Heureuse Année
L'un des plus beaux films du monde raconte un réveillon du début du siècle. Quand je parle du siècle je veux dire le XXème. J'ai dit mille fois mon admiration pour ce film. Un crépuscule, une aube. A l'heure où ce blog pourrait bien ralentir je voudrais souhaiter à toutes et à tous le meilleur pour l'an naissant.
Quelque chose en nous de McCullers
C'est devenu une excellente habitude de lire avec Val La jument verte de Val . Là ce fut même pour moi une relecture car je crois, même pas sûr, avoir déjà découvert Reflets dans un oeil d'or il y a des siècles. J'ai vu aussi l'excellent et tout aussi troublant film de John Huston ave Brando et Taylor, bonjour les egos. Carson McCullers est une écrivaine que j'affectionne depuis longtemps. Le coeur est un chasseur solitaire, Frankie Adams, L'horloge sans aiguilles, les nouvelles de La ballade du Café Triste sont pour moi de précieux souvenirs. Ce Sud douloureux chez cette femme qui fut elle-même frappée dans sa chair très jeune prend ici la forme étouffant d'un quartier militaire, déjà une oppression en soi, et particulièrement d'une sorte de ballet un peu morbide à six personnages.
Les Penderton et les Langdon. Deux officiers et leurs femmes, l'un amant de l'épouse de l'autre, Leonora, une femme beaucoup plus portée sur le physique que sur l'intellectuel, et lui-même nanti d'une femme psychologiquement très malade, Allison. On voit déjà le climat de frustration, notamment sexuelle (impuissance, pulsions homosexuelles) très" tennesseewilliamsesque" si j'ose ce barbarisme. Sauf que tout ça est antérieur (écrit en 1941) aux pièces de l'auteur de la Ménagerie... et du Tramway... Sauf aussi qu'on n'y assiste pas à de grandes scènes violentes comme dans le théâtre un peu fatigant de Williams. Deux autres personnages complètent le tableau, un soldat timide et voyeur, capable de grandes colères, et un domestique philippin voué corps et âme, jusqu'à quel point, à la femme si fragile du commandant. Un cheval aussi, monté par l'épouse infidèle et soigné par le soldat, joue un rôle important dans ce psychodrame où rien n'est véritablement montré mais où la moiteur du Sud et la névrose des personnages sont explosives jusqu'à l'accomplissement. Carson McCullers, elle-même très souffreteuse, n'impose rien, mais inquiète terriblement le lecteur qui, ce me semble, se retrouve en partie face à ses propres contradictions, ses insatisfactions, et ce mal-être qui nous est un peu délicieux, sournoisement mais réellement.
Un paon d'un vert sinistre, avec un seul énorme oeil d'or; et dans cet oeil d'or quelque chose de minuscule et ... (Anacleto, le domestique regardant les tisons du feu devant Allison l'épouse malade délaissée d'un côté, vénérée de l'autre).
Tout ceci nous est raconté en 150 pages. Amplement suffisant à l'heure ou certains se prennent pour Tolstoï. Encore faut-il le talent, le génie, d'une écrivaine meurtrie, apte à nous inviter au bal du mal et de la souffrance, les seuls éléments qui, dans Réflexions dans un oeil d'or, soient partagés équitablement entre ces six personnages, pas en quête d'auteur. Sans oublier le cheval, qui a droit lui aussi à pas mal de brutalités. Il va de soi que j'en demande pardon à Val. Le grand John Huston, qui adapta aussi Tennessee Williams, a plutôt bien appréhendé l'atmosphère délétère de Carson McCullers. A mon avis.
Wim and Ham in Frisco
Je me souviens de l'accueil moyen de certains critiques à la sortie en 82 de Hammett de Wim Wenders.Il est bien connu,disent-ils,qu'un très bon cinéaste européen devient médiocre dès qu'il a traversé l'Atlantique.Bon d'accord c'est arrivé assez souvent mais pour ce film,boîtier qu'on ouvre et qui découvre comme des petits personnages de carton,l'auteur Dashiel Hammett,ses douteuses fréquentations, flics, souteneurs, et,grouillant, le Chinatown de San Francisco,ce raccourci légèrement xéno n'a pas lieu d'être.
