01 août 2011

La ligne des marks:action

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     La séparation c'est bien sûr dans ce Berlin de 1983 un certain mur presque anecdotique tant les sentiments des héros de ce roman sont bien éloignés de toute considération géopolitique.Vague toile de fond mais Berlin reste Berlin,même coupé en deux,qui devra attendre encore sept ans.Non,les séparations dont il est question sont d'ordre privé avec trois couples ,dont les éléments masculins intéressent visiblement davantage Peter Schneider,né en 1940 en Allemagne du Nord.

     Edouard est chercheur en biologie moléculaire et professeur à l'unversité.Ca aurait déjà tendance à me faire fuir vu ma culture scientifique proche de celle de l'huître.J'aurais tort.La ville des  séparations fonctionne pourtant un peu comme un procédé chimique qui tiendrait pour acquis qu'un couple dure en moyenne 3 ans,167 jours et 2 heures.Tout dépend bien sûr de la liberté qu'on accorde à ce couple.La relation d'Edouard avec Klara arrive à deux ans.Attention danger.André,son ami français compositeur planche sur un Don Juan avec son autre ami Theo qui lui habite plutôt à l'Est et tente de collaborer avec André comme librettiste de son opéra.Ces intellos se retrouvent fréquemment au "tent" sorte de Coupole pour happy few à cheval sur le Mur.Car à dire vrai dans ce Berlin on ne croise guère de vopos et on n'évoque pas plus Checkpoint Charlie.

      Ce qui intéresse Peter Schneider et le lecteur,un peu moins parfois,ce sont les difficiles et souvent dérisoires dérapages de chacun dans sa vaine tentative d'être à peu près bien dans sa peau.Tout ne va pas trop mal pour Edouard et les autres.André se voit nanti,puis envahi d'une extravagante belle-famille  juive russe.Lui qui préfère la musique concrète au violon slave est bien obligé de faire avec.Ses disputes avec Theo sont homériques car chacun méprise consciencieusement l'art de l'autre.Ceci peut s'avérer gênant quand on a en commun rien moins qu'un opéra.Et si ces bobos branchés étaient restés des enfants...C'est la leçon que je crois tirer de La ville des séparations,attachante chronique d'une réunification pas encore annoncée.Je n'irai pas jusqu'à dire qu'Edouard,André et Theo m'ont bouleversé.Ce qui n'interdit pas de trouver sympathique leur(s) légèreté(s).

   

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29 juillet 2011

D'excellents morts

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    Le Sicilien Leonardo Sciascia a vu la plupart de  ses romans adaptés au cinéma.Certains ne sont d'ailleurs jamais sortis en France.Citons A chacun son dû (Ne pas oublier Palerme )Todo Modo,La mafia fait la loi.Les metteurs en scène en étaient Elio Petri,Damiano Damiani ou Francesco Rosi précisément pour Cadavres exquis,1975,d'après Le contexte.Rosi a fait l'objet d'une rétrospective à la Cinémathèque qui vient de se terminer.L'entretien avec Francesco Rosi,88 ans,est d'ailleurs visible pour un moment sans doute sur le site de la Cinémathèque. Monsieur Rosi y tient des propos passionnants et courageux.Bien sûr ce cinéma peut apparaître comme lointain.Mais outre que je n'accepte guère les notions de films ayant vieilli,c'est seulement le temps qui a passé et c'est tout à fait différent,les constats sociologiques, économiques ou politiques demeurent percutants.Les rapports très compliqués entre le pouvoir et la justice ne sont l'apanage ni des années 70,ni de l'Italie.

          Plusieurs très hauts magistrats sont assassinés.Théorie du complot, intimidations de la Pieuvre, simples délires d'un déséquilibré,l'inspecteur Rogas,Lino Ventura juste et seul,donne un supplément de vérité là où l'on attendait évidemment Gian Maria Volonte.Il bute sur des murs alors que tombent les cadavres,Charles Vanel dont le meurtre est particulièrement saisissant de mise en scène, Alain Cuny, Max von Sydow. Ecoutes,filatures,téléphones inquiétants.Nous sommes certes dans le classique de thriller politique.Mais des trouvailles nous titillent,humanisant ces messieurs plutôt glaciaux.Le vieux procureur Varga se délecte devant les momies du musée, parcheminé qu'il est lui-même.Le juge Rasto se lave les mains à tout propos avant de finir au lavabo.Ces notables étaient-ils aussi corrompus,jusqu'au ministre de la Justice?Rosi ne cherche jamais à convaincre et son cinéma n'a rien de simpliste?C'est sa grande force.

