04 août 2023

Doux gémis

Plaintes

                  Nouvelle rencontre avec Yoko Ogawa dont je suis devenu inconditionnel. J'aime son univers modeste souvent, émouvant toujours. Avec ses personnages un peu à la marge, mi recul mi détresse, souvent éloigné d'un Japon trépidant. La musique est pour beaucoup dans plusieurs de ses romans. Ruriko, calligraphe, se met au vert, en rupture avec son mari violent.Réfugiée au coeur de la forêt elle n'a pour voisin que Nitta, un ancien pianiste devenu incapable de jouer en public. Dans son chalet Nitta est facteur de clavecin, une rareté. Une jeune femme, Kaoru, est son assistante et Dona, vieux chien sourd et aveugle, son compagnon. Les cinq sens sont souvent en éveil chez Yoko Ogawa, notamment ceux qui manquent à Dona. Bien joli symbole qui ne surprendra pas les lecteurs ayant fréquenté l'auteure. On ne peut qu'être à l'écoute du très haut vol ses écrits.

               Ruoriko devient l'amie et la complice de Nitta et Kaoru, qui eux-mêmes ne constituent pas vraiment un couple. Tout est bien plus fin chez Ogawa. Et au coeur de cette forêt s'insinue l'émotion toute en retenue. A travers les gestes du facteur de clavecin, si différents du luthier, avec la précision et la pondération requises pour cet artisanat où l'on tutoie les anges. Nitta, suite à un probable traumatisme ancien et vague, a des doigts, si habiles à bâtir l'instrument, qui ne savent plus jouer, du moins en public. C'est que l'incommunicabilité traverse le roman, sur la pointe des pieds, discrètement. Un triangle des sentiments, une quintessence de pureté (presque) platonique, c'est le monde nippon de Yoko Ogawa. J'avoue que je m'y sens bien. 

             Les tendres plaintes, ce titre semble totalement ogawesque en sa douce mélancolie, sa belle peine, l'oxymore est princier chez cette auteure, est en fait une oeuvre de Jean-Philippe Rameau (1724) et je vous en propose une version magnifique par le grand claveciniste Jean Rondeau. Je n'aurai garde d'oublier ce bon vieux Dona, trait d'union de grande tendresse qui n'émet aucune plainte.

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30 juin 2023

Dernières nouvelles du front cinéphile

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                       Hokusai est maintenant assez célèbre en France. Son compatriote Hajime Hashimoto signe un biopic, un de plus, pas intéressant même si l'essentiel pour un artiste réside dans ses toiles. Japon, XVIIIème siècle. Le pouvoir impérial impose sa censure sur les artistes. le jeune Shunrô, apprenti peintre, est exclu de son école à cause de son tempérament impétueux et du style peu conventionnel de ses estampes. Personne n’imagine alors qu’il deviendra Hokusai, célèbre auteur de La Grande vague de Kanagawa. On a maintenant la chance de voir pas mal de cinéma asiatique. Il ne faut pas  s'en plaindre. Et Hokusai, le film, nous aide à en savoir un peu plus. 

Nikuko 

                     Le cinéma d'animation est une longue tradition au Japon. Voici une sympathie comédie morale d'Ayumu Watanabe, La chance sourit à Madame Nikuko, où l'on retrouve à travers le portrait d'une maman un peu ronde une certaine constante nippone des plaisirs de la table. Ses rapports avec sa fille sont au centre du sujet mais j'ai surtout aimé le côté calme et provincial de cet aspect du Japon qui nous éloigne des pressions tokyoïtes habituelles.

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                  Je tenais beaucoup à présenter pour clore cette saison le document sorti l'automne dernier Hallelujah, les mots de Leonard Cohen. Dans ma vie depuis plus de cinquante ans Leo a bercé mes jours et mes nuits. Et j'ai voulu proposer de le mieux connaitre. Vingt-cinq personnes environ (pas si mal, croyez-moi dans une ville moyenne, je le dis souvent). La plupart ont apprécié, semble-t-il, même si ce film est à 75% consacré àu destin d'une seule chanson. Pour ma part j'aurais aimé évoquer davantage les autres facettes de Leo. Vous n'entendrez aucune chanson en entier, ça peut sembler frustrant. 

