La fin du voyage
Jolie rentrée ciné sous le signe de la littérature avec Stefan Zweig Adieu l'Europe et une audience très satisfaisante pour ce film de l'Allemande Maria Schrader. Encourageant. L'ami Princecranoir en parle très bien, ce qui n'est pas pour me surprendre. Stefan ZWEIG, adieu l'EUROPE
Pas question ici d'un biopic de 3h30 sur le poète essayiste biographe romancier et c'est tant mieux, ce genre de films étant indigeste. C'est le thème de l'exil doublé d'une interrogation sur l'engagement de l'intellectuel, terme d'ailleurs récusé par Zweig, qui intéresse la réalisatrice. De 36 à 42 six épisodes de la vie de Zweig et de son épouse Lotte, allant d'un premier accueil sud-américain où le PEN CLUB souhaite un engagement plus clair quant à l'Allemagne jusqu'à la tragédie de Petropolis, Brésil, deux corps sans vie découverts par la caméra presque subrepticement, reflet dans la glace d'une armoire.
Zweig est une icône, une star des médias de l'époque. On le veut partout sur ce continent sud-américain. Lui, qui a déjà beaucoup voyagé en Europe et en Asie, a posé ses valises à Londres avant d'aller plus loin. Mais, sollicité de toutes parts, l'homme Zweig est fatigué, déprimé malgré la présence de Lotte et l'amitié jamais démentie de sa première épouse Fritzi. Le désespoir, les pulsions suicidaires qui ont parcouru tant de ses nouvelles rôdent. La mort était souvent viennoise dans cette belle littérature de la Mitteleuropa.Il est juste de dire que le Zweig qui arrive dans le Nouveau Monde est déjà une victime du conflit imminent, d'où le très beau titre français Adieu l'Europe car cette Europe qui fut celle de ce grand Paneuropéen, cette Europe est en voie de disparition. Son autobiographie, publiée après sa mort, s'appellera d'ailleurs Le monde d'hier.
Ces années sud-américaines, malgré son enthousiasme un brin exagéré pour le Brésil, terre d'avenir, ne lui apporteront pas la sérénité. Les critiques pour sa relative tiédeur, si faciles, les critiques, les multiples engagements mi littéraires mi mondains l'usent, New York, qui espère un moment l'accueillir, se révèle irritante et conformiste. Que sont ses amis devenus? L'espoir un instant caressé d'une guérison du monde, ponctué de ses innombrables lettres et interventions, n'empêchera pas l'inéluctable.
Stefan Zweig Adieu l'Europe est un film magnifique, nanti de deux plans-séquences, prologue et épilogues, d'une fluidité superbe. Et l'acteur autrichien Josef Hader impressionne par sa retenue, ses silences et ses regards. Comme ça peut être beau le cinéma. J'étais vraiment heureux, ce soir là, d'avoir pu aider à voir ce film. Tout autant je crois que les spectateurs qui ont largement témoigné de leur enthousiasme. Nous avons dans notre ville beaucoup de chance quant à la programmation. J'en remercie, avec d'autres, les responsables du CinéQuai.
Mon ami Bruno
1977,Werner Herzog reprend Bruno S. après L'énigme de Kaspar Hauser.C'est pour La ballade de Bruno, aux confins de la folie,ce n'est pas une surprise chez Herzog,qui nous expédie de Berlin en Amérique sur les brisées d'un "trio Wanderer" composé de Bruno,un peu paumé et alcoolique,juste sorti de prison, musicien chanteur,et de deux "amis", l'une prostituée et un voisin plus âgé. Tous trois, sans boulot, trouvent la vie allemande cruelle et leurs relations externes déplorables. Dans plusieurs catalogues, la vie américaine est considérée comme unique et bien-faisante. Bruno, alcoolique, pauvre, mendiant avec son accordéon n'a rien à perdre. Il décide de partir avec ses deux acolytes pour tenter leur chance et accomplir ce rêve américain dont on parle tant. Bien sûr, à leur arrivée sur place, le rêve prend une tout autre tournure.
