13 juin 2017

Lisbonne et Varsovie

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                                Composé pour le texte presque entièrement des véritables lettres de l'écrivain portugais Lobo Antunes durant la guerre d'Angola, le film d'Ivo M.Ferreira ne se laisse pas apprivoiser facilement. Vers 1970 le grand écrivain était alors âgé de 28 ans et, médecin militaire, servait en Afrique dans ce pays qui devait accéder à l'indépendance en 1975. Près de 300 lettres furent ainsi écrites à sa femme et constituent la trame du film. Souvent lues par la voix féminine, ces missives déstabilisent au début du film et l'artifice prend un peu de temps à convaincre. Mais le noir et blanc et la lumière de Lettres de la guerre finissent par fondre le spectateur et comme une hypnose nous emporte dans une certaine fascination.

                               Malgré tout Lettres de la guerre reste un film de genre, et son genre c'est la guerre. J'ai trouvé, mais tout le monde n'était pas de cet avis, que le film échappait assez bien à la thèse anticolonialiste, situant le débat au delà de la repentance si stérile. A sa manière il n'est pas si éloigné des grands films américains sur le Vietnam. L'Afrique de l'Ouest y est bien belle au cépuscule. Crépuscule qui est aussi bien sûr celui d'une certaine idée de l'Afrique vue d'Europe.

                               Mais ce film reste également une histoire d'amour, dont l'intérêt littéraire est magique tant la prose de Lobo Antunes (accessible au contraire de ses romans, semble-t-il, car je ne l'ai jamais lu) est magnifique, d'une ardeur poétique qui nous ferait presque regretter que les images soient si belles. Car le dilemme est là et se pose tout au long du film à moins d'être parfaitement lusophone. Le texte à lire est très fort. Comment n'en rien perdre si l'on regarde les images? Et vice-versa. Pas résolu, mais le public a aimé le film dans son ensemble. Une personne avait même lu un peu Lobo Antunes, ce qui n'est pas si fréquent. Une autre a évoqué la longue attente de Drogo dans son cher désert qui m'est, vous le savez bien, très cher aussi. Réactions intéressantes alors que notre saison d'animation ciné se termine bientôt.

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                     Bon. Ca dure 81 minutes. Ca s'appelle Onze minutes. Mais le temps a pu paraître long pour queqlues-uns. Tant de bruit et de fureur pour cette variation sur le hasard et la violence. Impossible d'en dire trop sur le film de Jerzy Skolimowski. Expérience à vivre, qui laisse comme en apnée, selon un spectateur. Une quinzaine de personnages dans une Varsovie comme hors lieu, ou au moins hors Pologne. Je l'ai vu deux fois en 48 heures. Il fallait bien ça pour (en partie) réunir les fils ténus de ces gens pour la plupart antipathiques. Assez ébouriffant pour certains dont je suis. Parfaitement insupportable pour d'autres, et nanti d'une musique industrielle à l'avenant.

                   Nous sommes assez nombreux cependant à avoir trouvé des beautés à Onze minutes. La multiplicité des points de vue et le montage sévère, la misanthropie qui en émane, les aliénations dont font preuve la plupart des protagonistes sont ainsi condensés en une concision dont feraient bien de s'inspirer les apôtres des 180 minutes qui nous intoxiquent régulièrement. Pourtant c'est ce film court qui a mis deux ans à sortir petitement sur nos écrans. Cependant c'est à vous de voir.

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10 avril 2017

Littérature fictive, peinture véridique

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                            J'étais très heureux d'avoir aidé à programmer ce film argentin percutant et corrosif, un peu lesté par une caricature trop appuyée. Mais rien de grave et Citoyen d'honneur a été bien accueilli. Cette fable assez cruelle pourrait être illustrée par deux proverbes. La Roche Tarpéienne est proche du Capitole et Nul n'est prophète en son pays. Daniel Mantovani, Prix Nobel de littérature revient dans sa ville natale, Salas, au fin fond de la campagne argentine. Reçu d'abord comme un héros le ton change assez vite et chacun au pays a de bonnes raisons de lui en vouloir. N'aurait-il pas plus ou moins ridiculisé ses anciens concitoyens dans son oeuvre romanesque, écrite en Europe où il réside depuis trente ans? Ceci est arrivé à de vrais Prix Nobel, Faulkner ou Garcia Marquez par exemple.

