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BLOGART(LA COMTESSE)
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12 août 2018

L'hiver de notre plaisir, version orignal

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                          En lecture commune avec Val (Winter – Rick Bass), c'est en pleine canicule que j'ai lu Winter, récit de Rick Bass sur son installation fin 1987 dans le Montana. Et rien que voir la couverture du livre semblait rafraichissant. J'aime bien cet écrivain dont j'ai déjà savouré cinq autres oeuvres, dont Le ciel, les étoiles, le monde  sauvage et La décimation. Avec son épouse Elisabeth, et Homer et Ann dont il faut préciser qu'is sont chiens, ces premiers mois au Nord-ouest sont un peu difficiles pour ce Texan. Le climat, à deux miles du Canada, n'est pas précisément le même qu'à Houston. Et ce journal de bord de septembre à mars est une ode à cette saison si marquée. Rick Bass n'est lui-même qu'en hiver. C'est ce que l'homme découvrira dans ce pays extrême, sans électricité ni portable, où une poignée d'hommes vivent l'essentiel.

                          L'essentiel c'est le bruit de la tronçonneuse, amie quotidienne quand il s'agit de faire la fête àces mélèzes géants, déjà morts mais indispensables sous ces latitudes. Rick Bass nous fait vibrer comme ces engins parfois dangereux. Les gens de là-haut n'y pratiquent pas le célèbre massacre avec cet instrument mais emmagasinent soigneusement le bois. L'essentiel c'est la trace d'un ours dodelinant vers l'hibernation, celle des wapitis, ces grands cerfs se raréfiant, le bruit d'enfer des rameaux d'orignal dans la forêt. L'essentiel c'est le doux bruit, bien que graisseux, de la camionnette hors d'âge qui permettra in extremis de ne pas passer la nuit dehors. Winter n'est cependant pas un précis de géographie, botanique ou zoologie. Plutôt un constat de la vie ensemble en milieu naturel, ou presque. Enfin ensemble avec des voisins pas trop proches. Ce qui n'empêche pas une solidarité discrète et presque muette car le silence fait partie du décor. Une vie à hauteur d'hommes, à scruter les environs, avec un sens du corps et de l'effort physique, alors même que Rick Bass, dans sa serre mal chauffante, écrit cette saison blanche au jour le jour.

                         On peut bien sûr rattacher si l'on veut Rick Bass à l'école dite du Montana, la Montana connection, et à la Nature writing. Ce genre de tiroirs a peu d'intérêt. Disons simplement que j'ai lu avec pas mal de plaisir beaucoup d'auteurs qui ont traîné leurs boots dans ces coins-là. Certains sont des Indiens, d'autres non. Vous voulez quelques noms? Welch, McGuane, Harrison, Crumley, O'Brien, Watson, Alexie. Quelque chose me dit que Val a dû apprécier. A l'heure où je termine ce billet, je l'ignore. Mais je lui propose de chausser les raquettes direction U.S.A North-Northwest.

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15 juillet 2018

Un été 27

Masse critique

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                                L'opération Masse critique de Babelio (je les remercie de leur confiance, ancienne maintenant) portait cette fois non sur un  roman mais sur le récit historique du très fin et très drôle Bill Bryson sur ces quelques mois américains de l'été 1927, L'été où tout arriva. Lindbergh, le légendaire joueur de base-ball Babe Ruth, Henry Ford, Walt Disney, les bien oubliés présidents Harding, Coolidge et Hoover, sont les protagonistes de cette saison particulière. Ou plus exactement c'est l'Amérique entière de 1927 qui revit, entre succès économiques, triomphes aériens, fin de la prohibition, inondations séculaires du Sud, ombres mafieuses, exécution de Sacco et Vanzetti, et aube du krach historique. Hollywood va commencer à parler. Des fortunes se sont faites et défaites en quelques mois. L'été 1927 est un Summer of speed tant tout s'est accéléré.

                               Bill Bryson est un formidable raconteur et de  sa plume alerte nous apprend des tas de choses sur l'époque où  les progrès techniques voisinaient avec les idées souvent peu sympathiques. Lindbergh en est bien sûr le symbole le plus connu. Mais l'histoire de ce monde est un fabuleux roman et les héros en sont parfois bien loin des preux chevaliers ou des médecins humanistes. Pour mémoire, très intéressant, les premières ébauches de ce qui deviendra la télévision. En fait une vraie guerre de brevets, de tricheries et de banqueroutes pour une invention dont on perce à peine l'avenir. La politique n'est pas en reste avec trois présidents, semble-t-il, bien peu visionnaires. Passons sur les acquaintances avec l'Organisation. Sachez seulement que dans les années vingt, à l'enterrement d'Antony d'Andrea, mafieux notoire, figuraient dans l'impressionnant cortège vingt-et-un juges, neuf avocats et le procureur général de l'Illinois.

                               Bill Bryson, dont  j'avais lu il y a quelques années le très bon Shakespeare. Antibiographie, sait parfaitement nous tenir en haleine avec  son Amérique, sur des sujets dont on ne sait la plupart du temps que l'écume. L'odyssée de Lindbergh, par exemple, fut plus impressionnante par l'hallucinante tournée dans le pays de l'aviateur, sur un tempo infernal, pressuré, bousculé, vénéré. Bien plus fatiguant que de traverser l'Atlantique sur Le Spirit of St.Louis. Quoi qu'il en soit j'ai aimé ce gros bouquin (thank you Babelio) qui se lit comme un très bon roman. Et j'ai aimé aussi le fait que l'Histoire est souvent faite par des gens au demeurant loin, pour certains très, très loin, d'être sympathiques. Charles Lindbergh, Henry Ford eurent les goûts politiques que l'on sait. Babe Ruth, sur le plan privé, ferait passer Harvey Weinstein pour un ascète abstinent. Al Capone fit la belle carrière bien connue, très courte cependant. Sans oublier les boxeurs sonnés et les managers véreux, et les belles années du Klan. Ainsi va l'Amérique. God bless America. Fuck America.

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                         Et plus que tout l'humour de l'auteur accompagne cet été 1927. Les lignes consacrées au chemin de fer sont délectables. Chantre du privé le pays a possédé jusqu'à 1200 compagnies, souvent au nom ronflant. Certaines arrivaient quasiment nulle part. Croyez-moi, c'est vraiment très drôle et ça donne envie de lire par exemple Une histoire de tout, ou presque..., Une histoire du monde sans sortir de chez moi, Des cornflakes dans le porridge (Un Américain chez les Anglais). Ou sa vision des antipodes Nos voisins du dessous. Chroniques australiennes. Rien que les titres...