On sait l'ego pour le moins difficile de Werner Herzog.N'ayant pas ici son ennemi associé Klaus Kinski et quoique tournant avec Bruno S. acteur non professionnel mais vrai patient de psychiatrie,Herzog signe un film plus paisible en apparence, moins marqué de la démesure herzogo-kinskio-aguirro-fitzcarraldienne. On semble parfois assez proche du documentaire et si c'est bien une œuvre de fiction,il y a comme souvent chez le cinéaste allemand des éléments qui sont issus de la réalité.A commencer,cela va de soi,par l'étonnante personnalité de Bruno S.Cet homme a séjourné plusieurs fois en prison et c'est à la fois lui-même et un héros de fiction qui dit lors de sa sortie:"Le Bruno,il rentre en liberté".C'est cette phrase magnifique, contradictoire,inversée qui montre bien le côté décalé,j'oserais cette métaphore hardie,le côté un peu chaplinesque de la figure errante centrale du film.
L'ellipse nous mène assez vite d'Allemagne au lointain Wisconsin pour un "atterrissage" assez rude où le mobil-home devient symbole d'une Amérique assez ouverte pour les accueillir mais assez étrangère pour ne rien faciliter.Bruno,qui avait trouvé avec ses deux colocataires un embryon de foyer,a comme des ailes de géant qui l'empêchent de marcher.Le départ de son amie fera de lui un albatros superbe de solitude et d'inadaptation,qu'il fut d'ailleurs toute sa vie.
La ballade de Bruno devient alors une tragédie américaine individuelle. Revisitant le démon des armes,le hold-up et une hallucinante et carcérale scène d'animaux addicts de jeux qui donne une franche envie d'emboîter le pas à Bruno,Werner Herzog touche le fond de la détresse dans ce paysage de montagne, une station de sports d'hiver sans neige,ce qui en soi est déjà une forme d'absurdité.
Voici une affiche américaine,très différente,mais que finalement j'aime bien,avec le sens du raccourci mais aussi une belle efficacité.
A propos de Barbara
Barbara est un film à voir,austère et laconique,qui creuse le sillon encore frais de la vie en RDA avant la chute du mur.Moins spectaculaire que le très bon La vie des autres,qui frôlait le thriller politique,ce film de Christian Petzold, récompensé à Berlin,je crois, mais peu importe,nous intéresse à une jeune femme médecin mutée dans un hôpital de province sans grands moyens au nord du pays.Très observée,on comprend vite qu'elle espère l'Ouest,par la Mer Baltique.Très sobre,Barbara gagne pourtant notre intérêt à son rythme un peu paresseux,sans dialogues lourdingues ni leçons de morale.Lassitude est le maître mot de cette vie,de cette ville où André le médecin chef de l'hôpital fait de son mieux.Sans romance ou presque le film vogue entre surveillance,inquiétude et espoir.
Barbara se prend d'affection pour une jeune patiente fort perturbée,tout ceci sans grande démonstration.Curieux film où le médecin roule dans sa Trabant pétaradante et où Barbara n'a guère d'autre liberté que...son vélo,un semblant d'autonomie,et ainsi de belles séquences en lisière de forêt sous le vent.Misère aussi de l'hôpital,au matériel obsolète comme une sorte de Trabant de la santé.Rares sont les films aussi peu "glamour" ou aussi peu "action"que Barbara,pas de mélo médical à nous arracher des larmes,pas d'hommes en noir à cinq heures du matin pour arrestation au saut du lit,mais une ambiance de plomb qui donne envie de se foutre à l'eau,même en Baltique,avec le folle espérance danoise.Comme elles étaient terribles ces années,pas toujours avec des rafales près de Checkpoint Charlie,pas toujours,pas souvent sous les colères des intellectuels,mais en une grisaille quotidienne à se cogner la tête contre les murs,contre le Mur.