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    Et si son flic honnête,Lino Ventura retenu et sans grandes tirades démagogiques,dont on ignore tout de la vie privée,ce qui aussi muscle le film comme une métaphore,est condamné dès le début,on se passionne pour cette allégorie de l'impossible clarté du couple infernal entre le politique et le judiciaire,ce Janus aux deux visages qui est un peu en chacun de nous.Et qui surtout ne concerne pas que l'Italie bien que le cinéma de ce pays se soit depuis longtemps intéressé au sujet.Le Néoréalisme étant passé par là.

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21 juillet 2011

Enfin,en faim

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        Ce titre trottait dans ma tête depuis des siècles,livre célèbre d'un Prix Nobel,pas forcément tellement lu d'ailleurs,comme bien des titres si connus.Là je reviens un court instant sur quelques platitudes convenues, à savoir l'influence très relative de bien des grands bouquins.Après tout si peu de gens ont lu Ulysse ou l'intégrale de La recherche.Je n'avais jamais lu La faim et ne connaissais de Knut Hamsun que son Nobel 1920,sa longévité (1859-1952) et son soutien indiscutable à Adolf Hitler.Je possède La faim depuis quelques années,livre donné par une amie disparue,aux éditions PUF.La faim,dans l'exemplaire que je viens de lire,est de couverture toute noire,illustrée par une gravure représentant un pain semblant planer à 20 cm plus haut que la table.Je n'avais pas remarqué que cela représentait une allégorie de la nourriture. Volontairement j'ai laissé une autre image qui semble un peu l'antithèse de la première,accentuant le côté dandy du héros.La première est plus proche de l'univers du roman contrairement à la seconde qui lorgne vers un romantisme plutôt distant.Ce livre est nanti d'une préface de Gide,suivi d'une introduction de Mirbeau.

          Il est jeune,écrivain, et accessoirement crève de faim dans Christiania, aujourd'hui Oslo.Errant de garni miteux en dépôt pour miséreux,il ne présente pas ce côté romantique de la vie de bohême que l'on a souvent vu,ni ces amitiés tumultueuses qui font chaud au coeur,genre bataille d'Hernani.Cet homme est seul,seulissime.Pas de cheveux fous ni de poèmes contre un bon repas chaud.Ses cheveux il les perd à force de privations et ses textes,quand il a un crayon, naviguent au caniveau,minuscules esquifs naufrageant.Cet homme en est à ronger des copeaux. La faim est un roman dérangeant,un peu autobiographique car Hamsun,parti très jeune en Amérique a connu la vache enragée.Surtout ce n'est pas un texte que je rattacherai au naturalisme malgré la présentation d'Octave Mirbeau.Précis comme un cas clinique,froid comme la neige de Norvège,osseux comme les chiens sur le port,c'est une oeuvre sèche et forte,pas loin du constat d'un médecin légiste.Peu de place pour la rédemption mais un pessimisme voguant sur une terre inconnue,le pays du corps,étudié au scalpel par un homme qui savait ce dont il parlait.Un personnage non dépourvu d'arrogance malgré tout, orgueilleux de sa différence et qui trouve le moyen d'être lui-même parfois charitable,parfois odieux.

         Le cinéaste danois Henning Carlsen a adapté La faim et l'acteur Per Oscarsson fut récompensé à Cannes par le prix d'interprétation 1966.Je ne connais personne qui l'ait vu.En voilà cependant un aperçu.J'y ai ajouté la bande-annonce du biopic de Jan Troell (1996) où le grand Max von Sydow interprète Knut Hamsun.