Sur sa vieille Underwood,de dos,Hammett écrit The end.C'est la fin d'une nouvelle,et c'est la fin du film.Avant ça on a pas mal traîné dans ces années vingt,de la chambre assez miteuse du Dash aux bouges chinois où des Monsieur Wang offrent en pâture à ces beaux messieurs de la chair fraîche.Attention,le film comme les bouquins de Hammett serait sûrement à réécrire si comme l'a si bien écrit Wens à propos de Hergé. Tintin au tribunal. (Tintin au Congo) on se met à réexaminer les oeuvres passées avec nos lunettes bien sous tout rapport d'hommes éclairés,tolérants,et évolués.Ca c'est nous,pas les autres qui sont moins bien.Et par nous j'entends...nous.
Wenders a adapté le roman de Joe Gores (1931-2011),un écrivain que je ne connaissais pas,pourtant pas un perdreau de l'année et qui a entre autres écrit un prequel au Faucon Maltais sous le titre Spade and Archer.Histoire incompréhensible au sens strict mais qu'est-ce qu'on s'en fout (oui, je deviens un hard-boiled blogger),du moment que les nuits sont parsemées de types qui vous suivent,que d'inquiétantes limousines se garent du premier coup sous les néons tout aussi clinquants,que sous les feutres coule le whisky,et que différentes personnes se retrouvent horizontales et dans un sac.
Et puis il y a cette scène très courte,magnifique.Je voudrais ressembler à cet homme là.Hammett,fatigué, dos voûté,il est très grand,sort d'une ruelle et se trouve dans le haut bien éventé d'une de ces rues en pentes,célébrissimes à San Francisco.Ce grand escogriffe de Frederic Forrest,oublié du cinéma américain,courbe la tête et se penche,fragile et immense.Coppola,producteur et proche de Fred Forrest est peut-être pour quelque chose dans le choix de cet acteur pour endosser le grand manteau du génial écrivain.Autre carrure,Peter Boyle incarne un ancien policier à la dérive,de toute sa force un peu minérale.Voilà un acteur qui fut aussi bien sous-employé.Précision pour les cinéphiles incurables,Wenders a confié le rôle du chauffeur de taxi à Elisha Cook Jr, la petite frappe du Faucon Maltais de John Huston.Comme c'est quarante ans après on a enlevé le Jr au générique.Je vous avais prévenu,c'était pour cinéphiles incurables,des malades comme moi.
Ce n'est pas parce qu' Alice dans les villes est le film le plus fort,et de loin à mon avis,de Wim Wenders,qu'il faut négliger cette superbe variation "polaroïde".Surtout pas dans un blog qui tire son nom de Bogart.
Alors,back to Frisco? http://youtu.be/OoDSzhnifn8 Hammett
La valse des truands ou la samba des tueurs
Alberto Ongaro,longtemps complice de Hugo Pratt,est vénitien.Il a connu un certain succès avec La taverne du Doge Loredan que je n'ai pas lu.Voici Rumba dont la couverture avec les yeux de Bogart et quelques joujoux estampillés film noir ne pouvaient que m'émoustiller.L'écrivain John B.Huston (sic) enquête dans le Brésil des années cinquante sur l'assassinat de la somptueuse Cayetana Falcon Laferrere (resic).Un abject milliardaire cultive son adipeuse ressemblance avec Sydney Greenstreet (reresic).Un tueur méticuleux,un avocat marron comme tout bon avocat de polar,des femmes belles à se damner mais aussi des enfants des rues apprentis tueurs à gages,spécifité carioca,et une troublante rumba évocatrice de souvenirs pour plusieurs personnages.L'un d'entre eux dans une soirée très sélecte interdit d'ailleurs au pianiste de la jouer.Ca ne vous rappelle pas Ingrid Bergman et Play it again Sam de Casablanca?Bogartesque en diable,plus fort même que le diable,vous pensez bien que tout ça ne pouvait que m'emballer. C'est le cas malgré une fin un peu décevante.Ongaro cite nommément vers la fin de l'ouvrage la thématique de l'échec chez John Huston,le vrai:Le faucon maltais,Le trésor de la Sierra Madre,Asphalt jungle,lieux ou objets quasi virtuels, inaccessibles, improbables graals pour le détective,l'écrivain ou le lecteur.