Alice,si,Alice,souvenez-vous
Je termine cette fin d'automne la présentation pour l'I.U.T.A de ma bonne ville d'une série de six films sur la route au cinéma.Cela m'a permis de voir ou revoir ou rerevoir etc... quelques oeuvres majeures comme Les raisins de la colère,Les fraises sauvages,Voyage à deux,Easy rider.Si vous le permettez je m'attarderai sur Alice dans les villes,l'un des premiers films de Wim Wenders.C'est un cinéaste que j'apprécie bien que parfois un peu égaré. Sorti en 74 Alice dans les villes,un noir et blanc de "city" qui convient parfaitement au périple urbain de Philippe et Alice,9 ans,dans ce qui fera l'essentiel d'oeuvre de Wenders,l'axe Amérique-Europe et retour.Mais là nous somme près de dix ans avant l'errance la plus célèbre,celle de Travis dans Paris,Texas.
New York,Philippe,la trentaine pas gaie,n'arrive guère à terminer son reportage photo.Images de l'Amérique des seventies,sur fond de références qui ne peuvent que m'attirer,John Ford,Scott Fitzgerald,le rock du juke-box, Psychotic reaction des fabuleux Count Five.Les aléas,c'est à dire une grève aérienne et la déprime de Lisa à l'aéroport,vont faire de lui pour quelques jours le compagnon de voyage d'Alice,gamine frondeuse et butée comme savent l'être ces drôles de petites filles.Ce n'est pas anodin si la première rencontre de Philippe et d'Alice se déroule dans une porte à tambour,comme une sensation de tourner en rond,déjà.Deux juke-boxes dans le film,pour moi c'est déjà deux étoiles, Wenders compagnon de Rockland,forcément On the road again de Canned Heat.La dérive en douceur de Philippe amorcée sur le sol américain,ce sentiment de tourner en rond dans ce pays continent,puis la tranquille versatilité d'Alice,j'aime cet oxymore, enfin la quête européenne de la maison de la grand-mère,tout cela va bouleverser sans colère le quotidien de Philippe pendant quelques jours.
Good bye America et l'Empire State Building où rôde la grande ombre de King Kong et d'où l'on apercoit deux hautes tours jumelles appelées à une certaine célébrité.Couple improbable à la limite du burlesque et de l'absurde, ce n'est pas si fréquent qu'une mère confie à un trentenaire maussade une enfant de 9 ans.Et si Alice réveillait ce grand enfant sans repère,sans sentiment fixe,ce blond escogriffe qui semble bien seul.Comme le cinéma de Wenders est beau dans ce grain noir et blanc qui jamais ne lorgne vers un quelconque effet rétro.
Film-ville comme je n'en ai jamais vu Alice ne convie pas seulement notre cinéphilie.C'est aussi un joli bal urbain qui nous transporte littéralement(dans les deux sens).Des billets de train,des cartes routières,kiosques(on ferait bien de se pencher sur l'histoire des kiosques au ciné,c'est une idée,non?),panneaux publicitaires, signaux routiers et enseignes.De l'importance des halls et des galeries,pas toujours,ou pas encore trop déshumanisés,mais ça commence.De la plus haute cohérence du motel aux U.S.A.Le motel a été conjugué à toutes les sauces dans des milliers de films.
Bien sûr si l'on a quelques clés sur le rock et le ciné on est plus partie prenante dans le périple d'Alice et Philippe.Pourtant je l'ai revu trois fois en huit jours et je me demande si Alice dans les villes ne serait pas digne d'un panthéon du cinéma,pas seulement allemand,pas seulement d'après guerre,pas seulement de l'errance. Non:du cinéma tout court.Alice c'est beau à pleurer et ça,c'est à la portée de tous,si peu cinéphiles ou fans de rock soient-ils.Et comme New York est bien filmée,comme Amsterdam est cinégénique.Mais l'Oscar de la ville revient à Wuppertal,ville de la Ruhr industrielle.Wim Wenders y atteint par le rail ou par la rue les sommets de l'émotion.Ca donne envie d'aller à Wuppertal.Inouï.