http://youtu.be/M1HMw4Xw4KU  La faim

http://youtu.be/duX-wn3CVR4  Hamsun

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15 juillet 2011

Beau roman de boue

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       Ce beau livre mérite de figurer parmi les grands classiques historiques sur la Grande Guerre,écrits par ceux qui l'ont faite, Barbusse, Genevoix, Dorgelès, Junger, Remarque, Hemingway ,Manning.Et pourtant Un long long chemin a été écrit il y a quelques années seulement par Sebastian Barry,auteur irlandais né en 1955.Willie Dunne,fils de policier,s'engage dans les volontaires pour le front de Flandre et Picardie.Jeune et naïf,amoureux transi,catholique de tradition,Willie se verra broyé comme bien des jeunes gens de tous horizons par l'effroyable logique,inaltérable entreprise de destruction massive que fut le conflit.La vie dans les tranchées en ces années de fange,Sebastian Barry s'y entend parfaitement à nous la faire partager, version irlandaise alors même qu'à Dublin d'autres jeunes gens tombent lors des Pâques Sanglantes de 1916,plongeant la verte Erin dans des décennies fratricides.Plus que meurtri par la guerre chimique qui vient de faire son apparition Willie l'est au moins autant par la canonnière sur la Liffey et les maisons dublinoises bombardées.

   Un long long chemin ne laisse pas trop de place à la truculence,ni à la musique,un peu plus à Dieu et au catholicisme avec un beau Père Buckley,aumônier à l'écoute déchiqueté lui aussi.Brutal et sanglant ce chemin ne nous épargne ni la tripaille ni la trouille de ces gamins perdus.Et puis parfois une fleur des champs,un oiseau tenace ouvrent une toute petite fenêtre,un peu d'oxygène déchire l'ypérite.C'est un très bel ouvrage sur la guerre des hommes et leur folie,ce temps pourri où les meilleurs sont capables des pires exactions.Ce temps aussi où après la guerre la renaissance est douloureuse,infiniment.Willie aura au moins appris à lire Dostoievski qu'un soldat anglais,Timmy,lui a fait découvrir.Il aura aussi appris que son père,policier légaliste,ne verra plus jamais les choses comme son fils.Toujours très au fait de la littérature de ce coin d'Ouest l'ami morbihannais Yvon nous en a parlé bien avant moi.BARRY Sebastian / Un long long chemin

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07 juillet 2011

Si vous aviez tort Mr. Mankell

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  Je m'étais promis de ne plus trop fréquenter les fameux polars nordiques.Mais je tenais à voir comment Henning Mankell se débarrassait de Kurt Wallander.Mankell est le plus connu,voire le premier à nous avoir intéressé aux noirceurs de là-haut,loin du Bronx et du Quai des Orfèvres.Et je pense qu'il est le meilleur écrivain en ce genre et cette région du globe,qui dépasse d'ailleurs de loin le genre.J'avais lu ses entretiens où il affirmait ne plus avoir envie de vivre davantage avec sa créature comme Conan Doyle par exemple.On sait ce qu'il advint de ce dernier qui finit par ressusciter Holmes.

  Rien de comparable ici,Henning Mankell est aussi dramaturge et a beaucoup écrit "off" Wallander.Des livres que je n'ai pas lus.J'ai lu par contre la moitié des enquêtes du commissaire d'Ystad.Il me semble que L'homme inquiet,l'utime épisode est un grand bouquin.Si l'enquête en soi n'est pas bouleversante elle nous ramène fort à propos sur les années de Guerre Froide,les sous-marins en Baltique,et la neutralité ambigüe de la Suède.L'auteur n'a jamais été tendre avec son pays.Ca me gêne d'ailleurs un peu,ce côté donneur de leçons que Mankell cultive volontiers dans ses déclarations.Toujours est il que L'homme inquiet rappelle que dans Guerre Froide il y a guerre,avec victimes et bourreaux.Loin de James Bond,plus proche de John Le Carré.Quoiqu'il en soit cet aspect n'est pas ce qui m'a passionné dans ce livre.

    L'intérêt de L'homme inquiet consiste plutôt dans ce que je nommerais pudiquement les préparatifs du départ à la retraite de Wallander,et même à la mère de toutes les retraites,celle qui nous guette tous. Probablement le fait d'être né un an après Wallander,dernier baby boomer,m'a-t-il conduit à être pas mal remué par la solitude du personnage,cependant éclairée par l'apparition de Klara sa petite-fille.On retrouve sa fille Linda,flic elle aussi dont on sait les relations orageuses avec son père.Son ex-femme et Beiba,son amour de Lituanie (Les chiens de Riga,pour moi le meilleur de Wallander jusqu'à ce dernier) apparaissent également.