 Ici. L'avis éclairé et plein d'Esprit de St.Louis de mon cher ami Le Bison.

20 juin 2018

Brothers in arms

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                            Robert Olen Butler, assez peu connu en France, est un auteur célèbre outre-Atlantique. Pulitzer 1993 pour Un doux parfum d'exil. C'est la première fois que je l'aborde, ne sachant rien d'autre. Chez Actes Sud vient de sortir L'appel du fleuve. Un vieillard vient de mourir, vétéran de la World War II. Ses deux fils, quasi septuagénaires sont fâchés entre eux depuis le Vietnam. Le cadet Jimmy est en plus fâché avec son père depuis le Vietnam, qu'il a refusé en filant au Canada. L'aîné Robert lui, y est allé au Vietnam, mais très protégé et loin du front. Ses rapports avec  son père ont été pour le moins distants. Robert est professeur d'université en Floride. Jimmy crée de la maroquinerie. Plus rien en commun, sauf un père décédé, des souvenirs d'altercations triangulaires. La famille dans toute sa splendeur, des épouses... épouses avec ce que cela implique. Un minimum de retrouvailles  est-il envisageable, au moins  au funérarium?

                            C'est un roman que l'on n'oublie pas, creusant encore et encore le fossé des générations qui le nôtre. Dans cette version américaine qui ne cherche jamais l'effet pathétique ni la surenchère, on suit Robert essentiellement. Une rencontre avec un SDF, Bob, un peu sans âge, est-ce un vétéran d'une quelconque autre guerre, agira comme un révélateur, et comme un lien avec  ce passé enfoui, dont les opinions sur le Vietnam et le Summer of love seront étincelles qui étei dront la communication fraternelle, déjà faiblarde.

                           L'appel du fleuve fait écho au drame vietnamien de Robert, pas précisément, un fait d'armes. Ainsi chacun  revisite le temps passé. On hésite sur un coup de fil à donner, priant (qui de nous ne l'a pas fait) pour tomber sur ce merveilleux répondeur qui permet de dire quelque mots sans risques et ainsi mettre la balle du côté de l'autre. Délicieuses petites lâchetés. Quarante-sept années que les frères Quinlan, Robert et Jimmy ne se  sont ni vus ni même parlé.  Jimmy: "Entendons-nous sur un point. Evitons de nous disputer à propos du passé. Si l'on doit se mettre en colère, que cela concerne quelque chose d'immédiat." Robert: "D'accord mon vieux. Seulement on n'a que ça, le passé, toi et moi. Si on se met à parler d'autres choses vont ressortir."

                          Alors il me vient à l'esprit que seul un long silence s'impose quand un demi-siècle de scories recouvre la jeunesse des frères. Ce même silence convient aussi très bien à cette chronique. Lisez L'appel du fleuve, une Amérique de ratages et d'émotions. Ca me va plutôt.

                            

11 avril 2018

Spécial Bison

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                            Entendons-nous bien, tout le monde a le droit d'écouter ce chef d'oeuvre. Mais, avec Twin Rocks, Oregon c'est surtout à mon vieil ami boucané Le Bison que j'ai pensé en massacrant ce pauvre Shawn Mullins, qui, heureusement a droit à la parole. J'ai traduit la partie parlée et un peu raccourci la chanson. It's yours now! Et une pensée pour notre amie Asphodèle qui a accueilli cette version de toute sa bienveillance.

  

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30 mars 2018

Mots luxes

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                             Un très beau roman, qu'on dira souvent roman d'adolescence, d'initiation, mixte de L'île au trésor et de L'attrape-coeurs. Mais surtout fascinante incursion dans l'univers d'un préado de 13 ans, Miles O'Malley, qui vit à Olympia, extrême Ouest américain, modeste capitale du Washington, sur les bords du Pacifique, ou plus exactement du Puget Sound, bras de mer qui s'infiltre vers le continent. Cette zone est réputée pour sa faune de mollusques et de crustacés. Et Jim Lynch parvient à nous intéresser à l'ahurissante existence de ces curieuses bestioles. Sûr que l'on en apprend de belles sur les hôtes de ce rivage à nul autre pareil. Et c'est déjà une vraie joie de faire connaissance avec le panope, plus gros mollusque du monde, plusieurs kilos et une trompe de près d'un mètre (évidemment annexé comme aphrodisiaque en Asie). Connaissez-vous les dollars de sable (cousins des oursins) et les serpules ( vers ou fleurs, on ne sait pas trop)? Tout cela est d'une verve poétique inattendue. Et le savoir n'est jamais asséné mais distillé comme un doux ressac sur une plage nord-californienne

                            Mais ces côtes pacifiques ne le sont pas toujours et Miles, avec ses découvertes de monstres marins inhabituels, mais c'est le propre de cette microrégion que de receler des curiosités, va se trouver malgré lui au centre d'une polémique, tel un gourou annonciateur d'apocalypse. déferlent sur les plages des touristes, des scientifiques plus ou moins sérieux, l'inévitable secte catastrophiste, et bien sûr des journalistes. Miles, qui peine à grandir, et son copain  Phelps, évidemment une grande asperge, continuent d'arpenter les rivages et de filer à vélo pour recueillir des échantillons grouillants de la vie marine et sous-marine locale. Quoi que travaillé sur le plan hormonal notamment par les seins de sa voisine Angie, d'une vingtaine d'années, accessoirement fille de juge et bassiste vaguement hard rock, Miles en est encore à s'étonner de la présence de certains types de méduses. "Les cinq vélelles connurent un succès instantané. Les puissants vents d'ouest rejetaient fréquemment des milliers de vélelles sur les côtes sablonneuses de l'état du Washington. Sauf que ces petites méduses-qui ressemblent à des spinnakers de voiliers miniatures-avaient visiblement traversé le Paicgique et vogué jusqu'à l'entrée de Skookumchuck Bay, ce qui en faisait des championnes de la navigation."

                            Je l'ai dit plus haut. Je l'ai dit plus haut. Il y a du Jim Hawkins et du Holden Caulfield dans ce gamin de Miles O'Malley. Mais les prestigieux parrainages de Stevenson et Salinger ne doivent pas impressionner ni faire craindre trop de redites. Jim Lynch a su créer un très beau monde original avec des relents d'originel, comme une aube d'humanité, ode à la vie marine et à la vie tout court. A travers Miles et croisant le fer face aux incertitudes de la pollution et aux préjugés tenaces on se prend à espérer de beaux jours sur ces rives pacifiques nord. Et de belles heures à lire Les grandes marées (Gallmeister), premier roman de Jim Lynch, que quelques-uns ont peut-être déjà lu sous le titre A marée basse (Editions des Deux Terres, 2008).