                 Ceci dit l'homme a une telle envergure et une telle présence que les deux heures passent bien. Mais Hallelujah est devenu un tel phénomène, une telle institution que l'overdose peut arriver. Leonard Cohen, un homme à savoir éviter parfois, tant son influence peut être grande. Je n'exprime là que mon sentiment. Et c'est ainsi que je l'ai défini avant le film. Passionnant, multiple, drôle parfois, jovial même. Je sais on ne croit pas cela possible. Mais aussi impressionnant, dangereux, voire toxique. Moi j'aime ce mal qui fait du bien qu'il nous a distillés pendant cinquante années. 

                 Hallelujah, les mots de Leonard Cohen ne fait que frôler poèmes et disques, addictions et déprimes, la ruine réelle de l'artiste, les cinq années au sanctuaire bouddhiste de Mount Baldry, etc. C'est normal, il raconte la vie d'une chanson, d'une chanson certes hors normes, mais enfin, d'une chanson. Mais un moment cohenien dans une vie ne peut que faire du bien. J'ai dit un moment. Quant à Leo, et comme toujours quand le cinéma se penche sur les créateurs le mieux ne serait-t-il pas d'écouter ses quinze albums? Et ainsi de se faire sa propre idée. Au lieu de lire les divagations cohenophiles d'un vieil amoureux de Suzanne

P.S. Finalement à la demande générale il y aura une chanson entière. Façon de parler...🎸

 

 

                  

 

 

19 mars 2023

Grand écart

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        Ciné-débat lundi dernier. Walden, film franco-lituanien mis en scène par une Tchèque, sorti il y a quelques mois, 959 entrées France. Plus une vingtaine depuis cette semaine. Je suis fier d'avoir contribué à 2% des recettes du film. Walden est un joli film sur la fuite, le désarroi, le souvenir d'une jeunesse derrière le rideau de fer, et les lendemains qui chantent toujours moins que prévu. Bojena Horackova signe un film en forme de binôme 1988-2018 à travers le départ et le retour d'une jeune étudiante qui comme beaucoup ne pense qu'à l'Ouest. Nous sommes peu avant la cascade des chutes des républiques populaires qui suivirent la chute plus spectaculaire du mur de Berlin.

         Jana revient à Vilnius 30 ans après son départ pour la France. Elle tient à retrouver Walden, le lac un peu secret de sa jeunesse, et, qui sait, Paulius son amour de ces vertes années. Le pays a changé? Oui...et non. Un thème classique, tendrement mis en scène, pour un film discret où frémit le vent sur les berges, et où les quinquas jadis frémissants font face aux après, loin de toute flamboyance. La jeune actrice irise Walden, elle avait un nom balte compliqué. Elle est morte accidentellement quelques mois après le tournage.  

        Vu aussi en ciné-club un tout autre film, le très curieux Junk Head, animation japonaise en stop motion, qu'un collègue, plus jeune, ça ne vous surprendra pas, présentait avant-hier. Takahide Hori est l'auteur unique, mais alors unique, de cette dystopie, survival, post-apocalyptique, dont les héros, boîtes de conserve et boulons, parviennent à une belle expressivité. Certes ça lorgne sérieusement vers le jeu vidéo y compris musicalement. Mais cet underground au sens propre où se règlent les comptes d'une société immortelle mais stérile est aussi un théâtre presque burlesque avec course poursuites, un humour assez trash parfois proche d'une BD futuriste, une lutte entre le bien et le mal, un plaidoyer pour la tolérance. J'ai bien évidemment enfilé tous ces clichés à dessein. Alors pourquoi pas rendre une visite à ces personnages bricolés, mécaniques, parfois un air de Metropolis-Lang auquel on pense forcément?

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             Grand écart cinématographique, ces deux films ravivent l'attention parfois vacillant du spectateur. Sera-ce suffisant? 

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29 mars 2022

Le Japonais fou de la France, âme et coeur

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                                 Dans la lignée du très beau Ame brisée le grand romancier japonais a écrit en français le non moins chaleureux Reine de coeur. Il y a tout dans ce beau livre, l'amour, la guerre, les mots et, plus que tout, la musique. C'est aussi un hommage d'un jeune couple réuni par les hasards de la vie à leurs grands-parents, fracassés, eux, par les horreurs de la guerre. 