La difficile condition d'être un ange
Bien sûr Si loin,si proche! n'a pas tout à fait la poésie, l'élan, l'imaginaire de son frère aîné Les ailes du désir dont il faut sans cesse rappeler que le titre allemand Le ciel sur Berlin est tellement plus beau et moins affecté.Tout y semble un peu plus laborieux.La surprise est passée.Le mur de Berlin est tombé. Cassiel est un ange, comme Damiel autrefois, qui a préféré devenir humain par amour pour Marion, la trapéziste. Cassiel décide de devenir humain lui aussi, mais tout se passe mal.Si le mur est tombé Berlin et le monde n'ont pas pour autant retrouvé leur morale et leur spiritualité.Le film navigue en deux niveaux ,une première partie, en noir et blanc assez proche du premier film, une seconde plus proche del'univers wendersien type thriller,L'ami américain par exemple..
Tout cela est forcément un peu fourre-tout,ce noir et blanc en couleurs,ces allées et venues tiennent du patchwork et de l'artifice parfois.Mais il n'en reste pas moins que j'aime l'univers de Wenders et son regard sur la ville,cette symphonie berlinoise qui me donne envie de dire "Ich bin ein Berliner" mais quelqu'un d'autre l'a déjà dit.Le cinéphile sera évidemment privilégié vu les hommages au film noir,au serial,au feuilleton.La présence de Peter Falk en son propre rôle en témoigne.Wim Wenders,grand rocklover,a aussi convié un Lou Reed fantômatique à souhait.Enfin je ne résiste pas au beau nom du personnage joué par Willem Dafoe,Emit Selfit,Time itself,Le temps lui-même.Quant aux femmes,Kinski,ou Dommartin on sait depuis bien longtemps qu'elles n'ont jamais été mieux que chez Wenders.
La rue des Roses
Le cinéma de Margarethe von Trotta n'est jamais léger ni très original.Il a pu parfois prendre des allures de pensum.Mais en ces temps d'effets spéciaux et de surenchère il est intéressant de suivre un film,très classique dans sa forme,sur un sujet fort et peu connu,les mariages mixtes entre aryens et juifs dans l'Allemgne du Reich,plutôt en fin de règne.Rosenstrasse à Berlin,des dizaines de femmes allemandes guettent sur le trottoir la libération de leurs maris jufs,qu"elles obtiendront d'ailleurs pour la plupart.On pense évidemment aux Folles de Mai du régime argentin.On pense surtout à toutes les femmes de ces régimes bien actuels qui n'ont même pas la possibilité de se réunir.
Jouant un peu lourdement des aller-retour dans le temps pour nous faire mieux comprendre ce pan de l'histoire Margarethe von Trotta ne signe en aucun cas un film poiltique.Rosenstrasse ne s'intéresse pas vraiment à la logique de l'horreur du régime hitlérien mais au désarroi et au désepoir de ces femmes,pas inquiétées personnellement,mais qui ont commis l'irréparable,leur mariage.Ce faisant,et un peu laborieusement, elle parvient à évoquer une tragédie universelle que des volontés particulières ont parfois pu mettre en échec,sans pour cela empêcher,ni peut-être vouloir vraiment le faire,la honte et la lâcheté érigées en dogme.
Grosse Bruder te regarde
La vie des autres me réjouit pour plusieurs raisons.La première étant que le succès de ce film signe enfin le retour d'une meilleure distribution des films allemands,amorcée depuis quelque temps. Espérons le retour du cinéma italien sur nos écrans.Des oeuvres comme La vie des autres,qui se penchent sur un passé récent, douloureux et contrasté,m'intéressent,voyez-vous,davantage que certaines comédies françaises balourdes qui encombrent nos écrans.Heroïne du film,la sympathique STAatSIcherheit de la République Démocratique Allemande,notamment lors de ses dernières années.On connaît la trame,classique prise de conscience, tardive,d'un officier de la Stasi,amené à commencer de penser autrement,et à faire les frais des ultimes manipulations de ce terrorisme d'état,qui n'est pas le monopole de l'ancien régime de Berlin.
