L'Ecrivraquier/7/L'amour du lot
Ce texte, délivré par L'Ecrivraquier, s'inscrit aussi dans la délicieuse fantaisie ludique et mensuelle de Filigrane (La Licorne), qui ce mois-ci nous priait d'un sonnet dont le premier vers serait celui d'un poème célèbre.
Les nuages couraient sur la lune enflammée
L'avait bien dit, l'Alfred et l'agonie canine
En une lande alpestre ou faut-il dire alpine
Eut son petit succès, hop, un quatrain. Calmé,
Canis lupus, se sachant ainsi en sursis
Ni agneau ni renard lui laissant le beau rôle
La Fontaine tari, la Faucheuse le frôle
Maître Loup voit sa fin, le mode en est précis.
Oublions le cruel et ne pensons qu'aux yeux
Lubriques à souhait que le Tex intégral
Lui octroya devant des appâts généreux.
Ainsi je m'ysengrine, ainsi, je m'enlouvise
Exophtalmé, étoilé devant le sein graal
Qui et le coeur et l'âme et les sens m'atomisent.
Outre la Licorne je me dois de remercier par ordre d'entrée en scène Alfred de Vigny, Jean de La Fontaine et Tex Avery.
L'Ecrivraquier/6/Lendemains
Guilllaume et Charles, merci d'avoir existé, et d'aider les désarçonnés.
Passent les jours et passent les semaines,
Ni temps passé ni les amours reviennent.
Comme il avait raison le trépané grippé.
Rien à espérer sur ce thème horloger.
Tant d'autres l'on déjà fait, me cachant l'or du ciel
Qui dessèchent et ma plume et tarissent le miel
Qu'immodeste je croyais un peu mien
Aux jours d'antan émouvants et sereins.
L'heure ne semble plus aux lits d'odeurs légères
Seuls les divans tombeaux restent de Baudelaire.
Se résoudre au calme de l'oubli
De ces médiocrités alourdi
Cheminer sous la dague, claudiquer
Voir là-bas l'érèbe guetter
Fièvre ultime
Déraison de l'intime
S'en accommoder, s'assoupir?
Non, ce serait susciter l'ire
De ces deux soeurs,
Leur briser un petit bout de coeur
Alors, bosselé et goutteux
Couturé, besogneux
Je ne mouline ni ne claironne
Ni ne fanfaronne
Ce retour de guerrier fatigué
Décidé.
L'Ecrivraquier/5/Un attardé
J'écrivais un roman policier, ou rêvais-je que j'écrivais un polar. Je ne me souviens pas de grand-chose, M. le Commissaire. De toute façon, réel ou pas, ça a salement avorté et j'ai pas envie d'en parler. Voilà, puisque vous insistez. O.K. J' avais un peu bu la veille,mais c'était au Rick's Cafe, c'est presque une excuse, non? Ah! Je vois que vous ne connaissez pas le Rick's Cafe, M. le Commissaire. Dommage. Bref, oui j'avais presque fini ce satané polar, c'était ma dernière nuit pour y mettre la dernière main. Je croyais qu'avec ce bouquin pas mal bâti je sortirais la tête de l'eau, que mon fils accepterait de me parler à nouveau, que mon chien guérirait, ou le contraire, je sais plus bien. Je croyais n'importe quoi. Mais putain, oh pardon! M.le Commissaire, mais pourquoi vous vous obstinez à ne pas me croire? Et qui vous dit que ce texte ne peut pas avoir été écrit tout récemment? Je ne me prends pas pour Simenon mais je vous jure, c'est moi qui l'ai tapé pas plus tard que le mois dernier. Elle s'était tirée quelques semaines avant. Et pourquoi cette histoire ne serait-elle pas de moi?
Je vais vous le dire, ce qui vous rend suspect, au moins d'un beau mensonge, ou pire encore. Si vous voulez qu'on ait foi en vos propos, en vos écrits, il faut vous mettre au goût du jour. Cest tout simple.Et je m'explique mal pourquoi vous vous êtes ainsi piégé. Vous, un type plutôt intelligent. Enfin dit-on. Personne, mais personne ne peut croire un seul instant que vous ayez écrit une énigme policière où le notaire est innocent. Ca ne se fait plus depuis des décennies. Incorrect. Où irions-nous, voyez-vous, dans une société où même dans la fiction littéraire, on aurait le droit de déclarer hors de cause un notable de Montluçon. Ou de Châteauroux, faites pas semblant de ne pas comprendre. Quoi? En plus vous vouliez que le bouc émissaire, indispensable dans tout polar, soit coupable? Mais vous relevez de la psy, mon ami. Et croyez-moi ou non, je pèse mes mots.
L'Ecrivraquier/4/Lac aux âmes
Le cygne était seul et immense
Plus de reflets dans l'onde
Plus même les assassines saulaies
De la blonde Ophélie
Le grisâtre veillait au grain
Enfuis les lustres, les couleurs
C'est peu de choses un lac
Réceptacle inaudible
Regrets de soirs d'été
Zéphyr cinglant la houle
Le reste, inanimé, comme à vau-l'eau
Vie qui s'assèche
Galets exsangues
Mutique ressac.