Ongaro,né en 1925,est auteur de bandes dessinées sous différents pseudonymes.Scénariste,reporter,il a souvent situé ses romans à Venise bien sûr,outre La taverne...,La partita,Le secret de Caspar Jacobi.Je ne l'avais jamais lu mais j'avoue avoir été séduit par ce feuilletonniste hors pair.De plus Rumba donne vraiment très envie de relire ou revoir Le faucon maltais.
Les rapaces
J'ai présenté à quelques étudiants retraités une petite communication sur le film noir.Le faucon maltais croise-t-il encore en altitude cinéphile?A mon avis oui mais il est vrai que pour la filmo d'Humphrey Bogart on peut trouver plus objectif que moi.Mais quel plaisir de se replonger dans les méandres imaginés par Dashiell Hammett et si bien relayés par John Huston.Film véritablement fondateur du genre Le faucon maltais d'Hammett a bel et bien " pris le crime dans le vase vénitien où on l'avait rangé pour le laisser tomber dans la rue"(G.B.Shaw).Dès après le générique Frisco est là,son pont,son port,sa plaque de privés associés.Et Sam Spade,à jamais Bogart, à jamais cette image du dur à cuire,que les vicissitudes n'ont pas tout à fait blasé.D'ailleurs il le dit à la fin à Brigid la meurtrière:"Je ne suis pas aussi pourri que je le laisse dire"
Tout de tabac,tout de chapeau,tout d'ironie,et une certaine cruauté,Sam Spade n'a guère le temps ni le goût de regretter son associé assassiné.Déjà débarquent les comparses,ce trio infernal du film noir,Peter Lorre vaguement levantin et moins vaguement efféminé,les 280 livres de Sydney Greenstreet,souvent filmé en contre-plongée, falstaffien et drôle dans sa frénésie de quête du faucon,Elisha Cook petite gouape gitonesque.Oui ici comme dans le roman on appelle un chat un chat.Ca ne se fait plus guère et ça tombe presque sous le coup de la loi.D'une très grande fidélité au livre qui était c'est vrai presque découpé Huston insuffle sa propre recherche mythique dans cette chasse à l'oiseau noir(Huston plus tard ce sera bien d'autres quêtes,Le trésor de la Sierra Madre,Moby Dick,Les racines du ciel,Le malin,L'homme qui voulut être roi).
Les femmes du film noir,comme on s'y attendait,vénéneuse ou victime,est-ce la même?Si les pires gangsters semblent conserver un zeste de franchise,les femmes,elles,ne sont que duplicité et manipulation.Ouvertement machiste Le faucon maltais ne s'embarrasse guère de circonlocutions.Mais plus que tout il y a dans la plupart des bons films noirs cet humour féroce et salvateur,cette ironie mordante,ce sarcasme comme les dents de Bogart,dont on ne sait si c'est baiser ou morsure.Mais dites-moi qu'est-ce vraiment que Le faucon maltais?Sam Spade,alors que la femme s'enferme dans la cage d'ascenseur qui préfigure une autre cage,nous le dit sans ambage:"That's the stuff dreams are made of.
On pourrait gloser très longtemps sur l'importance du noir,roman ou film.On peut aussi et surtout le lire ou le voir.Cest tellement mieux que de débattre.
La perfection,probablement
La nouvelle Les Morts dans le recueil de James Joyce fait quelques dizaines de pages.John Huston(1906-1987),aux origines irlandaises bien trempées,n'a plus que quelques mois à vivre.En fauteuil roulant et sous oxygène le vieux baroudeur ne peut se déplacer en sa chère Erin.Ses enfants sont près de lui,son fils Tony au scénario et sa fille Anjelica dans le beau rôle de Greta.Mais il n'y a que de beaux rôles dans Gens de Dublin.Le film dure 1h20 et comme j'aimerais que le cinéma retrouve l'art de la concision.Huston sera présent tout au long du tournage et il se peut que The dead soit pour moi le plus beau film au monde.Pour moi qui aime à me pencher depuis des lustres sur les étranges noces du cinéma et de la littérature le repas de fin d'années des soeurs Morgan,dans le Dublin du début du Siècle,est le plus magnifique festin du Septième Art.
