J'irai jamais sur ton Islande
Masse Critique Babelio et les éditions Métaillié, que je remercie, distillent avec ce roman un air glacé, celui, bien connu maintenant, du polar nordique. Mankell, Nesbo, Indridason and co. sont passés par là. Probablement peu de surprises à attendre me disais-je. Je me disais bien. Aurora, qui vit en Angleterre, part en Islande à la demande de sa mère, car Isafold, sa soeur ainée, n'a plus donné de nouvelles depuis plusieurs semaines. Même dans ce petit pays où l'on croit que tout le monde se connait on peut donc disparaître. Curieuse Islande. Ce sont d'ailleurs les quelques particularités distillées à travers le livre sur la vie dans l'état insulaire qui m'ont paru les plus intéressantes, voire les seules car l'intrigue policière et les personnages n'offrent guère d'empathie. Froid comme l'enfer est un polar banal qu'on lit dans le train, au moins ainsi 100% des voyageurs ne seront pas rivés sur les boîtes diaboliques. Et si le lecteur n'a pas fini Froid comme l'enfer et l'oublie au terminus ça n'a guère d'importance.
Par contre j'ai été relativement troublé par le mal que semble penser l'auteure à propos de son propre pays. Lilja Sigurdardottir démolit consciencieusement l'Islande. Loin de l'univers de Jon Kalman Stefansson dont l'Islande est pourtant rude mais si profonde et lyrique. Mais ne comparons pas. J'espère ne pas divulgâcher en évoquant les violences conjugales dont l'île semble être une championne. Pour l'alcoolisme on était au courant. Pour les différentes addictions si sympathiques on s'en doutait mais là encore Madame la fille de Sigurdar appuie sur le champignon (hallucino cela va sans dire).
N'oublions pas les fraudes financières historiques et les montages complexes. L'Islande n'en détient pas le monopole mais tout s'exacerbe dans cet espace clos si souvent dans la nuit. Les disparus, vu le peu de population et le relief tourmenté de cette île encore trop grande, sont plus rarement retrouvés que partout ailleurs. Et, mais peut-être en ai-je déjà trop dit, cette conception très particulière de la justice à propos de l'homicide. Là-haut, pas très loin du pôle, les prétoires aussi seraient glaciaux. Seize ans de prison maximum, la plupart du temps ramenés à dix. Je sais pas vous, mais moi...froid dans le dos.
L'ami nordique
Je me retrouve volontiers dans les livres du Norvégien Per Petterson que j'aborde pour la cinquième fois. Arvild Jansen était déjà le héros de Maudit soit le fleuve du temps (Grand du Nord). On ne le quitte pas au long des 300 pages de Des hommes dans ma situation. En pleine séparation d'avec Turvid, Arvid dérive tranquillement, écrivain qui n'écrit guère, père de trois filles qu'il peine à voir, écumant Oslo de bar en bar, s'alcoolisant raisonnablement, oisif, quelques conquêtes de hasard. La vie, la vie dans tout ce qu'elle a d'erratique. Alors on pense un peu à Drieu La Rochelle, au Feu follet, au cinéma du jeune Wim Wenders, tout cela version smorgasbord, et ce Nord que j'aime tant.
Nous sommes certes dans une littérature de la mélancolie, du spleen, du blues. Mais ceux qui me lisent un peu me connaissent de même depuis longtemps savent mon goût pour cette atmosphère. Je me sens mieux quand je me sens mal. Des hommes dans ma situation ne convient pas aux boute-en-train, mais aux hommes dans ma situation, oui. Alors j'ai aimé accompagner Arvid dans sa déréliction, sacrifiant ainsi au romanesque sombre. Attention je connais mes limites et apparemment Arvid aussi. Restons dans le cadre de la raison et rien ne vaut la vie.
Léger bémol pour altérer un peu ma tendance laudative au sujet du roman. Je ne pense pas que Per Petterson sache que j'ai passé cinq jours de ma vie à Oslo en 19... je sais plus. Il doit croire que j'y aie une résidence secondaire. Car j'ai rarement lu un tel lame dropping géographique. Gallimard aurait dû agrémenter Des hommes dans ma situation d'un plan de la ville. Des centaines de noms de rues, de places, de banlieues, de ponts, de gares, etc. constellent le récit et l'errance, mesurée, d'Arvid Jansen à sa propre recherche. Je suis sensible aux noms nordiques que j'essaie de prononcer à voix haute, mon exotisme à moi. D'aucuns trouveront cela un peu abusif.