                On entre dans ce livre brutalement, une scène de la guerre sino-japonaise, particulièrement brutale. Et le livre oscille tel un métronome entre le pire de l'homme, qui hélas a fait ses preuves et qui a encore une belle carrière devant lui, et le meilleur, en l'occurrence les somptueuse pages sur l'interprétation de la Huitième Symphonie de Chostakovitch. Ce monument de 70 minutes accapare une douzaine de pages extraordinaires. Et ces pages donnent grande envie d'écouter cette oeuvre hors normes. 

                Akira Mizubayashi voue un culte à la littérature française, à la langue notamment. Cela transpire tout au long ce roman sur la mémoire et la transmission, dont on sort l'âme enchantée, brisée aussi pour citer le premier roman en français de l'auteur. L'âme est aussi le coeur du violon et sur l'émotion que peuvent procurer ces quatre cordes point n'est besoin de s'appesantir. Quelques lignes sur la prégnance de la guerre dans les entrailles de cette Huitième Symphonie selon Mizubayashi.

               Les yeux d'Oto étaient fixés non seulement sur le bras droit de Mizuné qui manoeuvrait fougueusement son archet, mais aussi sur son corps qui se penchait naturellement lorsque son instrument produisait des sons graves. Bientôt les altos cédaient leur place aux violons qui, maintenant le principe des notes martelées, subissant régulièrement l'intrusion des violoncelles et des contrebasses comme des coups de poing reçus en plein ventre, suscitaient l'intervention des clarinettes et d'autres instruments à vent émettant, quant à eux, comme des cris stridents proférés par des bouches tordues de douleur. Bref, une fois de plus, les violences de la guerre déferlaient dans la salle implacablement. 

              Ce n'est là qu'un court aperçu. Je ne crois pas avoir jamais lu aussi tellurique, aussi obsessionnel, aussi cataclysmique sur la musique. Chostakovitch a connu des hauts et des bas, des heures claires et bien des tourments. Le Japon aussi. Mizubayashi, qui traduit lui-même ses livres français en japonais, est à lui seule une belle passerelle. 

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07 octobre 2020

L'art du marteau

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                                 La littérature japonaise a souvent sa propre musicalité. J'en lis quelquefois, Yoko Ogawa notamment. C'est particulièrement le cas dans Une forêt de laine et d'acier, au titre énigmatique. Ce livre est étonnant. Est-il passionnant? La réponse n'est pas si simple. La forêt dont il est question est double et je ne souhaite en dire davantage. Le héros principal est un jeune homme modeste qui est élève accordeur de piano. C'est peu dire que ce roman n'est pas trépidant ni pittoresque. L'auteure, Natsu Miyashita, est capable de consacrer toutes ses pages à une sorte de mini-symphonie de chambre, bâtie uniquement autour de l'art d'accorder l'instrument.

                                 J'ai apprécié le tour de force que constitue ce roman. Il y a un peu la rivalité entre les élèves, un peu le thème de la transmission du maître au disciple. Il y a plus que ça, un travail de fourmi (fa sol la si do ré) sur le son, la richesse des fréquences dans un salon feutré ou une salle de concert, la réaction des pianistes après passage des accordeurs, l'extrême finesse, la délicatesse de ces travaux d'orfèvre du marteau. Ne jamais oublier que le piano est instrument à cordes frappées, on pense à l'art campanaire (je suis d'une ville à carillon). Vbrations, étouffoirs, table d'harmonie, 88 touches, la magie de l'espace qui s'emplit d'indéfinissable. 

                                Une forêt de laine et d'acier se déguste tel un rituel autour d'un thé, un cérémonial traditionnel,  un film japonais qui vous demande un peu de votre temps. D'infinies nuances, même si les pianistes ne sont que les acteurs secondaires, car Natsu Miyashita désigne clairement les auteurs du rêve musical, les tutoyeurs de la perfection, que sont les accordeurs, après des années de formation. Tout au long des 250 pages on marche au bord du sublime, à la lisière d'une forêt (le titre prend tout son sens) qu'il faut caresser, ménager, deviner. Ce livre se mérite, peut-être un peu plus accessible aux lecteurs déjà familiers du Japon. Il n'est pas nécessaire par contre d'être soi-même pianiste, ni même musicien, pour en apprécier la grâce.

                               Je vais altérer cette chronique d'un demi-ton, un bémol en l'occurrence. On a le droit de s'y interroger au bout de dix pages, de s'y ennuyer au bout de vingt, et de jeter l'éponge et le livre au bout de trente. C'est que le fil en est si ténu.

