14 mai 2016

A propos de Céline

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                             Affluence satisfaisante pour Louis-Ferdinand Céline (Deux clowns pour une catastrophe) en ce lundi soir. Ce film a le courage ou l'inconscience de mettre en scène Céline lui-même, du jamais vu au cinéma, même pas en adaptation d'un de ses romans. Evidemment une soirée autour de Céline est toujours un peu risquée. Mais entre gens de bonne compagnie les choses se sont bien passées. Pour être un peu sérieux reconnaissons que dans ce genre de discussion nous étions tous des amateurs. Certains ayant un peu lu Céline ou au moins Le voyage..., personne n'ayant la prétention de connaître vraiment l'écrivain. Comme Joyce, voire Proust, Céline s'il est très connu n'est pas vraiment beaucoup lu. Je pense d'ailleurs que peu d'écrivains sont beaucoup lus, tout  simplement parce que la lecture se porte mal même si ce n'est pas sur nos blogs à forte connotation livres que ça se voit. Mais faut pas rêver, la vie est bien loin de nos écrits parfois.

                            Le film d'Emmanuel Bourdieu se fracasse sur le mythe et ne peut prétendre réussir. Mais c'était impossible. Bien que portant sur trois semaines seulement de la vie de Céline, l'identification de Denis Lavant au misanthrope en fuite au Danemark ne fonctionne pas vraiment. Au passif du film un Céline en surjeu par un Lavant tout en exagération, ce qui fait beaucoup d'artifices. L'écrivain n'éructait ni ne vitupérait autant, si ce n'est dans ses livres. J'ai mieux aimé Géraldine Pailhas en Lucette Almanzor-Destouches, mais plusieurs spectateurs l'ont trouvée nettement trop angélique et diplomate entre Céline et son admirateur juif américain venu "au secours" de l'auteur de Mort à crédit. Son look Simone de Beauvoir n'a pas non plus été particulièrement bien reçu.

                           Au crédit, à mon sens, de Deux clowns pour une catastrophe (l'expression est de Céline lui-même) une belle expression de sa paranoia, d'ailleurs justifiée car il risquait vraiment sa peau, et quelques belles scènes où l'antisémitisme humiliant se taille la part du lion, scènes semble-t-il authentiques. Drôlerie parfois (scène des baignoires, mauvaise foi évidente envers le pays qui, tout de même, s'il l'a embastillé ne l'a pas extradé). Bourdieu a eu aussi la curieuse idée de grandir physiquement Milton Hindus ce qui donne au duo vieux râleur-jeune ambitieux une allure quasi burlesque discutable. Quant au débat il fut intéressant même si nous manquions d'un véritable spécialiste de Céline, denrée assez rare en une ville moyenne. Mais nous avons tous essayé de ne pas trop dire de bêtises. Au moins ce film a-t-il été proposé, dans le cadre d'une action cinéma tout au long de l'année qui commence à porter ses fruits. C'était ma minute d'autosatisfaction. Après tout si on ne peut pas dire un peu de bien de soi-même...

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08 mars 2016

Dies irae, dies irae

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                                Ces Six jours me rebutaient un peu. J'ai fait l'effort de m'y mettre et Ryan Gattis a fini par me convaincre. Quand on commence à bien saisir les personnages, à peu près tous des jeunes types pas très avenants, et des filles à l'avenant des peu avenants, on s'intéresse tout à fait à ce roman qui raconte de façon hautement réaliste les six jours de L.A. au printemps 92. Ces émeutes qui ont fait vaciller l'Amérique survenaient après l'affaire Rodney King. Pendant ces six jours Los Angeles à feu et à sang a montré au monde une cité où les lois n'ont plus cours. Alors comment décrire la puissance de ce bouquin qui a tout pour nous fatiguer rapidement, ce qu'il fait d'ailleurs, mais qui parvient ensuite à nous happer dans la spirale de violence qui s'empara d'El Pueblo de Nostra Senora la Rena del Rio de Los Angeles de Porcunciula?

                                Truffé d'argot et de mots chicanos Six jours se présente comme une suite de récits à la première personne, narrés par les personnages eux-mêmes, dix-sept en tout, la plupart membres de gangs, très jeunes, garçons et filles, mais aussi une infirmière et un pompier, ce qui nous repose un peu car l'affaire est assez éprouvante. Durant la moitié du livre ça m'a passablement gonflé de donner de mon temps en compagnie de ces individus. C'est vrai, quoi, on peut avoir envie d'autre chose que de fréquenter cette faune. La vie y est en effet assez animale, c'est souvent tuer avant d'être tué, et tout cela sous abondance narco et perte de tout libre arbitre. Le tableau est effrayant, apocalyptique. Et puis, doucement, on cerne mieux les acteurs, qui ont chacun leur façon d'être, voire leur philosophie (peut-être un grand mot). Ainsi, tout en appréciant notre sous-préfecture de 60 000 âmes, pas irréprochable, on vibre à l'unisson de cette ville d'avenues et de boulevards, où de Hollywood à East L.A., des manoirs luxueux aux taudis, au travers des fortes minorités qui en arrivent à se déchirer entre elles, c'est qu'un Salvadorien n'est pas un Mexicain, ah non,  la vie suit son cours, certe pas tranquille, certes souvent bref, mais toujours le lot de certains hommes. Ainsi vit-on à Los Angeles. Du moins essaie-t-on.