                    On n'écrit jamais que sur soi, semble se dédouaner Daniel. Et comme c'est vrai, surtout quand on a du mal à écrire, croyez-moi. Alors il se peut que l'on n'intéresse personne. Exercice hautement narcissique. Ainsi les auteurs du film, le duo argentin Mariano Cohn, Gaston Duprat, parviennent à équilibrer à peu près leur propos. Le grotesque de la plupart des gens de Salas vu par les cinéastes dédoublant ainsi leur identification aux livre de Mantovani, il m'apparait que la barque est un peu trop chargée d'un cynisme que d'aucuns auront trouvé malsain (l'ami Strum ici étant de ceux-là). Il n'a pas tort mais moi, modeste passeur de programmes, j'ai apprécié les réactions du public qui a plutôt passé un bon moment, la fin style Comte Zaroff finissant presque par... cartoonner. Souvent comparé aux grandes heures de la comédie italienne, c'est vrai qu'on y verrait volontiers Sordi ou Manfredi, Citoyen d'honneur est tout de même loin des meilleurs Risi, Germi ou Monicelli. Pardon à Dino, Pietro, et Mario (nous étions très proches) mais vous-mêmes n'avez pas toujours été d'una grande finezza.

                    Là je viens de me relire et me trouve d'une prudence de jésuite qui confine à l'hypocrisie. J'aime bien un peu d'hypocrisie.

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                      Paula raconte quelques années de la vie de Paula Modersohn-Becker, peintre allemande (1876-1907). Découverte pour le public, moi y compris, cette artiste que l'on entrevoit seulement maintenant en France suite à l'expo 2016 au Musée d'Art Moderne de Paris est en fait une pionnière. Dans un monde régi par et pour les hommes, art compris, Paula aura l'énergie de quitter son mari lui-même peintre conventionnel dans le nord de l'Allemagne. Elle vivra quelques annnées à Paris sans vendre aucune toile. Comme souvent, et peu à peu, c'est plus tard que son aura grandira et le premier musée consacré à une femme peintre lui sera dédié à Brême.

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                   Ses tableaux, et je laisse cela aux exégètes, annoncent l'expressionnisme mais surtout reflètent peut-être pour la première fois le regard d'une femme. Ceci considérant, et c'est discutable, que d'autres femmes peintres, il y en avait quelques-unes, classiques, impressionnistes, peignaient  "comme les hommes". Ses portraits, autoportraits, assez torturés, peuvent bouleverser tant on y sent un un souffle et un siècle nouveau, qui sera douloureux ou ne sera pas. Paula, le film de Christian Schwochow, vaut à mon avis surtout par le tableau nordique de la communauté des peintres traditionnels, et paradoxalement je me suis plus intéressé à son mari Otto, certes maladroit  mais sincèrement amoureux de Paula. L'aventure parisienne, resserrée par le scénario, m'a semblé par contre assez banale malgré la présence de Rainer Maria Rilke, ami de Paula, et n'échappe guère aux clichés. Je conclurai ainsi: Paula est plus à voir en peinture qu'au cinéma. Ceci n'engage que moi.

07 février 2017

Chili con carnets

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                       Curiosité plutôt bien reçue par le public et discussion intéressante menée par un ami qui a présenté lundi dernier Poesia sin fin du metteur en scène protéiforme Alejandro Jodorowsky. Sorte de promenade dans l'imaginaire de l'auteur surréaliste et cosmopolite, le film se voit avec plaisir même si le snobisme lui convient bien et limite quelque peu les avis moins favorables. Mais ne pinaillons pas trop devant ce kaléidoscope du vieux saltimbanque effronté et en même temps presque institutionnalisé.