   Et puis le souvenir de son père,cet acariâtre artiste peintre qui n'a composé que le même tableau toute sa vie,brutalisé par l'odieuse maladie d'Alzheimer,  accompagne Kurt alors que celui-ci s'inquiète de ses propres pertes de mémoires.Alors le talent d'Henning Mankell apparaît dans sa grandeur toute simple.Des pages sur le vieillissement,sur le début de l'âge,cet impitoyable moment qui nous inquiète calmement mais déjà définitivement, sont les plus belles du livre,dignes des meilleures nouvelles du génial Buzzati,ce qui est pour moi un dithyrambe.Wallander s'est retiré en périphérie,avec son chien et ses questions, déjà hanté par la suite du programme,en ces instants où l'on n'a plus très envie de retourner bosser au commissariat (ou ailleurs) mais encore moins de tirer un trait.C'est que ce trait sera la dernière ligne droite.On en ignore la longueur mais c'est la dernière.

    D'après ses réponses aux entretiens Mankell n'a plus beaucoup d'estime pour Wallander. Mr.Mankell, volontiers tiers-mondiste,voire un tantinet démago (cela n'engage que moi),pense sûrement qu'il a mieux à écrire.Autrement important.Si vous aviez tort,Mr.Mankell.Si l'abnégation,les faiblesses et le mal-être de Kurt Wallander étaient de la très haute littérature...

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26 juin 2011

Grand du Nord

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     Le titre ne me plait pas forcément,sorte de référence pompeuse mais banale.Je m'empresse de dire que c'est bien tout ce qui ne me sied guère dans ce livre,tout proche du chef-d'oeuvre.Pas facile de voler des chevaux m'avait déjà emballé.Une plume en Nord.Arvid,la petite quarantaine,le narrateur de Maudit soit le fleuve du temps,au bord du divorce,un vrai loser,rejoint sa mère malade,dans une petite île au Danemark où elle a vécu avant Oslo.Une île nordique fait évidemment penser à Bergman,figure imposante du voisinage septentrional.Et il faut bien admettre que ce face-à-face tardif,voire ultime entre la mère et son fils,peut sembler proche de l'univers de l'homme de Faro."Familles je vous hais" disait l'autre.Mais pas de haine ici,de multiples incompréhensions, des souvenirs qui réveillent une adolescence pas terrible,un engagement politique qui conduit à l'impasse, ce qui ne me surprendra jamais,un frère cadet mort très jeune.Dira-t-on jamais assez comme l'enfant disparu se fait un peu l'assassin d'une fratrie?

    A l'heure ou sa mère se découvre en partance,où son père pourtant présent à l'état-civil et même là-haut dans la maison familiale d'Oslo ne lui est d'aucun secours,ils se ressemblent si peu,à l'heure où ses deux filles doucement s'éloignent,Arvid se penche sur son passé,pas d'apitoiement,Per Petterson ne donne pas dans le mélo.Des questions en l'air,des regrets,la méconnaissance mutuelle. Qu'est-ce qu'une famille?Et quel en est le ciment?A partir de quand s'effrite-t-il?Bouleversant dans sa pudeur,un livre inoubliable que Maudit soit le fleuve du temps. 

          Je voudrais oser un barbarisme.Très attiré par le Nord,je crois que la scandanivicité existe,qu'elle importe beaucoup et qu'elle est souvent douloureuse.Voilà trois pays qui n'ont pas la même langue,mais, qui très proches lexicalement, se comprennent.Même si la langue anglaise a tendance à coiffer tout ça par commodité et par habitude éducationnelle déjà ancienne.Ces trois pays sont petits,souvent rivaux,un peu arrogants du voisin et leur relatif éloignement les a conduits souvent à lorgner vers Londres ou Hollywood. Mais je crois très fort à leur identité mutiple et à la source commune littéraire,musicale ou plastique, passionnante et ouverte,austère et débridée,de Münch à Ibsen,d'Andersen à Mankell,de Dreyer à Christensen. Il y a toujours un ferry entre Copenhague et Malmö,entre Göteborg et Aarhus.Il y a toujours un lien très fort entre ces hommes du Nord qui s'étend parfois jusqu'à Reikjavik.Il y a surtout d'immenses écrivains dont je parle assez souvent,et d'autres,cinéastes ou rockers.Le froid et l'insularité parfois extrême de ces régions doivent piquer délicieusement l'inspiration.

   Avec un montage balançant entre passé et présent,le présent se déroulant lors de la chute du Mur,la passé dans les années soixante-dix et quelques allusions à la petite enfance d'Arvid,Maudit soit le fleuve du temps ressemble à notre vie,comme dans les livres de Lars Saabye Christensen ou Lars Gustafsson, juste un peu plus septentrionales mais pas moins désespérées.Heureusement,pas toujours.

