Quand Tombouctou tombe à pic
C'est plus que jamais le moment de voir le très beau Timbuktu. Je n'aurais jamais cru que ce serait "à ce point" le moment. C'est presque indispensable en dépit de ses maladresses.
Abderrahmane Sissako le Mauritanien, l'un des très rares cinéastes africains un peu connus en Europe a abordé le problème du fondamentalisme d'une manière très personnelle qui parvient à mélanger l'humour et l'absurde à la gravité qui n'est pas esquivée. Scènes de la vie quotidienne, banales, banalisées, pour le pire des autochtones, du moins ceux qui n'ont pas encore fui la Tombouctou historique, berceau d'une civilisation avec mausolées et manuscrits. Mais que reste-t-il de ces symboles face à la bêtise abyssale?
Ils sont quelques-uns dans les villages voisins de la ville, la ville dont on ne verra rien, à tenter de continuer de vivre normalement malgré la présence et les consignes officielles des nouveaux maîtres sur des choses aussi dangereuses que le football, les mains nues des femmes ou la longueur des pantalons des hommes. Le cinéaste ose quelque chose de rare, montrer les tyrans intégristes comme des imbéciles, à peine capables de parler d'autre chose que de Zidane ou de Messi, ce qui ne les empêche pas de faire la chasse au ballon rond. A rire avant que d'en pleurer. Une calme soirée musicale entre amis est ainsi brutalement interrompue. C'est que la guitare est diablement décadente. A pleurer vous dis-je. Mais à pleurer de rage.
Car toute vie est réévaluée ou plutôt dévaluée à l'aune de l'extrêmisme. Ainsi l'homicide accidentel commis par Kidane le tranquille éleveur ne trouvera aucune circonstance atténuante. Ainsi redoubleront les mariages forcés et les lapidations. Ainsi le simple chant mène au fouet. L'une des forces de Timbuktu est de rendre presque ordinaires les brutes, j'entends par là leur ôter la moindre once de légitimité religieuse et de l'éventuelle noblesse que quelques individus tout aussi bas de plafond pourraient leur trouver. Timbuktu, d'après certaines critiques, transformerait cette force en faiblesse en simplifiant outrageusement l'histoire du Mali et en occultant les rebellions touareg et les différentes collusions entre ethnies, que je serais bien incapable de préciser. Ces mêmes critiques émettent ainsi des réserves sur ce qui reste un beau film, qui selon certains spécialistes, tiendrait plus du conte pour Occidentaux de bonne volonté que de la complexe réalité de l'ancien Soudan français.
Reste qu'un film africain, au moins en partie, n'est pas si fréquent sur nos écrans. Reste qu'au moins une scène est déjà entrée dans l'histoire, le match de foot sans ballon. Reste que dans le contexte actuel il est sûrement difficile de faire beaucoup mieux pour décrire les dramatiques turbulences d'un Mali en implosion.
L'avis de Dasola Timbuktu - Abderrahmane Sissako
Celui de Y a quoi à chercher CINEMA- TUMBUKTU : LA CULTURE AFRICAINE OTAGE DES DJIADHISTES
La jeune femme à Hopper
Expérimental, radical, avant-gardiste, susceptible d'un ennui mortel chez les rares spectateurs. C'est un point de vue,ce n'est pas le mien. Une seule fois avant ce film peinture et cinéma avaient véritablement fusionné. C'était le film polonais Breughel, le moulin et la croix. Edward Hopper d'ailleurs, c'était déjà des cadrages, du cinéma, une mise en scène. On sait que Hitchcock par exemple avait subi l'influence du peintre hyperréaliste. Plus près de nous Jim Jarmusch aussi. Motels glaciaux, décoration minime et à donner des envies de noyade, Hopper n'est pas précisément hilarant.