                       Très pêle-mêle décors de carton pâte, tératologie appliquée, scènes orchestrées, trop, à mon gré, pour faire semblant de choquer, ce qui ne choque plus grand monde. Il m'a semblé de bon ton dans le public d'apprécier outre-mesure, la mesure n'étant pas le point fort de Jodo. Reste un spectacle multicolore, multimachin, et finalement une soirée agréable. Evidemment à ce jeu Amarcord de Federico fut cité. Pour moi il n'y pas photo. Laissons Alejandro à ses tarots.

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                          Pablo Neruda est une des cibles de Jodorowsky dans Poesia sin fin. Mais laissons là les égos de ces messieurs. Pablo Larrain, chilien comme tout le monde aujourd'hui, nous embarque avec allégresse dans ce faux biopic sobrement appelé Neruda. Pas mal de monde hier pour le voir et en parler, et un réel enthousiasme chez les spectateurs. Larrain construit son film très intelligemment en centrant les deux personnages de Pablo Neruda et de l'inspecteur Oscar Peluchonneau dans une nasse virtuelle, liant ainsi le poète et son poursuivant dans une quête obsessionnelle, puis une traque quasi westernienne et enneigée. C'est passionnant d'un bout à l'autre, très troublant au début tant sont emmêlés la narration du policier et les mots de Neruda. mais ça confère à Neruda une étrangeté comme jouant sur les mots d'un film où les dialogues sont très importants sans nuire à la conduite de l'image. Et il y en a de belles, des images. Des scènes de bordels, très sud-américaines, j'ai pensé, bien  que peu connaisseur, aux grands baroques de la littérature du continent, Garcia Marquez, Vargas Llosa et consorts, souvent poétiques, parfois torrentiels, quelquefois usants. Les scènes intimes avec sa deuxième femme, peintre argentine, et leurs querelles d'amoureux artistes jouant à qui est le plus artiste. La totale immodestie de Pablo Neruda nous le rend d'ailleurs plus proche, éloignant l'icône de l'intelligentsia européenne (je goûte peu les icônes), et le "missionnaire" politique car Pablo Larrain nous épargne tout prêche, qui eût parasité le film. Et je ne vous dis rien du beau pays araucan.

                        C'est un film très riche. C'est un spectacle très riche, tenais-je à dire, ce qui est plus fort encore. Le public a vraiment apprécié et ce fut vraiment une belle soirée de ciné. Je crois qu'ils penseront longtemps à ces deux là, le maigrichon Gael Garcia Bernal, en policier obsédé de sa poursuite mais aussi d'une reconnaissance (quelqu'un m'a cité très à propos Javert-Jean Valjean), et le bedonnant, peu sexy mais très sexué Luis Gnecco en Don Pablo Neruda, poète, sénateur, capricieux, vantard et accessoirement d'immense talent.

30 janvier 2017

Tout sur tout

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                           Télérama, cette "bible" que je critique très souvent, qui m'énerve prodigieusement, mais auquel je suis abonné depuis 40 ans, avait demandé  aux salles de choisir un film ancien parmi une vingtaine et d'en dire deux mots au public. Nous avons choisi ici Tout sur ma mère, en bonne part parce que je le connais finalement assez mal. J'ai vu à peine la moitié des films d'Almodovar, partageant peu l'engouement général. Mais quel grand film que Tout sur ma mère (1999). Quel univers à lui, et quel grand montreur d'âmes. Peu de gens présents, il fallait s'y attendre, la cinéphilie n'étant pas une maladie de la saison d'hiver. Mais Tout sur ma mère éclate, de couleurs, rouge dominant, de sentiments, d'humour aussi, transcendant le mélo et les genres, tous les genres. C'est qu'Almodovar a peu de bornes. Ca lui convient assez bien et, de plus, Tout sur ma mère passe pour sobre dans la très agitée filmo almodovarienne(sic). Et à revoir le film on comprend la séduction de ce cinéaste sur les femmes, déjà très présente, ne serait-ce que que dans les titres antérieurs, Pépi, Luci,Bom..., Femmes au bord..., Talons aiguilles.

