L'apprenti puisatier
Je n'avais jamais lu le Prix Nobel 2006. La femme aux cheveux roux est un très beau roman qui en dit beaucoup sur la Turquie d'aujourd'hui. Très riche, assez complexe, qui donne le ton d'une littérature très indépendante, forcément peu en cour à Ankara. Abandonné par son père, Cem vit seul avec sa mère dans ce qui est encore la campagne près d'Istanbul. Il travaille pour un puisatier avant son entrée à l'université. Il fait la connaissance d'une comédienne de théâtre, aux cheveux incendiaires, le double de ses dix-sept ans. Une seule nuit bouleversera sa vie. Vingt-cinq ans ont passé.
Vingt-cinq ans ont passé, Cem a bien changé, Istanbul aussi, et toute la Turquie, cet état sur deux continents, ce qui n'est pas fréquent. Etudes brillantes, un mariage plutôt heureux, mais sans enfant. Loin des travaux physiques exténuants, Cem est devenu un géologue réputé, puis businessman, plutôt acquis aux idées neuves, obsédé par un drame dont je ne dévoilerai rien, et aussi par la paternité, le mythe d'OEdipe meurtrier de son père, omniprésent au long du roman. La réussite économique de Cem ne suffira pas, malgré son épouse aimante et aimée, à faire de lui un homme en paix.
Les ombres du passé n'en ont jamais fini. Qu'est devenu son maître puisatier? Disparu depuis si longtemps? Les scènes très belles de forage artisanal à la recherche de l'eau, encore rudimentaires en ces années, sont parmi les plus belles du livre. L'initiation de cette fin d'adolescence a été double, la quête de l'eau, si cruciale, et l'éveil amoureux pour la belle actrice, ardente à la chevelure de feu, ensorcelante. Ainsi donc, quelques semaines dans la vie d'un tout jeune homme suffisent à orienter douloureusement toute uen existence. Brûlure jamais tout à fait ne s'apaise.
La femme aux cheveux roux passionne de bout en bout et donne envie d'approfondir l'oeuvre d'Orhan Pamuk. Istanbul est bien sûr plus qu'un décor. On voit la ville changer au fil du bouquin, devenir tentaculaire et indéfinissable. Métropole, mégapole, mégalopole, elle échappe aux personnages qui tous, finissent par s'y perdre. Tout est si fragile, comme le sol turc, en proie aux séismes. De l'hommage au théâtre populaire, engagé, aux remords et regrets d'un père qui s'ignore, le voyage dans la vie de Cem est une belle expérience.
Soleil levantin
J'ai été séduit par ce beau bouquin de l'auteur franco-libanais Sabyl Ghoussoub. Pas vraiment un roman Beyrouth-sur-Seine, c'est le regard de l'écrivain-journaliste d'une trentaine d'années sur la diaspora libanaise des année 80 et la vie à Paris de ses parents telle qu'ils ont pu ou voulu la lui raconter. Kaïssar et sa femme Hanane sont arrivés en France en 1975, pour quelque temps. Mais voilà. Très vite le Liban jadis prospère et envié sombre dans une ahurissante guerre civile, interminable et quasi incompréhensible tant les factions sont multiples et peu accessibles au commun des Européens.
Des chapitres très courts et pleins de punch, un aller-retour permanent passé-présent qui requiert un peu d'attention, comme des vignettes du quotidien parisien des parents, émouvant, assez souvent désopilant, et duquel émane un portrait de famille détonant. C'est un livre que l'on lit très rapidement tant les aléas de la vie de famille sont cocasses et pittoresques. Le père, cultivé, un peu susceptible et imprévisible, fréquente volontiers les hippodromes et les petis bistrots parisiens. Sa carrière universitaire tourne court, il a l'insulte facile et n'est pas toujours très compréhensif.
La mère, un tantinet possessive, une mater familias accro aux délicieuses habitudes connectées si chères à la nouvelle vie de l'humanité, nous offre de beaux moments, notamment en cuisine, quand il y en a pour quinze y en a pour vingt, ou quand elle fait ses courses avec une copine. Bien sûr le temps passe et le Liban, non seulement ne se relève pas mais naufrage totalement. L'essentiel se passe à Paris mais on pense au pays là-bas, qui a vu tant de corruption, de cruautés, d'assassinats.
