14 janvier 2023

Eloge du court

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                Roberto Saviano est célèbre plus pour le sort qui lui est promis que par ses écrits. Depuis Gomorra (2006) consacré à la Camorra, triomphe littéraire international, devenu film de Matteo Garrone puis série, Saviano vit à l'étranger sous protection, menacé par la pieuvre napolitaine. Deux nouvelles dans ce mince recueil. Seule la seconde, La bague, revient sur la mafia, narrant en vingt pages comment Vincenzo et Giuseppe, deux jeunes napolitains n'ont pu survivre. Leur crime, avoir tenté de résister à l'horreur ancestrale. Sobre, serrée, essentielle, l'écriture de Saviano installe très vite le décor. Et la honte de vivre là, en cette ville gangrenée où le simple fait de naître est une faute, où le premier souffle et la dernière quinte de toux ont la même valeur, la valeur de la faute. C'est bref, précis, la violence y est fulgurante j'oserai dire, hélas, efficace. Cette saloperie de société criminelle, bien loin du Parrain, se porte bien. 

              La première nouvelle, Le contraire de la mort est sous-titrée Retour de Kaboul. Maria n'a que dix-sept ans quand son amoureux s'engage dans l'armée. Et c'est l'Afghanistan. A priori seul ascenseur social envisageable pour un petit gars de Naples. Et puis les talibans, un camion, ou un char. Maria ne sait pas très bien et semble peiner à comprendre. Sans grandiloquence ni pathos Roberto Saviano cerne bien la jeune Maria, presque une enfant. Ces guerres récentes, un peu oubliées. Les morts de Bosnie, du Kosovo.

              80 pages, regroupées sous le vocable Scènes de la vie napolitaine, et c'est assez pour saisir le drame intime de Naples, de la Campanie, et accessoirement du monde entier. Je ne tresserai jamais trop les louanges de la concision. A l'heure où le moindre auteur nous gratifie de 500 pages parfois indigestes, où tout metteur en scène de cinéma croit déchoir en dessous de 140 minutes, ça me plairait, ça, l'essentiel. 

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02 décembre 2022

Revoir Naples et mourir

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                François Garde est un romancier qui me réjouit toujours. Quel bonheur, si l'on est un peu amateur d'histoire, de se plonger dans ce joli roman qui explore la galaxie des maréchaux d'empire, ces soldats souvent sortis du rang que Janus Napoléon sut élever sur des trônes et renier tout aussi naturellement dans nombre de cas. Joachim Murat, roi de Naples, fut l'un des plus prestigieux. Modeste fils d'aubergiste du Sud-Ouest il devint le beau-frère de l'empereur en épousant Caroline Bonaparte.

                Octobre 1815, quatre mois après Waterloo, Napoléon navigue vers un caillou perdu en plein Atlantique. Murat, désormais ex-roi, tente de revenir en grace auprès de ses anciens sujets. Dans la grande débandade qui suit la fin de l'empire chacun essaie de sauver sa fortune et sa peau. Fait prisonnier par les fidèles des Bourbons il va vivre six journées de réclusion, un procès bâclé, une exécution sans délai. Le prince Joachim Murat se penche sur sa vie. Et c'est absolument passionnant. Roi par effraction, habilement bâti avec alternance du court emprisonnement du souverain de circonstance et des années de conquêtes, de victoires et de déboires, est une sacrée aventure, digne de Dumas, probablement sertie de quelques libertés avec la grande histoire. Peu importe, les Français qui aiment justement l'histoire, que je crains peu nombreux tant règne l'ignorance, se régaleront. Rares sont les époques où l'ascenseur social, certes assez guerrier, pouvait fonctionner. Sachant qu'un ascenseur peut parfois vous envoyer par le fond.

               Murat, en quelques jours de geôle, réinterprète les étapes de sa vie exceptionnelle, de son enfance gasconne aux batailles impériales, de son mariage dans l'ombre de Napoléon au palais de l'Elysée qui fut sa résidence. Murat, une vie d'action, de hauts et de bas, des brutalités de sa répression en Espagne (Goya) aux rêves d'unité italienne. En quelques sorte un précurseur même si cela tourna court. Joachim Murat, roi de Naples périt sous les balles des Bourbon, jugement pour le moins expéditif.