Embarquez pour ce street trip septentrional, c'est ma conclusion, si vous aimez ce dépaysement immersif et si vous avez envie d'accompagner Arvid, comme un voisin un peu ombrageux mais qui mérite toute votre attention. Quelques lignes où il n'est pas question de l'urbanisme de la capitale norvégienne.
Ma vie s'en allait à vau-l'eau, tout disparaissait, je ne retenais rien, les choses se détachaientde moi les unes après les autres et flottaient dans l'air. Et elles ne reviendraient plus. Comme dans le poème de Yeats, où le faucon n'entend plus l'appel du fauconnier, s'envole au-dessus des collines pierreuses et disparaît quelque part entre les montagnes de Mongolie. Ou dans l'ouest de l'Irlande, près des îles Blasket avec leurs maisons sans toit et leurs murets en pierre sèche à moitié écroulés; ce paysage noyé sous la pluie que j'avais vu autrefois depuis les hautes falaises de la côte.
Tiens. On dirait qu'il sait aussi que que j'ai passé quelques heures aux îles Blasket. C'était en 20... je sais plus.
Fraîcheur d'Islande
Jon Kalman Stefansson m'avait enthousiasmé avec sa trilogie magique pour laquelle j'ai appris par coeur la phrase Entre cile et terre La tristesse des anges fond sur Le coeur de l'homme. Lumière d'été, puis vient la nuit est antérieur à ces merveilles, pubié en Islande en 2005. Dans un petit village des fjords occidentaux de l'île où la lumière n'est ni fréquente, ni durable, d'où l'admirable titre, huit chapitres ciselés comme un rocher de lave nordique nous installent dans une ambiance à la fois familière et fantasque. Oeuvre chorale s'il en est, une histoire de choeur qui nous immerge dans la vie de tous ces personnages en un village au coeur de ce pays pas comme les autres, seul au monde au grand large atlantique, Lumière d'été, puis vient la nuit nous fait vivre au plus près d'eux, un quotidien d'amitiés et de rivalités, de générosité et de mesquinerie, en un cercle quasi fermé, comme toute vie insulaire.
Petit conseil quand on aborde les rivages de la souvent très haute littérature islandaise, notamment pour ce type de portrait de groupe, avec nombre de protagonistes. Les prénoms islandais sont souventparfpois faciles, Elisabeth, Kristin, mais encore plus souvent on a un peu de mal à identifier prénoms masculins et féminins. Notez-les au début. Revenons à nos moutons islandais. Au long de ces huit textes, on ne peut parler de nouvelles, il y a interaction entre certains personnages. Et il émane de ce livre magique une fantaisie drolatique, une poésie surréaliste, des images comme des nuages suspendus dans l'incertain. Je vais donner quelques extraits, je le fais rarement mais c'est si beau. D'autant plus que Stefansson sait faire preuve d'humour.
Le temps passe et nous traverse, voilà pourquoi nous vieillissons. Dans cent ans nous reposerons au creux de la terre, il ne restera plus que des ossements et peut-être une vis en titane que le dentiste aura mise dans une dent de notre mâchoire supérieure pour que le plombage reste en place.
Parlant de l'humanité, Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. Nous sommes à la fois le juge, le peloton d'exécution et le prisonnier attaché au poteau. Pourtant nous vivons comme s'il n'y avait rien de plus naturel. En toute absurdité. Nous nous contentons simplement de réfléchir de temps en temps aux évènements irrationnels, aux informations extravagantes, à l'absurdité des circonstances, à la déraison de la vie. Kafka aurait-il pris un vol pour Reikjavik?
Et puis je citerai deux titres de chapitres, qui à eux seuls valent qu'on lise ce très bon bouquin. Je suis de ceux qui se pâmeraient pour moins que ça. Les larmes ont la forme d'une barque à rames et On pense à tellement de choses dans une forêt, surtout lorsqu'un fleuve majestueux la traverse. Faire avec JKS le voyage c'est s'imprégner d'une ambiance originale qui permet de ce sortir de de cet été et de ces nuits avec l'impression d'avoir traversé un poème généreux flirtant avec un fantstique léger, un conte où les nombreux personnages ne s'en laissent pas conter et vivent au mieux amours, amitiés, rêves et déceptions. Aidés de musique et d'alcool, personne n'est parfait.