La neige tombe sur la capitale irlandaise de ce qui n'est pas encore la République.Pas encore de république mais toute l'Irlande est là,de Joyce et de Huston.Les invités arrivent,comme tous les ans.On va chanter,très important en Irlande.On va danser,on va boire,très important en Irlande.On va même un tout petit peu croiser les fleurets mouchetés de la politique et d'un embryon de féminisme.Pour la politique:très important en Irlande.Pour le féminisme:hélas pas très important en Irlande,tout au moins pendant longtemps.
L'une des deux vieilles tantes a encore un beau filet de voix.Mais pour combien de temps?La nièce joue du piano divinement mais semble seule.Freddy est ivre,comme d'habitude,très important en Irlande.On le comprend,le pauvre,avec sa mère...Un vieux monsieur déclame et c'est étrange et très beau,comme suspendu dans le temps.On y cite Keats et les premiers indépendantistes.On s'aime bien tout en se querellant un peu.On y parle de chevaux et d'opéra,passions irlandaises.Gabriel fait son discours annuel,tendre et convenu,hommage à l'hospitalité des hôtesses.
Puis il se fait tard il faut s'en aller.Certains,éméchés,en sont aux anecdotes grivoises en reprenant le fiacre.Ce fut une belle soirée,comme l'an dernier.La voix du chanteur Bartell d'Arcy dans une ballade poignante cloue d'émotion Greta et Gabriel.Et s'ouvre le livre des souvenirs,le livre des morts.Rentrés à leur hôtel les époux se regardent.Il y a juste un peu d'incompréhension.L'évocation de la mort du jeune Michael,jadis amoureux de Greta,crucifie la femme encore jeune alors que son mari évoque à voix haute tous les disparus.
Son âme défaillait doucement au bruit de la neige qui tombait faiblement sur l'univers,et faiblement tombait le couchant de leur fin dernière sur tous les vivants et les morts.
Gens de Dublin perce le coeur du spectateur,porté par les mots de Joyce,la fidélité de Huston, l'extraordinaire justesse chorale de tous les acteurs(irlandais),la musique imprégnant le film sans l'étouffer?Greta,debout dans l'escalier,entendant la chanson en une contre-plongée infiniment douloureuse est pour moi le summum de l'émotion.En aucun cas sinistre ni morbide The dead est le testament d'un très grand cinéaste qui a tout connu et a su transcender au seuil de sa propre fin la nouvelle du plus grand écrivain de l'Irlande pour en faire une pièce d'orfèvre inoubliable,emmêlant le fil de la vie et de la mort en une île universelle.
La Havane vu par Huston
Les insurgés de John Huston(1949) est massacré par Tavernier et Coursodon dans leur bible Trente ans (puis cinquante ans de cinéma américain).J'ai rencontré deux fois le grand Bertrand et on sait qu'il aime bien avoir raison.C'est vrai que Les insurgés(We were strangers) n'est pas un film passionnant,certaines séquences sont assez plates et la thématique hustonienne de l'échec,célèbre,n'est pas bien illustrée par le simili happy end.Je n'avais jamais vu ce film peu diffusé.Si vous n'avez qu'une dizaine de Huston à voir, manifestement oubliez-le. Mais je sauverai de cette oeuvre moyenne quelques éléments.
Le plaisir de retrouver Jennifer Jones,passionaria presque malgré elle de la lutte contre la dictature cubaine, celle des années trente car il y en a eu d'autres.Le visage si intéressant du grand John Garfield, moins pourtant que dans ses deux meilleurs films Sang et or et L'enfer de la corruption.La lutte de ces conjurés est certes assez académique et la photo de La Havane peine à rendre l'oppression totalitaire.Ce pendant j'aime assez voir les oeuvres mineures des grands car une oeuvre cinématographique se nourrit aussi de ces imperfections.Et le grand acteur mexicain Pedro Armendariz en chef de la police secrète ne laisse pas d'inquiéter.