                            Almodovar est un excessif. Dans Tout sur ma mère, tout passe comme lettre à la poste. Pourtant tout y passe, la mort accidentelle d'un enfant, le père travesti et en phase terminale (en ces années le sida jetait ses derniers feux comme premier rôle), la vieille amie transsexuelle forcément serviable, le couple d'actrices lesbiennes qui joue Tennessee Williams, la religieuse égarée, fragile mais bonne fille. Même Madrid accepte, et ça doit l'écorcher, de cèder la place à Barcelone l'étrangère car la catalane est plus éloignée de la capitale que Stockholm ou Oulan-Bator. Mais la symphonie baroque de Don Pedro fonctionne formidablement bien. Les chicas d'Amodovar, ses filles, n'y sont pas pour rien, tant on s'attache à elles et tant on a envie de les aimer, Cecilia Roth, Marisa Paredes, Penelope Cruz, Antonia San Juan très étonnante en stand up.

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                            Il y a déjà beaucoup dans Tout sur ma mère mais c'est pas tout. La musique déchire aussi, et la passion du spectacle de la vie chez Maître Pedro. Passent ainsi les ombres de Truman Capote et de John Cassavetes, de Joseph Mankiewicz et de Bette Davis, Eve, des mélos somptueux de Douglas Sirk. Le gôut de la vie inonde ce chef d'oeuvre que l'on peut voir et revoir. Ca s'appelle Tout sur le cinéma et je ne vois guère qu'un autre maestro, prénommé Federico, pour avoir tant montré. Mais lui s'incarnait plutôt au masculin. Pedro, lui, est Toutes ses femmes. Le grand Bergman a nommé ainsi un de ses films les plus curieux. Bergman, admiré d'Almodovar. La boucle est bouclée. Ca tourne rond comme ce rond-point des rencontres à Barcelone, un peu vertigineux.

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25 novembre 2010

Transes atlantiques ou de l'Alentejo à Manhattan

                   Qu'est-ce qui fait qu'un blogueur décide d'écrire quelques mots sur ceci ou cela?Voilà une bonne raison:tenir une promesse.Avant toute chose "Bom dia,obrigado" à l'ami

  • D&D et ses 25 images
  • qui m'a donné envie depuis longtemps de me pencher sur un centenaire.Ma lusophonie étant épuisée par les trois mots précités le reste de cette chronique sera rédigé en français.C'est fait,j'ai vu un film de Manoel de Oliveira,je n'ai donc plus que 55 films de retard sur D&D,en ce qui concerne le grand cinéaste portugais.Oh je me doutais bien qu'il avait des qualités,cet homme,pour avoir traversé le siècle comme tout bon navigateur portugais du XVIème Siècle qui se respecte.

         Je vais vous dire d'abord ce que j'ignore,enfin non,pas tout.Rarement,non,jamais visibles chez moi,les films de M. de O. me sont inconnus et je ne saurais prétendre si Christophe Colomb,l'énigme,est une perle,une étape,une récréation,une vieille promesse tenue à l'histoire de son pays,représentative ou non de sa filmo,une sorte de fantaisie poétique,un hommage... Non,je ne sais rien de tout cela mais D&D vous en dira plus.Il n'est pas très prodigue de ses textes mais toujours intéressant et M. de O.,pourtant protéiforme n'a guère de  secrets pour lui.Bref revenons aux balbutiements critiques d'un spectateur moins que lambda qui pour la première fois s'est frotté à l'univers du grand seigneur lusitanien.