               Roi par effraction, à lire comme un feuilleton de cape et d'épée, chevauchées et intrigues, trahisons et ingratitudes, une Europe à feu et à sang, et l'extraordinaire destin d'un gamin d'un village du Quercy. L'Aigle déchu dans son île hors du monde avait au moins permis ceci. Il arrive que les aigles ressemblent aux vautours. 

              

 

 

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25 novembre 2022

Pauvre Don

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                         Voilà un roman qui éclaire l'actualité, bien que se déroulant en 2018 dans cette région que bien peu connaissaient. Benoît Vitkine nous plonge dans ce pays où tout nous semble gris, où la guerre est présente depuis huit ans. Maintenant chacun de nous sait un peu tout ça. Un enfant retrouvé poignardé, ce n'est qu'une horreur de plus dans cet enfer. Un officier refuse de s'en désintéresser et va mener l'enquête. Cette enquête ressemble à bien des enquêtes. Tous les thrillers, tous les polars du monde se donnent la main pour compliquer les choses, c'est l'une des lois du genre. Mais on sait bien qu'une autre règle est de nous immerger dans un pays, une ville, une époque, un milieu, etc.

                        Et ce milieu dans le cas de Donbass est clairement identifié, surtout à la lueur des neuf derniers mois. C'est même le titre du livre. Le bassin industriel du Don. Qui n'a jamais été glamour. mais qui touche le fond. Rappelons qu'une guerre même pas larvée fait rage dans cette région depuis 2014. Alors la recherche d'un assassin dans ces conditions relèverait presque de l'anecdote. Mias Benoît Vitkine, qui est aussi journaliste, prix Albert-Londres pour ses reportages tant chez les séparatistes pro-russes que les loyalistes ukrainiens, sait nous faire vivre le quotidien de ces vieillards, ces femmes seules, ces laissés pour compte, totalement ignorés des médias. 

                        La corruption règne et tout est objet de trafics, de tous les côtés car rien n'est simple quand on manque de tout. Les veuves, les mères, les grand-mères, les femmes en général survivent du mieux possible. Dignes, les mères, rare note d'espoir.  Rajoutons les interminables séquelles de la guerre d'Afghanistan et les ravages "usuels" de la drogue, je ne parle même pas de la vodka ignominieuse, et l'on obtient ce dramatique cocktail de déliquescence fatale. C'est tout cela que j'aurai retenu de Donbass, thriller réaliste poignant et désespérant. A lire, hélas.

                       

                       

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05 novembre 2022

Soleil levantin

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                        J'ai été séduit par ce beau bouquin de l'auteur franco-libanais Sabyl Ghoussoub. Pas vraiment un roman Beyrouth-sur-Seine, c'est le regard de l'écrivain-journaliste d'une trentaine d'années sur la diaspora libanaise des année 80 et la vie à Paris de ses parents telle qu'ils ont pu ou voulu la lui raconter. Kaïssar et sa femme Hanane sont arrivés en France en 1975, pour quelque temps. Mais voilà. Très vite le Liban jadis prospère et envié sombre dans une ahurissante guerre civile, interminable et quasi incompréhensible tant les factions sont multiples et peu accessibles au commun des Européens. 

                       Des chapitres très courts et pleins de punch, un aller-retour permanent passé-présent qui requiert un peu d'attention, comme des vignettes du quotidien parisien des parents, émouvant, assez souvent désopilant, et duquel émane un portrait de famille détonant. C'est un livre que l'on lit très rapidement tant les aléas de la vie de famille sont cocasses et pittoresques. Le père, cultivé, un peu susceptible et imprévisible, fréquente volontiers les hippodromes et les petis bistrots parisiens. Sa carrière universitaire tourne court, il a l'insulte facile et n'est pas toujours très compréhensif. 