Petit vade mecum suite au petit conseil susdit: Kjartan, Kiddi, Aki, Brandur, Gaui, masculins, Sigriour, Asdis, Solrun, Eyglo, Puriour, Gerour, féminins. Mais peut-être suis-je à la limite de la discrimination avec ces références outrageusement genrées. Lisez Jon Kalman Stefansson, magique comme une aurore boréale.
Fjord ever
Très grand cru que ce pavé nordique que l'on m'a prêté. Auteur inconnu pour moi. Kim Leine est dano-norvégien, mais surtout un grand écrivain très apprécié en Scandinavie, et très engagé pour l'autonomie du Groenland. Morten Falck, fils de pasteur, a suivi lui-même des études de théologie, et quitte Copenhague où il n'a pas fréquenté que des enfants de choeur. Sa quête d'un certain absolu, parfois de dissolu, le mène jusqu'aux terres glacées du Groenland. Il y assez peu de romans situés dans cette région ultime, en dehors des récits de science-fiction. Nous le suivrons pendant trente ans, à partir de 1782, cela inclut 1789 et ce n'est pas un détail. Car Rousseau, Voltaire et la révolution Française sont passés par là. Et c'est peu dire que Morten Falck, pasteur, aventurier, escroc, est une figure romanesque ambigüe, complexe et passionnante.
Après les frasques de la jeunesse de Morten c'est le voyage vers le Nord, rude et fascinant. La seule amie de Morten à bord est une vache laitière, Roselil, au destin tragique. L'humour n'est pas absent dans Les prophètes du fjord de l'Eternité. Devenu homme de Dieu, très tolérant sur certains plans, et digne d'un film de Bergman auquel on ne peut pas ne pas penser un peu, Morten débarque sur l'île continent, avec la charge de convertir les autochtones. Ces derniers sont parfois récalcitrants, ayant déjà subi la loi des colons du royaume du Danemark, où il y avait déjà quelque chose de pourri un siècle plus tôt (Shakespeare ne prend plus de droits d'auteur). Les femmes, la foi, la débauche, l'alcool, l'ignorance font bon ménage, façon de parler, dans ce bout du monde glacé, où l'on se parfume à l'urine et à la graisse de phoque.
Morten Falck a une mission, mais tout est difficile en ce pays. Il y a notamment des dissidents dans une île isolée et les fragiles idéaux de Morten vont se heurter aux croyances et moeurs pour le moins différentes de ces insulaires. Différents des continentaux, pas forcément pires. Une société arctique brutale et primitive face à la colonie danoise, policée en apparence mais tout aussi dangereuse. Paraphrasant l'un des grands Bergman, je dirais que L'heure du loup n'est jamais loin. Et Morten Pedersen Falck n'exorcisera jamais complètement le sang sur ses mains.
Mais Les prophètes du fjord de l'Eternité ne se limite pas à ces questions. Le roman d'aventures, secret et initiatique, est tout aussi présent dans ce bouquin magistral. Un coup de maître. Par exemple les 80 dernières pages sont consacrées au légendaire incendie de Copenhague (Morten y est alors de retour) en 1795. Le souffle sur les braises en est hugolien. Rien de moins. Et ce gros livre se lit sans peine, presque feuilletonnesque, un compliment sous ma plume.
KIm Leine, né en 1961, a vécu quinze ans au Groenland, terre qu'il aime mais dont il ne cache pas les revers. Eternelle dualité qui fit de lui un écrivain majeur, mais aussi, c'est bien sûr lui qui le dit, un toxicomane qui dut regagner la métropole pour se sevrer. Les sirènes nordiques ne sont pas toutes aussi fraîches que celle d'Andersen dans le port de Copenhague.
La vie procuration
150 pages, non pas d'une confession, mais d'une sorte de conversation intime entre deux femmes, ou plutôt d'un monologue puisqu'Ellinor, 70 ans, s'adresse à Anna, sa meilleure amie, morte lors d'une avalanche avec Henning, le mari d'Ellinor, quatre décennies plus tôt. La veuve s'est remariée avec le veuf, Georg, qui vient de mourir. On pourrait s'attendre à un réglement de comptes. Après tout, on le sait dès le début, Anna et Henning étaient amants. Mais le propos de Jens Christian Grondahl est tout autre.