                           

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11 février 2018

C'est pas tout ça, rendez-moi les Beach Boys

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                            Ce bouquin est lauréat du Pulitzer 2016. Une référence. Méritée. C'est un grand livre. Et les chroniques ont été la plupart du temps très élogieuses. Je maintiens, c'est un grand livre, très bien écrit, qui ne vous lâche guère. A une condition, il faut être soi-même surfeur, et même, à mon avis, surfeur globe-trotter pour l'apprécier à sa juste valeur. William Finnegan, grand reporter,quand il n'était pas  sur les planches, a une plume magnifique pour épouser les rides, les droites et les gauches, décrire ses chevauchées sur les spots du monde entier. Mais vous n'arriverez pas à me faire croire que tant de lecteurs puissent sans s'estourbir le suivre dans ses encyclopédiques circonvolutions de short-board ou de pintail.

                            Nous sommes donc en présence, ça arrive de temps en temps, du chef d'oeuvre quasi illisible. Et pourtant je l'ai lu, j'en suis venu à bout, après force paquets de mer. Mais comme le temps m'a paru long à infiltrer des reefbreaks et à faire des duck-dives. J'en suis épuisé. Il m'a fallu un mois pour parcourir le monde entier en compagnie de Finnegan. J'en ai marre des outside de Madère, des lineup de Samoa, des cutback de Waïkiki. C'est le ton de Jours barbares et c'est peu dire qu'il reste assez peu de place, malgré 520 pages, pour la vie dans les îles du Pacifique Sud, voire les  écoles d'Afrique du Sud ou William Finnegan a trouvé un peu de temps pour enseigner.

                           N'empêche, ce récit a  du souffle, ce souffle vital aux surfeurs de Californie et du reste du monde. Ce monde qui semble tourner à 90% dans le but d'émouvoir les adeptes de ce sport, vaguement philosophie, plus sûrement addiction. On peut lire Jours barbares et le trouver assez fabuleux. C'est mon cas. On peut y avoir sué sang et eau salée. C'est aussi mon cas. On pourra aussi, syndrome d'Ulysse et Joyce, se montrer perplexe quant à ceux qui auraient pris leur pied (goofy foot ou regular foot) sans avoir parfois envie de sortir des rouleaux, un peu compresseurs.

                           M.Finnegan, vous êtes un grand auteur. Je  sais que vous étiez aussi au Soudan ou dans les Balkans. On surfe peu à Sarajevo. Si vous m'en parliez je vous écouterais volontiers. Les rares paragraphes non surfés, par exemple quelques lignes sur les autochtones de Madère, formidables, en sont témoins. En attendant rendez-moi un  le Surfin' U.S.A des Wilson Brothers. C'est un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. "C'mon! Brian, Carl, Dennis,c'mon!"

                                     

 

20 décembre 2017

Voyage ultime

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                                Dans la bien belle vague des écrivains indiens il en est qui ne sont pas étatsuniens. Richard Wagamese, disparu au printemps dernier, originaire de l'Ontario, est donc un Canadien de la nation Ojibwé. J'ai beaucoup lu les  textes de ces auteurs amérindiens, Welch, Owens, Treuer, Alexie. Medicine Walk, titre original du présent ouvrage est vraisemblablement l'un des meilleurs. Non que la trame en soit tout à fait originale, tournant toujours autour de l'identité de ces déracinés dans leur propre pays. Franklin Starlight, seize ans, est appelé au chevet de on père Eldon qu'il connait à peine. Ce père est très malade, les années d'alcoolisme, de violence et de dépression. Tous  deux vont alors entreprender un dernier voyage, préfunéraire en quelques sorte, un grand classique des la tradition indienne. Les étoiles s'éteignent à l'aube, je n'aime pas trop le titre français grandiloquent, conte ce  dernier périple au coeur de la Colombie Britannique. Plusieurs retours sur le passé d'Eldon, sa mère, la Corée, le si difficile retour au civil. En finira-t-on jamais avec l'héritage de la conquête?

                              Voilà un magnifique roman, très fouilllé, qui interroge aussi bien la prodigieuse nature ouest-américaine que la douloureuse histoire de la nation Ojibwé. Eldon et Franklin vont très lentement, pourtant ils disposent de peu de temps, s'apprivoiser ou plus modestement faire un peu connaissance. "Je viens pour avoir un peu de paix ici, Frank. Ici c'est le seul endroit où j'ai l'impression d'être chez moi, comme s'il était fait pour moi, où j'ai jamais fait de conneries. J'ai pas pu penser à un meilleur endroit pour mourir." C'est magnifique et l'on partage les tourments du père comme du fils, tous deux victimes tardives de l'histoire. J'ai aimé la partie de pêche à la truite, une des rares rencontres père fils avant la dernière. Aimé aussi l'importance des herbes, des plantes médicinales, les gestes du travail à la ferme de Franklin chez le vieil homme qui l'a recueilli.

                             On respire les senteurs du Grand Ouest, harassé de courbatures suite au travail de flottage des troncs. Sellez votre vieille mule et suivez discrètement Franklin cheminant près de la vieille jument sur laquelle est attaché son père Eldon, vacillant, en sursis. Il doit tenir bon jusque là-haut.

30 octobre 2017

Un ange est passé, un peu maudit

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                             45 ans séparent la rencontre de Ligeia et des frères Bill et Eugene dans une bourgade des Appalaches, en Caroline du Nord, et la découverte des ossements de cette dernière. Elle avait dix-sept ans et su tourner la tête aux deux frangins sous la coupe de leur grand-père médecin et notable local, peu enclin aux nouveautés de la fin des sixties, ni en musique ni en libertés. Ligeia est presque un archétype, celui de la jeune fille moderne et qui se lance à corps perdu dans les expériences toute fraîches. Dame, c'est bon  de vivre cette époque du presque tout est permis. Manque un peu de jugeote la Ligeia. Et là intervient mon inamovible couplet sur la similarité entre la rebellion et la convention. A savoir que des milliers de jeunes crurent se singulariser en faisant appel à la chimie des paradis artificiels et tombèrent vite, très très vite pour certains, dans la triste banalité des chambres d'hôtel d'où l'on ne se réveille guère. Fin d'aparté.

