait pour Hollywood. On est avec Murnau dans les ténèbres entre ethnologie et fantastique car, fasciné par les mystères insulaires, l'art primitif, mais aussi les tatouages sur le corps des garçons, le réalisateur ne fait pas mystère de ses attirances.
Tabou a été coréalisé par Robert Flaherty, autre pionnier du cinéma. C'est peu dire que l'Allemand et l'Irlando-américain n'étaient pas vraiment sur la même longueur d'onde. Qaunt aux ondes du Pacifique elles ne l'ont pas toujours été, pacifiques. Mais surtout le drame de Tabou réside surtout dans la subjugation de Murnau par ces indigènes, ces éphèbes musculeux qui le conduisit à semble-t-il, un certain irrespect pour les traditions, le sacré, les cimetières. Les autochtones, souvent très influencés par un culte proche de la sorcellerie, auraient maudit Murnau. D'où (?) des conditions parfois cataclysmiques qui firent de ce film en deux parties justement nommées Paradis et Paradis perdu, une aventure plus forte que l'objet filmique lui-même.
De retour en Californie Friedrich-Wilhelm Murnau n'assista pas à la première de Tabou. Huit jours avant il trouva la mort dans un accident de voiture, le 11 mars 1931. Cette histoire de prêtresse, de virginité, d'incendies, d'ouragans, en avait fini de mal tourner. La jolie photo de couverture du livre de Nicolas Chemla, versant édénique, nous montre Murnau, Pal le chien, Mehao et Henri Matisse, le peintre fauve en visite sur le tournage. Un excellent docu de l'excellente émission d'ARTE L'invitation au voyage vous en dira un peu plus.