Et si...Et si... version Melbourne
Troisième lecture de l'auteur australien Elliot Perlman (Trois dollars, La mémoire est une chienne indocile), qui m'avait déjà réjoui. Ce roman explore le monde de l'entreprise, plus exactement celui très particulier des ressources humaines. Un grand cabinet d'avocats, une société du bâtiment, tous deux au coeur de Melbourne. Deux puissances qui s'épaulent et parfois se déchirent.
On ne quitte pas la ville et on ne déserte guère les milieux d'affaires, ce qui pourrait s'avérer vite ennuyeux. Or ça reste picaresque et somme toute comique avec beaucoup de causticité. Le harcèlement sexuel est un prétexte à explorer les multiples faux- semblants et chausse-trappe qui sont le quotidien de ces grandes entreprises. Mais Et si le cheval se mettait à parler reste une comédie et non un réquisitoire. Les manipulations internes et les coups bas juridiques sont un peu obscurs et pour tout dire c'est parfois compliqué.
Mais l'ambiance y est. Les plus puissants sont pleins de morgue et les moins favorisés ont les dents longues. Cadeaux empoisonnés, inénarrables réseaux sociaux, indiscrétions, l'on fouine pas mal dans ce roman. Plaignantes victimes, elles-mêmes plus ou moins machiavéliques, harceleurs moyens, très moyens, la société australienne de Melbourne n'en sort pas grandie mais ne sommes-nous pas tous des Australiens et les antipodes ne se rejoignent-ils pas forcément pour le meilleur? Mais à tout prendre la créativité se loge parfois dans les memos et les machines à café.
- Vous êtes l'avocat de ses adversaires! Comment pourriez-vous l'aider?
- Vous voyez tout ça sous un angle antagoniste. Moi je suis créatif. C'est une version postmoderne dr la résolution de conflit alternative.
- Betga, mais enfin comment voulez-vous être à la fois l'enquêteur de Torrent et l'avocat des parties adverses?
Cependant Et si le cheval se mettait à parler n'atteint pas l'intensité si profonde de La mémoire est une chienne indocile.
Arrêt d'octopus
Lecture commune australienne et maritime avec Val. (La jument verte de Val) Val dont je subodore les talents sous-marins et le goût pour les encornets. Tasmanienne plus exactement, la lecture. Cette île au sud-est du continent est une aventure en soi. Et c'est bien à une aventure que nous convie Erin Hortle en ce territoire des antipodes. On est prié de n'être ni trop raisonnable ni trop rationnel pour fréquenter le Neck, cet isthme étroit comme...un isthme, là où les poulpes semblent mener une vie débridée au point de se faire écraser comme de vulgaires hérissons.
Soit donc une héroïne du bout du monde qu'un cancer a conduite à l'ablation des seins suivie d'une reconstruction. Soit un poulpe femelle qui traverse la rue mal à propos. A priori on conçoit mal cet attelage. Pourtant Erin Hortle, jeune auteure de là-bas, et sur la mappemonde c'est plus bas que là, nous concocte une abracadabrantesque mais délicieuse variation sur la féminité peut-être mais pas seulement. On y explore un peu la vie des animaux, phoques et puffins, ces oiseaux marins dont se régalent, ou se régalaient les autochtones (je ne sais pas trop, n'étant pas allé en Tasmanie depuis des siècles), y ont un rôle important.
La fable est écologique bien sûr mais sans être trop culpabilisante. L'héroïne est un personnage complexe et assez envoûtant, en tout cas d'une grande originalité. N'en disons guère plus afin de ne pas écorner l'évolution ni déflorer le parcours de Lucy. Lucy qu'une pêche au poulpe transformera. Sachez seulement que les mammectomies l'emméneront chez une tatoueuse de talent. Mais le poulpe, ainsi gravé, ne deviendrait-il pas envahissant.
Les céphalopodes sont d'une intelligence supérieure, semble-t-il. Vous verrez vous-mêmes. J'oubliais. Outre les phoques et les puffins quelques hommes passent dans la vie de Lucy. Dans l'ensemble moins intéressants. Mais Lucy, elle, vous ne risquez pas de l'oublier. L'illustration musicale de cette chronique est assurée par un groupe que l'on ne risque pas d'oublier non plus. Pas évident, les chansons sur ce thème sont assez rares.