Peut-être La vie des autres souffre-t-il d'un excès de théâtralisation, insistant sur le côté un peu caricatural des intellectuels mis en cause, dramaturge,actrice,suicide.C'est cependant péché véniel car le film n'est pas si loin des oeuvres maintenant très anciennes d'un Costa-Gavras par exemple.Celui-ci avait su conjuguer la critique et la narration thriller pour des films efficaces et carrés.Il me semble que Florian Henckel von Donnersmarck a eu le mérite d'éclairer cette période avec des acteurs convaincants et une ambiance fin de règne à Berlin tout à la fois si loin,si proche.Je vous renvoie A la poursuite du vent pour l'avis de Karamzin et son impressionnante analyse,fouillée et argumentée.La vie des autres est un film à voir à peu près impérativement,ce qui n'est pas si fréquent.A quand les versions bulgares,roumaines,etc...A quand les versions cubaines,nord-coréennes,etc...Moloch qui dévore ses propres créatures,nous n'en aurons jamais vraiment fini avec le totalitarisme.
Et si on prenait encore un peu de temps
Suite et fin de cet objet filmique unique.Après 30 films et 52h10' de mon temps me voilà au bout de l'aventure Heimat,oeuvre d'une vie,celle d'Edgar Reitz,d'un pays,l'Allemagne,d'un art,le Septième.J'ai regroupé les trois notules:Une chronique allemande,Chronique d'une jeunesse,Chronique d'une époque. Mêlant les destins de plusieurs personnages,apportant de nouveaux héros parfaitement en phase avec l'histoire allemande,chroniquant les transformations sociales et les détails individuels,la trilogie Heimat restera référence absolue pour qui s'intéresse à ce grand pays,celui de Goethe, Beethoven, Murnau, Dûrer et tant d'autres.
Hermann et Clarissa ont vieilli.Le mur est tombé et avec lui beaucoup d'illusions se sont aussi écroulées.La liberté,réelle,se paie cher,l'Allemagne de l'Est peine à gôuter les fruits de la prospérité.Les frères aînés sont morts,d'étranges tumeurs gangrènent les corps,les paradis artificiels démolissent en Allemagne comme ailleurs.Le rêve passe et certains passent à côté.On vient de l'Est bien sûr,du Kazkhstan ou de Serbie.Y en aura-t-il pour tout le monde?Heimat pose les questions essentielles sur l'Europe et sur l'homme.Ils se sont tant aimés depuis la Grande Guerre à travers la musique,le cinéma,l'industrie,les affaires.Une telle fluidité baigne Heimat que malgré 93 rôles parlés,des amis,des cousins,des collaborateurs,aucun personnage ne paraît artificiellement plaqué sur l'histoire pour l'enrichir.Ce fleuve de vie coule comme le Rhin,sans jamais faillir.
J'ai tant aimé,moi aussi,cette trilogie que j'en ai pleuré au dernier épisode.Jamais je n'avais vu ça.Adieu à tous,mes amis d'outre-Rhin.Vous me manquez déjà.Et comme j'aimerais que cette oeuvre,le contraire du formatage et de la démagogie,de tous les formatages et toutes les démagogies,trouve son public.Auf wiedersehen!Au revoir à cette bouleversante chorale.
Reprendre le temps
Nous avons quitté la campagne du Hunsrück pour Munich la métropole bavaroise conservatrice où Hermann est maintenant étudiant.Cette série de 13 films enchaîne sur une petite dizaine d'années les hauts et les bas de ce groupe d'amis musiciens, cinéastes, actrices dont la plupart se retrouvent à la Renardière,sorte de maison pour étudiants fauchés à prétention artistique.Le début des années 60 est prétexte à la présentation de ce petit cénacle de jeunes Allemands en un portrait de la génération née en 40 avec la lourde marque du passé.Bien sûr l'Allemagne d'après guerre n'est pas entière dans ce groupe d'intellectuels qui se sont tant aimés et l'Est brille par son absence.Pourtant Edgar Reitz signe là un film terriblement engagé non pas militant de base avec tout ce que ça implique de désintérêt, mais qui prend le pari du temps et de l'intelligence ce qui est autrement plus difficile qu'un prêchi-prêcha comme certains cinéastes célèbres.