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                               C'était il y a plus de vingt ans. Je ne sais pas bien comment respirent aujourd'hui les Angelenos. Mais je sais que Ryan Gattis a écrit un bon livre, parfois proche de la poésie urbaine, brutale et violente, à l'image des tags et des graphes innombrables dont l'auteur semble être un chantre accompli. Renseignements pris l'auteur est lui-même proche du street art et si dans cette expression il y a art il y a aussi rue.

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30 septembre 2015

Qui dénoncera...

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       ... les honteuses pratiques de ce pays souvent cité en exemple? Oui, c'est devant les fastes du Palais royal de Stockholm et ses gardes droits dans leur bottes que l'on traite ainsi les enfants de Suède, enchaînés et presque vêtus comme des bagnards américains. Assourdissant silence des médias.

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11 décembre 2013

Le juge et l'assassin

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                                   L'oeuvre est si vaste qu'il est difficile d'être catégorique mais Lettre à mon juge pourrait être l'un des romans les plus profonds, les plus graves de Simenon. L'un des plus désespérants aussi. De sa geôle le médecin assassin de sa maîtresse écrit longuement à son juge. Très longuement et très "plombement". La province française des années cinquante (ici vendéenne mais peu importe), Dieu sait si nous l'avons lue chez Simenon, tapie et racornie derrière le gâteau du dimanche et le bridge du mardi soir des notables. A nous faire peur, et pour longtemps. La descente aux enfers du Docteur Alavoine, père alcoolique suicidé, mère tout à son dévouement, marié,  deux enfants, veuf, remarié, cabinet de campagne, puis un peu plus huppé, labeur incessant, bonheur néant, ne pouvait qu'être inéluctable depuis qu'en gare de de Nantes, en un de ces lieux carrefours des détresses qu'affectionnait tant Simenon, il avait rencontré Martine.

                                  Publié en 1947 Lettre à mon juge est un roman glaçant et empoisonnant, qui distille son venin et sa hargne, sa misanthropie à l'intérieur même d'une carrière médicale honnête. La tempête sous le crâne de Charles Alavoine, balayée de faux semblants et de tristes certitudes, l'emporte au plus loin du drame, près de Martine, pourtant comme une soeur de malheur et qu'un amour réciproque ne sauvera pas de la folie brutale et  meurtrière. Plus de soixante ans après sa parution Lettre à mon juge demeure un objet romanesque contondant, certes à sa place dans le carcan simenonien, mais qui relègue les pourtant très "humaines" enquêtes de Maigret au rang de faits divers ordinaires, comme si quoi que ce soit de la vie d'un homme pouvait l'être, ordinaire. On comprend bien que le film d'Henri Verneuil Le fruit défendu où Fernandel tenait le rôle, ne pouvait qu'être très affadi, voire défiguré, pour que le célèbre comique accepte d'endosser un peu la défroque de Charles Alavoine. On comprend mieux encore l'écrivain totalement majeur qu'est Georges Simenon.

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03 septembre 2013

Juge et père

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                           Je poursuis mon exploration du cinéma italien,c'est un peu cahotique mais passionnant.Voici un inédit en France (perché?),nanti d'un titre à rallonge,ce qui fut un peu la mode dans le cinéma politique italien des années 70, Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon, Confession d'un commissaire de police au procureur de la république. Ce film de Mauro Bolognini,décidément souvent abordé ici même, aurait pu s'appeler Accusation d'homicide pour un étudiant mais,sûrement parce qu'on le découvre 40 ans après n'a droit qu'au relativement court Chronique d'un homicide. Bolognini avait tourné peu avant Metello,  Metello vu par Mauro son meilleur film, avec le même acteur,le chanteur à succès Massimo Ranieri. Chronique d'un homicide revient sur le début des années de plomb et les mouvements d'extrême gauche, mais aussi d'extrême droite, avant les attentats de Milan et Bologne et l'enlèvement assassinat d'Aldo Mauro.