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Les ailes de la paix
Quel beau roman, inattendu et surprenant. L'auteur est australien et je ne l'avais jamais lu. Je l'ignorais et le hasard, alors que je viens de chroniquer le recueil Compagnie K, fait qu'une grosse moitié de L'infinie patience des oiseaux se déroule sur le front de Flandres, pendant la Grande Guerre. Ashley et Jim, deux amis du Queensland, ont en commun la passion des oiseaux. Et la première partie de ce roman assez court est consacrée à leur rencontre au coeur des marais de l'Est australien. Quelques dizaines de pages nous plongent avec délices dans la richesse ornithologique du milieu. Il observait un échassier sur un pan de berge marécageuse, l'un de ces petits chevaliers sylvains qui apparaissent chaque été et viennent, pour la plupart d'entre eux du nord de l'Asie ou de Scandinavie où ils vont nidifier sur le toit du monde dans les toundras ou les neiges norvégiennes avant de reprendre leur longue route vers le sud.
Et ce livre, parti comme une belle méditation sur la nature, la beauté, voire la perfection, agrémentée de la rencontre d'une photographe anglaise amoureuse des oiseaux, semble prendre son envol, magnifique probablement, peut-être un tout petit peu convenu, mais prometteur de couleurs et d'arabesques. Et puis, comme le monde de 1914, il explose en plein vol. Jim et Ashley, aux antipodes de la France en guerre, se retrouvent dans la boue des tranchées. Rarement a-t-on vu un tel grand écart, dont je n'avais aucune idée. C'est que la plume de David Malouf est aussi alerte et lumineuse dans les descriptions des pluviers à face noire ou des bécasseaux maubèches (très amateur de la gent ailée, rien que les noms me semblent poésie) que dans celles des rats revêtus du même uniforme vert-de-gris que l'ennemi invisible, qui étaient aussi gros que des chats et ne reculaient devant rien, vous galopant sur la figure dans l'obscurité et sautant hors des musettes, bondissant même pour s'emparer de croûtes juste sous votre nez.
Très original, ce court roman, publié en 83, donne très envie de lire cet écrivain maintenant âgé, apparemment une institution dans son lointain pays. Et aussi en ce qui me concerne, une envie d'un gros livre sur les oiseaux, courlis, bargettes, glaréoles, huîtriers... De grands libres... J'ai la chance d'avoir à quelques hectomètres une importante zone humide, un peu moins exotique mais tout de même, mouettes, hérons cendrés, grèbes huppés et marcheur frustré (ça c'est moi).
A propos d'un balayeur des rues
Cette fois ma chère Val et moi nous sommes attelés aux 768 pages (en 10-18) de La mémoire est une chienne indocile, traduction littérale de The street sweeper, ahurissant n'est-il pas, de l'Australien Elliot Perlman. C'est une opération qui, en ce qui me concerne, a pris du temps. C'est un roman qui revient sur la Shoah, mais par des voies multiples qui égareraient presque le lecteur. Pourtant ce livre ne manque pas de grandeur pour peu que l'on s'attache avec soin aux différentes approches de l'horreur, de sa mémoire et de son enseignement. N'ayant pas lu Les bienveillantes de Jonathan Littell je ne peux comparer mais Elliot Perlman va très loin dans son analyse précise et quotidienne des camps. Parfois la sinistre comptabilité d'Auschwitz est insoutenable à la simple lecture et ce livre est vraiment très éprouvant. On mesure le travail de documentation qu'a dû effectuer l'auteur.
Mais la solution finale n'est qu'une des dimensions de cette oeuvre, fleuve et phare. Lamont Williams, balayeur des rues, est un modeste Afro-américain en probation post-prison qui recueille à l'hôpital les souvenirs d'un vieillard en phase terminale. Henryk Mandelbrot est un survivant d'Auschwitz. Par ailleurs, Adam Zignelik, professeur d'histoire, lui-même juif, exhume les premiers témoignages sonores de rescapés de l'Holocauste. Mais La mémoire... brasse bien d'autres thèmes et tisse une toile assez prodigieuse, laquelle enserre le lecteur et lui donne furieusement envie d'en savoir plus malgré la complexité parfois technique du texte. Notamment les pages sur la question, qu'Adam étudie aussi de très près, de la présence des noirs américains lors de la libération des camps. On connait la récurrence et le trouble de cette interrogation dans (une partie de) la société américaine.
Allant et venant sur les décennies, comme toute mémoire, The street sweeper photographie aussi l'Amérique de notre instant, difficulté de réinsertion de Lamont, racisme ordinaire, quelques beaux moments aussi sur le très grand âge quand Adam visite de très rares survivants dans une maison de retraite de Melbourne (les fameuses boîtes à mémoire, Hannah qui réclame de l'eau comme en douce, encore un peu à Auschwitz), rigidité de systèmes éducatifs, Adam mis en cause en tant qu'enseignant, tyrannie des publications. Et une foule d'autres choses sur le mal vivre de tous ces personnages, nombreux à traverser le siècle, certains très peu de temps, vivants, morts, conscients ou non. Ils sont juifs, ils sont noirs, d'ici ou d'ailleurs, leurs grands-parents, leurs ancêtres ont vécu l'horreur. Nul n'en est indemne.