P.S.Un grand merci à la sollicitude de mes amis Duclock et Oggy qui s'inquiétaient déjà pour moi.Sympa!
Quand un grand chasseur défend les éléphants
Des Racines du ciel à Chasseur blanc,coeur noir ou...comme les hommes sont complexes. Le grand, l'immense Huston,grand jusque dans ses ratages(et il y en a quelques-uns), aventurier, buveur, passionné de chasse est bien l'un des auteurs du film tiré du Goncourt de Romain Gary.Il n'est que l'un des auteurs car avec un producteur comme Darryl Zanuck difficile de cerner qui a fait quoi surtout avec un scénariste nommé Romain Gary.Peu importe le film est intéressant même s'il n'a rien à voir avec les grands Huston(Faucon,Volcan,Dublin,Homme qui voulut...).Ne pouvant atteindre à l'amplitude du roman,infiniment plus touffu,le film constitue l'un des premiers films à tendance écolo,à la mode des années cinquante, sans vrai recul sur l'état colonial de l'Afrique qui tirait alors ses dernières cartouches,métaphore un peu osée peut-être.Les racines du ciel pèche surtout par sa naïveté et je me plais à imaginer les conditions du tournage avec de grands sobres comme Huston, Flynn, Welles et Howard,peut-être installés en pays conquis mais là je suis probablemenrt mauvaise langue.Et il ne s'agit pas ici d'avoir un regard moral sur la production.Ce regard moral, justement, sera l'objet du livre de Peter Viertel et de son adaptation,quarante ans après le tournage par Clint Eastwood,Chasseur blanc,coeur noir,passionnante étude en forme de carnet de bord et de portrait de Huston sous couvert d'une fiction très documentée et très incisive.
Quid du film Les racines du ciel?Revenons à nos éléphants, héros déjà décimés en 53,date où Gary situe le roman.Il y avait beaucoup de personnages dans le livre et il fallut bien sûr tailler dans le vif.La présence d'Orson Welles au générique relève de l'escroquerie car on ne le voit presque pas.Pourtant c'est de lui que le spectateur se souvient le mieux,éternelle injustice des albatros aux ailes trop grandes.Errol Flynn joue un beau personnage alcoolique et blasé qui se redécouvre un idéal tardif et ça lui va plutôt bien.Trevor Howard est moins crédible qu'en amoureux mûr de Brève rencontre ou officier du Troisième homme.Mais la petite troupe des défenseurs de pachydermes tient assez bien la route,tous plus ou moins en fin de course et tentant une ultime renaissance.Car voilà,le monde a vieilli,et les éléphants ne sont pas la priorité absolue ni des colons,ni des gouverneurs,ni des leaders de la toute frémissante émancipation des pays africains,vous savez,ceux qui iront si vite à se transformer en potentats locaux massacreurs.Les racines du ciel fait un peu sage adaptation,moins hustonienne qu'on le voudrait,plus intéressante que les critiques l'ont dit,à mon avis.Présence de Grèco sympathique,la muse de Saint Germain étant très proche de Darryl Zanuck,mais ... cela ne nous regarde pas.
Ouragan aux confins de la Floride
Moins connu que les célébrissimes films de Hawks Le port de l'angoisse et Le grand sommeil Key Largo(1948) est la dernière rencontre Bogart-Bacall.Considéré comme un peu moins réussi surtout je crois à cause de l'origine théâtrale très marquée du film c'est pourtant une oeuvre que je vénère,l'ayant vue très jeune et revue régulièrement avec plaisir.Key Largo sonne pour moi comme la magie du film noir,américain au sens le plus cinématographique du terme accompagné de ses mythes les plus forts.C'est d"abord une question de phonétique:j'adore la consonnance Key Largo(prononcer "ki" bien sûr,ce que j'ignorais à ma première vision).La seule manière qu'a Bogie de prononcer ce "Key Largo" dans le car qui l'emmène vaut le déplacement.Il y a dans ces trois syllabes tout le mélange de cynisme et de grandeur d'âme de la plupart des personages bogartiens.Après guerre à l'extrême ouest de la Floride un chapelet d'îles,les Keys,subit de violents ouragans qui isolent la maigre population.Dans ce micromosme créé par le dramaturge Maxwell Anderson les principaux personnages vont se retrouver dans un hôtel, huis clos étouffant pour ces éclopés de la vie comme les aime John Huston,metteur en scène.
