Je revisite ma cinémathèque/Arsenal
1928, Alexandre Dovjenko et le souffle des grandes années, faut-il dire soviétiques, russes, ukrainiennes. Etonnament ce film dormait sur mes étagères depuis un fameux bail alors que son presque jumeau, La terre, est au firmament de mes classiques muets. Ce que La terre est aux paysans, Arsenal l'est aux ouvriers. Propaganda? Bien sûr et pas qu'un peu. Grand film? Bien sûr et pas qu'un peu. D'une durée de 1h06, du moins dans la version DVB que je possède, pas trop fiable, et là on se prend à rêver que certains pensums actuels ne durent que ce temps là, Arsenal est un poème lyrique où les petits, les sans grade, les perdants immuables tiennent le premier rôle. C'est certes la grande histoire mais au travers de quelques destins individuels.
On l'a souvent écrit, les grands films soviétiques ont posé la légimité du montage, étape majeure, de la fabrication, terme très approprié, d'un film. Il y a dans Arsenal des scènes d'une cruauté inouie, une quintessence de la misère paysanne, un laboureur usé frappe un cheval étique, un soldat en proie aux gaz hilarants, des exécutions où l'ombre des condamnés leur emboîte le pas et s'écroule. Par ailleurs Dovjenko fait preuve d'inventivité avec plusieurs cadrages audacieux et une superbe parabole où un accordéon expire lors du déraillement d'un train. Il y a comme ça pas mal d'idées dans ce film.A ce stade plus question de polémique ni d'idéologie. Il reste du cinéma, celui qui se suffit à lui-même, même s'il demande, c'est vrai, un effort au spectateur.
1918, Timosh, soldat ukrainien déserte et rentre à Kiev. Revenu dans sa ville natale, Timosh , dégoûté, se révèle un meneur et c'est tout un peuple harassé qui se jette dans le bolchevisme, la seule issue possible aux malheurs qui l’accablent. Mais dans une Ukraine indépendante le gouvernement central est aux mains de la bourgeoisie. Timosh exhorte les ouvriers de l’arsenal maritime à se lancer dans une grande grève. Le gouvernement russe décide de noyer cette fronde dans le sang... Arsenal s'adresse à mon sens à l'intelligence du spectateur, supposé apte à décrypter au delà des sentences bien carrées les avancées contradictoires d'un pays qui, aux dernières nouvelles, n'en a pas encore fini. Il y a quelques films qu'à mon sens il est bon de voir deux fois de suite. Arsenal est de ceux-là.
Un beau soir d'Aurore
Je n'en menais pas large, disons-le. Au Ciné-Quai c'est la première fois que nous programmions un film ancien, en dehors des burlesques accompagnés au piano (en décembre prochain par exemple Le mécano de la General, Buster Keaton). On m'avait bien dit de ci de là, un film muet, les yeux exorbités, les grands gestes, tu sais, je sais pas si je viendrai... Mais ils sont venus, assez nombreux. Ma ville n'est qu'une sous préfecture de 60 000 habitants. Ce qui n'est pas une honte en soi, mais je le précise car certains blogs à mon sens ignorent superbement les inégalités de choix d'un pays. Quoi qu'il en soit, je le répète, l'offre ciné ici s'est considérablement améliorée.
Certains avaient déjà vu L'Aurore, d'autres en avaient entendu parler, d'autres encore ne le connaissaient pas du tout. Mais tous ont apprécié, ce qui est rarement le cas, et c'est bien normal. Je ne reviendrai pas sur les multiples beautés du film de Murnau. Mais quelle satisfaction de recevoir les remerciements de spectateurs pour ce spectacle cinématographique hors d'âge, hors mode et hors normes. L'Aurore, comme Metropolis, Nosferatu ou Potemkine, fait dorénavant partie de ces oeuvres qui tournent pour leur propre compte, souvent nanties de musiques originales live, sûres d'être maintenant et pour l'éternité au firmament du Septième Art, de l'Art tout court. Comme La Joconde, comme les vitraux de Chartres, comme le Requiem de Mozart, comme Macbeth... L'Aurore en Picardie, hier, fut vraiment l'occasion d'une belle soirée. Les encouragements de Newstrum et de 1001 bobines y sont sûrement pour quelque chose.