Reconstituant avec soin 13 tableaux de Hopper l'Autrichien Gustav Deutsch plonge le spectateur dans l’atmosphère des Etats-Unis du début des années 1930 jusqu'aux années 60, guidé par la voix pensive de Shirley et par les informations diffusées sur les radios de l’époque. Puis les tableaux s'enchaînent, évolution de l'oeuvre de Hopper en même temps que chronologie américaine. C'est un peu étrange mais personnellement, très attiré par l'Amérique de cette époque, j'ai senti sourdre une certaine émotion, une braise sous la glace.
Shirley, actrice d'avant-garde, ouvreuse de cinéma, secrétaire, jouée par la danseuse Stephanie Cumming, apparaît bien comme une chorégraphie dans ce film très étonnant. Les lieux sont ordinaires, anodins, dérisoires, un bureau, une chambre, un salon, ou encore une salle de cinéma auxquels la lumière fait prendre une dimension énigmatique. La reconstitution est si méticuleuse qu'elle en devient bluffante d'expressivité, costumes, meubles, murs. Un film d'architecte, presque un film de mathématicien, une géométrie haletante malgré le risque de l"exercice de style" un peu vain. A voir, au moins pour voir "autre chose".
Visages de cinéma
Le film danois You and me forever
Le film allemand Shifting the blame
Notre coup de coeur Electrick children
Le "gros" film américain Mud.Gros mais bon.
Le film belge Le sac de farine
Le film argentin Enfance clandestine
Neuf films en compétition,neuf jurés,pour remettre le Grand Prix de la Ville.Le principe est simple comme à Cannes,mais moins couteux en chambres d'hôtel.Ces films ont été proposés chacun deux fois ce qui octroie une semi-liberté aux jurés.Ce n'est pas parce qu'on fait partie du jury qu'on doit se déplacer en petit troupeau cinq jours d'affilée,même si ça peut parfois ressembler à ça.On pourrait écrire un polar la-dessus et cela a sûrement déjà été fait.Le souvenir le plus marquant pour moi de cette expérience est le fait que l'on apprend un peu à se connaître et qu'au bout de quelques jours il y en a bien un ou deux qu'a envie de tuer.Les membres de cette microsociété s'irritent mutuellement,ne serait-ce qu'à table car les repas prennent une assez grande place.L'exercice physique est ce qui manque le plus au pauvre juré de festival.
Ce festival s'appelle Ciné-Jeune.Il y a donc plusieurs jurys dont un composé d'enfants de cinq-sept ans.Ce n'est pas le moins cocasse de voir une présidente de jury de six ans annoncer le vainqueur catégorie court métrage,un charmant film d'animation de huit minutes,Macropolis,dont je vous joins la bande-annonce.http://youtu.be/ceB_Vjd-i8A
Le jury adulte a donc choisi parmi ces neuf films.Autant le dire,la cocasserie n'est pas le point fort de cette sélection et voici pourquoi.La règle de ce festival stipule bien que les oeuvres doivent mettre en scène essentiellement des enfants,ados,ou jeunes.Et les enfances sans problèmes,si tant est qu'elles existent,ne hantent guère les scénaristes.C'est ainsi que les films traitant de la jeunesse sont la plupart du temps situés dans un contexte social lourd,parfois plombant.Cette 31ème édition n'a pas dérogé.On a donc droit à la délinquance,la maladie,l'autisme,la dictature,les troubles de l'identité sexuelle très tendance,la violence.Souvent ces films sont très bons,évitant soigneusement la dérive démago (ma hantise).On est en droit aussi d'avoir envie de sourire.C'est un peu difficile.Nous y sommes cependant à peu près parvenus,mes chers collègues et moi.Une relative unanimité a couronné un film américain,indépendant ou presque,que vous aurez l'occasion de voir en juin prochain,je crois.Ayez l'oeil car Electrick children ne sortira pas dans 400 salles.