   "Notre amitié était morte,et je me suis aussitôt surpris à le regretter,à regretter le passé disparu et l'avenir impossible.Mais nos étés avaient sombré.Pas uniquement parce qu'au bout de vingt-cinq ans je les avais oubliés:surtout parce que,désormais,ça n'avait plus de sens de s'en souvenir".

   Ces trois lignes m'ont particulièrement touché à l'heure des sites qui vous permettent de "retrouver" les copains d'il y a 35 ans.Comme si c'était possible.A pleurer.

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24 juin 2011

Donner sa chance à un jeune auteur

  " Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où
   Le Héron au long bec emmanché d’un long cou".

   D'où probablement l'expression faire le pied de grue.

HERON 

     Réalisé avec la collaboration d'un jeune fabuleux fabuliste qui entre autres fantaisies fait partie de ceux qui m'ont donné le goût de lire et d'écrire.Et comme ce billet me semble un peu court contrairement à notre sympathique échassier je vous propose demettre un orteil dans l'eau avec The Nits,groupe hollandais sexagénaire,véritable polder du rock batave,toujours très à l'affût,comme le héron.

nits

http://www.deezer.com/listen-2750993  Toe in the water    The Nits

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21 juin 2011

Femmes au bord du Danube et de la crise de nerfs

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       Le Hongrois Zsigmond Moricz (1879-1942) n'est pas très connu en France.Patience:on a bien fini par lire un peu Perutz ou Joseph Roth.Retour donc à ma chère Mitteleuropa des Lettres.On pourrait appeler ce roman L'immeuble Ulloï,référence à un célèbre livre égyptien.J'ai crû L'épouse rebelle très léger, comme cette couverture affriolante.Je l'ai fini,le croyant toujours léger,mais léger comme le cinéma de Max Ophuls et les romans d'Arthur Schnitzler.C'est à dire fin,percutant et comme dansant sur un volcan.En 34 l'Europe entière dansait sur un volcan quand fut publié L'épouse rebelle.Moricz fut avec Bela Bartok l'un des rares intellectuels hongrois à s'opposer aux lois antijuives de Horthy.Et la Hongrie des années trente n'avait plus rien de l'Empire.Petit pays et petites gens tout aussi fauchés valsent très besogneusement dans ce lieu unique,leur immeuble délabré,comme Budapest.Se toisent et se croisent un jeune journaliste têtu,sa  femme inquiète du manque,une colonelle séparée de son mari en retraite peu généreux,une famille d'industriels,une famille de fonctionnaires tout aussi désargentés.

     Et comme dans La ronde de Schnizler ou Madame de...  le merveilleux film d'Ophuls tant de fois célébré ici, le point commun,l'immeuble dans ce cas réunit les protagonistes par apartés ou par plans plus généraux autour de quatre places gratuites pour le théâtre,héroïnes peu banales de ces deux jours à Budapest.Deux jours avec ruine,chance,promesses de meilleur,craintes du chômage, fâcheries, sourires et larmes.Il y a des jeunes filles,des prétendants,une courtisane,des officiers,des mères inquiètes et des pères offusqués.Le ton est à la comédie, viennoise et vespérale,bien que Vienne n'aime guère Budapest et vice-versa et bien que l'Autriche-Hongrie ait été reléguée dans les nations mineures.La quatrième de couv. évoque Lubitsch. C'est vrai,ce cinéaste aurait été à l'aise dans ces va-et-vient,ces atermoiements certes bénins mais parfaitement clairs quant à l'avenir,sombre.

   Et s'il y a lumière et espoir malgré tout sur Buda et le monde,c'est des personnages féminins qu'elle se diffuse.Bien plus rageurs et rebelles que ces messieurs,toutes classes confondues.Le titre du roman,qui semble lorgner sur une simple histoire de couple,est à prendre un peu comme une litote,ou au moins comme le symbole d'un féminisme encore discret mais qui n'en pense pas moins.