C'est la vie, Lilith
Ce livre m'est parvenu curieusement. Son auteur, Philippe Pratx, m'a contacté, me proposant de le lire en téléchargement. Il pensait que Le soir, Lilith pouvait m'intéresser de par son thème et son climat très cinéma muet. Il avait bien raison.Je l'ai donc lu ainsi, une première pour moi et puis par principe j'ai tenu à l'acheter à l'auteur lui-même, nanti d'une gentille dédicace. Au passage, quelle différence de toucher le livre, le poser, le retourner, le chercher. Vous m'avez compris,je suis un fossile.
"23 novembre 1924. Lilith Hevesi, star hollywoodienne du cinéma muet, est retrouvée morte dans le château où elle s’est retirée au fin fond de la campagne hongroise. Quarante ans plus tard, alors que le narrateur, ancien ami, amant, mentor de l’actrice aux multiples visages, tente de dépoussiérer son passé, ses recherches sont perturbées par une femme qui éveille rapidement ses soupçons."
Le soir,Lilith est une splendide incursion fantasmée dans le monde du cinéma muet, entre expressionnisme viennois et artifices hollywoodiens. Mais attention, on ne pénètre pas dans le monde de Lilith, un tantinet labyrinthique, sans s'armer de patience pour décrypter les arcanes d'une histoire racontée sous plusieurs angles, voix du narrateur, journal de Lilith elle-même, chroniques des films de la diva sous le nom de Eve Whiteland.Déjà ce pseudo, Eve Whiteland, nous emmène en pays de mystère, particulièrement en ces années où le cinéma muet dispensait un imaginaire souvent fantastique qu'il devait perdre, sauf rares exceptions, en découvrant la parole et trop souvent le bavardage. Eve, comme la première femme, mais Lilith, on le sait, la précéda selon certains textes et certaines civilisations, parfois aussi assimilée au serpent de la Création. Le personnage de Lilith-Eve est donc multiple, protéiforme, insaisissable. A le fin du livre on n'est pas sûr d'avoir saisi l'essentiel, mais on a voyagé dans un monde impalpable et fugace, de pellicules détruites, de fatales attractions, de léthales répulsions.
Passionné de cinéma j'ai emboîté le pas du narrateur, Philippe Pratx doit parfois lui ressembler, sur les traces de Lilith, qu'en cinéphile déférent il tire du côté de Garbo, femme dont on finit par douter de l'existence, une sorte de femme-départ disponible pour des lendemains d'interrogations, toute une palette de lieux sous influence littéraire,Villiers de l'Isle-Adam ou picturale, Chirico, Delvaux. On y croise des personnages réels, Chaplin, un tout petit peu, ou Michael Curtiz du temps de Mihaly Kertesz, ,ou Tod Browning, ou de vrais producteurs, Zukor, Laemmle, tous venus de l'Est. Ou des êtres tout droits sortis de la fertile plume de Philippe Pratx. Ambiance expressionniste très Mitteleuropa, la sanguinaire Comtesse Erzsebeth par exemple, mais le surréalisme pointe parfois son nez et la construction chapitrée du livre évoque les serials, les Fantomas ou Les Vampires à la Feuillade.
Le soir, Lilith est un beau roman, riche, trop parfois, sous influence mais sachant aussi battre sa propre mesure, faisant appel au lecteur, troisième part de cette trilogie après l'auteur et les personnages. Quant à moi, blanchi sous le harnais des salles obscures, j'ai pensé à Murnau, à Stroheim, à Sunset Boulevard. Mais c'est avec Paulina 1880 que commence le livre de Philippe Pratx, figure emblématique d'une littérature assez difficile, personnage si complexe entre le criminel et le sacrificiel. J'avoue que ça m'a fait peur, peu conquis que j'ai été par la lecture d'ailleurs récente du roman de Pierre-Jean Jouve. Des embûches, il y en a d'autres au long de Le soir,Lilith, de celles qui font la littérature dont on sort, heureux et fatigué, après avoir tenté des annés durant de comprendre qui était vraiment Lilith. Exigeant et envoûtant, c'est parqué sur la quatrième de couverture.Exact.