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02 juin 2018

Cousines nippones

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                               Avant tout je voudrais vous remercier, amis qui avez eu ces gentils mots d'encouragement sur mon billet précédent. Ils ont été les bienvenus. Plutôt en meilleure forme, je reviens à l'occasion d'un billet commun avec ma chère co-lectrice Valentyne. Mon rapport au  blog a cependant quelque peu changé. Les billets y seront certainement un peu moins fréquents mais cela n'altérera en rien mes visites chez les amis choisis depuis des années maintenant sur la toile.

                               Cinquième incursion dans l'univers de Yoko Ogawa, qui sait toujours me charmer. En compagnie de La jument verte de Val  cette fois, dont je subodore qu'elle sera du même avis. La petite musique de cette auteure japonaise a quelque chose d'enchanteur, d'ensorceleur, bien loin des bruits et des fureurs. Ogawa s'intéresse souvent à la cellule familiale, à la transmission, à l'enfance. Tomoko, douze ans, loge chez  sa  cousine Mina pour sa première année de collège. Mina, asthmatique, n'est pas toujours très solide et Tomoko s'applique à lui faciliter la vie dans la grande maison familiale où vit Mina avec son père, sa mère et sa grand-mère paternelle Rosa, allemande. Il y a aussi Pochiko, dans le jardin...hippopotame nain qui accessoirement sert de monture pour emmener Mina, qui s'épuise vite à marcher, à l'école. On le voit, une pointe de fantaisie surréaliste nimbe cette jolie histoire sur le côté un peu étouffant de ce pays. Personnellement je commence à apprécier les lettres japonaises tout en y respirant un peu difficilement. Mais que de beaux moments dans La marche de Mina.

                                Aucun  des personnages de la famille n'est sacrifié même si les passages les plus forts concernent les  deux cousines. Mina, fragile et rêveuse a une curieuse collection que je vous laisse découvrir. Tomoko, plus aventureuse, se pose  des qustions sur cette famille. Va-t-elle découvrir un secret? On ne quitte guère la maison ni le jardin dans La marche de Mina mais pourtant le monde  est bien présent quoi que discret. A commencer par le massacre olympique de Munich en 1972. Cette incursion dans la brutalité est particulièrement bien amenée par Yoko Ogawa. Contrastant avec la relative sérénité de la maison familiale. Les deux cousines sont assez fascinantes, évoluant entre poésie et enfance, avec le goût des livres pour l'une d'entre elles, les premières admirations préado. Et aussi chemin faisant, le volley-ball, le ciel et la comète, la boisson traditionnelle fabriquée par l'entreprise de l'oncle de Tomoko. Et bien sûr les gros yeux ronds de Pochiko.

                                 Quant à la salle de bains des lumières, c'est une idée lumineuse, et je vous y convie. Comme je convie ceux qui ne la connaissent pas à apprécier les livres de Yoko Ogawa. Ils ont la délicatesse et l'élégance de la silhouette d'un hippo-campe même si dans La marche de Mina il est plus souvent question d'un hippo-potame. Ils sont nombreux et bien distribués en France. Bien des blogueurs en parlent. Chez moi vous pouvez retrouver d'anciennes chroniques sur Les abeilles, La formule préférée du professeur, Les lectures des otages et Cristallisation secrète.

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05 octobre 2017

Rien vu à Hiroshima

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                             Audience très correcte, public attentif et plutôt conquis par le beau et calme film du documentariste Jean-Gabriel Périot. Je trouve que Lumières d'été porte bien son titre. Lumineuse en effet, cette variation sur le devoir de mémoire prend la forme d'un conte presque ludique malgré le sujet pour le moins difficile et qui porte un nom qui zèbre l'histoire de noir, Hiroshima. Akihiro,  metteur en scène nippon francophone, personnage très proche de Jean-Gabriel Périot, recueille dans un studio le témoignage d'une survivante de la tragédie, soixante-dix ans après. Il rencontre dans un parc de la ville une jeune femme, Michiko, curieuse, bavarde, mutine. Elle semble bien connaître le passé. Plus loin un enfant et son grand-père, Hiroshima serait une ville comme les autres.