                       La mère, un tantinet possessive, une mater familias accro aux délicieuses habitudes connectées si chères à la nouvelle vie de l'humanité, nous offre de beaux moments, notamment en cuisine, quand il y en a pour quinze y en a pour vingt, ou quand elle fait ses courses avec une copine. Bien sûr le temps passe et le Liban, non seulement ne se relève pas mais naufrage totalement. L'essentiel se passe à Paris mais on pense au pays là-bas, qui a vu tant de corruption, de cruautés, d'assassinats.  

                      Faillite totale que quelques grandes familles n'ont pu sauver, bien au contraire...Ce pays a été traversé de tant de soubresauts qu'aucun roman à mon sens, et malgré l'intérêt majeur de Beyrouth-sur-Seine, n'est capable de nous faire comprendre la complexité de cette terre des cèdres. Ne dit-on pas que Dieu lui-même peinera à reconnaître les siens. 

 

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03 juillet 2022

Les barzoïs de La Havane

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                       La lecture commune avec La jument verte de Val c'est toujours un grand plaisir. C'est un très beau roman que L'homme qui aimait les chiens. Il m'a demandé attention, patience et temps. Mais il apporte sur les idéologies du siècle passé un éclairage d'une grande profondeur. Je n'ai pu le lire que pas à pas et j'ignore à cette heure ce qu'en dira ma copilote régulière Val.📚😊 Faire connaissance avec cet homme, celui qui aimait les chiens, cest s'embarquer pour 802 pages et plonger dans le monde des années trente dans toute sa complexité. Mais ils sont plusieurs dans ce roman à aimer les chiens à commencer par ce mystérieux inconnu promenant deux slendides barzoïs sur une plage de La Havane. Je ne suis pas  sûr qu'ils soient si nombreux à aimer les hommes. Ivan, écrivain en panne, recueille les confidences de cet homme malade, affaibli, qui aurait connu Ramon Mercader/ Jacques Mornard/ Frank Jacson/ Ramon Pavlovitch Lopez. Pas de panique, il s'agit du même homme, qui assassina Trotsky, réfugié à Mexico, le 21 août 1940.

                      Trotsky n'est jamais désigné autrement que Lev Davidovitch, probablement Leonardo Padura a voulu appuyer sur la double appartenance de l'homme politique, juif et russe. Mais tout est compliqué dès le départ dans l'horrifique histoire de la Russie du XXème siècle. L'auteur cubain, assez au fait des tyrannies, dissident de l'éternel régime castriste, explore les trois vies, deux réelles et la fiction Ivan Cardenas avec la précision d'un entomologiste. Curieux insectes que ces trois personnages en quête de leur propre vérité. 

                     L'homme qui aimait les chiens passionne, mais en mode transsibérien (pas d'allusion autre que la longueur du voyage). On finit par saisir, certes partiellement, les infinis méandres du stalinisme dans toute sa grandeur, mais aussi les rivalités entre les différentes factions des républicains espagnols auxquels appartient Ramon Mercader. Un livre bouillonnant, à mille lieues des insipides leçons moralisantes qui font florès. Personne n'en sort grandi, grand ou petit, un nom dans l'Histoire ou pas. Pour Staline, Mercader, Trotsky lui-même, on le sait maintenant depuis assez longtemps. La célèbre Pasionaria non plus, loin de là, et le No pasaran souvent repris par bien des défilés a connu des heures sombres. Quant aux "immenses" Diego Rivera et Frida Kahlo, qui un temps hébergèrent Trotsky...bof. 

                    Rien n'est simple à l'évidence. Mais le roman de Padura, si bien construit, nous conduit intelligemment à un peu moins d'ignorance. Cette ignorance parfois abyssale dans notre siècle, le XXIème qui semble n'avoir rien a ppris. J'encourage vivement à prendre le temps de faire connaissance avec Ivan Cardenas, notre guide, sensible et fragile, des plages cubaines aux geôles soviétiques, en passant par les jeux si troubles des différents services secrets et les haines tenaces qui menèrent au fatal piolet de Mexico.


29 mars 2022

Le Japonais fou de la France, âme et coeur

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                                 Dans la lignée du très beau Ame brisée le grand romancier japonais a écrit en français le non moins chaleureux Reine de coeur. Il y a tout dans ce beau livre, l'amour, la guerre, les mots et, plus que tout, la musique. C'est aussi un hommage d'un jeune couple réuni par les hasards de la vie à leurs grands-parents, fracassés, eux, par les horreurs de la guerre. 