La mémoire est une chienne indocile. Elle ne se laisse ni convoquer ni révoquer, mais ne peut survivre sans vous. Elle vous nourrit comme elle se repaît de vous. Elle s'invite quand elle a faim, pas lorsque c'est vous l'affamé. Elle obéit à un calendrier qui n'appartient qu'à elle, dont vous ne savez rien. Elle peut s'emparer de vous, vous acculer ou vous libérer. Vous laisser à vos hurlements ou vous tirer un sourire.
On ne résume pas un tel livre. C'est le livre qui vous prend dès les premières lignes, dans le bus de Lamont, et ne vous lâche plus beaucoup. Le voyage est long, parfois compliqué, emprunte des méandres et bute sur des impasses. Et puis un jour, un beau jour finalement, un historien juif, une jeune oncologue, nommée Washington, et un modeste balayeur décident de se parler. C'est une lecture indispensable. Et j'ai eu tort de persifler sur le titre français.
P.S. Je dédie cette chronique à Karel Schoeman dont j'apprends à l'instant la disparition (samedi 6 mai, 19h). Ce Sud-africain était un écrivain fabuleux. D'ailleurs sa photo est depuis longtemps ici présente, en bas à droite, en tête de mes écrivains majeurs. Et ses romans ne sont pas sans rapport avec la mémoire ou le racisme. Ils sont en tout cas d'une profondeur...
Et le wombat cessa...
Kenneth Cook,Ce vieux briscard des antipodes est décidément infréquentable.Je le sais depuis Cinq matins de trop et A coups redoublés. Mais qu'est-ce qu'on se marre avec lui. D'accord,pour le foie,c'est pas trop recommandé et la modération n'est pas le fort des gars du crû,le déodorant non plus,ni la galanterie.Une quinzaine de nouvelles australes qui nous dépaysent et nous laissent le cheveu raide.Moi,j'aime bien,de temps en temps.Mais comme on en sort épuisé on a tendance à glander et à laisser la parole à quelqu'un de tout à fait autorisé qui pense comme soi-même et qui l'a fort bien écrit.J'ai nommé Le Bison. Allez à toi cher Buffalo! http://leranchsansnom.free.fr/?p=5287
Retour aux antipodes
Voilà un bon livre,classique au possible, presque trop,d'où je retiens essentiellement les retours sur le passé et la guerre en France,qui me semblent plus forts que l'improbable rencontre entre Quinn,accusé à tort de l'assassinat de sa jeune soeur et Sadie, gamine délurée en l'Australie qui compte ses morts loin,très loin,là-bas en Picardie (je connais bien et les croix australiennes y sont si bien entretenues).L'enthousiasme m'est mesuré quant aux Affligés de Chris Womersley.Revenir sur la douleur des Australiens en ce conflit pourtant encore relativement européen était par contre une bonne idée.Les dégâts collatéraux de ce drame se sont bien moqué des frontières et des océans.Puissions-nous ne pas l'oublier.
Quinn veut obtenir justice,bien que porté disparu sur le front,à son retour en Nouvelles-Galles du Sud.Il retrouve sa mère très malade qu'il persuade de son innocence.Lui reste à châtier le vrai coupable.Là un petit peu plus de suspense n'aurait pas nui.Je n'ai pas été convaincu par ces épisodes et j'ai trouvé que l'histoire tournait court à la fin,comme si Chris Womersley ne savait pas quoi faire de son idée de justice.Il m'arrive alors d'être pris d'un certain mutisme.Alors j'aime orienter vers quelqu'un de plus dithyrambique et qui en a fort bien parlé.Sur Les affligés et cette rédemption dont j'ai parfois douté un peu c'est le cas de http://www.laruellebleue.com/8587/les-affliges-chris-womersley-albin-michel/
Equilibre instable,normal aux antipodes
Excellente découverte océanienne,le premier roman d'Elliot Perlman (1998),chichement dénommé Trois dollars.Long de 400 pages ce livre nous fait vivre la jeunesse d'Eddie,ingénieur chimiste,son mariage avec Tanya et sa paternité,ainsi que ses difficultés professionnelles dans la jungle libérale australienne.Ce livre est assez dense et pour tout dire m'a fait osciller entre un enthousiasme débordant et quelques moments un peu plus difficiles pour moi,ceux qui font la part belle à l'économie,pour laquelle j'ai peu d'accroche.Mais au bout du compte c'est un livre marquant et très personnel où l'Australie apparaît à mille lieues des vieilles lunes habituelles. Melbourne n'y est guère le paradis annoncé et malgré leur haut niveau d'études le couple Eddie et Tanya peine au bonheur annoncé.