Ellinor, ci-devant femme du mari d'Anna, mère de substitution de Morten et Stefan les jumeaux, a en quelque sorte vécu à la place d'une autre. Bien sûr ce fut le mieux possible, et pour la plus belle des causes. Il se trouve que j'ai vécu, enfant, quelque chose d'assez proche et c'est l'une des raisons qui m'ont intéressé à ce roman. Je connais un peu J.C. Grondahl, ayant lu et apprécié Virginia et Les Portes de Fer.
Ellinor, tutoyant longuement Anna, revient sur sa relation à sa propre mère, tondue à la libération. Ellinor est une fille de boche. Alors elle raconte les tentations de la rancoeur, les regrets, un zeste de jalousie. Et ce lointain passé resurgit, mais calmement, posément. Et Ellinor de refaire le deuil, de son mari, de ses maris, peut-être de sa presque soeur, de sa non-maternité. Les mots sont magnifiques et Grondahl est vraiment un auteur passionnant, et à l'écoute de ses créatures. Et le feeling passe bien entre le lecteur et cette femme assez âgée, simple mais non sans noblesse qui décide au soir de sa vie et à l'aube d'une nouvelle solutude de regagner le quartier de sa jeunesse modeste.
"Les mots s'adressent toujours à quelqu'un. Sinon ils restent dans le dictionnaire à attendre qu'il cesse de pleuvoir. On a le droit de s'en saisir à condition de les retransmettre tout de suite. On ne peut pas les garder pour soi, sinon, là, ils sont insignifiants." Quelques avis...que je partage.
Le sable y est
Thriller sur fond de piraterie contemporaine situé dans la si accueillante Corne de l'Afrique, signé d'un lieutenant-colonel de l'armée de l'air suédoise, ayant connu le bourbier afghan et chassé lui-même le pirate en Somalie, Du sang sur le sable se consomme sans intérêt particulier, comme un plat quotidien avalé par habitude et dont le goût ne risque pas de vous irriter le palais. Ceci posé on a le droit d'apprécier ces aventures à Djibouti, un peu comme on lisait, du temps où on lisait dans le train, pratique disparue, un polar quasi jetable. Mais c'était encore lire. Je confirme, lire Du sang sur les sable, c'est donc lire et pénétrer les arcanes d'un trafic de devises en relation avec le terrorisme, entre la Somalie en guerre civile, et la Suède dont les soldats en poste dans l'ancienne Côte Française des Somalis ne sont pas tous d'une probité au dessus de tout soupçon.
Une famille de Suédois aisés a eu la brillante idée de choisir le sud du Golfe d'Aden pour la croisière inaugurale de leur magnifique voilier. Pris en otages par des pirates somaliens ils vont être l'objet de sordides négociations. Robert Karjel tente de nous initier au fonctionnement des services secrets européens. Son personnage, Ernest Grip, va se trouver confronté à la mort accidentelle ou non d'un officier suédois lors d'exercices. Les deux affaires, prise d'otages, meurtre lors de leçons de tir d'une escouade djiboutienne, sont-elles liées? Multiples portables prépayés, messages codés, apparition d'une pianiste au jeu très trouble mais séduisante, séquences sur les otages sans vrai suspense. J'ai trouvé le temps bien long, 500 pages, même si certaines pages sont de dialogues vite survolés. Si le coeur vous en dit.
Merci à Babelio avec qui j'ai lu Du sang sur le sable. Ainsi qu' aux éditions Denoël. On ne peut pas gagner à tous les coups.
Le Danois devant la fontaine
Après le très récent et remarquable Douce nuit du Norvégien Ragnar Hovland je vous propose le très bon Les Portes de Fer du Danois Jens Christian Grondahl, écrivain plus connu et dont j'ai déjà relaté Virginia. Portrait d'un homme à environ vingt, quarante et soixante ans, l'âge actuel de l'auteur, ce roman m'a passionné d'un bout à l'autre. La vie de cet homme est racontée à la première personne et apparait comme une confession, mais ce terme sonne trop comme un aveu. Disons plutôt comme un simple récit dont l'essentiel tourne autour de ses parents, de sa fille, et surtout des femmes de sa vie. Combien d'hommes ont écrit sur les femmes de leur vie? Ou combien auraient aimé le faire?