          D'une belle sobriété,comme un voyage un peu secret mais qui finit par irradier de calme et de beauté, Christophe Colomb l'énigme part d'un à priori,d'un pourquoi pas.Colomb aurait été portugais.Et oui,pourquoi pas?Si la poésie est là,si le vent de la mer souffle haut et fort et nous porte,si l'Histoire est un peu malmenée mais que les images en sont magiques,je suis prêt pour un Colomb norvégien ou moldave.Curieusement et ce n'est pas le moindre des paradoxes, on part du "voyageur par excellence"  Ulysse et de sa Méditerranée,qui comme chacun sait (vraiment chacun?) ne baigne pas le Portugal.Deux frères quittent le pays pour l'Amérique.Là encore paradoxe pour le profane que je suis,l'Amérique du Nord et non le Brésil comme je l'aurais cru.Il faut s'y faire les habitants des Açores notamment ont beaucoup migré vers ce qui devait devenir les Etats-Unis.Je le sais je l'ai appris chez Manoel.Deux frères arrivent donc à New York,et deux valises.Une douzaine d'années plus tard,1960,l'un d'entre eux devenu médecin se marie au pays et son voyage de noces ne le conduit pas à Venise,comme tout le monde,mais dans un Portugal qu'il connaît mal,sur les traces de la maison de Christophe Colomb,enfin de sa mère car Colomb serait le fils d'un duc de Beja et aurait des ascendances juives.Au fond de l'Alentejo le couple cherche des traces de vie,de passage,de rares reliefs d'une histoire oubliée du Portugal lui-même.Puis sur l'île de Porto Santo à Madère.M. de O. a fait tenir le rôle par son propre petit-fils,accentuant par là le côté autobiographique,je je risquerais le néologisme autogéobiographique.

        On retrouve le couple plus de 45 ans après,interprété par M. de O. en personne,et sa propre épouse.Fascinante enquête,on ne peut pas ne pas penser à Pessoa,d'ailleurs cité.Le vieux couple,bouleversant et limpide,complice et amoureux,en un va et vient Europe-Amérique,nous évoque ces Grandes Découvertes,ces Vasco, Cabral, Pinto, Magellan et se construit ainsi à nos yeux un puzzle où les cartes murales reprendraient vie,nanties de caravelles et de portulans.Autre symbole,sublime,les deux frères au début du film débarquent à Manhattan dans le brouillard et n'ont pas vu la Liberté.Le voyage de Christophe Colomb,l'énigme est l'un des plus beaux qui se puissent,sous la houlette d'un capitaine à l'oeil vif,auréolé d'un piano infiniment touchant.Une jeune femme traverse aussi le film,apparition couleurs Portugal,et c'est simple,évident.A des années-lumières d'un cinéma de l'esbrouffe ou d'un nombrilisme de pacotille,en 1h15mn,ce bien beau film m'a bercé,grâces en soient rendues à Manoel de Oliveira et à son disciple D&D.

    http://www.youtube.com/watch?v=5FJ82yTL_CY  Quelques images

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    28 juin 2008

    Un ticket pour "Le dragon de la méchanceté contre le saint guerrier".

                Voilà l'improbable demande à faire au guichet si l'on avait traduit le titre original d'

     

             Reconnaissez que c'était un  peu baroque.Baroque Antonio das Mortes l'est de toute évidence.Il s'agit de l'un des films les plus célèbres de ce Cinema Novo brésilien qui n'a guère eu de prolongement. Entrer dans cet univers foisonnant n'est pas une si mince affaire.Un minimum de connaissance de l'histoire du Brésil peut se révéler très utile.Entre Cangaceiros,improbable croisement de Robin des Bois du Nordeste et Beatos,paysans mystiques illuminés,tous deux opposants au régime des grands propriétaires,il est un peu difficile de savoir qui est qui.Ajoutons à cela l'incroyable amalgame entre la foi et la superstition,entre la sainteté et les diableries.N'oublions pas qu'Antonio das Mortes était déjà présent dans Le dieu noir et le diable blond,film antérieur de Glauber Rocha,dont le titre à lui seul fait peser pas mal d'incertitude sur le spectateur européen plus cartésien.