Faillite totale que quelques grandes familles n'ont pu sauver, bien au contraire...Ce pays a été traversé de tant de soubresauts qu'aucun roman à mon sens, et malgré l'intérêt majeur de Beyrouth-sur-Seine, n'est capable de nous faire comprendre la complexité de cette terre des cèdres. Ne dit-on pas que Dieu lui-même peinera à reconnaître les siens.
Comme un contrat...léonin
J'ai toujours été un passionné de la littérature israélienne, très incisive et très critique envers...Israel. Ayelet Gundar-Goshen, scénariste et romancière, née en 82, nous présente une sorte de face à face, d'affrontement entre le Dr. Ethan Green, neurochirurgien israélien réputé et Sirkitt, la femme d'un clandestin érythréen qu'il a tué accidentellement en voiture. Au delà des aspects proches du thriller Réveiller les lions est une remarquable étude sur la situation explosive et kafkaienne de la région. J'enfonce là des portes ouvertes. Sirkitt a découvert l'identité du conducteur qui a pris la fuite. Ce n'est pas une femme soumise et bien que maltraitée par son mari mort elle demeure à sa manière une militante. La condition d'une femme africaine se moque bien de l'écriture inclusive. Tout autres sont les combats à mener.
Ethan et Sirkitt vont finir par s'apprécier, avec modération. Sirkitt a trouvé un moyen de coercition, pour ne pas dire de chantage, pour amener le chirurgien à composer. L'immigration est un vaste sujet , particulièrement favaorable aux démagogies bilatérales qui se portent toutes les deux très bien. Avec dans ce cas une spécificité régionale, ce qui est compliqué partout est pire la-bas. Ajoutons sur le plan polar, qui compte aussi, le personnage de Liath, l'épouse d'Ethan, inspecteur (ou trice) de police, chargée de l'enquête. Ethan aura bien du mal à garder la tête hors de l'eau. Le brillant praticien de la belle société israélienne va être amené à cotoyer le monde perdu, souterrain, des clandestins venus d'Afrique Orientale.
Le contact entre Ethan et Sirkitt, que je vous laisse imaginer peut-être à tort, va prendre une tournure inattendue. La clandestine africaine est un beau personnage qui ne s'en laisse pas conter, un personnage rare, mais une aubaine romanesque au sens noble. Réveiller les lions est ainsi un joli titre, que l'on peut prendre au sens noble, et qui éclaire les inégalités planétaires sans donner de solution simpliste. Un grain de sable parfois...
Il y a un Erythréen gisant sur le bas-côté. Des cuisses noires figées dans une position qui n'a rien de naturel. Tout comme les bras. Oui, évidemment, rien dans ce tableau n'était naturel. Pas seulement parce que c'était un Erythréen écrasé mais aussi parce qu'il n'aurait jamais dû se trouver là en même temps que lui. La vie d'Ethan n'incluait aucun Erythréen écrabouillé sous son pare-chocs, aucun Erythréen éperdu de reconnaissance, ni même aucun Erythréen tout court. Et imperceptiblement, l'affolement et la culpabilité de la veille laissent place à de la colère.
L'incipit: L'homme, il le percute précisément au moment où il songe que c'est la plus belle lune qu'il a vue de sa vie.
Trois femmes
La vie joue avec moi est un roman d'une rare complexité dans lequel on n'entre pas sans effort. David Grossman est l'un ds écrivains israéliens les plus reconnus, très critique sur son propre pays. Quatre personnages dans ce livre qui explore la transmission, les silences et les secrets au travers de l'Histoire de Véra, 90 ans fêtés au kibboutz, sa fille Nina, sa petite-fille Guili et le père de cette dernière, Raphy. Véra s'et trouvée broyée par le régime de Tito, en lutte contre Staline, et qui aboutira à une fédération yougoslave qui se révélera invivable. Les méthodes du Maréchal n'ont rien à envier à celles d'Oncle Jo. En ces années d'après-guerre la liberté ne se conjuguait guère de ce côté de l'Europe.