Cette brochette d'amis va vivre intensément cette décennie où l'Allemagne,personnage principal semble se réveiller.En quête d'une métropole qu'ils ne peuvent trouver à Berlin et pour cause c'est Munich la prospère et peu mobile qui deviendra pourtant leur havre.Je n'aurais pas cru que la Munich des années soixante pouvait me donner envie d'y avoir vécu avec un petit côté Frisco Côte Ouest des belles années.Mais les belles années sont toujours derrière nous(Scola, Giordana en Italie par exemple).
Mais les villes et les pays ne sont que ce qu'en font les hommes et je vous recommande chaudement ce voyage en Bavière sans Louis II ni Lola Montes mais avec une pléiade de héros(on n'avait pas encore,je crois,trouvé le terme film choral).Tout est dans ce chef-d'oeuvre des conflits de génération aux utopies plus ou moins libertaires,des crises existentielles qui cachent mal les échecs d'une vie,des fantômes du passé aux rêves réinventés.La tentation de l'extrêmisme y est évoquée très finement aussi et sans démagogie.
Ce film de 13 épisodes car il faut parler de film est une pépite dans un cinéma allemand que Fassbinder avait à mon avis trop théorisé,que Wenders et Schloendorff avaient un peu déserté. Mais rien là dedans de poussiéreux comme un débat de ciné-club à sens unique.Non!Une humanité de tous les instants irradie les méandres de ce fleuve où je vous engage à retrouver des amis que vous n'oublierez pas:Hermann, Alex,Rob,Reinhard,Stefan,Volker,Jean-Marie,Juan l'étranger,Ansgar et les filles Helga, Olga, Clarissa, Schnüsschen, Renate, Eveliene...Embrassez-les pour moi.
Prendre le temps
Il faut effectivement prendre le temps d'entrer dans le Pays Natal(Heimat).15h40 pour Heimat 1 que je viens de terminer. Quand j'aurai vu Heimat 2 et Heimat 3 j'aurai passé 52h10 sur l 'oeuvre d'Edgar Reitz.Disons-le, cela vaut la peine, au vu de la première partie.Heimat 1, sous-titré Une chronique allemande est une formidable évocation d'un petit coin d'Allemagne, le Hunsrück, non loin de la frontière française, de 1918 à 1982.On découvre la famille Simon au sortir de la Grande Guerre, modestes forgerons de village, avec lesquels nous allons vivre l'histoire de ce pays, aussi bien au ras des pâquerettes de cette jolie campagne que dans les soubresauts qui ont agité le pays.
Attention ce n'est pas une saga familiale de type feuilleton dont certaines sont d'ailleurs très agréables. Edgar Reitz a consacré 25 ans à ces trois films et c'est avec une précision d'entomologiste qu'il nous immege dans cette chronique allemande. Bien sûr le Troisième Reich y est présent,mais pas à l'état-major de Berlin ni lors des grandes batailles.C'est dans le quotidien de ces gens ordinaires que souffle le grand vent de l'Histoire. Les personnages ne sont jamais stéréotypés et s'adaptent, ni héros ni salauds pour la plupart.
Edgar Reitz est particulièrement habile à souligner les progrès économiques, le miracle allemand des années 50, la mutation technologique agricole et industrielle. Ceci a été peu montré au cinéma. Rien de romanesque mais une suite de touches très sensibles et vraisemblables au coeur d'une région en devenir avec des acteurs allemands inconnus d'une justesse impensable dans un cinéma souvent balisé.
Reitz a beaucoup écrit sur le cinéma et aussi formé nombre de jeunes talents. Heimat 1 possède la particularité de passer du noir et blanc à la couleur et inversement. J'avoue ne pas savoir pourquoi.Ce que je sais c'est qu'il excelle aussi bien dans la peinture des travaux que dans le regard sur l'âme de ses protagonistes y compris dans leurs intimes émois. Heimat 1(Pour la suite on verra) est du très grand cinéma et je parodierai le titre d'un autre film que je n'ai pas vu:Heimat, un film d'Allemagne. Rendez-vous dans quelques mois... pour la suite de cette aventure toute d'intelligence et de retenue qui nous apprend bien des choses sur ce pays peu connu,l 'Allemagne. Pour cela bien sûr il faut prendre le temps.