                On entre dans ce livre brutalement, une scène de la guerre sino-japonaise, particulièrement brutale. Et le livre oscille tel un métronome entre le pire de l'homme, qui hélas a fait ses preuves et qui a encore une belle carrière devant lui, et le meilleur, en l'occurrence les somptueuse pages sur l'interprétation de la Huitième Symphonie de Chostakovitch. Ce monument de 70 minutes accapare une douzaine de pages extraordinaires. Et ces pages donnent grande envie d'écouter cette oeuvre hors normes. 

                Akira Mizubayashi voue un culte à la littérature française, à la langue notamment. Cela transpire tout au long ce roman sur la mémoire et la transmission, dont on sort l'âme enchantée, brisée aussi pour citer le premier roman en français de l'auteur. L'âme est aussi le coeur du violon et sur l'émotion que peuvent procurer ces quatre cordes point n'est besoin de s'appesantir. Quelques lignes sur la prégnance de la guerre dans les entrailles de cette Huitième Symphonie selon Mizubayashi.

               Les yeux d'Oto étaient fixés non seulement sur le bras droit de Mizuné qui manoeuvrait fougueusement son archet, mais aussi sur son corps qui se penchait naturellement lorsque son instrument produisait des sons graves. Bientôt les altos cédaient leur place aux violons qui, maintenant le principe des notes martelées, subissant régulièrement l'intrusion des violoncelles et des contrebasses comme des coups de poing reçus en plein ventre, suscitaient l'intervention des clarinettes et d'autres instruments à vent émettant, quant à eux, comme des cris stridents proférés par des bouches tordues de douleur. Bref, une fois de plus, les violences de la guerre déferlaient dans la salle implacablement. 

              Ce n'est là qu'un court aperçu. Je ne crois pas avoir jamais lu aussi tellurique, aussi obsessionnel, aussi cataclysmique sur la musique. Chostakovitch a connu des hauts et des bas, des heures claires et bien des tourments. Le Japon aussi. Mizubayashi, qui traduit lui-même ses livres français en japonais, est à lui seule une belle passerelle. 

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21 mars 2022

Gand de fer

Une-ascension

                        Le romancier belge Stefan Hertmans m'avait enchanté avec Le coeur converti. Il nous revient avec un bouquin très original dont le personnage central est une maison, une grande bâtisse au coeur de Gand, que l'auteur a vraiment achetée en 1979. A l'abandon, elle a visiblement connu des jours meilleurs derrière sa grille ornée de glycines. Il y vivra vingt ans et ne découvrira qu'assez tard qu'elle fut la propriété d'un SS flamand, très zélé collaborateur du Reich avant et pendant la guerre. Très original, Une ascension parsème le récit de quelques photos de cette fameuse maison et de la ville de Gand lors de ces années de plomb, certains dont Willem Verhulst étant particulièrement engagé puis compromis dans la sympathie avec Berlin. 

                      Stefan Hertmans nous immerge ainsi dans la vie quotidienne de cette famille, le père, plus que dévoué collaborateur de l'occupant (nazi pendant les guerres, et catholique entre elles, dixit Jacques Brel), la mère, Mientje, pas du tout du même bord, et leurs trois enfants. Et c'est toute la logique de collaboration que l'on comprend, à observer Wilhelm, entraîné dans le toujours plus de compromission. Malgré tout il restera un semblant de lien familial au travers de ces conflits culturels, linguistiques, etc.

                     Et après avoir lu Une ascension, avec sa chute bien entendu, il me vient à l'esprit quelque chose de curieux. J'habite non loin de la Belgique. Et pourtant je n'y suis que très peu allé. Comme si c'était un pays exotique, très différent du nôtre. Je crois que c'est le cas. Le magnifique roman de Stefan Hertmans et cette grande maison gantoise, sombre et peuplée de fantômes, en est le personnage central. On y entre par effraction, et l'on est fasciné. L'âme humaine n'y est pas grandie, elle est ainsi. Et comme je l'ai écrit souvent, les guerres sont des périodes difficiles, les avant-guerres ne sont pas commodes et les après-guerres déchantent méchamment. Le reste du temps ça va.