Premier film de l'Américaine Rebecca Thomas,Electrick children nous donne à savourer un improbable télescopage entre la communauté des Mormons dans l'Utah et Vegas,la musique rock et un air de liberté plus à l'Ouest.Rachel,15 ans et demi,se retrouve curieusement enceinte et en attribue la paternité à... un morceau de rock,Hanging on the telephone.Il y a un poil de road movie.La pub,un peu courte quand même,évoque un croisement entre le Witness de Peter Weir et l'univers de Gus Van Sant.Bof.J'y ai surtout vu pas mal de liberté de ton,un choc de couleurs,le rock utilisé comme un vecteur,si j'ose dire,d'envol de l'oiseau Rachel.Et des images certes un peu clinquantes parfois mais bien en accord avec l'aventure à l'Ouest de la jeune Rachel.Une scène magnifique, émouvante aussi,où un rocker quinquagénaire reprend seul à la guitare son tube historique.Vous pensez qu'un tel moment ne pouvait que m'emballer.
Nous avons voulu distinguer d'une mention le très beau film argentin de Benjamin Vila Enfance clandestine qui aborde d'une manière originale et à hauteur d'un enfant de douze ans les années plombées de Buenos Aires.Fortes tendances autobiographiques. Cependant le véritable jury de Ciné-Jeune n'était pas le nôtre mais celui des lycéens qui a octroyé le prix le plus prestigieux,et le mieux doté,au film finlandais de Petri Kotwica,Rat King.Et là,c'est peu dire qu'il y a eu un divorce total entre les deux instances car chez nous,les "vieux",personne n'avait aimé ce film.Du conflit des générations...Sur la photo Petri Kotwica est le grand monsieur solide bâti comme ses compatriotes Arto Paasilinna et Aki Kaurismaki,charmant et tenace.
Photo/Le Courrier Picard
En conclusion je rassurerai chacun,les neuf membres du jury sont sortis indemnes de cette épreuve.Et personne n'est mort d'ennui malgré des moments un peu soporofiques auquel le juré,contrairement au spectateur lambda,ne peut échapper.
Le Tage fatal
Feuilletons,feuilletons,quelles merveilles!J'ignorais Camilo Castelo Branco.Et Raoul Ruiz adaptant Proust ou Giono m'avait pas mal ennuyé.Mais j'ai promis à D&D et ses 25 images qui s'occupe de ma lusophonie pas assez galopante selon lui mon avis sur Les mystères de Lisbonne,vu dans sa version télé.
Mystères de Lisbonne Bande-annonce 1
Ruiz et son scénariste Carlos Saboga ont véritablement osé le feuilleton.En France on pense à Hugo,Dumas ,Eugène Sue.Au Portugal je crois que leur contemporain Castelo Branco est très connu et comme toujours quand j'ignore je me renseigne un peu.Auteur de plus de 250 livres Camilo Castelo Branco a vécu lui même le mélo et le feuilleton. Fils naturel d'un noble et d'une paysanne,orphelin assez jeune il a connu la prison et a fini par se suicider.C'est avec délices que je me suis plongé dans ces cinq heures pour une cinquantaine d'années avec retours dans le passé, métamorphoses, duels et retraits au couvent.Du classique,infiniment respecté par le rythme, l'éclairage et la musique.Avec comme il se doit un personnage pivot,le Père Diniz,qui bien sûr n'a pas toujours été le Père Diniz.
Il faut pour s'immerger dans ce rocambolesque une disponibilité matérielle et psychologique,surtout pour une oeuvre totalement inconnue car si j'ai fréquenté pas mal Hugo,Dumas et Balzac,me familiarisant ainsi avec Dantès,Vautrin ou Thénardier et leurs multiples avatars,je ne connaissais pas cette histoire.J'ai eu un peu de mal à identifier chaque personnage et leurs changements d'identité. Inconvénient classique du genre roman-feuilleton mais qui se transforme en avantage tant on brode un peu sa propre saga au long du film.