N'ayez pas peur, et abordez l'histoire de Lily aux côtés du narrateur, lui qui peine tant à écrire la biographie de Lilith, enquête-hommage par delà la pellicule de passage, par delà le souvenir incertain, par delà le mystère accompli. Homme de son temps, Philippe Pratx accompagne son roman de cette belle vidéo starring Garbo, un condensé des films d'Eve Whiteland, qu'on croit avoir vus, c'est dire la réussite de l'entreprise. Merci Philippe.
Ce cher Saturnin
Saturnin Farandoul revient de loin.Quelques bloggers dont l'excellent Flaneries ciné m'ont conduit à le repêcher in extremis et à me régaler de la simplicité et de l'imagination de ce cinéma de l'aube.Adapté des aventures écrites par Albert Robida, écrivain que j'ignorais et qui est pourtant né dans la ville de mes années de lycée,Compiègne,ce long métrage a été restauré de façon très convaincante. Saturnin Farandoul rescapé d'un naufrage a vécu sur l'Ile aux Singes qui l'ont éduqué mais il lui faut d'autres espaces.
On retrouve donc les inénarrables exploits de Saturnin en lutte contre un savant mi Tournesol,mi Mabuse,puis en quête de l'éléphant blanc sacré du roi de Siam,en héros de western à la poursuite d'un gangster nommé...Phileas Fogg.Tout comme si Robida avait un compte à régler avec Jules Verne.A l'heure ou le cinéma tourne à mon avis au barnum d'attractions foraines assommantes,prouvant que Méliès avait finalement vu juste, autant retrouver le spectaculaire d'antan,bon enfant et digne de la lanterne magique. Arte propose régulièrement une redécouverte de muets oubliés.Bonne idée.Les aventures extraordinaires de Saturnin Farandoul date de 1913,signé Marcel Fabre et Luigi Maggi.Il est "quasiment" en couleurs.
La mort dans l'île
En 1930 le grand Friedrich Wilhelm Murnau ne sait pas,lorsqu'il tourne dans les mers du Sud,qu'il mourra sur une route de Californie quelques jours avant la sortie du film.Il vient de quitter Hollywood après avoir tourné entre autres le plus beau film de l'histoire du cinéma,L'aurore.Avec Robert Flaherty,grand documentariste de Nanouk et L'homme d'Aran,Murnau débarque dans le Pacifique où ses acteurs,tous des natifs,n'ont pour la plupart jamais vu de caméra.L'idée de Murnau est de retrouver nature et naturel au sein d'un lagon paradisiaque qui s'avérera d'une grande cruauté.On suit bien le paradoxe de ces sociétés primitives et,rousseauisme oblige,on rêve d'une histoire d'amour et de nacre.Mais la tradition veille,cette tradition qui,si elle vacille,ne rompt jamais,ni en Polynésie en 1930 ni ailleurs,ni plus tard,avec son visage odieux derrière le masque exotique et idyllique.La jeune fille est en fait promise à devenir une vestale,grand honneur chez le peuple océanien,mais drame shakespearien quand on aime un jeune pêcheur.
En fait il semble,mais les avis diffèrent,que Murnau et Flaherty ne s'entendent pas du tout et sur aucun point de vue.Il restera peu de choses de Flaherty dans Tabou dont le côté fictionnel est vraiment la touche Murnau.Selon certains historiens Flaherty disparaîtra carrément du générique.Il demeure que ce film rompt avec tous les films antérieurs de Murnau,allemands ou américains,et Tabou continuera de briller au firmament du cinéma comme une perle dans la limpidité océane.Personnellement Story of South Seas me touche bien que je ne puisse m'empêcher de lui trouver une naïveté roublarde et un côté Murnau en vacances de dandy sur son yacht.Mais cette pancarte Tabu dans les eaux de Bora-Bora est à mon sens l'une des plus belles images de la mer au cinéma.