                   Une trentaine de petites photos, très judicieuses, s'avère une excellente idée qui convient particulièrement au sujet. Des photos de famille, des lieux emblêmatiques, quelques objets aussi, certains très marqués du sceau de la solide incursion nazie au pays de Belgique. 

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08 mars 2022

Dialogue Nord Sud

Cercueil

               Quel régal que ce roman qui nous plonge dans les affres de la guerre de Sécession. Cette dernière a donné lieu à quelques chefs d'oeuvre, notamment The red badge of courage de Stephen Crane. Le Cercueil de Job, c'est une constellation que Bell Hood, jeune esclave en fuite, suit tant bien que mal dans sa cavale. Jeremiah Hoke, lui, dans les rangs confédérés, presque par hasard, est gravement blessé à la bataille de Shiloh, il erre, fantomatique survivant en quête de rédemption d'un passé obscur. June, un affranchi, mais que vaut au juste la vie d'un affranchi, traverse le conflit sans bien comprendre comme beaucoup.

               Les affres de la guerre civile, cette horreur parmi les horreurs, sont décrites par Lance Weller de façon à la fois réaliste et hallucinante. Le long cauchemar n'épargne personne. Et l'on n'est très vite happé par cette apocalypse au point de ne plus bien savoir dans quel camp l'on est tant l'enfer est neutre mais obsédant. Les rives des fleuves, les collines, les bosquets ne sont que poudrières susceptibles d'embrasement à chaque seconde. Les généraux d'un côté comme de de l'autre sont la plupart du temps arrogants et peu comptables des cadavres de la piétaille. 

               Hoke le soldat sudiste malgré lui et Bell la toute jeune esclave sont reliés, c'est un peu un truc de scénariste mais on le comprend dès le début. Peu d'importance. Ce qui éclate dans Le Cercueil de Job, c'est la gigantesque fracture que fut la Civil War dans un pays tout jeune à l'aube de son extraordinaire ascension. L'Amérique ne s'en remettra jamais tout à fait. Peu de jugements sentencieux, peu de considérations morales dans ce livre foisonnant. Mais des héros broyés, dispersés, niés par l'Histoire, de ceux qui trinquent dans le grand maelstrom du Nouveau Monde contemporain. C'est un roman historique qui fait preuve d'un souffle impressionnant, jouant avec les silhouetttes des hommes, des pantins désarticulés par la haine, ce sentiment pire encore dans les guerres civiles.

             Un très beau personnage traverse brièvement le roman. Henry Liddell, pionnier de la photographie, qui entend témoigner avec ses daguerréotypes, et qui, en une scène magnifique, agonisant à cause des produits toxiques des premiers studios photographiques, signe l'acte d'émancipation de June. June auquel il restera néanmoins un long long chemin vers la liberté. 

            

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21 décembre 2021

Caraïbes Connection

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                        Les forbans de Cuba, c'est un peu trop long, mais c'est du solide. Simmons  est auteur de SF mais nous livre là un récit d'aventures inspiré de la vie d'Ernest Hemingway à Cuba lors de la Seconde Guerre mondiale. Le plus étonnant est que la plupart des faits sont réels. Papa Hem a beau être connu pour sa grande gueule et son intempérance, il a bel et bien joué plus ou moins bien les espions en 1942 à bord de son bateau. Le célèbre écrivain s'est mis en tête de créer un réseau de contre-espionnage, qu'il baptise lui-même l'Usine à forbans, pour faire obstacle aux activités des nazis dans la mer des Caraïbes. Son cas intéressait d'ailleurs beaucoup le FBI et son célèbre patron J.Edgar Hoover. 