                            Ron Rash n'a besoin que de 200 pages pour aller à l'essentiel. A savoir que c'est un peu un ange exilé qui a bouleversé la vie des frères.  L'ange exilé (Look homeward Angel) est aussi le titre du roman posthume de Thomas Wolfe, auquel Par le vent pleuré (The Risen) fait référence. Thomas Wolfe est une icône de la littérature américaine que peu de gens ont finalement lue. Je vais quant à moi essayer de pallier cette carence. Ce n'est pas vraiment la rivalité ni la jalousie qui vont dégrader la fratrie au contact de la très libérée Ligeia. Plutôt une différence d'appréciation peut-être due aux quelques années qui les séparent. Au bout du compte, quarante ans plus tard, l’écart entre les deux frères ne s'est plus jamais réduit jusqu'à leur mise en cause concernant l'éventuel meurtre de la jeune fille. Bill est un chirurgien réputé, engagé socialement, bon père de famille. Eugene est un écrivain qui n'a pas écrit grand-chose, alcoolique en rupture avec sa femme et sa fille. Caïn et Abel en quelque sorte.

                           Comme bercé pas les effluves rock  de Jefferson Airplane ou Moby Grape, et moi, rien que de lire ces noms dans un roman m'emporte déjà, le beau récit de Rash, sans être inoubliable, instille une petite musique qui m'a touché, de celles qui sinuent tout au long d'une vie, la mienne, ou celle de ces deux frères tout deux brisés, chacun à sa manière. Le fait que ce soit complètement ma génération n'y est bien sûr pas étranger.

L'avis d'Eva  Tu vas t'abîmer les yeux (que je viens  de découvrir).

16 octobre 2017

Subterranean rhapsody in blues

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                                     Encensé par la presse française lors de la rentrée littéraire Underground Railroad est effectivement un bon livre. Pas tout à fait l'oeuvre majeure comme le disent certains. Il faut dire que Ballades pour John Henry m'avait tellement sonné il y a quelques années que j'ai trouvé ce dernier roman un peu plus appliqué. Je crois que le sujet est un peu connu maintenant, du moins pour ceux qui suivent les parutions car on en a pas mal parlé et il se vend assez bien. Ce fameux Underground Railroad est en fait le réseau mis en place vers 1850 par les abolitionnistes américains pour faire évader les esclaves noirs des plantations du Sud. Point commun avec le working class hero John Henry, on finit par ne plus démêler le vrai du faux, la légende de la réalité. Alors imprimons la légende (John Ford mais vous savez tous ça).

                                   Cora est une jeune esclave en fuite qui traversera plusieurs états depuis la Georgie et connaitra des fortunes diverses tout au long de ce fameux réseau dont Colson Whitehead nous conte les détails de fonctionnement avec  ses gares, ses chefs de train, ses tunnels, tout cela avec une belle imagination. Mais du ferroviaire l'organisation possède surtout la terminologie  et c'est d'ailleurs assez fascinant. Quoi qu'il en soit Underground Railroad a le souffle d'une locomotive performante et les ramifications d'une carte secrète. Habilement construit tant sur le plan chronologique que géographique le périple de Cora s'avérera épique et dangereux, tributaire des mauvaises rencontres fréquentes et des bonnes volontés, plus rares. La haine et le mépris pouvant prendre différents visages, la crédulité aussi.

                                  Une  expérience de ferme participative dans l'Indiana sera cruciale dans  le destin de Cora. N'en disons pas trop, le voyage au coeur américain du XIXème Siècle, se lit comme un roman, un grand roman qu'il est, et qui explore en une parabole qui frôle le fantastique, voire plus, avec ce train fantôme surgissant de nowhere, la face sombre de la construction d'un empire presque galactique où le grandiose a souvent chevauché avec l'abject. Comme partout. Je crois savoir qu'une série devrait être tirée rapidement de ce chemin de fer clandestin, sous la houlette de Barry Jenkins (oscarisé pour Moonlight).

Ce qu'en  a pensé Claudialucia  ici

                                   

                          

                                  

 

 

 

2 juin 2017

West Coast Promotion

Un verre

                               Roman posthume de Don Carpenter, écrivain que l'on redécouvre ici, 10-18 en soit remerciée, Un dernier verre au bar sans nom est mon quatrième livre de cet auteur. J'ai chroniqué ces trois autres romans. Avec beaucoup d'enthousiasme La promo 49, avec ennui Deux comédiens, avec intérêt mitigé Sale temps pour les braves. Mais ce dernier verre m'a régalé. Je pense au Bison qui devrait apprécier ce tableau de groupe de la Côte Ouest, une douzaine d'années fin fifties début sixties. Don Carpenter arrive après la génération beat, Kerouac, Burroughs, Ginsberg. Il n'est pas un écrivain de la route, plus proche de Richard Brautigan. Comme beaucoup Carpenter a cafouillé un peu du côté d'Hollywood sans laisser beaucoup de traces.

                              Dans Fridays at Enrico's (en V.O.) il nous immerge dans la vie littéraire et libertaire de cette bohème californienne des années soixante juste avant l'explosion flower. Un couple, Jaime et Charlie, tous deux écrivains, Jaime plus douée que Charlie, entre succès d'édition et impuissance créatrice.  Tout ce bobo monde est remarquablement bien campé par Carpenter qui connait le sujet. Et puis il y les autres, les amis, souvent rivaux, Dick, Stan, parfois passés par la case prison, toujours par l'inévitable et si conformiste case paradis artificiels, ça  me fatigue ça. Certains feront même fortune, piscine et "parties", en quête de ce qui pourrait ressembler au bonheur. Cette "pursuit of happiness" se révèle la plupart du temps "so vain". Je sais, j'ai truffé de mots anglais mais honnêtement ce livre est tellement  West Coast... (tiens, je recommence).

                            C'est donc une formidable balade dans cet univers de marginaux parfaitement snobs, n'ayant pas peur des contradictions, mal à l'aise dans le milieu mais crachant rarement sur les royalties. C'est aussi un roman écrit par un Carpenter malade et déprimé qui, on le sait, rejoindra son vieux pote Brautigan dans l'ultime nuit volontaire. Le plus difficile dans ce beau roman est de ne pas s'effondrer de nostalgie, de ne pas céder aux sirènes du Pacifique et du c'était mieux avant. Et puis après tout on s'en fout. Ce texte est souvent très fort et on les aime ces semi-losers qui ont été là, sur Laurel Canyon, finalement au bon endroit au bon moment. Je vous conseille d'y faire un tour. Moi, j'ai aimé, bien que ma West Coast à moi soit plutôt seventies et se réfère surtout aux musiciens. 