C'est à travers le film de Guili et Raphy que nous sont exposées les relations, bien compliquées, entre les trois femmes. Ainsi les deux tiers du livre nous immergent dans les dialogues, nous immergent... et nous noient presque, tant les névroses des trois femmes sont prégnantes et nous débordent. J'ai souffert un peu, ayant souvent des difficultés à bien saisir qui parle, l'osmose de la mère, de la fille et de la petite-fille étant assez éprouvante. J'ai trouvé que le récit manquait quelque peu de limpidité, ce qui ne remet pas en cause la qualité du roman. Disons que La vie joue avec moi n'est pas une récréation.
Mais le souffle de l'Histoire est bien présent, la littérature israélienne y excelle, et la dernière partie du livre, sur une île solitaire de Croatie, une geôle de rochers et de garde-chiourmes, où Véra fut recluse près de trois ans, nous redonne une grande empathie avec Véra, Nina et Guili, et leur "témoin" Raphy. Eva Panic Nahir était une résistante yougoslave qui a inspiré le romancier. Victime du goulag de Tito elle a permis de faire savoir la tragédie de l'après-guerre dans la célèbre poudrière des Balkans.
Guili, la petite-fille, 40 ans. Plus tard, à l'hôtel, j'ai visionné le film et découvert quelque chose: chez elles, toutes les quelques secondes, le globe ocuclaire glisse lentement de sa cachette sous la paupière, apparaît à moitié sur le fond blanc, puis remonte et s'éclipse de nouveau sous la paupière. Je n'ai pas pu me retenir. Je me suis précipitée avec la caméra dans la chambre de Raphy. "Ces deux-là, a-t-il réagi avec un éclat de rire, ne s'autorisent jamais à fermer les yeux, même en plein sommeil."
Trio pendant la guerre du Kippour
Publié en 1977 en Israel, peu après la guerre du Kippour, L'amant est une passionnante variation d'Avraham B. Yehoshua sur la si complexe situation du pays et sur la société israélienne. Ce roman, vieux de 40 ans, n'a à mon avis pas pris une ride. Adam, garagiste prospère, recherche Gabriel, fraîchement revenu en Israel, disparu pendant ce conflit, et accessoirement l'amant de sa femme Assiah. Autres personnages, leur fille Daffy et le jeune mécano arabe Naïm. Curieuse errance des différents protagonistes. Si l'on a peu de nouvelles de Gabriel on s'attache aux pas d'Adam qui sillonne la nuit dans s a dépanneuse le pays à sa recherche. C'est que depuis le départ de Gabriel les relations conjugales d'Adam et Assiah ont pris un sérieux coup de vieux. Elle, professeur, semble ne se vouer qu'à ses élèves, à en devenir quelque peu fantômatique.
Le très jeune Palestinien Naïm est amené à être apprenti au garage, avec le statut particulier des ouvriers arabes. Et, confus et fasciné, tombe amoureux de la la toute aussi jeune Daffy. A eux deux, sauront-ils poser un regard neuf sur ce pays? Un autre personnage compte beaucoup, qui paraît presque fantasmé, irréel et en même temps deus ex machina, la grand-mère de Gabriel, mourante et ressuscitée. Dépeinte un peu monstrueuse en son agonie, ces lignes m'on mis mal à l'aise, elle se ré-humanise au cours de l'histoire. L'amant est un beau roman qui illustre bien l'incommensurable complexité israélienne. 42 ans après sa publication il ne semble guère plus simple d'y démêler espoir et crainte.
Après Shiva, Le directeur des ressources humaines, L'année des cinq saisons, Rétrospective (celui qui m'a le plus passionné), nul doute qu'Avraham B. Yehoshua, maintenant octogénaire, ne soit devenu un classique contemporain majeur de la littérature israélienne, l'une des plus vives au monde.
Les agrumes, bof...