          Strié de rouge vif et parsemé de morts violentes dans cette ahurissante arène qu'est le Brésil d'une époque un peu indéterminée Antonio das Mortes délivre des fulgurances filmiques baroquissimes flanquées de paraboles d'un mysticisme brouillon mais qui semble aller sa propre cohérence tant ce film a l'air de ressembler à son pays.Un magnifique combat singulier où les deux protagonistes serrent les dents,tenant chacun l'extrémité d'une longue écharpe.Le fraternel baiser du vainqueur au vaincu,tous deux habillés de barbe noire,de rose et de hardes qui les font ressembler à quelque pirate des Antilles.Un riche aveugle visionnaire dont la femme adultère tue elle-même son amant.Une curieuse alliance de circonstance entre Antonio,celui que l'on ne peut appeler un justicier et un instituteur à peine éclairé.Une sainte et un Saint Georges noir terrassant le dragon...Toutes ces images renvoient au titre original et à un Brésil qui conjugue la violence et la chorégraphie,mais n'est-ce pas une assez bonne définition de ce pays immense et méconnu où l'on meurt si vite au rythme des Cariocas?

       Antonio das Mortes fut primé à Cannes 69 sous la présidence de Visconti.Rocha devait mourir à 43 ans en 1981 laissant quelques films,assez peu,s'étant longuement détruit,ayant tourné un peu en Europe et fait l'acteur pour Godard.Dans les dictionnaires on accole souvent à ses films le terme de westerns.C'est en fait vrai en un certain sens.Sam Peckinpah a dû voir ses films.

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    03 novembre 2007

    Le huis clos mexicain

       1962,Bunuel tourne L'ange exterminateur au Mexique où il vit depuis 25 ans.Ce film restera l'un des plus célèbres de l'auteur,l'un des plus interrogatifs aussi.Car qu'a voulu signifier Bunuel avec cette fable comme il les aimait tant,filmée avec verve,malice et ce zeste de démagogie bunuélienne qui lui sied d'ailleurs à ravir?Après tout n'avons-nous pas tous le droit de lester nos propos d'un peu de simplisme?Débarquons vite de ce dîner dans les beaux quartiers les domestiques qui désertent la grande maison dès le début.Peut-être tient-il à leur épargner l'indignité qui va saisir leurs patrons.Peut-être n'intéressent-ils pas Bunuel tout simplement.On est loin de Los Olvivados ou Las Hurdes. Comme si le fait d'être humble et de servir vaccinait contre la bêtise.Ca se saurait.Bref les convives se trouvent livrés à eux-mêmes et enfermés,toute volonté bientôt annihilée par leurs apathies et leurs antipathies.

       Au fil des heures les invités se découvrent et aucun ne trouve grâce aux yeux de Bunuel. Intérêt, lubricité,vanité sont leurs moindres défauts et les humains s'abêtissent au sens propre.Ils ne tentent pas de sortir vraiment,confits dans leurs rivalités et leurs mesquineries. Bien sûr Don Luis a la main lourde et une telle charge paraît parfois sombrer dans l'outrance.Mais Bunuel est habile et sait instaurer dans ce climat délétère l'humour ravageur et presque non-sensique qui parcourt nombre de ses films.Une main comme sortie de La famille Addams,des moutons sacrificiels et la touche anticléricale,marque de fabrique ancienne du temps de son ex-complice Salvador Dali,des pattes de poulet comme signe des superstitions diverses qu'il dit abhorrer,tout cela a bien passé les années et je crois(voir notes anciennes sur Bunuel) que le purgatoire qu'il traverse prendra fin.Des créateurs,des chercheurs comme Luis Bunuel,sont définitivement hors des modes.Parmi les plans d'églises ou de cathédrales au cinéma, autre idée qui me passionne,les images de fin sont bunueliennes en diable (l'expression lui plairait).

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    19 juillet 2007

    Un stylite,ce Simon

    Dernier film mexicain de Bunuel ce moyen message de 45 minutes est pus proche de la pochade que du cinéma.Cependant c'est un maillon cohérent dans l'obsession et les fantasmes de Don Luis,cette espèce de chrétien athée.Simon essaie d'atteindre l'ascèse en vivant perché sur une colonne,et même à la fin sur une seule jambe.Chacun ses goûts.Se mortifiant ainsi il doit subir les tentations du Malin sous les formes d'une ingénue forcément perverse,d'un christ qui frappe l'agneau innocent à coup de pied,d'une vamp dans un cercueil roulant.Bunuel iconoclaste bien sûr,c'était devenu sa marque de fabrique.