                            C'est certes un film bien peu spectaculaire que Lumières d'été. Mais c'est une jolie balade qui trouve son rythme en deuxième partie après la relativement longue interview de la vieille dame, à cet instant on sent dans le public une certaine impatience. Mais le film se transforme tout en douceur en une sorte de walk-movie, peu prolixe en péripéties, un peu trop en dialogues à mon gré même si ces derniers ne sont jamais assénés comme on aurait pu le craindre d'une oeuvre "à thèse". J'ai aimé ce film, plus à la seconde vision, certains traits m'ayant échappé la première fois.

                           L'ami Martin a plutôt apprécié ce film discret Revoir Hiroshima. Les spectateurs du CinéQuai aussi et les échanges ont été assez riches. En majorité ils ont aimé la façon qu'a le film de parler de l'indicible sans images choc, sans même archives, rien que par la grâce de la rencontre de quelques personnages, de tous âges. Alors on parle bien sûr de devoir de mémoire, de plus jamais ça, bref on parle de raison. On n'évite pas toujours les à peu près, voir les erreurs. Mais somme toute proposer un tel film est déjà une petite victoire. Ca dure 1h23, timing idéal, juste quelques pas dans une ville célèbre, qui aurait tant aimé l'anonymat.

                          Le cinéma japonais, encore maintenant, ne cesse de multiplier les références ou au moins les allusions à ces horreurs. De retour de Berlin, notamment du Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe, le fait d'évoquer le Genbaku, Dôme de la Bombe d'Hiroshima, est évidemment encore mois anodin. Pas anodins non plus, ces bruits de bottes nucléaires non pas au Pays Du Soleil Levant, mais dans l'inquiétant voisinage du Pays du Matin Calme.

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16 juin 2017

Prenez garde à la fonte des choses

41JfgOIjXNL__SX210_  Peu à peu j'explore l'univers de Yoko Ogawa. Quatrième épisode, un roman splendide, qui confine à un certain fantastique, en toute discrétion, et peut faire penser parfois à Fahrenheit 451. Cristallisation secrète est le roman de la disparition et se déroule dans une île,ce qui lui confère déjà un statut particulier. Par un étrange phénomène les choses s'effacent. Toutes sortes de choses.Des plus anodines aux plus essentielles, les oiseaux par exemple. Les roses, les photos, les livres. Et si un jour les mots eux-mêmes...

           Effarant montage que ce livre où l'héroïne est elle-même romancière et n'a bientôt plus de contact qu'avec son éditeur caché. Avec habileté Yoko Ogawa nous perd un peu en faisant de l'écrivaine une recluse au milieu des machines à écrire hors d'usage. Quel symbole car bientôt ne sera-ce pas l'humanité entière qui sera hors d'usage? Volontairement exempts d'identité, les personnages, narratrice, éditeur (ce dernier a droit cependant à une initiale, R qui sonne évidemment kafkaien), grand-père, forment un trio d'entr'aide et de solidarité, face aux traqueurs de souvenirs, ces miliciens à la solde d'on ne sait qui.

          Le plus fascinant de Cristallisation secrète, beau titre, réside  dans la relative acceptation de cet état de fait. Pour digérer la disparition on dirait que certains l'anticipent presque, victimes soumises, consentantes, presque complices. Mais ce disant, je suis bien en deça de la grandeur de ce roman parabole de la condition humaine où heureusement l'amour conserve une place  de choix. Mais Ogawa est aussi une poétesse qui sait nous toucher avec trois fois rien, un ticket de transport retrouvé, un harmonica désaccordé, ou, plus monumental, un vieux ferry qui sombre, bouleversants.

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23 mai 2017

Après le film...calme

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                                 1/ Première projection (vendredi). J'avais beaucoup aimé Tel père, tel fils, une histoire d'inversion de nouveau-nés il y a trois ans et partais confiant pour Après la tempête. D'où me vient cette très légère déception? Et sera-t-elle partagée par les spectateurs de ce lundi? Ryota, écrivain raté, ci-devant détective besogneux, divorcé de Kyoko et père d'un garçon d'onze ans, Shingo, peine à la pension alimentaire et joue au vélodrome le peu qu'il gagne. Pas antipathique le Ryota, mais un tantinet lunaire, velléitaire et maladroit. Et puis sa maman, veuve depuis peu (la délicieuse actrice des Délices de Tokyo), qui souhaiterait voir le couple reprendre la vie commune. Serait-ce possible alors?

