Pas de deux
J'ai déjà souvent évoqué mon goût pour Edward Hopper. Je crois même l'avoir chanté. Le hasard, que je sollicite parfois à la bibliothèque de ma ville, ça consiste à prendre le premier roman, ou presque, qui vous tombe sous la main, m'a procuré une drôle de surprise. Pas si drôle en fait. Tout sauf drôle. Mais c'est un livre impressionnant que nous propose Javier Santiso, auteur d'origine espagnole qui écrit en français. Un pas de deux c'est, en stylo subjectif, la vie commune de Hopper avec sa femme, racontée par elle-même, Josephine.
Joséphine, elle-même peintre un temps honorée, puis éclipsée, vivra des décennies avec Edward. Et ce ne sera pas facile tous les jours. Amants orageux. Mais il y a autre chose. Edward apparait comme colérique, presque méprisant, un personnage glacial, arctique, ce qui ne surprendra guère. Josephine, en fait, deviendra son modèle, quasi unique et exclusif, ce qui exclura aussi son propre talent. Et tout le roman, toute la narration de Joséphine (et de Javier Santiso), épouse en fait assez vite la vie du couple et la difficulté d'être. Tous les amateurs de Hopper, et je les crois nombreux, savent que ce n'est ni la truculence, ni la joie de vivre, qui inondent l'oeuvre du maître. Les années de bonheur auront été fugaces. Et bien rudes les décennies suivantes.
Je trouve Un pas de deux assez fascinant et créant un vrai miracle. Ce livre ne retrace que le couple Edward-Josephine au long des jours. il semble que rien d'autre n'existe au monde. Hallucinante dissection que ces 240 pages durant lesquelles Josephine décrit son quotidien comme une spéléologue le gouffre où elle tente de survivre. Car c'est bien de survie qu'il s'agit tant l'acuité et la profondeur du regard de l'auteur sont saisissantes. Est-elle à peu près objective? La sinistrose qui nous guette devant les tableaux de Hopper est si prégnante qu'elle accompagne aussi le lecteur. Une petite dose de masochisme est requise, éventuellement, pour goûter cet ouvrage. Hopperien en diable depuis toujours, j'ai accueilli favorablement ce faux journal de Josephine.
On se sent si mal à voir certains tableaux que c'en est une joie rare. Il semblerait que cela ait été le cas pour Josephine. Paradoxal et contradictoire, comme l'oeuvre du peintre, ce roman est une sorte d'exploit, qui laisse cependant exsangue. Josephine qui, il faut bien le dire, aurait été elle-même difficile, ombrageuse, jalouse ô combien. Qui des deux fut prisonnier de l'autre? Bon d'accord...match nul pour ce pas de deux, un vrai tango morbido.
Notre chorégraphie pitoyable. Deux partenaires désajustés, l’un trop grand, l’autre trop petit, nos corps qui n’ont jamais réussi à s’imbriquer l’un dans l’autre, à s’ajuster aux creux, aux angles. Une vie à deux et seuls.
P.S. J'ai conscience de ne pas avoir été des plus clairs. Une minute de cabotinage peut-être. Reste le limpide, le catégorique:l'art d'Edward Hopper.
L'Ecrivraquier/25/Edward Hopper
Edward Hopper m'a de tout temps fasciné. il me fait penser à Leonard Cohen. Tous deux sont de ces rares artistes qui bouleversent, émeuvent mais nous font aussi un mal de chien, avec une envie, heureusement furtive, de se foutre à l'eau. A consommer avec modération. Alors voilà, à l'heure où ce blog est devenu bien peu disert, ce que cela m'a inspiré.
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La jeune femme à Hopper
Expérimental, radical, avant-gardiste, susceptible d'un ennui mortel chez les rares spectateurs. C'est un point de vue,ce n'est pas le mien. Une seule fois avant ce film peinture et cinéma avaient véritablement fusionné. C'était le film polonais Breughel, le moulin et la croix. Edward Hopper d'ailleurs, c'était déjà des cadrages, du cinéma, une mise en scène. On sait que Hitchcock par exemple avait subi l'influence du peintre hyperréaliste. Plus près de nous Jim Jarmusch aussi. Motels glaciaux, décoration minime et à donner des envies de noyade, Hopper n'est pas précisément hilarant.
Reconstituant avec soin 13 tableaux de Hopper l'Autrichien Gustav Deutsch plonge le spectateur dans l’atmosphère des Etats-Unis du début des années 1930 jusqu'aux années 60, guidé par la voix pensive de Shirley et par les informations diffusées sur les radios de l’époque. Puis les tableaux s'enchaînent, évolution de l'oeuvre de Hopper en même temps que chronologie américaine. C'est un peu étrange mais personnellement, très attiré par l'Amérique de cette époque, j'ai senti sourdre une certaine émotion, une braise sous la glace.
Shirley, actrice d'avant-garde, ouvreuse de cinéma, secrétaire, jouée par la danseuse Stephanie Cumming, apparaît bien comme une chorégraphie dans ce film très étonnant. Les lieux sont ordinaires, anodins, dérisoires, un bureau, une chambre, un salon, ou encore une salle de cinéma auxquels la lumière fait prendre une dimension énigmatique. La reconstitution est si méticuleuse qu'elle en devient bluffante d'expressivité, costumes, meubles, murs. Un film d'architecte, presque un film de mathématicien, une géométrie haletante malgré le risque de l"exercice de style" un peu vain. A voir, au moins pour voir "autre chose".