                     C'est qu'il ne se contente pas de pêcher le marlin, d'écluser le whisky et de séduire les filles. Il n'en est alors qu'à sa deuxième épouse, souvent en voyage, ce qui arrange tout le monde. Avec quelques copains de pêche et de beuverie il mène le Pilar un train d'enfer et pas seulement pour se faire photographier avec une belle prise. La plus belle serait pour lui d'arraisonner, voire de détruire un des sous-marins allemands qui pulluleraient dans les Antilles. Dan Simmons, dont je n'ai lu que Terreur, le thriller arctique futuriste, sait raconter une histoire. Et on partage volontiers les aventures hautes en couleurs de ce diable d'homme, un peu compliquées comme tout roman d'espionnage. Ce bon vieux toubib serait-il un agent double? Ou est-ce ce séduisant champion basque  de chistera? A moins que la jolie prostituée cubaine?

                     Alors on vogue dans le sillage d'Ernie. Qu'il est énervant parfois avec sa morgue querelleuse, sa paranoia légendaire, le côté Who's who?, Ingrid Bergman, Gary Cooper, Marlene Dietrich. Et quelle drôle d'éducation donne-t-il à ses enfants, du moins quand ils sont avec lui, plus que libéral sur la consommation d'alcool des mineurs. Mais il y a du souffle dans cette histoire abracadabrante. On prend un peu la gueule de bois, mais somme toute la croisière, agitée, laisse de bons souvenirs. Ne pas trop chercher à démêler les différents services secret, d'espionnage, de contre-espionnage, de sécurité, etc...Ni du côté allemand, ni du côté américain.

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19 décembre 2021

Le grand air de l'incompétence, le grand art de la délation

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      Notre lecture commune avec Val (La jument verte de Val) nous a cette fois emmenés en URSS au début des années soixante. Staline est mort depuis dix ans. Iegor Gran, l'auteur de cet excellent roman, souvent très drôle, sait de quoi il parle. Il est le fi!s du dissident soviétique Andreï Siniavski, condamné en  1965 à sept ans de camp "dur". Les services compétents raconte la traque de deux auteurs soviétiques qui ont réussi à faire publier des nouvelle en Occident. On a compris, ces écrits déplaisent souverainement au Kremlin où Brejnev est le nouveau maître. Apogée de la Guerre Froide, ces temps révolus (?) sont traités par Iegor Gran par le petit bout de la lorgnette, satire parfois désopilante du KGB et autres structures rigolotes qui s'obstinaient à faire le bonheur de la valeureuse classe ouvrière.

      Stakhanovistes de la filature et du soupçon les agents du pouvoir n'ont de cesse d'identifier les coupables aux pseudos transparents de judaïsme, peut-être trop. Abram Tertz, Nicolaï Arjak, ça sonne trop juif pour être juif. Allez savoir. Tout ce temps durant le petit peuple moscovite s'affaire à faire la queue pour trois boîtes de sprat ou une paire de chaussettes. Ivanov, quel nom original, a d'autres occupations. Il fait partie de ces services dont l'éloge n'est plus à faire, dont le louable objectif est de chercher, trouver (pas toujours), et persécuter le mauvais citoyen.

      Ivanov n'est certes pas un expert en littérature (à chacun son métier), mais, devant ces textes horribles, pas besoin de s'y connaître! Il faut arrêter le criminel avant qu'il n'écrive autre chose. Avant qu'il ne métastase. 

      Le sujet est on ne peut plus grave. La Guerre Froide semble loin quoique...Mais Iegor Gran se veut proche de Courteline plus que de Soljenytsine, lequel n'était d'ailleurs pas en phase avec Siniavski, les dissidents ne se décidant pas toujours à dissider (?) dans le même sens. Courteline, Kafka, même combat. Noublions pas la vodka, star incontestée du quotidien, et dans tous les camps. Dans la gauche française de ces années soixante la fidélité à Moscou commence à battre de l'aile. Iegor Gran rappelle à ce sujet la "haute" figure de Maurice Thorez, premier secrétaire du PC et thuriféraire stalinien historique. L'aveuglement d'une certaine gauche française, avec le recul, est hallucinant. 

      Pas vraiment un pamphlet, plutôt une farce cynique et sinistre, désamorcée par l'humour désespoir qui convient parfaitement à la bêtise des ces années, Les services compétents, au titre antithétique déjà clair, se déguste avcc gourmandise et malice. On en oublierait que ces pantalonnades orchestrées par des tyrans et exécutées par des pantins conduisirent au goulag. 

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