                                 Hirokazu Kore-Eda est un discret et refuse tout effet mélodramatique. Presque trop, ce qui peut engendrer un soupçon de monotonie pour un film de deux heures. Ca na pas été mon cas mais je peux le concevoir. Ainsi, qu'on ne s'attende pas à un typhon cataclysmique et révélateur. Cette tempête, d'ailleurs ultra-fréquente au Pays du Soleil Levant, si elle apporte des changements, sera en mineur. Regroupés tous les quatre dans le modeste HLM de la mère, les protagonistes, une famille comme tant d'autres, ordinaire, banale, se débat dans ses contradictions et tache de maîtriser ses émotions. Ici, pas de grands éclats de voix, pas  de colères. Pour l'évocation, retenue, de la figure du père et l'enfermement géométrique urbain du Japon passez donc chez les amis Strum et Le Bison, bien plus connaisseurs que moi du cinéma de là-bas Après la tempête de Hirokazu Kore-eda : apaisement et histoire de famille et Typhon N°24. Ce père disparu est d'ailleurs encore très présent chez Ryota, quelques souvenirs en font foi. Il faut absolument que je découvre les films d'Ozu, ce maître japonais dont bien des critiques considèrent que Kore-Eda est un continuateur.

                             2/Seconde projection (lundi suivant). Le film a été majoritairement apprécié mais très peu de spectateurs ont tenu à s'exprimer. Parfois, la vie associative et culturelle nous incite ainsi à la modestie à propos de notre efficacité. Il est  toujours bon de proposer. Quant à disposer...

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10 novembre 2016

Après lecture des lectures

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                                 Pour la troisième fois j'explore le bel univers de Yoko Ogawa (Les abeilles, La formule préférée du professeur) avec Les lectures des otages, recueil de neuf textes, mais à l'intérieur d'un récit unique. Je m'explique. Lors d'une prise d'otages étrangers, on n'en saura pas plus, une ONG parvient à introduire un enregistreur. Opération réussie, les huit otages vont tour à tour prendre la parole et parler de toute autre chose que de leur situation. Il y aura un neuvième témoignage, celui du soldat de la brigade anti-terroriste. On apprend très vite que les otages n'ont pas survécu mais là n'est pas le propos de cette fine auteure qu'est Yoko Ogawa. Tout cela n'est qu'un prétexte pour que chacun des prisonniers évoque un souvenir, ce qui permet d'évoquer avec finesse (mais ça on le sait très vite en lisant n'importe quel texte même court d'Ogawa, même la toute première fois) différentes situations selon les protagonistes. Quelques exemples.

                             Une  femme voit sa vie bouleversée à la vue d'un jeune homme dans le train transportant un objet très long dans sa housse, qui s'avère être un javelot. Le suivant elle découvre un stade vétuste et s'éblouit de la grâce du geste de l'athlète. C'est tout, et, croyez-moi, c'est beaucoup sous les doigts de Yoko Ogawa, experte en émois. (Le jeune homme lanceur de javelot).

                            Un futur écrivain, dans La salle de propos informels B, raconte comment jadis il est entré par hasard dans une salle d'un bâtiment public. Cet endroit bien anodin se révèle un espace de curiosité, de liberté, où s'expriment des groupes farfelus sans trop de soucis de logique ou de raison. Il y en a qui veulent sauver une langue qu'ils sont seuls à parler. Et aussi les amateurs de toiles d'araignée, le syndicat des recherches sur le jeûne, l'amicale des dessinateurs d'animaux imaginaires, et mon favori, l'assemblée de ceux qui écrivent Shakespeare sur des grains de riz. Fantaisie, surréalisme et humilité, sous la belle plume de Yoko.

                           Le loir hibernant nous est conté par un ophtalmo, peluche dépareillée et assez laide parmi les autres, tout aussi laides, proposées dans la rue sur un simple drap par un vieil homme noueux et décharné. La particularité de ce modeste éventaire est d'exposer des effigies d'animaux plutôt pas très sympathiques, chauve-souris, blattes, scolopendres, oryctéropes...Variation sur la différence et l'empathie, imagination stimulée. Ca vous dirait, une peluche de paramécie dont vous pourriez caresser les cils vibratiles?

                           Tous les textes des Lectures des otages sont à cette image, très originaux et inattendus. Je crois que Madame Yoko Ogawa va rejoindre ma cohorte d'écrivains favoris. Il y en a un pour qui c'est chose faite depuis longtemps, c'est notre ami Le Bison.  La Lecture des Otages [Yoko Ogawa]

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