Les dessous de la reine
En 1928, Erich Von Stroheim était considéré comme probablement génial mais ingérable, ambitieux et talentueux mais si pointilleux, et si difficile,et Gloria Swanson comme l’une des actrices très en cour. Avec Joe Kennedy,le douteux père d'hommes politiques dont il s'avéra que bien qu'assassinés ils étaient loin d'avoir toutes les vertus y compris sur le plan politique, en tant que coproducteur, les deux stars pensaient réaliser avec Queen Kelly un film qui ferait date.. Mais une fois encore Stroheim allait mériter son statut de maudit.Après trois mois de tournage, Le Chanteur de Jazz fait son apparition et bouleverse le paysage cinématographique.On peine à imaginer aujourd'hui la panique qui saisit producteurs, acteurs,réalisateurs,et tous les techniciens de cette industrie basculant dans le parlant,ou du moins le sonore.Beaucoup de poisse pour un film,Stroheim et ses exigences n'étant pas le moindre frein à sa propre carrière. Joseph Kennedy décide d’arrêter les frais et de bloquer le film pensant qu’un muet était désormais voué à l’échec. Gloria Swanson décide néanmoins de tourner une fin hâtive qui voyait la mort de son personnage et le suicide du Prince Wolfram fou de chagrin.Stroheim refusa de voir cette œuvre ‘bâtarde’ distribuée aux U.S.A. En effet, de trente bobines (5 heures de film) initialement prévues, il n’avait pu en tourner que dix.
Queen Kelly est à mon sens avec Greed et Foolish wives l'une des trois pièces maîtresses de la saga stroheimienne.Une fois de plus ce film lui a échappé mais ce qu'il y a de vraiment fabuleux avec Stroheim c'est que même disgrâciées et atrophiées ses oeuvres restent pure merveille de cinéma.Les deux premières scènes du film sont admirables.La présentation de la reine Régina dans son lit,entourée de ses alcools,ses cigares et ses drogues,nudité voilée par un chat particulièrement débile,est ahurissante de férocité,allégorie de la fin des empires européens,de la décrépitude de leurs héritiers,de la fin d'un monde qui fut encore celui de l'enfance de Stroheim à Vienne.Antithèse presque parfaite la deuxième scènes nous montre un conte de fée au cours duquel un Prince tombe amoureux d’une orpheline rencontrée au bord d’une route,en promenade avec ses condisciples du couvent,le tout d'une blancheur virginale. L'officier,fiancé de la reine,se révèle un personnage attachant, noceur, libertin et bon vivant mais capable de romantisme et de sentiments à ses heures.Les lignes formées par le groupe des orphelines et celui des cavaliers sont un bien joli moment de géométrie cinématographique. Queen Kelly est un film parcouru de sensualité,d'érotisme et vire à une certaine obscénité dans les ultimes séquences africaines,manifeste surtout dans cet ahurissant mariage entre le vieux souteneur libidineux, syphilitique,baveux et alcoolisé et la jeune héroïne sur le pas encore cadavre d'une improbable tante qui lègue à Kelly ...son bordel au Tanganyyka.
Tully Marshall est remarquable de monstruosité dans la peau de ce personnage. Ces vingt minutes de démesure ont failli ne jamais voir le jour.Le film se termine ici, le reste prévu dans le scénario nous étant résumé en quelques minutes à l’aide de cartons et photos de tournage.Tout compte fait l'extravagance assumée du scénario qui ne craint pas les injures à la vraisemblance,le baroque parfois kitschissime et brutal des oppositions,la flamboyance du noir et blanc et de l'Europe Centrale à l'Afrique presque australe,le dialogue nord-sud ainsi explosif,font de Queen Kelly malgré ses manques et ses outrances un des meilleurs films muets de la dernière période.Et surtout,pour moi,une de ces oeuvres qui me font penser que le cinéma a souvent perdu en se mettant à parler et surtout,trop souvent à causer, causer, causer...