                       Cinéaste plutôt à gauche, presque pléonasme, version italienne assez souple et sympa,mais point trop doctrinaire ,Mauro Bolognini, avec le concours des deux Ugo, Liberatore et Pirro, scénaristes, s'intéresse surtout à la relation entre le jeune homme et son père, juge d'instruction qui est chargé de l'enquête sur le meurtre d'un policier, commis en fait par son propre fils.Joué par le second plan du cinéma américain Martin Balsam (Psychose, Douzes hommes en colère),sobre et crédible, ce magistrat est un homme intègre qui,confronté à son fils meurtrier, aura la réaction qu'il sentira la plus appropriée,comme si cela pouvait exister. On pense au long du film à une longue explication tortueuse et théâtrale entre les deux protagonistes.Apôtre ici d'une certaine sobriété et d'une belle discrétion, Mauro Bolognini refuse le morceau de bravoure.C'est tout à l'honneur du film que de ne pas  asséner ainsi des vérités de prétoire.

Il viaggio

                      Le rôle de la mère,dépassée mais toujours digne,est joué par Valentina Cortese. Et elle est très crédible.Les films italiens, souvent remarquables et tellement au contact du pays, ont parfois tendance à "fanfaronner" un tout petit peu comme le héros du chef d'oeuvre de Dino Risi Il sorpasso. Chronique d'un homicide, extrêmement sobre, demande à être (re)découvert. Ce sera pour moi l'une des dernières contributions au très beau challenge de Nathalie, Chez Mark et Marcel, qui se termine bientôt, l'un des rares challenges que j'ai vraiment honorés vu que je m'étais inscrit,trop inscrit un peu partout. Enfin,une petite madeleine sonore avec...

http://youtu.be/Jw-kZ0jb3XA    Morricone   Imputazione di omicidio...

                         

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21 novembre 2012

Deux bouquins d'outre-Rhin

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              L'un très bien,l'autre un peu moins bien.H.W.Kettenbach,inconnu.Pas une raison pour l'ignorer.Emprunté avec la simple idée de lire Allemagne comme ça m'arrive régulièrement.La vengeance de David raconte le séjour chez un professeur allemand d'un ami venu de Géorgie.Tous deux se sont connus avant la fin de l'U.R.S.S lors d'un voyage d'études de l'enseignant.Il y a bien eu un vague flirt entre lui et Matassi l'épouse caucasienne.Mais rien d'important,quelques questions à la rigueur sur l'espionnage supposé omniprésent à Tbilissi.

                  Mais sept ans ont passé et la visite de David fait plutôt plaisir à Christian.La tendance à l'incruste du Géorgien prend pourtant de l'importance.Ne se met-il pas, sous prétexte d'éditer la littérature de son pays, à écumer la région en compagnie de la femme de Christian,avocate réputée?Quant au fils de la famille il ne se prive pas de xénophobie.Ajoutez à cela des difficultés d'ordre pédagogique au lycée pour Christian,et l'apparition d'un membre d'une commission pas très nette et un peu barbouze. Vous obtiendrez un roman auquel je trouve un petit air de cinéma d'Europe Centrale indépendant,têtu, drôlatique et qui dit pas mal de choses sur les lendemains de fins d'empires.Infiniment moins intéressant cependant que des auteurs comme Arno Geiger ou le nouveau venu Von Schirach,pour n'évoquer que des écrivains de la nouvelle génération.

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        Sous forme de nouvelles Ferdinand von Schirach revient sur onze affaires criminelles qu'il a eu à traiter,avocat de la défense à Berlin.Ce recueil est passionnant,ces brèves histoires vraies devenant par le style même de l'auteur, sèches et précises,comme écrites au scalpel.Le titre,en toute sa sobriété, Crimes,est à prendre au sens large,pas forcément meurtrier.Von Schirach n'a pas travaillé ses textes comme un polariste,ni cherché à recréer un climat quelconque urbain,banlieusard ou professionnel.Pas d'esbrouffe, pas d'enquêteurs à la vie privée agitée,alcooliques ou névrosés,comme on en lit tant.Non,juriste exemplaire, Ferdinand von Schirach parvient à faire de ses rapports circonstanciés,à la prose glaciale de réalité,des contes cruels dont on finit par ne plus savoir la part de l'imaginaire et celle de l'authentique.

             Lisière de folie,comme ce gardien de musée qui disjoncte toute sa vie parce qu'une statue essaie d'ôter une épine de son pied.Fétichisme limite zoophilie inexplicable,et qui le restera.Invraisemblable barbarie du meurtre d'une femme pas son mari,à qui on finit par néanmoins donner presque raison.Là,un zeste de cannibalisme régressif.Le voyage est ainsi constitué de petites étapes,toutes passionnantes,avec leur lot de surprises.Crimes est effrayant dans cette banalisation de l'horreur,celle qui surgit dans la rue voisine,le métro ou l'université.Un très bon livre,signé de quelqu'un dont l'expérience technique évidente court au long d'un volume qui reste cependant un bel objet littéraire. Parfois ça fait du bien de s'éloigner des récurrents encombrants.

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