Cela dit beaucoup de belles scènes truffent le film.Les couvents me paraissent décidément très cinégéniques et la noirceur des scènes de parloir étoffe paradoxalement les scènes de palais.Deux compères,Mange-couteau et le gitan négocient la vie d'un orphelin et se retrouveront des années plus tard en d'autres lieux et autre tenues.Des amours ancillaires,des captations d'héritages,des mariages arrangés,tous les ingrédients du serial (même si on n'appelait pas ça ainsi au XIXème Siècle),des complications qui font qu'on est à peu près sûr de passer à côté de certaines intrigues plus marginales,tout cela fait de nous un complice,un séide, un reître à la solde de la littérature,abusé et heureux de l'être par l'imagination de l'auteur et les splendeurs de l'adaptation.Car la mise en scène est de toute beauté et mériterait une seconde vision.Et s'il nous faut nous attacher c'est bien sûr au Père Diniz,figure du prêtre éclairé détenteur de vérités,ayant déjà vécu deux ou trois vies,dont l'ambiguité ne sera jamais tout à fait levée.De la haute littérature sûrement (j'essaierai de trouver le temps de lire Castelo Branco,c'est un peu un luxe de Chronos) et du grand ciné qui,Atlantique oblige,nous envoie comme il se doit jusqu'au Brésil en ce siècle passionnant et somme toute pas si éloigné.
Barrage contre l'identité
Si le film Still life n'est pas vraiment le chef-d'oeuvre que certains y ont vu il reste très intéressant.Pour moi Still life sonne comme un tocsin,un glas qui retentirait pour nous montrer un monde qui oscille,puis bascule,entre hier et demain,à la faveur de ce chantier pharaonique et inhumain,an-humain même tant l'homme y semble comme écrasé et dépassé.Ces deux petits personnages l'homme et la femme,parallèles et dissemblables,errent là de façon presque antonionienne en une sorte d'incommunicabilité pas si éloignée du maître ce Ferrare.Avec le vrai risque que s'installe parfois le fort distingué mais plombant sentiment d'une froideur menant à l'ennui.Ca n'a pas été mon cas.Je conçois que ça puisse l'être.Dans Still life on détruit,on casse,à mains nues presque.On bâtit aussi bien sûr mais le néant guette.
Deux enfants chinois
Une famille chinoise,un très beau film de Wang Xiaoshuai,déjà auteur du remarquable Beijing bicycle.On s'attend à un mélo avec enfant malade,sujet risqué.Effectivement c'en est un mais tout en sobriété et retenue.Avec quatre personnages littéralement saouls de malheur qui luttent dans cette rude société chinoise moderne.Et les drames que la politique de l'enfant unique a pu induire,sacrifiant si souvent l'individu à la nation.Juste et émouvant.Ces deux enfants chinois sont la petite fille malade et l'éventuel deuxième enfant qui pourrait lui sauver la vie par un don de moelle osseuse.Mais c'est bien compliqué car les parents sont divorcés et remariés chacun de son côté.
Le Pékin qui nous est montré n'est pas bien sûr la ville historique.Mais n'y pas non plus l'impression d'une métropole surpeuplée où grouillent les fourmis industrieuses.C'est que le milieu est relativement favorisé même si la vie ne leur est guère plus facile.Ainsi se dégage d'Une famille chinoise un charme à l'européenne très plaisant mais il ne faut pas demander à ce beau film,comme je l'ai entendu lors du débat qui suivait la projection, d'être en quelque sorte représentatif du monde chinois,si vaste et si difficile à étiqueter.
...et les mouches à l'oeil des chevaux
Avant tout l'avis de Dasola Valse avec Bachir - Ari Folman et de Nightswimming Valse avec Bachir .Le graphisme très personnel de ce film d'animation est admirable.La ville de Beyrouth semble dans sa nuit se fondre avec les silhouettes de trois soldats se baignant dans la nuit.C'est proprement hallucinant,donnant à Valse avec Bachir une aura à nul autre égale et des frissons qui accompagnent les scènes,surtout les scènes de calme.Quant à la guerre,à la mémoire,à la violence je vous renvoie au très bon commentaire de Nightswimming,commentaire dont je me sens totalement solidaire.C'est la moindre des choses à mon avis de ne pas faire preuve de redondance et de couper court à mon bavardage sur ce film,très beau,dont un ami a si bien parlé.Encore un mot,un seul pour justifier mon titre:le plan des chevaux agonisants est l'un des plus saisissants documents animés de ma vie de spectateur.A rapprocher,en beauté pure du cheval mort sur le pont d'Octobre d'Eisenstein.J'espère que vous ne trouverez pas ce billet "trot" cavalier.