L'Ecrivraquier/3/Le tiroir
Ils me croient tous né dans la Rome néoréaliste, me croient grandi par delà les grilles de Xanadu. Les plus effrontés pensent que les restes de mon acné juvénile datent de la Marquise des Anges. Plus sérieusement il arrive qu'ils me consultent sur les querelles, celle de Chaplin et Keaton, ou celle des des Cahiers et de Positif. Un soir à l'Edito quelqu'un m'a demandé mon avis sur Gilles Deleuze. Jeudi dernier j'ai craqué et confessé que je n'avais rien vu du cinéma underground des frères lituaniens Adolfas et Jonas Mekas. J'ai beau leur dire que ma vie n'est pas un travelling panoramique et que je n'ai vu que 3353 films. Même si j'en ai vu certains douze fois. Rien n'y fait. Ils m'ont posé là, dans la case Septième Art, et c'est ainsi. Je leur ai pourtant juré que je savais lire.
L'Ecrivraquier/2/Mon petit bal viennois
Le Prater en juillet connaissait la chaleur épaisse de cette Europe Centrale qui le faisait rêver. Vienne certes ne dansait plus tout à fait comme avant mais sous le soleil qui fusillait la foule, des promeneurs de tous âges, souvent en culottes courtes, se pressaient tant aux attractions toutes récentes qu'aux baraques à l'ancienne, bien rénovées depuis longtemps déjà. Certains arboraient l'ultraditionnel chapeau à plume. Facile de se gausser. Peu lui importait. La veille la Hofburg l'avait épuisé mais son pélerinage viennois avait ses incontournables. Demain il cheminerait des heures durant dans le parc de Schönbrunn et boirait du frais Grinzing issu de ces vignes visibles du haut du Stefansdom.
Mais aujourd'hui Harry Lime l'attendait. Le grand escogriffe, l'un de ceux à l'origine de sa légendaire pathocinéphilie, il savait qu'il serait au rendez-vous. Il allait prendre son ticket pour la grande roue. Non, la Grande Roue, celle-là mérite des majuscules. Moquant allégrément et sur un air de cithare celles de Londres ou de Paris et alors qu'un orphéon n'avait pas cru le priver de la Marche de Radetzky il prit un billet et les portes de verre l'accueillirent. De là haut il verrait le Danube, loin et pas bleu. De là-haut L'empire d'Autriche-Hongrie revivrait un court instant. Même si ni sur le Ring, ni au Belvedere ne paraderait plus aucun Habsbourg.
L'Ecrivraquier/1/La manif
Il s'était finalement décidé. Pourtant il n'avait pas la culture de la manifestation. On dit ça, souvent, des belles âmes, des sensibles, des prompts à arpenter, pour une bonne cause, qu'allez-vous chercher?. Mais pas lui, toute sorte de grégarisme lui était insupportable. Mais on disait qu'il y avait presque le feu. On n'allait tout de même pas laisser ce type investir notre beau théâtre à l'italienne? Alors, traînant les pieds, il s'apprêtait à rejoindre la Place de l'Hôtel de Ville, bien pleine somme toute. Il avait plus tard évalué à 3000 personnes environ, selon ses propres calculs, officieux, cela va sans dire. Pas mal pour une ville moyenne, très moyenne parfois. Percussions et slogans, drapeaux bien-pensants, mais c'est un pléonasme pour celui qui le brandit. Il tombait quelque pluie, trois fois rien, en ce petit soir, alors bon, ses principes...
De fait ils étaient presque tous là, ses amis, ses connaissances, ses ni l'un ni l'autre. Tant de monde ne pouvait avoir tort en même temps. Mais il n'était pas question qu'ils aient tort, mais non. Il lui sembla que quelques dizaines n'étaient pas excitées que par la défense de la démocratie. Mais une manif est rarement avare de petitesses. Après tout il en était, du bon côté, de celui qui est juste et tolérant, forcément. Fleurissaient quelques calicots, welcome aux uns, go home aux autres. Allez savoir pourquoi même les si françaises manifs s'anglicisent parfois. Les insultes à l'encontre des 150 partisans du type du théâtre, regroupés sur les marches, par contre, se faisaient en français vert au son des djembés.
C'est alors qu'il l'aperçut. Leur liaison, de notoriété publique, n'était plus depuis des années. Mais elle courut vers lui, l'embrassa, et le fracassa d"un "Oh! Ca me fait plaisir que tu sois venu". Ouf, il l'avait échappé belle. Nanti de cet aval, presque officiel, il n'était plus obligé d'attendre la dispersion. Il pourrait rentrer assez tôt. Tranquille. Il faut se méfier des manifs où l'on n'apparait pas. On pourrait croire des choses.
L'Ecrivraquier (présentation)
Le mot-valise écrivraquier me semble explicite. Comme le vraquier, bateau généraliste qui transporte toutes sortes de marchandises, la rubrique L'Ecrivraquier véhiculera ce que j'ai envie d'écrire, pensées, brèves, poèmes, idées, traits d'humour, enfin tentatives, divagations, banalités et billevesées, aphorismes et àpeuprèsismes, le tout brut de décoffrage sans clés ni explications, de ci de là, cahin caha.
Avec les errances, les échouages et les perditions inhérents à la fonction. La périodicité en sera pour le moins aléatoire. Et la durée de vie tout autant. Et la qualité... L'originalité je ne sais pas. Nulle originalité par contre mais toute ma sincérité dans mes voeux 2016 à vous tous, passagers habituels, fréquents, occasionnels ou rares, sur ce blog qui approche dangereusement les dix ans d'âge, ce qui implique parfois des signes d'essoufflement.
De plus, comme ce vendredi tout est permis, je me suis octroyé le droit de massacrer quelques arpèges de Naked as we came de Samuel Beam (Iron and Wine). On est comme on est.