Apprendre, apprendre
Un fameux bouquin que ce Leçons de Ian Mc Ewan. Probablement le roman le plus fort depuis Apeirogon de Colum McCann. Et comme la littérature britannique sait être passionnante. Un homme, Roland Baines, pianiste, tennisman, poète, voit sa vie se fissurer lorsque son épouse le quitte, lui laissant un enfant de quelques mois. Leçons me paraît un très bon titre dans tous les sens du terme. L'enfance difficile, père militaire autoritaire, le pensionnat très jeune, et une professeure de piano qui l'initiera à des préludes et des nocturnes pas tous musicaux. A quatorze ans ça peut laisser des traces. Mais Roland apprendra de la vie, et toute une vie. C'est ça la vie.
Soixante-dix années qui nous conduisent d'Angleterre en Lybie, de Paris à Berlin, au long des aléas et des bouleversements sociaux et politiques. Si, Baby Boomer, Roland a même fait partie d 'un groupe rock, élément si important pour moi, Dylan le Velvet, Led Zep sont là, il a aussi donné quelques concerts classiques et régulièrement joué du piano-bar pour de riches voyageurs dans les hôtels adéquats. Alcool, quelques pilules, Roland a pu être conformisme en diable. Et la rencontre avec Alissa, qui le quittera sans états d'âme mais lui laissera Lawrence, six mois.
Des essais de poésie et de littérature, infructueux. Des engagements politiques, Thatcher, le Brexit. Des rencontres amoureuses, pas forcément sans lendemain, l'amitié qui persiste peut-être. Alissa loin là-bas du côté de l'ex-mur. Alissa et ses romans. Alissa prix Nobel. Mais Alissa qui jadis laissa son fils. Roland traverse le temps. Père parfois démuni, sympathisant des causes dites bonnes, vieillissant, une dernière compagne. La maladie. La vie.
Ce que j'écris là n'est guère convaincant. Mais Ian McEwan, comme Julian Barnes ou Jonathan Coe dans des registres un peu différents, est un grand du Royaume Uni. J'ai lu Amsterdam il y a très longtemps et je ne m'en souviens plus. Aimé Les chiens noirs, lu plus récemment bien que plus ancien. Jetez-vous sur Leçons. C'est un voyage au coeur de l'Angleterre, en Europe, mais plus encore au fond de l'âme et de l'esprit d'un type rudement intéressant, nimbé de failles, de petites grandeurs et de grandes faiblesses. Un homme. Il faut je crois, un peu de jours ou de nuits. J'ai vécu deux semaines avec mon ami Roland Baines. Riches, très riches.
Il se leva et se mit à faire les cent pas autour de la table.Bientôt, il appellerait Lawrence. Il irait le chercher à pied...Il s'arrêta près du piano. Sur le côté, à même le sol, quatre piles de partitions, surtout des arrangements d'anciens titres à succès, de classiques qui lui servaient pour son travail à l'hôtel. Au sommet d'une pile, quelques-uns avaient été regroupés voilà longtemps lors d'un accès de zèle organisationnel, autour du tème "Moon", la lune: "Fly me to the Moon","Moon River","Moondance"...Une minute plus tard, accélérant ses recherches, il vit passer "What a wonderful world","Yesterday","Autumn leaves", et fit s'écrouler une pile. Ensuite, ses vieux livres de jazz. Jelly Roll Morton, Erroll Garner, Monk, Jarrett. Il continua. Un voeu pieux était devenu un besoin. Il en était aux trois quarts de la troisième pile quand il tomba sur une série de partitions de Schumann. La chance à l'état pur. Schubert, Brahms, n'importe qui ferait l'affaire. Il s'assit et ouvrit le recueil écorné des morceaux pour l'examen du grade 8. La page était couverte de doigtés notés au crayon par un adolescentde quinze ans.
Miriam Cornell était sa professeure de piano. Roland n'avait pas quinze ans...Leçons.