L'inquiétant et dispendieux Monsieur Stroheim
Je bûche un peu sur ce pionnier si méconnu pour une communication dans une délicieuse association dénommé Université du Temps Libre et c'est en gourmet que je me suis plongé dans ce qui reste du Stroheim à Hollywood,ce dernier devançant de peu Orson Welles dans la catégorie des auteurs mutilés, artistiquement s'entend car Stroheim n'était nullement gêné par un quelconque corset comme je l'ai crû si longtemps.En 1922 Stroheim réalise un film très fort,faisant dans la grandeur et la démesure d'un Monte Carlo reconstitué avec moult dépassements du budget Universal de Carl Laemmle.Dans ce Foolish wives,Folies de femmes,il fallut bien sûr couper au grand dam du pseudo aristo autrichien.Aucun film de Stroheim n'existe plus vraiment tel qu'il l'avait imaginé.Mieux,enfin pire,aucun film de Stroheim n'a jamais vraiment existé.Et surtout pas Les rapaces mais nous y reviendrons.
Mythomane,enjôleur,arrogant,entêté, Erich von Stroheim qui n'avait rien d'un prestigieux officier austro-hongrois et tout d'un ambitieux s'est très vite heurté aux magnats des studios,albatros incontrôlable.Folies de femmes est son troisième film en réalisateur,le deuxième ayant disparu.C'est peu dire que Stroheim n'avait pas peur d'en faire beaucoup.Beaucoup de noirceur,beaucoup d'argent,beaucoup de sensualité.Rappelons que nous sommes en 1922.Stroheim recrée Monte-Carlo en studios d'une façon extraordinaire,avec ce souci du détail qui coûtait si cher.Arrivé aux Etats-Unis en 1909 à bord du Friedrich-Wilhelm,tout un symbole de la fascination dont fera toujours preuve l'américain Von Stroheim pour sa vieille Europe impériale,princière puis ruinée.Tous ses films de metteur en scène sauf Greed ont pour cadre cette Europe qu'il a quittée bien avant les périls.Et Folies de femmes particulièrement permet à Stroheim en personne de jouer le faux comte mais vrai escroc Karamzin qui avec quelques comparses essaie de mener la bonne vie sur la Côte d'Azur,peu regardant sur les méthodes pour séduire et s'enrichir.Par exemple en draguant la femme de l'attaché d'ambassade américain.
Les constantes dans l'oeuvre de Stroheim sont la fascination et la répulsion,la manipulation et la cruauté,la morgue et le mensonge,la trahison et l'humiliation.Je sais c'est lourd mais Stroheim n'a jamais hésité à pointer les tares de cette Europe entre deux meurtres,ni d'ailleurs les défauts de cette Amérique du profit et des laissés pour compte.La Villa Amorosa,superbe sur les rochers,abrite le simili Comte Karamzin,noble russe toc,et ses deux cousines,complices en escroquerie. Toujours impeccablement sanglé dans son uniforme impérial le Comte s'entraîne au tir.Ce plan est déjà magistral.Toujours l'épée au fourreau,le monocle distingué,gants immaculés,Karamzin aurait pu être un Arsène Lupin slave.C'est une ordure qui au bout du film n'aura reculé devant rien pour arriver à ses fins,archétype parfaitement incarné par Stroheim lui-même (mais qui d'autre?).Folies de femmes est pour moi,bien que raccourci par Hollywood,son film le plus fort.Vénéneux,diabolique,où j'ai cru voir des foules de choses, antigermanisme mais antiaméricanisme de la part de ce quasi apatride,mépris et lucidité,génie surtout de cet immense créateur dont il faudrait citer toute la durée du film.Peu expert en modestie Stroheim met dans les mains de l'épouse courtisée le livre Folies de femmes de l'auteur Erich von Stroheim.Accessoirement,en fait pas du tout accessoirement,Stroheim,qui n'a jamais porté les armes,règle son compte à la guerre en trois scènes sublimes montrant un officier amputé des deux bras,toisé par la sainte-nitouche dont il ne ramasse pas le sac à mains.Cet immense cinéaste mériterait tellement qu'on revoie ses films,décimés, meurtris, décapités,malades mais géants.