       Il y a pas mal d'humour dans cette farce bien qu'il soit difficile d'y voir autre chose qu'une plaisanterie de fin de banquet.On est assez loin de L'ange exterminateur ou de Viridiana.Personnellement pour le rachat de mes bassesses je choisirais l'option anachorète(solitude en caverne) plutôt qu'en stylite car j'ai le vertige.   

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    02 juin 2007

    Chemin de croix selon Don Luis

        Il me semble que Luis Bunuel est actuellement en phase de purgatoire.On pense sûrement que son cinéma est d'un autre âge et certains films c'est vrai ne nous concernent que de loin.Mais je suis sûr que Don Luis fera un retour en force,son cinéma étant l'un des plus libres qu'il nous ait été donné de voir.J'ai revu Nazarin,période dite mexicaine qui compte aussi Los Olvivados,El,La vie criminelle d'Archibald de la Cruz.

       On sait l'anticléricalisme de Bunuel et pourtant il ya dans ce beau film quelque chose qui relève du sacré.Non pas un sacré de pacotille infantilisant mais une recherche d'une sorte de sagesse échappant aux pièges du mysticisme dans l'ambigu et très abouti personnage titre.Le prêtre est un personnage très présent dans le cinéma et permet des figures souvent riches et torturées.Peut-être y reviendrai-je.Nazarin n'épargne ni l'Eglise,on s'en doute,ni le pouvoir, on s'en serait douté.Mais il ne faut pas oublier que Don Luis sait la férocité quand il dépeint le prolétariat dans ce Mexique harassé de saleté,de misère,et de gâtisme.

        Bunuel n'a pas peur de présenter des "salauds de pauvres" et ne leur trouve guère d'excuses.Ceci n'exclut pas une forme d'humour et d'ironie,ne serait-ce que le nom de l'Auberge des Héros.Tu parles de héros!A remarquer aussi la façon dont il utilise le nain,symbole de laideur et près de la terre au sens propre comme au figuré,une terre de glèbe et de plèbe.Nazarin dans cette sorte de road-movie qui mène au calvaire frôle Don Quichotte pour finir aux confins rythmés des tambours de la folie.Un très grand film,d'une richesse absolue et qui n'entre pas dans un tiroir facilement.Mais ça c'est tout Bunuel.Je rappelle le très intéressant site du ciné-club de Caen http://www.cineclubdecaen.com/,particulièrement cinéphile et que je consulte souvent.

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    03 novembre 2006

    Petites histoires d'Argentine

    Délicieuse friandise que ces Historias minimas de Carlos Sorin(2003),film apparenté au road-movie mais à la mode sud-américaine,un peu nonchalante mais pleine de charmes.Autre originalité:il n'y a que des gens gentils dans ce film et ça fait du bien.Pas de tango ni de football mais un chien moraliste que son vieux maître retrouve après trois ans de séparation,un chien qui apparaît comme le fil conducteur de la vieillesse de Don Justo qui sur le tard se remet en question.L'accompagnent dans ce voyage un voyageu rde commerce,poète à sa manière et amoureux d'une veuve dont l'enfant fête son anniversaire.Roberto veut lui faire un cadeau,mais distrait,ne sait même pas s'il s'agit d'une fille ou d'un garçon.En guise de cadeau il a acheté un gâteau en forme de ballon mais le transforme en... tortue plus à même de satisfaire les deux sexes.

        De jolies touches de fantaisie émaillent Historias minimas avec le troisième personnage,une jeune femme qui a gagné à un jeu télévisé débile(ce n'est pas en France qu'on verrait ça).Mais qu'a-t-elle gagné?L'autoroute vers la Patagonie,monotone mais saupoudrée de gens sympas,un flic accueillant,des ouvriers muisciens,un pâtissier compréhensif,achève de nous convaincre de la douceur des choses du monde quand la bonne volonté s'en mêle.Hasta luego,amigos!

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