Chargé d'une enquête sur les dégâts environnementaux d'un groupe dont le patron lui a jadis interdit de jouer avec sa fille,ils avaient huit ans,Eddie voit sa situation financière s'effilocher,sa femme déprimer,sa vie tout entière se neutraliser,cela par une suite de coincidences,de hasards malheureux et de rancunes tenaces.Ses liens avec ses parents sont eux aussi très distendus,les dimensions de ce pays continent ne facilitant pas les relations familiales.Sur un ton qui n'exclut pas l'humour Elliot Perlman nous assène la trajectoire,rude et concrète,qui va de la City de Melbourne aux foyers de SDF avec leur lot de violence hélas universelle.Ou comment un cadre brillant et instruit finit avec trois dollars adossé à un distributeur de billets parce que cet appareil est à l'abri et qu'il distille un soupçon de chaleur.Pourtant Eddie et Tanya s'aiment et ils aiment Abby leur fille.Mais c'est si difficile parfois de vivre...
Fouinant un peu je découvre que ce livre a été adapté au cinéma et bien accueilli en Australie.Il semble qu'il soit resté là-bas.Dommage probablement.Toujours est-il que je recommande cette lecture,attachante,troublante et qui rend plutôt humble.Et puis il y a Amanda,Amanda qu'Eddie retrouve tous les neuf ans et demi...
http://youtu.be/oNNvkoy_xP0 Le film
Tendresse en banlieue de Sydney
Chez Cook c'est très court mais tranchant.Un peu plus de 100 pages pour une virée pleine de bière,de fureur et par dessus tout d'une insondable bêtise.A coups redoublés,au titre original sans équivoque Bloodhouse.Ce genre de livres je n'ai pas trop de mots pour le commenter.Kenneth Cook ça se lit d'un trait,cul sec,comme au bar et sans s'épancher.J'ai déjà dit ça de Cinq matins de trop Lire Australie,N-Z. - BLOGART(LA COMTESSE).Et quelle chute!Mais alors quelle chute!Vous venez de lire l'article le plus paresseux de la Comtesse.Autre avis mais du même tonneau l'ami Eireann comme d'habitude COOK Kenneth / A coups redoublés Je crois qu'on le découvre seulement. Cela nous promet quelques soirées agitées et quelques gueules de bois.Mais c'est à lire,Incontestablement.
Rude semaine aux Antipodes
Ce livre paru en 71 semble connaître une seconde jeunesse à l'occasion de la parution chez Autrement de Par-dessus bord.Kenneth Cook(1929-1987),australien,est d'après Frédéric Vitoux,du Nouvel Obs,un écrivain hustonien.Je trouve cette définition formidable et motivante pour qui veut se plonger dans l'aventure littéraire,celle qui se confond avec l'action,et que le grand John a explorée toute sa vie de chasse en bar,de femme en table et qui n'est pas loin d'Hemingway au meilleur de sa forme.Attention nous sommes là chez des chasseurs, buveurs,coureurs,des hommes qui n'ont jamais oublié que la vie,l'action et l'art ne faisaient qu'un.Quand je pense que j'écris besogneusement sur mon petit bureau ou sur cette maudite bécane,et non au bar du Raffles à Singapour...
Cinq matins de trop ne fait que 150 pages et ne vous prendra qu'une heure et demi environ,car vous ne le lâcherez pas,embringués dans l'ahurissante virée dans l'outback australien où les hommes ne sont pas vraiment des poètes et où le sport préféré est le biathlon boire des bières/massacrer des kangourous.Ils s'y entendent à merveille pour l'un comme pour l'autre.John Grant instituteur dans un bled de l'ouest veut rejoindre Sydney pour ses vacances.Mais les autochtones l'invitent à boire et chasser.Leur invitation est aussi musclée que leurs habitudes.Je vous conseille de les suivre.D'ailleurs vous n'aurez pas le choix,ces gars-là ne plaisantent guère avec l'hospitalité qu'ils pratiquent à leur manière.
Kenneth Cook est de ces écrivains qu'on n'oublie pas.On a l'impression qu'il sait de quoi il parle: "Hustonien" a-t-on dit?
Un autre avis?Par exemple celui de Cathe: Cinq matins de trop. - Kenneth Cook (Autrement,...