Onirique qui mal y pense
Mes souvenirs d'Edgar Poe sont estudiantins, antédiluviens.La chute de la maison Usher,mêlée à quelques éléménts du Portrait ovale ont fourni à Jean Epstein la matière à un bien beau film en 1928.J'ignorais Epstein et l'ami Nightswimming chroniquant Finis Terrae m'a donné envie d'en savoir un peu plus.Assisté d'un jeune Espagnol nommé Luis Bunuel Epstein nous offre un poème d'une grande richesse plastique qui ne cède en rien aux clichés d'un fantastique trop codé.Théoricien du cinéma,ses rencontres avec Cendrars,Gance,Germaine Dulac,sa collaboration avec Delluc,sa passion de la littérature (Balzac,Sand,Daudet furent adaptés par lui),et son intérêt pour le documentaire ont fait de Jean Epstein un créateur indéfinissable dont il faudrait sérieusement revoir l'essentiel,ou ce qu'il en reste.
Comme le veut la tradition familiale Roderick Usher dans son manoir peint son épouse Madeline mais celle-ci dépérit quand le portrait prend vie.Oscar Wilde probablement s'en souviendra.Aux confins de la vie et de la mort Epstein utilise magnifiquement le ralenti,ce qui ne fera pas école hélas. Songe ,crypte, tissu de fils envoûtants d'étangs et de frondaisons,il me semble que les arbres de La chute... sont les plus beaux qu'il m'ait été donné de voir.Encensé par bien des critiques le film n'aura jamais l'aval du public mais le lui a-t-on vraiment jamais proposé,au public?
On a failli perdre Charlot
En 1923 Chaplin,déjà très populaire mais un peu las de n'être pris "que" pour un comique,fût-il génial,tourne L'opinion publique,film qu'il pense être un très important virage pour sa carrière.Important L'opinion publique l'est,à l'évidence.Mais fort heureusement personne n'aima ce film,ni critiques,indignés de voir Chaplin prendre l'accent grave,ni public,orphelin de son doux vagabond malchanceux.On l'a échappé belle.Songez que l'on n'aurait peut-être jamais connu Gold rush,Kid,Modern Times,City lights.Quant à Great dictator et Verdoux allez savoir!
C'est que L'opinion publique est un mélodrame mondain,situé en France (A woman of Paris) pour atténuer la charge sur la société américaine.Lubitsch et Stroheim,ces Européens devenus américains auraient pu signer ce film.Très élégant de mise en scène,avec le sens des objets pour favoriser ellipses et légèreté,ce marivaudage grave fort bien interprété,Adolphe Menjou notamment en viveur presque touché,est une perle rare longtemps invisible ou presque.Chaplin indique par sous-titre et dès le générique qu'il est absent de ce film(enfin,une silhouette).Une scène un peu orgiaque et très belle traverse le film lors d'une partie chez les riches oisifs.Elle est très significative et déplut souverainement.Le triangle amoureux,pourtant même pas vraiment adultère,fut fort mal reçu et interdit dans certains états.
Dépourvu de happy end mais non d'une rédemption post-tragique qui a certes pris des rides (1923 rappelons-le) L'opinion publique a vogué son chemin, culte, rare,ignoré par Chaplin lui-même.On sait maintenant que c'est une oeuvre splendide,intelligente,dépourvue de toute démagogie du trottoir,ce qui aurait pu être tentant.Mais,bon sang,on l'a échappé belle.
A la lanterne
On est évidemment encore loin des Riches heures du muet.L'expo La lanterne magique est un joli moment d'histoire,d'évasion et d'étonnement.Ce pré-,que dis-je,ce proto-cinéma est très riche d'inventions,de couleurs,de fantaisie aussi.Depuis 1659 la lanterne magique née en Hollande a conquis l'Europe.Elle a servi à tout: distraction, religion, morale, révolution, propagande, pornographie, pédagogie,science.
A l'évidence elle a influencé Verne,Méliès,Bunuel, les Surréalistes, Bergman, Lynch.Coppola signe la préface du copieux catalogue.On peut même s'amuser à manipuler les tirettes pour animer quelques scènes. Proust,Prévert lui ont consacré quelques belles lignes.et à l'heure où l'on semble redécouvrir Fellini comment ne pas faire le lien entre le plus magique des montreurs d'imaginaire et ce jouet extraordinaire que la Cinémathèque nous propose en différentes versions aux noms parfois très compliqués mais qui rutilent,qui rutilent?Le cinéma,attraction foraine?Ah oui alors et dans toute sa grandeur...