Les routes du Sud
Ce sud est celui du Liban et ce film s'appelle Sous les bombes.Un chauffeur de taxi chrétien accepte de conduire une jeune femme musulmane qui recherche son fils de six ans dans le Liban de 2006 qui vient de subir 33 jours de bombes israéliennes en réponse au Hezbollah.Ce films est accompagné en salle d'une fiche assez bien faite qui nous explique un peu le Liban.C'est une bonne idée.De plus c'est le type de film à thèse souvent présenté dans un cadre associatif,ce qui fut le cas au Cinéquai.Cette démarche a l'avantage et l'inconvénient de "scolariser" si j'ose dire les séances et ainsi d'attirer (ou d'obliger) les lycéens à voir un film plus ou moins contraints mais ceci est un autre problème.De plus des membres d'associations libanaises de l'Aisne étaient présents et quand on connaît un tout petit peu le puzzle que constitue le pays du cèdre on ne peut qu'applaudir et apprendre.
Le film a été tourné dans des conditions difficiles et la monteuse de Sous les bombes,présente elle aussi,nous l'a bien expliqué.Tourné avec seulement trois acteurs professionnels le film bénéficie d'un aspect quasi documentaire mais la fiction induite demeure très émouvante tout au long de ce road-movie presque néo-réaliste où les deux protagonistes vont peu à peu se connaître.Ni la passagère ni le chauffeur ne sont des extrêmistes et ceci permettra probablement un rapprochement(version optimiste).Philippe Aractingi a réussi à nous faire sentir au plus près le désarroi du Liban,pays au départ pourtant particulièrement pluriel.Les ruines d'après-guerre ne sont pas un décor pour une histoire mais partie prenante d'une tragédie qui n'en finit pas.Je suis sorti de la projection assez troublé mais un peu moins ignorant de ce Proche-Orient si douloureusement à la une depuis si longtemps et pour lequel chacun de nous a le devoir de dépasser les a priori.
Des eaux d'Orient
Renoir après sa période américaine passe par la case Inde avant son retour en France.Ai-je eu tort de mettre The river dans le Cinéma d'ailleurs?Cas très à part dans la filmo de Jean Renoir cette adaptation du beau roman,très anglais,de Rumer Godden,Le fleuve n'a guère été compris à sa sortie.Il est vrai que la parenthèse indienne de Renoir a de quoi surprendre.Il est vrai que l'homme avait changé.Les méthodes de tournage américaines,avec leur pragmatisme,et d'excellents résultats parfois(L'homme du Sud),et la maturité ont conduit Renoir à s'interroger différemment à l'existentielle condition humaine.Loin de l'engagement facile de La vie est à nous,du pacifisme de La grande illusion,de l'ironie cruelle de La règle du jeu.Du joli livre de Rumer Godden,presque de la littérature de jeunesse(elle est aussi l'auteur du Narcisse noir dont Michael Powell tira un beau film),ce qui n'est pas péjoratif du tout tant qu'il n'y a pas trop de manipulation,Jean Renoir tire un récit qu'on dira souvent panthéiste.Je suis assez d'accord.Il y a dans les couleurs,ah les couleurs,une force cosmique et un tel tellurisme dans les racines de ces grands arbres et dans les eaux du fleuve,charriant tous les usages,Inde éternelle,où l'on ignore même Gandhi,qu'un grand créateur suprême semble avoir signé la photo,de toute beauté.Une sorte de néoacadémisme, comme dans un livre d'images ou mieux,un livre d'heures médiévales enluminées.