Un moment tenté par Karl Marx en ses jeunes années le narrateur perd sa mère et prend ses distances avec son père, non sans une certaine morgue à mon sens. "Alors que je me retournais sur le seuil de ma vie d'adulte je n'avais plus à me livérer e quoi que ce soit. Une mère morte et un pantin de père dans les bras d'une autre femme". Son goût pour les lettres en fera un enseignant. Son mariage avec Maria et la naissance de Julie n'empêcheront pas le retour de la solitude ordinaire, sans drame et sans effusions. Pourtant des visages traverseront ses jours, Benedicte, Viviane, Adèle, passagères d'un navire peu apte au vrai partage. C'est Ivana, peut-être, la mère de Stanko, jeune serbe réfugié à Copenhague, qui en quelques rencontres, l'approchera au mieux. Ivana, il l'aura surtout vue en vidéo sur un bateau sur le Danube, entre Serbie et Roumanie, ça s'appelle les Portes de Fer. C'était un peu avant la guerre.
Sexagénaire tout juste grand-père déambulant seul dans Rome, "Revoit-on les femmes de sa vie pour se voir tendre un miroir? J'ai réfléchi à la quetion, assis à la terrasse du Canova?" C'est devisant aimablement avec Jessie, une jeune photographe compatriote, devant les vestiges campaniens de Paestum, qu'on l'abandonnera, pas mal dans sa peau, finalement. "Tu ne ressemblais pas à quelqu'un de marié, avec ton café et ton livre. C'est caractéristique d'un célibataire d'avoir un livre avec soi quand on sort. Pour ne pas être obligé de regarder partout quand les autres ont quelqu'un à qui parler."
Promis! J'aime tant Les Portes de Fer que moi non plus, je ne sortirai plus sans un livre. Qui sait? Je fais déjà ça au cinéma cause trop de pub.
Le Nord me va si bien
Je dois à Babelio de bons moments, parfois de moins bons mais c'est la règle du jeu. Mais sans eux j'ignorerais toujours le Norvégien Ragnar Hovland bien que je me perde très volontiers dans la littérature nordique. Quel beau roman, ça s'appelle Douce nuit, il n'y pas de scénario proprement dit. Un homme, écrivain en panne, âge mûrissant non précisé, on apprend peu à peu sur lui, c'est très curieux car on n'en saura jamais vraiment beaucoup. Son éditeur le presse un peu, il va peut-être écrire un roman pour la jeunesse. Ce qui compte dans Douce nuit, c'est ce qu'on devine ou croit deviner. Il était le deuxième d'une fratrie de cinq. On ignorera toujours les deux plus jeunes, nommés "nos deux plus jeunes frères". Où sont-ils passés? Mystère.
Le frère aîné, là encore pas de prénom, apparait comme une sorte de fantôme un peu désincarné, ce qui pourrait bien être un pléonasme, depuis une expérience ancienne, restée floue elle aussi, une rencontre avec un personnage vêtu de noir. Ils vont se retrouver, un peu, un petit peu, pas beaucoup. Les conversations fraternelles sont pour le moins sybillines. Quand au troisième frère, il répond si j'ose dire au nom de Numéro Trois, rien de plus, avocat plutôt marron, et traverse à moto la Norvège vers le Nord. Ca fait beaucoup de Nord, j'adore. Très sporadiquement ce petit monde échange un SMS. Il ne se passe rien en cette Douce nuit, rien que l'incompréhension mutuelle que même deux jours chez les vieux parents, père en proche partance, mère aimante mais ayant depuis longtemps compris que l'amour de ses fils demeurerait d'une exemplaire discrétion, ne pourront entamer.
La maladie est aussi très présente dans ce roman, non pas à grands renforts de pathos, mais par nombre de touches-souvenirs du fils principal narrateur, amis d'enfance, des femmes surtout. Je n'ai pas trop compris pourquoi Ragnar Hovland cite Ragnar Hovland parmi les écrivains dont il parle, mais il n'en parle qu'un tout petit peu. Il est vrai qu'il cite aussi Lars Saabye Christensen, son exact contemporain, l'un de mes auteurs préférés. Tout est beaucoup un petit peu dans Douce nuit, et laisse au lecteur un peu de travail. J'aime ça, comme j'aime le Nord en général, et ce chalet en bord de mer où se retrouvent brièvement les trois frères, pour aller pêcher, un peu.