28 mars 2017

Chants du Cygne

Masse critique

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                               Snobissimo, le milieu dépeint par Melanie Benjamin, au coeur d'un New York palpitant, mais huppé puisque Les Cygnes de la Cinquième Avenue sont les femmes les plus fortunées, les mieux mariées, les plus élégantes de la Big Apple. C'est ainsi que les appelle le maître d'oeuvre de cette mise en scène, le grand ordonnateur des fêtes les plus dispendieuses en ces années soixante. Truman Capote, vous l'aviez reconnu, le célébrissime auteur de Breakfast at Tiffany's et de De sang froid, accessoirement connu comme une langue de vipère à la prose assassine. Je me méfiais bien un peu de cette incursion de plus de 400 pages au coeur de la jet set newyorkaise de cette époque, craignant de m'y sentir mal à l'aise et surtout de m'y ennuyer prodigieusement entre cocktails, défilés de mode et yachts caribéens. D'ailleurs je n'ai lu ce roman, en épreuves non corrigées, que dans le cadre de Masse critique de Babelio que je remercie. Or Les Cygnes de la Cinquième Avenue s'est révélé un excellent bouquin, bien plus profond que je ne l'imaginais.

                              La vie de Barbara "Babe" Paley, la plus emblématique de ces dames, toute entière vouée au luxe et au paraître, alors même qu'elle évoque très peu par exemple les quatre enfants de ses deux mariages, est distillée par Melanie Benjamin quaisment à l'aune, unique et exclusive, de sa rencontre et de son amitié avec Truman Capote, ce personnage ambigu, tout en fascination-répulsion, grand talent littéraire et insupportable cabotin. Il faut se rappeler l'omniprésence, au coeur de l'intelligentsia de la Côte Est, de Capote, à la fois histrion et intello, passionné par le meurtre gratuit perpétré par deux jeunes hommes dans le Kansas ( cela donna  De sang froid, livre de Capote, puis film de Richard Brooks), fashion victim, icône gay avant l'heure, ami de tout le gratin de Jackie Kennedy à Andy Warhol, bref de tout ce qui comptait dans la jungle urbaine branchée. Il faut lire notamment les pages sur le célèbre Bal en noir et blanc donné par Truman, où l'on croise Sinatra et Bacall (ce roman n'est pas avare en name dropping). Bouffi et extravagant, moulinant de grands gestes, Capote va finir par blesser la belle faune de là-bas, ses chers cygnes glissant apparemment sans effort de cocktails en vernissages. Son recueil Prières exaucées ne paraîtra vraiment qu'après sa mort. Mais quelques-uns des textes qui le composent seront lisibles dans le magazine Esquire. Devenu la caricature de lui-même, cynique et pathétique, il  dépeint, à peine masqué, ses chères et tendres amies dans la nouvelle La Côte Basque (c'est le nom d'un restaurant de prestige). Ce sera la fin de ses relations avec Babe, mais aussi les autres, Slim, Gloria, C.Z., etc...

                              Meurtris, ces fameux Cygnes de la Cinquième Avenue qui n'ont bien sûr rien d'oies blanches, vont ainsi vieillir, bientôt malades, et affronter un ennemi inachetable par leurs différents, successifs et richissimes époux. C'est toute cette histoire courant sur une douzaine d'années, et leurs rapports avec Truman Capote, grand écrivain et serpent venimeux, que raconte très bien Melanie Benjamin. C'est un éloquent portrait de groupe avec chute d'une société aux commandes, ou qui croit l'être, ce qui n'évite pas forcément l'essoufflement et le crash final.

                            "La poitrine de Truman ressemblait à celle d'un ange, si innocente, la peau si blanche, entièrement recouverte d'un  fin duvet doré qui semblait l'éclairer d'une lueur éthérée. Ses biceps étaient étonnament bien dessinés et, avec son visage boudeur, son regard rêveur, il aurait pu passer pour un Adonis, si ce n'atait ce ventre légèrement grassouillet".

 

17 mars 2017

Born on the bayou

Les maraudeurs 2

                     Pardon à mes amis de Creedence Clearwater Revival mais je n'ai pas résisté. Pour certains ce sera  plutôt Dead on the bayou dans cette aventure à la couverture illustrée  d'Al.E.Gator. La Barataria est le personnage central des Maraudeurs, sorte d'entité amphibie faite de bras morts, de mangroves, de pêcheurs de crevettes et de pétrole voisin. Mais attention, Katrina est passée par là. Ruine, pollution et déchets à toutes les profondeurs. Ajoutez des jumeaux, disons brutaux, un manchot chercheur de doublons datant de la splendeur pirate louisianaise, et quelques autres specimen de la faune locale au QI inférieur à l'oppossum si courant dans les cheniers des bayous. Ces gars là font pas dans la tendresse et le zydeco des cajuns n'a guère adouci leurs moeurs.

                    Quatre cent pages tambour battant, qui seront expédiées très vite tant les moustiques et les serpents mocassins vous talonneront les mollets et ainsi vous aurez vécu une super aventure au coeur des bayous du delta, sur les traces du boucanier français Jean Lafitte. C'est que la grande histoire s'invite aussi au festin de gombos et mint juleps et les noms français abondent dans ce festival où se cotoient les épices les plus fines et de méphitiques marais qui se referment bien vite sur certains protagonistes. C'est aussi un roman qui n'occulte pas les misères de ce Deep South et son quasi abandon depuis l'ouragan. James Lee Burke, entre autres, a beaucoup raconté le pays dans ses polars. La Nouvelle-Orleans, cette métropole déchue y apparait gangrenée comme jamais, et pas seulement sur le plan bactériologique. L'essentiel des péripéties des Maraudeurs se déroule dans la bourgade de Jeanette, où un bateau, si vieillot soit-il, constitue le meilleur moyen de survie, en même temps qu'un danger permanent vu les créatures visqueuses, venimeuses, ou squameuses qui hantent la Barataria.

                  Embarquez, moussaillons, sur l'un des rafiots du capitaine Tom Cooper, qui pour son premier roman, et avec quelle énergie, mêle allégrément coups fourrés, trafics divers, chasse au trésor, rêves de fortune et beaucoup d'humour. Méchamment hilarant, ne ment pas la quatrième de couv. Laisse le bon temps rouler!

28 janvier 2017

Back to Ray

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                                 Trois nouvelles dans ce recueil. Je reviens de temps en temps visiter les durs à cuire américains, des histoires de privés, à l'humour pince sans rire, aux sous-entendus grivois et au whisky facile. Evidemment et comme d'hab. je n'ai rien compris aux intrigues tortueuses de Un tueur sous la pluie et Bay City Blues. J'ai presque compris Déniche la fille because moins de cadavres. Ces trois textes datent du mileu des annnées trente, avant la création de Philip Marlowe. Raymond Chandler est l'un des très rares que je puisse lire sans le comprendre. Y a aussi Joyce mais, naufragé de la page 45 de Ulysse, je l'ai éradiqué de ma vie. Rappelons que c'est parfois difficile de s'y retrouver, le Raymond ayant souvent repris des éléments de certains textes pour les refondre ailleurs dans les romans ou même d'autre textes courts. Sans importance puisque de toute façon on (enfin moi) n'y comprend goutte.