Y voir comme certains,l'influence de Rossellini,qui tournera India en 58,me paraît hasardeux.Je monte facilement sur mes grands chevaux quand on évoque le Néoréalisme et pense que la sagesse de ce film s'éloigne pas mal d'une certaine colère dans l'Italie de l'après-guerre.Non je crois que Le fleuve est presque unique.A chacun de se faire son idée.Jean Renoir n'est pas mon cinéaste préféré et ses engagements ont parfois été pesantisssimes mais je ne tiens pas ses derniers films pour négligeables.Loin de là.Libre à tous de trouver Le fleuve sulpicien dans son indianité de pacotille.Moi j'y ai vu un beau film,l'histoire douloureuse d'un apprentissage de la peine pour trois jeunes filles entre Europe et Asie,entre adolescence et féminité, dans le cadre,souvent très végétal et luxuriant d'un tableau de maître,enfin de fils de maître.
Deux choses encore.L'avis d'un certain Scorsese qui semble s'y connaître en cinéma.Et la thématique de la rivière que de nombreux exégètes ont relevée à juste titre,La fille de l'eau, Boudu,Une partie de campagne,Le déjeûner sur l'herbe et en Amérique,L'étang tragique et L'homme du Sud,ce dernier déjà évoqué sur ce blog.
Le Fleuve, un des plus beaux films qui soit !
Mon père m’a emmené le voir quand j’avais 8-9 ans.
C’est un film qui s’est imprégné en moi et ne m’a jamais quitté depuis.
Martin Scorsese
La maison des Aurès
De bons sentiments,des gens solidaires,un film de brave,un film plutôt sympathique mais pas tout à fait crédible.Amor Hakkar réalise La maison jaune et interprète le père de famille berbère qui cherche à ramener à la maison le corps de son fils mort dans un accident.Ce film est souvent accompagné comme c'est parfois le cas de débats organisés par différentes associations. Curieux ce fait que certaines oeuvres ne semblent guère visibles que dans le cadre d'une animation de type culturel ou sociétal,où les gens qui savent (un peu) sont sensés mieux faire comprendre aux autres forcément ahuris probablement.Ayant fait beaucoup de ciné-club j'ai été des deux côtés.C'est intéressant mais ça participe aussi d'une scolarisation qui peut avoir ses effets pervers.J'ai souvenir par exemple de séances où les lycéens étaient rameutés pour faire nombre et pour faire noble cause à des séances dont ils se foutaient éperdument.Allers et retours,portes qui claquent,voire vociférations diverses gâchaient ainsi allégrément la soirée de tout un chacun.Mais l'on avait fait son devoir.Bref.Revenons dans les Aurès pour ce Bienvenue chez les Berbères où même les policiers sont plutôt sympas.Et je pose la question:où va-t-on si l'on se met à tolérer la présence de flics sympas dans le cinéma?Si l'on n'y prend pas garde un jour on verra des bourgeois innocents ou un politicien honnête.
Plus sérieusement La maison jaune aborde le problème du deuil,vécu différemment suivant les croyances. Ce paysan courageux et modeste n'a de cesse de ramener le corps de son fils dans son village.Evidemment il se heurte à l'arrogance des fonctionnaires et à la morgue (jeu de mots de mauvais aloi) des employés de l'hôpital. Non,c'est tout faux.Tous ces gens,voisins,policiers,chauffeurs de taxi, barmen,imam,se révélent de bonne composition et le voyage se poursuit finalement sans trop de complications.C'est un joli film, sensible, sur l'âpre région des Aurès,qui se transforme en conte avec un brave préfet et la fée électricité installée comme par enchantement dans la petite maison de Mouloud, repeinte en jaune pour conjurer le chagrin de son épouse Fatima.La maison jaune est loin d'être à dédaigner,frisant un amateurisme spontané,ce qui est agréable.Sujet idéal pour débattre doctement de deuils,de soins palliatifs éventuellement,voire d'euthanasie.On peut surtout voir ce film pour ce qu'il est,sans esbrouffe,sans grand bruit,sans trop de nuances,mais surtout pas sans qualités.