Ce polar israélien tendance corruption des élus m'a semblé d'une grande banalité. Trop de personnages dans cette histoire où rien ne manque, mafia locale avec vieux parrains, policière trop proche d'un élu, escort girls, sbires au coin de la rue. Tout ça ne vaut pas 20 shekels. Encore faut-il connaître le taux de change du shekel. Qu'apprend-on dans Oranges amères? Que Tel-Aviv ne représente guère Israel. Mais le pays est si minuscule que je peine un peu à croire à une telle distance spirituelle entre la métropole branchée et la ville moyenne de Petah Tikva 200 000 habitants à quelques dizaines de kilomètres. J'adore les grands auteurs israéliens, Yehoshua, Appelfeld, Oz, Grossman, si riches et si douloureux. Là mes vacances littéraires là-bas sont un peu ratées.
Manque sérieusement d'une ambiance, thriller, urbaine, ou rurale d'ailleurs. Les courts chapitres défilent sans que l'on s'attache ni aux vieux mafiosi mode sioniste, ni au couple virtuel fliquette-fils du maire sortant, ni aux autres candidats à la mairie. Aucune allusion aux colons ni aux voisins palestiniens. Bien sûr on n'est pas à Jerusalem, jamais citée. Mais quand même on n'est pas non plus hors du temps. Voilà. Tout est dit en ce qui me concerne. Cet article ne restera pas dans les annales. Au moins évitera-t-il le mensonge de la quatrième de couv. qui trouve ce polar haletant. J'ai peu haleté. Allez! J'espère que je ne garderai pas de shekels de cette potion pensum.
Ballade pour un traître
Amos Oz est dans ma galerie. J'étais donc emballé par le choix de Babelio, commenter Judas, le dernier roman de l'écrivain israélien. Pas déçu. Trois personnages à Jérusalem, 1959. Shmuel Asch, 23 ans, est embauché pour tenir compagnie et faire la lecture et la conversation à Gershom Wald, septuagénaire invalide, fantasque, un intellectuel jadis engagé dans le sionisme. Dans la même maison vit Atalia Abranavel, 45 ans, veuve et bru de Wald. Shmuel a abandonné ses études prometteuses, ses parents ruinés. Il va ainsi entrer dans l'intimité des deux autres. Sur fond d'histoire si spéciale d'Israel, état qui en 59 n'a encore que douze ans d'âge, dirigé par David Ben Gourion, figure légendaire du sionisme.
Un peu comme assigné à résidence, Shmuel écoute longuement Gershom parler, et parler encore, du passé, de la Palsetine, des Anglais, de l'état hébreu. Ce n'est même plus pérorer, c'est aussi tourner en rond, et le jeune homme ne tarde pas à faire la même chose, membre du défunt Cercle du Renouveau Socialiste, six personnes dans l'arrière-salle d'un café de Jérusalem. Leurs points de vue sont certes assez dissemblables mais un point leur est commun, le dialogue sur l'essence même d'Israel. On peut perdre un peu pied si on ne maîtrise pas bien les différents éléments historiques ayant abouti à la création du pays. Alors Amos Oz, habilement, nous emporte bien plus loin dans le temps, et évoque la figure si mal connue de Judas Iscariote devenu le symbole même de la trahison. La vérité serait autrement complexe. Et Judas apparait presque comme le plus proche du Christ, le plus lettré, qui n'avait nul besoin de trente deniers et qui devait permettre par son baiser l'accomplissement.
Judas est un livre qui m'a passionné bien que truffé parfois de références qui m'ont échappé. Mais j'aime beaucoup la littérature de ce pays si différent et Amos Oz en est l'un des fleurons. Ainsi je me suis attaché à ce trio complexe de trois générations, chacune ayant sur le pays sa propre conception, toujours douloureuse. Shmuel, Gershom et Atalia, trois figures d'Israel, pays qui parmi tant de soubresauts, entre sécurité et paranoia, nous propose une littérature souvent d'une grande profondeur. Merci à Babelio, ce fut pour moi un grand cru.
Déjà chroniqué ici, d'Amos Oz, Scènes de vie villageoise, Entre amis, L'histoire commence, Une panthère dans la cave. Autres avis sur Judas Judas - Amos Oz (A sauts et à gambades) et Judas - Amos Oz (rentrée 08-2016) (Sylire).