                                 Mais quelle putain d'ambiance dans ces histoires publiées en général dans les pulp magazines (Black Mask) et longtemps méprisées. J'en adore l'efficacité, terriblement cinoche, qui ne s'encombre pas de psymachin, ni d'élégance. Les types y sont des marlous, des corrompus, des vicelards. Et c'est ainsi qu'on les nomme. Quant aux femmes ce sont des, des, des... courtisanes, j'appellerai ça comme ça. Bref ca grenouille à tous les étages, californiens ou chicagoans. Tiens je vais le laisser jacter, le Ray, de toute sa verdeur et de toute sa poésie. " La blonde ôta ses dents de ma main et me cracha à la figure mon propre sang". " Je sortis ma flasque de bourbon et la posai en équilibre au bout de mon genou". "Il somnolait. Sa cravate plastron avait dû être nouée vers 1880 et la pierre verte qui en ornait l'épingle n'avait pas tout à fait le diamètre d'un fond de corbeille à papier".

                                Scénariste à Hollywood comme d'autres minables, Faulkner, Dos Passos, Fitzgerald, Chandler n'est guère crédité aux génériques. C'est aussi bien comme ça. Ses bouquins, c'est déjà du cinéma.

P.S. Marrant. Dans cette édition Carré Noir de 64 le verso est illustré d'une magnifique photo pub de cigarettes blondes  de luxe, comme en fument les femmes fatales de ces romans noirs. Je ne l'ai pas mise pour ne pas tomber sous le coup de la loi. O tempora o mores!

8 janvier 2017

Le grand hêtre pourpre

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                              Attention. Rien à voir avec d'insipides souvenirs de star ayant employé un nègre. Une oeuvre. Et là ce n'est pas que je pèse mes mots comme un bossfan que je suis. C'est que j'en revendique les qualités, une sorte de vita americana depuis les années cinquante, passionnantes d'un bout à l'autre depuis la très modeste Freehold, New Jersey, d'où tout partit, jusqu'aux mégaconcerts dont le Stade de France 2003 où j'ai eu la chance de voir le Patron et le E Street Band au complet. Une oeuvre. Comme toute la discographie et les concerts de Bruce Springsteen. Et qui a parfaitement sa place dans une rubrique littéraire. Où l'on sera cependant un peu plus à l'aise si l'on connait à peu près son petit Springsteen illustré, ou mieux encore, si l'on accompagne sa lecture d'une écoute sérieuse de quelques-unes de ses chansons.

                             Une famille prolétaire et catholique, les origines sont comme, tout le monde sur la Côte Est à ce moment, irlando-italiennes. Et vous vous étonneriez que je plonge là dedans, moi dont le blog consacre 30% de son activité à ces deux pays de mon coeur? Cette dualité marquera Bruce, né en 49. L'une des stars de la région, un certain Francis Albert Sinatra, voir Hoboken, sera pour le professionnalisme l'un de ses modèles. L'autre coup de grisou viendra d'Elvis Aaron, Memphis, Tennessee. Bruce a six ans. Moi aussi. Il raconte la vie de cette famille parmi d'autres avec parents et grands-parents, rythmée par les jeux dans les rues, les bagarres à la sortie de l'école, les premières cordes de guitare, et surtout les copains qui formeront bientôt les Castiles, première formation du futur maître, dans laquelle il n'est même pas chanteur. Et très vite l'écriture, du concret, du vécu, des histoires d'ados fugueurs, des amours laborieuses, de retour du Vietnam, ou de non retour. Springsteen n'élude pas les zones un peu curieuses, comme son astuce pour échapper à ce même Vietnam, qui apparemment ne lui causa pas trop d'états d'âme.

                           Car Springsteen vise avant tout à l'efficacité. Il raye d'un trait d'esprit le mot démocratie dans un groupe rock, où il faut un patron. Il y aura un patron et il saura le faire savoir. Les pages sont passionnantes sur les arcanes de sa création musicale. Sur ses rapports avec ses musiciens, tous d'exception. Sur sa ténacité et sa puissance de feu, sa spontanéité et sa générosité sur scène, par opposition à certains autres monstres, Neil Young ou Bob Dylan. Springsteen n'oublie jamais le show, y compris quand il reste quarante minutes seul avec sa guitare devant 80 000 personnes.

                          Mais tout cela, pour qui n'est pas trop branché sur Tin Pan Alley, pourra paraître trop technique voir rasoir. Foncez pourtant dans cette autobio, Born to run, pour d'autres raisons, terriblement humaines, presque ethno. Pour les portraits de son père Douglas Springsteen, un taiseux, même dans les différents pubs, part importante de son existence, qui aime ses enfants sans leur dire, c'est pas le genre de la maison du New Jersey. Les années cinquante pouvaient encore être rugueuses des deux côtés de l'Atlantique. Pour cette Amérique qu'il nous narre, pas mal corsetée, juste avant Brando, Dean, Presley. Pour cette splendide et abracadabrante vie d'un groupe rock, où la gestion des egos s'avère chaotique, où il faut parfois se séparer d'un des musiciens. Angoisse garantie, et noms d'oiseaux, rancoeurs et pardons. Born to run ou l'histoire d'un homme, Né pour courir, courir afin de vivre pleinement sa passion, viscéralement, sans perdre la raison, avatar si fréquent chez les rock stars.

                          Un livre, vrai, riche, bourré de peurs et d'énergie, la vie d'un homme, d'un roc(k), mais même les rocs un jour se fendillent. Comme le grand hêtre pourpre de Freehold, New Jersey, abattu récemment, comme le raconte Springsteen, lors d'une de ses balades en bagnole dans sa ville d'enfance, comme il en a tant chanté. Born to run, à lire, à écouter, à vivre. Je n'ai pas proposé d'extrait musical, il faudrait tout mettre de Racing in the streets à My home town, de The ghost of Tom Joad à Brothers under the bridge, de Born in the USA à My city of ruins

3 janvier 2017

En passant, pourquoi pas?