C'est d'ailleurs un film de complices,Huston-Bogart, Huston-Richard Brooks(scénario),Robinson-Bogart.Et que dire de l'alchimie Bogart-Bacall qui n'aie déjà été écrit?Bogart,nommé aux Oscars est impressionnant de colère retenue,même si son personnage n'apporte pas de dimension nouvelle comme le feront à mon avis African Queen ou Ouragan sur le Caine.Peu importe tant sa présence nous émeut à chaque plan y compris les plus "lourds" psychologiquement lorsqu'il feint la lâcheté.Mais le personnage bogartien est toujours border line entre dédain,lâcheté,égoïsme et une humanité de boy-scout.Qu'est-ce qu'on l'aime.
En face le génial Edward G.Robinson interprète Rico,une ordure très inspirée de son rôle de Little Cesar dans le film de Mervin LeRoy.Limite psychopathe surtout dans les scènes d'humiliation(Claire Trevor alcoolique mendiant un verre par exemple) l'ennemi public est en fait terrorisé par la tempête sur les Keys.Dans ce film,variation en huis clos sur le thriller,un peu embarrassé par le manque d'espace et le confinement,on retrouve aussi la thématique de Huston, ancien de la Guerre fatigué,deuxième chance avec Nora (Bacall ici non pas femme fatale mais veuve sérieuse et qui retrouve l'espoir).Pour l'anecdote le bateau de la délivrance porte le nom Santana,nom du yacht de Bogart lui-même bon marin.
Cinépsy
Excellente thématique sur Arte avec un document sur cinéma et psychanalyse : Un écran nommé désir,suivi de Freud,passions secrètes du grand John Huston. Les noces de la psychanalyse et du cinéma , qui ont le même âge, n'ont pas toujours donné des chefs-d'oeuvre mais leur descendance compte cependant nombre de réussites.
Ce bon document analyse finement les rapports avec des interventions de Fellini, Bergman, Cronenberg, Lynch, Mankiewicz, Lang... Tous ces géants ont en commun un cinéma source d'introspection et d'autoanalyse avec des films en relation avec l'enfance,la famille,le désir. C'est évidemment le cas de presque toute création.J'ai retenu une jolie citation que je partage : "Le cinéma nous prive de notre propre imaginaire en nous imposant celle des autres". J'ai toujours pensé qu'effectivement le cinéma pouvait ainsi nous amputer. Bon, quand les chirurgiens ont le talent de Fritz Lang, Hitchcock, Bunuel, on peut considérer que leurs fantasmes valent bien les nôtres.
C'est vrai que le cinéma et la psychanalyse ont un langage en commun:image,projection, fauteuil ou divan, récession,obscurité... Ce document fourmille de découvertes et donne envie d'approfondir.A mon niveau ce ne sera pas difficile d'approfondir vu l'état de mes connaissances en ce domaine.Un film "freudien" par excellence,un seul ? La nuit du chasseur.
Freud,passions secrètes,de John Huston (62), peu goûté lors de sa sortie, est une bonne approche de la psychananlyse. On sait que Huston a été capable de transcender Hollywood pour nombre de réussites.Sa filmo comporte bien des perles et quelques ratages.Freud n'est pas un biopic sans âme et d'un académisme lourdissime comme certaines biographies(Chaplin,Wyatt Earp par exemple).
Sartre avait écrit un premier scénario non crédité en désaccord avec Huston. Le film ne s'interroge que sur les premières années de Freud et la découverte du lien profond entre le souvenir,le rêve,l'enfance et le désir. Freud a bien sûr beaucoup déplu à ses collègues avec ses traités sur le complexe d'Oedipe,jugés scandaleux. J'ignore presque tout du sujet mais pense que ce film honnête est une initiation avec sûrement pas mal de raccourcis mais aussi une interprétation assez habitée de Monty Clift. On aurait pu laisser le Professeur Charcot(Fernand Ledoux) parler français.