Remous
Aharon Appelfeld réunit ses personnages à la fin des années trente dans une pension de famille pour une cure thermale dans une ville d'eau désertée. Nous sommes bien sûr quelque part au milieu de l'Europe. Cette année ils sont très peu nombreux et se posent des questions, quelque chose n'est plus comme avant. Guère plus de deux femmes, deux hommes, et les propriétaires de l'établissement ainsi que le personnel. S'ils font ici une cure annuelle c'est une cure de jeu et de marivaudage à laquelle ils s'adonnent. Mais ça, cétait avant. Sur les bords de la rivière Pruth, affluent du Danube, on pourrait être du côté de l'ancienne Bucovine, région natale d'Aharon Appelfeld, maintenant israélien. Appelfeld s'y connait en Nimportequoilande et déracinement puisque né à Czernovitz, ahurissant exemple de l'explosion Mitteleuropa, ville nantie de huit orthographes et qui fut en vrac et en désordre roumaine, moldave, autrichienne, ukrainienne, soviétique, allemande. Eaux tumultueuses mais histoire tout aussi échevelée ,je l'ai déjà évoquée à propos de Gregor von Rezzori, autre auteur majeur et méconnu de cette mouvance danubienne et consorts dont la plupart connurent l'exil. Pour cela ils ne manquaient pas de raisons.
Le fleuve, justement, déborde et la boue envahit la cour de l'auberge et transforme en panique la sourde inquiétude des protagonistes. Rita et son fils ne se parlent plus, Van est toujours éconduit par Zoussi et l'on n'a plus guère le coeur à danser,ou alors sur un volcan, comme l'Europe entière. Métaphore évidente de l'agonie d'un continent (et plus si affinités) Eaux tumultueuses, publié en 1988, témoigne aussi de l'acuité d'Appelfeld quand il situe cette fable tragi-comique sur un bord instable d'une rivière de cette région si sensible aux soubresauts. L'un des curistes finira emporté par le flot indompté et il y a de fortes chances que ce soit qu'un prélude à l'horreur générale. Réflexion aussi sur la place des Juifs et sur leur parfois troublant antisémitisme. Aharon Appelfeld est l'un des maîtres de la belle littérature israelienne et voir ses personnages attendre à la gare ceux qui ne viendront plus prendre les eaux sonne comme un glas des libertés, un air de glaciation.
La tendresse,doucement
Aharon Appelfeld ne fait pas dans le spectaculaire et L'amour,soudain tient plus de la méditation que de la love story. J'ai lu ce livre à petites doses, suivant les chapitres eux-mêmes parsemés de manière très fragmentaire, c'est donc un livre que j'appellerai "homéopathique". Jerusalem, Ernest Blumenfeld, septuagénaire malade et tourmenté, Juif en quelque sorte antisémite, ancien officier de l'Armée Rouge, reste longtemps indéchiffrable aux yeux d'Iréna, trentenaire qui tient sa maison et le soigne avec dévouement. Ernest a jadis frôlé le terrorisme, condamnant férocement les Juifs orthodoxes,comme un combattant communiste qu'il était dans la Russie d'avant-guerre. Ses propres parents, modestes épiciers, ne trouvent guère grâce à ses yeux. Y a-t-il chez Ernest du remords maintenant, maintenant qu'il se bat avec les mots qu'il ne trouve pas et les années qui s'amenuisent? L'empathie qui s'est joliment insinuée entre le vieux lutteur et la jeune altruiste peut-elle les aider à aller un peu moins mal?
C'est à l'aide de tout petits gestes qu'Iréna et Ernest apprennent à se lire et à faire ensemble un petit bout de cette route sablonneuse,plus encore quand on vient de ces Carpates de basalte et qu'on s'appelle Blumenfeld. Si j'ai peiné un peu lors de la première partie de L'amour,soudain, un peu sentencieuse, j'ai lu ensuite des passages admirables sur les grand-parents d'Ernest par exemple,sur lesquels il revient,confiant à la douce et calme Iréna l'incompréhension et la violence qui furent siennes en ce siècle d'épouvante. Ernest, qu'as-tu fait de ton passé?