Tarcy

                                 Ne boudons pas notre plaisir car notre plaisir n'est pas si fréquent. Une amie de rando m'a prêté deux livres. L'un, le dernier de Bernard Werber, sans intérêt malgré mon grand intérêt pour les chats. L'autre, hyperclassique dans sa forme, bien agréable. L'innocence (Burning bright en V.O.), de Tracy Chevalier (La jeune fille à la perle), conte l'arrivée à Londres d'une modeste famille de menuisiers du Dorset. 1792, des idées nouvelles arrivent de la France où ça bouge pas mal. Les deux adolescents Kellaway vont découvrir la plus grande ville du monde, ses vertiges et ses dangers. Leurs aventures sont assez attendues, les personnages les plus intéressants étant le poète graveur épris de liberté William Blake et Philip Astley, patron de cirque, une sorte de magnat du show-business de ces temps-là.

                                Grace à ces deux, en quelque sorte "précurseurs" tant des idées que du spectacle, L'innocence prend un certain relief et lorgne vraisemblablement vers une suite, peut-être déjà publiée, je ne sais. Et là, ce faisant, ou ce écrivant, je m'aperçois que je n'ai rien de plus  à dire. Ce fut donc une lecture plaisante, un roman sur fond historique, où l'on ne voit pas le temps passer, j'oserai dire "glissament" car j'adore inventer des adverbes. Et puis on se dit qu'on n'aurait pas perdu grand-chose à l'ignorer. Et lire plus viscéral. Mais bref, pas si mal, et surtout pas si nécessaire. Je sais, ce sont des réflexions du temps qui presse un peu.

21 septembre 2016

Transamerica (dédié à Asphodèle)

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                              Je n'avais lu de Stewart O'Nan que l'excellent Des anges dans la neige La neige en deuil mais me suis précipité dans ma petite librairie qui peine avant même la sortie du roman West of Sunset qui trace le portrait de Scott Fitzgerald lors de ses dernières années. Le titre déjà m'enchantait. Le mot Ouest à lui seul me fascine, couchant, crépuscule. Du coup c'est un bien joli pléonasme que West of Sunset, ou Derniers feux  sur Sunset. Même les cinéphiles moyens acquiesceront sur Sunset Boulevard, qui rappelons-le, commence par un cadavre dans la piscine. Mort et luxe sur la Côte Ouest.

                              Paradoxalement en cette année 1937 c'est le luxe qui est bien mort pour Fitz. Loin, si loin, les triomphes du Great Gatsby, la Côte d'Azur et les palaces parisiens, la folie jazz. Même Hem l'ami rival de la Closerie des Lilas a pris ses distances. Quant à la belle Zelda, elle s'empâte et déraisonne dans un asile de Caroline du Nord. Ruiné, abruti d'alcool, Scott n'est qu'un rameau desséché incapable de payer les soins de Zelda et les études de leur fille Scottie. Prince déchu, il n'a que 40 ans.

                             Grandeur et décadence ou mieux, enfin pire, gloire et déchéance, resteront les étoiles contraires de Scott Fitzgerald. Et c'est bien à Hollywood la perverse qui dévore ses enfants que se jouera le dernier acte. Il y tente de se refaire une (maigre) santé financière. Pour la santé tout court sait-il qu'il est déjà tard? Vaguement engagé comme scénariste, il n'apparaîtra quasiment jamais dans les génériques. On appelle ça uncredited. Et c'est bien vrai qu'il manque de crédit, de toutes sortes de crédits. Il faut savoir que les moghols du cinéma faisaient retoucher certains films par six ou huit scénaristes différents. Faulkner ou John O'Hara n'ont guère été mieux traités. Mais vous savez tout cela si vous faites partie des nombreux Européens à entretenir la flamme et le culte fitzgeraldiens.

                             Stewart O'Nan chronique les dernières années de l'ancienne coqueluche jet set avec beaucoup d'humanité, bien loin de l'hagiographie. Sa liaison avec Sheilah Graham, journaliste mondaine ne lui donne pas le beau rôle. Dorothy Parker, l'écrivain Thomas Wolfe (Genius, film récent le fera peut-être un peu plus lire en France), le grand metteur en scène Mankiewicz, mon patron Humphrey Bogart nanti de sa troisième femme, il y a mieux pour la sobriété. Fitz court le cachet, mais le fric n'arrive plus et l'auteur décrit fort bien la spirale des dettes version dernier nabab. Scott, le plus fragile de cette Lost Generation, est en approche finale. Le roman est très attachant, très explicite sur le mirage hollywoodien, et sur ce grand boulevard qui mène au crépuscule. C'est un beau livre, Fitz y est ordinaire, c'est un grand compliment.

                            Pensant à Gstaad et Saint-Moritz, "Pourquoi le passé était-il toujours à double tranchant, ou bien la faute en était-elle au présent, si médiocre et si vide?"

                             A propos de sa relation avec Sheilah, vacillante, "Il avait du mal à accepter qu'ils ne soient plus un couple divertissant".Tout est dit, non?

                            Abus de name dropping de la part de Stewart O'Nan, diront certains. Pas faux et les surnoms, les diminutifs de la faune hollywoodienne peuvent alourdir le texte, notamment pour les "un peu moins" cinéphiles. Défaut mineur pour cette histoire d'un écrivain célébré, ignoré. Gatsby était la version Océan Atlantique, dorée mais fragile, destin tragique. Fitzgerald, les yeux vers le Pacifique, ne mourut surtout pas en pleine gloire. Un trajet américain...

10 septembre 2016

Saga citée

 Les O'Brien

                                 Pavé sympa que l'histoire de la famille O'Brien que le Canadien Peter Behrens nous raconte sur 572 pages rythmées et colorées, trois quarts de siècles et pour Joe O'Brien l'aîné, très jeune devenu chef de famille, les échelons de la fortune et du succès, notamment dans le bois et les chemins de fer. Cette saga est hyperclassique et ne prétend ni à l'originalité ni à l'inoubliable. Mais alors qu'il m'est arrivé de m'ennuyer ferme sur nombre de ce type de romans quasi feuilletonnesques j'ai trouvé que l'essor du XXème Siècle cadrait parfaitement avec l'évolution du personnage de Joe O'Brien, faisant du voyage un bon moment en compagnie du clan.

                              Joe, sa femme Iseult, ses trois enfants vivront pleinement leur époque, avec un maître mot, l'énergie. A travers les crises morales et financières, les deuils, les deux guerres qui n'ont pas épargné le Canada, mais qui ont-elles épargné? J'ai conscience que ce que j'écris là ne saurait être décisif quant à votre envie de lire Les O'Brien. Pourtant, des Rocheuses où l'on pose des traverses aux plages californiennes au surf balbutiant ce roman-fleuve (plus Yukon que Mississippi) m'a constamment incité à poursuivre cette histoire. Ce n'est pas le cas de toutes les histoires de familles.  Ce n'est pas non plus l'avis de tous les lecteurs, certains trop virulents (le naufrage des O'Brien), d'autres trop laudatifs (d'une rare intensité). Moi, ce modéré moi-même, j'y ai pris pas mal de plaisir. J'admets aussi, le temps nous étant compté, qu'on peut considérer avoir des lectures plus urgentes.