J'ai aimé ce libre, beaucoup, beaucoup. S'il ne m'avait plu qu'un peu, un petit peu, je l'aurais aimé quand même, et je l'aurais gardé (je garde moins de livres maintenant). Il cite Scarborough fair, version Simon and Garfunkel, et The girl from Northern Country, de Dylan, qui ne sont en fait qu'une seule et même mélodie. Ca suffit pour figurer dans mon petit panthéon. Il en faut parfois peu, un petit peu. Merci à Babelio pour ce très bon millésime.
P.S. Ragnar Hovland est de ma génération, un tout petit peu plus jeune que moi. Il a aussi beaucoup écrit pour la jeunesse. Très francophile, il a traduit entre autres Baudelaire, Queneau, Apollinaire.
Jonas le cocasse ne casse rien
Jonas Jonasson a un truc, lui ou ses éditeurs. Une recette pour ses titres, c'est pas un truc que j'apprécie beaucoup. On fait dans l'accroche un peu racoleuse à base d'oxymore, Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, L'analphabète qui savait compter, et ici L'assassin qui rêvait d'une place au paradis. Ca me rappelle les titres d'un autre Nordique, Paasilinna, plus poétiques mais tout aussi fabriqués. Lisez d'un trait les titres du Finlandais. Surréaliste et truqué mais sympa quand même. Bon c'est des combines d'édition, quand un premier livre a bien marché. Pas grave tout ça. Plutôt rigolade avec ce cadeau Babelio que je remercie de sa confiance une fois de plus. Pas négligeable un peu de rigolade septentrionale. Un peu mineure la rigolade.
Je vous présente Dédé le Meurtrier, sympathique assassin,enfin libre après trente ans, et ses deux maîtres à penser, un réceptionniste jeune et fauché qui répond au nom incroyablement rare en Suède de Per Persson, et Johanna, une pasteuse défroquée. Enfin c'est pas écrit ainsi mais, surtout en Suède si égalitaire que c'en est triste parfois, un pasteur femme qui a quitté les ordres, vous appelez ça comment, vous? Tous les trois ont monté une agence de châtiments corporels. Besoin d'un homme de main? Dédé accourt, Per et Johanna gèrent le business.
Ceci n'est que la première des trois entreprises audacieuses, cahotiques et rocambolesques du trio majeur à seule fin de faire fortune. Cette farce scandinave nous met de bonne humeur par quelques expressions marrantes à propos de Dédé promu gourou d'une nouvelle église prompte au vin de messe et aux mains basses sur la quête. Les quelques morts violentes sont très rigolotes, un peu du Georges Lautner sur Baltique. Probablement un jour au cinéma, Le vieux qui ne voulait pas... l'a bien été, adapté. De là à dire que certaines scènes deviendront cultes comme la cuisine des tontons, je ne parierais pas là-dessus plus de trois couronnes suédoises.
La poésie du jeudi, Carl Snoilsky
Pour mes retrouvailles avec les Jeudis de ma chère Asphodèle j'ai voulu prolonger un peu mes quelques jours scandinaves. Hasard aidant je suis tombé sur cette Vieille porcelaine qui m'a séduit. Carl Snoilsky (1846-1903) était un aristocrate, un diplomate, un voyageur, en Méditerranée notamment. Mais surtout un poète, assez peu traduit en France. Que pensez-vous de ce texte, qui ne manque ni de philosophie, ce qui est bien, ni d'humour, ce qui est mieux?
Vieille porcelaine
Un roi de Saxe collectionnait la porcelaine,
mais sa manie devint une vraie maladie.
Il échangea avec le roi à Berlin
sa garde - pensez ! contre une cruche chinoise.
Cinq mille hommes avec sabres et carabines,
que les prussiens savaient parfaitement manier,
dans l’exercice souples et doux,
un mur, en guerre, contre - une soupière bleue !
Cinq mille hommes poudrés avec perruques !
Telle folie surpasse toutes les autres
depuis l’aube des temps -, oui, vous le pensez.
Et le siècle passé a fait ce changement :
cinq mille cœurs courageux ont eu le temps de se briser,
la vieille poterie - elle est toujours là.