Les gens des Carpates ne meurent pas dans leur lit mais dans les champs, dans les potagers, entre les sillons de la plantation, parfois près d'un arbre qu'ils s'apprêtaient à abattre.
A la synagogue on se souvient non seulement de Grand-père mais aussi de son père et du père de son père. "Ne pense pas qu'en abattant l'arbre on fait disparaître son ombre". Cette maxime est comprise au sens littéral mais certains disent qu'elle parle de l'homme.
Je n'ai pas vérifié mais il me semble avoir assez souvent dit du bien de livres publiés aux Editions de l'Olivier. Il y a des maisons de référence et je crois que c'est le cas.Quant à la littérature israélienne elle est d'une richesse fabuleuse. J'ai déjà dit ça,non? Par ailleurs, mais alors là vraiment par ailleurs, le sympathique Australien ci-dessous est la mascotte du challenge de notre amie de La jument verte de Val qu'il convient d'encourager tout au long du mois de novembre.
Allez Valentyne!
Une dose d'Oz
Qu'elles sont belles et simples ces huit nouvelles d'Amos Oz qui rejoint ce jour ma galerie de chouchous. D'une simplicité biblique,c'est le cas de le dire,au coeur de l'Israel des kibboutz des années cinquante, sous la gouvernance de David Ben Gourion.Ecoutez leurs titres: Un petit garçon, Papa, Entre amis, Deux femmes. Beaucoup est ainsi déjà dit, huit histoires de tous les jours, de l'ordinaire dans une vie extra-ordinaire en cet Israel encore presque naissant. Comme vous l'avez vu en lisant les titres il s'agit la plupart du temps de problèmes de famille à l'intérieur de la plus grande famille,le kibboutz,cette entité si spécifique, cette communauté aux règles strictes et qui conjugue la solidarité jusqu'à en faire une extravagance. Ainsi se posent des questions qui ne sont faciles nulle part mais moins encore au sein de cette drôle d'assemblée proche encore de l'esprit pionnier du sionisme.
Comme c'est le cas dans le recueil Scènes de vie villageoise il y a en fait une trentaine de personnages qui se connaissent tous très bien forcément et qui sillonnent les pages et entrecroisent leurs soucis à peu près au vu de tout le monde.Faut-il laisser un petit de cinq ans dormir dans la maison commune des enfants malgré sa faiblesse ou l'autoriser à rejoindre ses parents? Un jeune homme de vingt ans aura-t-il l'autorisation de partir étudier en Italie si ce n'est pas tout à fait utile à la vie du kibboutz? Et David,instituteur gardien du dogme et de la plus ferme obédience,qui s'accommode fort bien de vivre avec la fille de son vieux compagnon,dix-sept ans à peine, qu'en penser?
Témoignage passionnant et limpide de cette vie en autarcie, où règne le travail mais où crépitent de minuscules velléités d'autonomie,chez les femmes surtout, le recueil Entre amis fait en 160 pages le tour de cette micro-société laborieuse et tout à sa foi. Ici et maintenant le vie est rude mais l'union fait la force avec cependant quelques maillons faibles. Après tout là comme ailleurs et de tout temps les hommes ne sont que des hommes.Et encore,pas souvent. Dire que sur la surface de deux régions françaises vivent Oz, Grossman, Appelfeld , Yehoshua. Rêveur je suis... A la fin octobre Amos Oz déjà lauréat de très importantes distinctions en Allemagne, en Espagne, recevra à Prague le Prix Littéraire Franz Kafka. Ci-dessous un court extrait et cinq minutes formidables avec Amos Oz.
«Au début de la fondation du kibboutz, nous formions une grande famille. Bien sûr, tout n’était pas rose, mais nous étions soudés. Le soir, on entonnait des mélodies entraînantes et des chansons nostalgiques jusque tard dans la nuit. On dormait dans des tentes et l’on entendait ceux qui parlaient pendant leur sommeil.»
http://videos.arte.tv/fr/videos/litterature-rencontre-avec-amos-oz--7331252.html