31 août 2016

La vie pas si mondaine de Miss Parker

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                              Les nouvelles de Dorothy Parker sont d'une précision entomologique. Et ses personnages ne sont pas loin d'être des insectes s'agitant dans leur microcosmos souvent newyorkais comme en un bocal, mais un bocal upper class (quelques exceptions cependant). Seize nouvelles dans le recueil La vie à deux, et autant de joyaux ironiques , facétieux même et pourtant graves sur le thème fameux de l'incommunicabilité des couples. Comme toujours pour les nouvelles je n'en évoquerai que quelques-unes, chacune ayant son charme, étonnant alors que l'idée semble presque identique.

                             La dernière, Les bonnes amies, met en scène une femme rendant visite à une de ses amies, malade ou dépressive. Poussant à l'extrême, Parker ne donne en fait la parole qu'à la visiteuse en un ahurissant monologue puisque, toute à sa prévenance et à sa "compréhension" elle ne laisse jamais à l'autre, l"assistée" le temps de dire un mot. C'en est presque désopilant, tragi-comique... et très facilement transposable à...vous ou moi.

                            Sentimentalité se passe dans un taxi où une femme pleure les heures enfuies, se remémorant les lieux de la ville témoins de son bonheur. Toute à son chagrin elle confond les rues... Le coup de téléphone, est un minidrame, une femme attend, attend, attend... Le téléphone, damné objet du quotidien (que dirait Dorothy Parker de ce que ce truc est devenu, parfois génial et plus souvent odieux), ne sonne pas. La femme attend, attend... Ces petits dialogues entre époux, ou ces absences de dialogues   Le calme avant la tempête, sinistres objets du quotidien

                            Tristesse de Vêtir ceux qui sont nus ou Le petit Curtis, un autre monde, prolétaire et parfois noir de peau. J n'attendais pas Miss Parker sur ces rivages, très sobres et très prenants. Plus variées que je ne l'imaginais , les vignettes littéraires de La vie à deux sont une vraie réussite.

16 juin 2016

Deep South Blues

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                                Récit plus que roman Des mules et des hommes est un livre irrésistible, un livre plaisir, un livre où l'on se sent bien pour peu que l'Amérique nous intéresse et que nous soyons lecteurs d'Erskine Caldwell par exemple. Mais connait-on encore Caldwell, sa Route au tabac et son Petit arpent du bon Dieu? Harry Crews raconte son enfance de petit blanc de Georgie.

                               Né en pleine Grande Dépression, dans une misérable baraque de Bacon County, zone aride aux habitants susceptibles, Crews (1935-2012) narre ce lieu magique où les serpents parlent, où les oiseaux peuvent s'emparer de l'âme d'un enfant, où les prédicateurs et les sorcières gardent fantômes et démons à portée de main. Cette Amérique n'est pas celle de Boston ou de Frisco. C'est une Amérique de modestes pour qui le temps qu'il fait et les récoltes tout aussi modestes sont choses essentielles. Le titre français, Des mules et des hommes, paraphrasant un roman de Steinbeck, est à cet égard plutôt bien choisi. 

                              Je n'avais jamais lu Harry Crews. Dans cette quasi autobiographie les évènements, rudes, de son enfance, décès de son père, alcoolisme de son beau-père, ses propres et graves problèmes de santé, paralysie des jambes pendant plusieurs mois et chute dans un chaudron de graisse bouillante, sont relatés sans verser dans le misérabilisme même si la vie, elle, frise la misère. Au rythme des saisons, achat d'une mule, estocade du cochon (un classique du rural dans le monde entier), vol de bétail, prières maugréées plus qu'entonnées, Harry Crews compose une ballade de ses tendres années, c'est un euphémisme, où celui qui tient la vedette est tout simplement l'amour de la vie, malgré la poussière des chemins et l'entêtement des mules et des hommes.

                              Ce n'est pas le Sud de Faulkner, pas tout à fait celui de James Lee Burke, mais on est tout de même plus près des bayous cajuns aux serpents mocassins et poissons-chats géants que de Paul Auster ou Philip Roth. Multiple et géniale (parfois) littérature américaine.

21 mai 2016

Temps de chien

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                                 Troisième incursion chez Don Carpenter, auteur américain que j'ai découvert l'an dernier avec La promo 49. Deux comédiens ne m'avait pas passionné contrairement au précédent. Sale temps pour les braves (Hard rain falling), publié en 66 est pour moi entre les deux mais assez différent, loin du registre de la satire hollywoodienne, assez loin  aussi du portrait de groupe générationnel de La promo 49 qui se présente d'ailleurs sous forme de nouvelles. Le bouquin est nettement plus gros, plus hard-boiled si j'ose dire. L'itinéraire de Jack Levitt est bien balisé, né avec la crise de 1929, orphelinat, maison de correction, prisons de différents niveaux. En quête de liberté depuis toujours Jack connaîtra à peu près tout, mais rien n'ira vraiment. Amour, mariage, paternité, argent, Jack Levitt n'est pas un chanceux. Pas sûr qu'il ait mis tous les atouts dans son jeu.

                                A propos de jeu de nombreuses pages sont consacrées au billard et à ses différentes déclinaisons. Manifestement  bien documenté, c'est aussi pour un profane somptueusement... casse-pieds car à peu près incompréhensible. L'écrivain Richard Price parle de Hard rain falling comme d'un roman de la période beat. C'est en partie juste quoiqu'ultérieur d'une douzaine d'années à Kerouac par exemple, et moins intellectualisé, et (un peu) moins sous acide. Tout de même on peine à croire certains passages quand Jack dit  préférer Dostoievski à Tchekhov. C'est la seule chose optimiste et utopique vu les antécédents et le jeunesse de Jack Levitt. Enfin moi je n'y ai pas cru. C'est une des limites de cet intéressant roman de Don Carpenter, qui ne fut jamais à la bonne place au bon moment. Corée, enseignement, scénariste à Hollywood pour le pire, d'ailleurs très peu de traces, son meilleur ami fut Richard Brautigan et tous deux choisirent un jour d'en finir. Mieux vaut tard que jamais, cinquante ans après sa disparition on redécouvre Don Carpenter. 10/18 n'y est pas pour rien.

                             

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