  

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12 juin 2011

Obèses ambassades

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     J'aime beaucoup découvrir des auteurs étrangers inconnus.Le Néerlandais Leon de Winter est né en 54, romancier, scénariste, cinéaste.La faim de Hoffman date de 1996 et se situe en 89 lors de la chute de la maison Est et se déroule à Prague,aux Pays-Bas et en Amérique.C'est un curieux roman qui tient de l'espionnage,du drame familial,de la satire de la diplomatie.Deux obèses occupent,c'est le cas de le dire,l'essentiel de l'espace dans La faim de Hoffman.Freddy Mancini,touriste californien à Prague errant la nuit en quête de hamburgers,assiste par hasard à l'enlèvement d'un compatriote.Et Felix Hoffman, ambassadeur des Pays-Bas en ce qui est encore pour quelques mois la Tchécoslovaquie,en fin de carrière et rongé par les kilos, finit les buffets des réceptions et dévore Spinoza.Personnellement dévorer Spinoza m'apparaît un signe de déséquilibre au même titre que se goinfrer de fast-food.Hoffman a des excuses:ses deux filles sont mortes,son mariage n'est plus qu'un ectoplasme.Seule son ultime attirance pour une journaliste tchèque lui redonne un peu goût à la vie.

    Freddy et Felix ne se rencontreront jamais.Mais en 1989,alors que très bientôt un mur tombera et un rideau se déchirera,à l'heure des grandes bascules,tout ne s'avèrera-t-il pas possible?Y compris que la jeune journaliste,dissidente ou non,allez savoir,cède à l'adipeux diplomate.Y compris que,de retour à San Diego,Freddy soit quitté par sa femme,quatre fois moins lourde.Et que ce même Freddy se retrouve face à des agents comme dans tout film d'espionnage,des agents qui ne lui veuillent pas que du bien.Les aventures de Freddy et Felix,tragi-comiques avec force détails sur leurs dérèglements intestinaux ou familiaux,les conduisent à faire l'objet de manipulations qui les dépassent,qui nous dépassent aussi d'ailleurs,au début des années quatre-vingt dix.Vous savez,cette déjà vieille décennie où des dignitaires post-staliniens réussirent à se métamorphoser en chantres de l'ouverture.Enfin l'important est de sauver sa peau,même fort distendue par la gloutonnerie.Tout cela nanti de digressions sur le Traité de la réforme de l'entendement de ce rigolo de Spinoza.Tous les goûts sont dans la nature.Pour les hamburgers je veux bien faire un effort.Mais lire Spinoza,ah non.Voici un petit extrait,très acide.Pas de Spinoza,non,de de Winter.

        A l'Ouest on baptisait un emmerdeur né dans un pays de l'Est "dissident".Un analphabète de première sachant tout juste son ABC,et ayant le bonheur d'être interné dans un camp du goulag, voyait ses oeuvres d"écrivain avant-gardiste et dissident" éditées à Munich ou Paris.

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03 juin 2011

Irish ahuri hilarant

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    L'ahuri c'est moi à la lecture de ce bouquin unique et paradoxal.L'Irish c'est le dénommé Flann O'Brien dont seul le nom manque singulièrement d'originalité. L'hilarant c'est le qualificatif qui me semble adapté au Troisième policier.Prière d'abandonner dès maintenant toute velléité de rationnalisme pour essayer de comprendre ce que je vais essayer d'écrire à propos de ce stupéfiant roman dont l'auteur a manifestement essayé (et réussi,lui) à embarquer son lecteur dans un voyage véli-vélo (c'est dans le texte),sans queue ni tête mais pas sans génie et qui ferait passer Kafka pour un maître de la logique imparable et Lewis Carroll pour un amateur.Attention c'est parti pour un résumé qui ne nous avance guère:Un homme mort,qui ne sait pas qu'il est mort,se trouve dans un pays étrange où des policiers obèses volent des bicyclettes pour empêcher les gens de devenir leur propre bicyclette.?!?!?! Ca tient debout,non? Au moins ça tient à vélo.

    Le héros du récit oscille tout au long de son aventure entre la panique, l'inquétude, la crédulité, l'envie. Absolument irracontable Le troisième policier ne ressemble à rien mais,surtout,rien de connu de moi ne ressemble au Troisième policier.A l'extrême rigueur c'est éventuellement à certains univers de bandes dessinées qu'on pourrait penser,mais de cela je ne suis guère spécialiste.Revenons à nos moutons d'Irlande.Dans ce doux pays de policiers et de bicyclettes un mort n'est pas forcément décédé mais une corde de pendu n'est pas forcément définitive.Si vous entrez dans ce livre serez-vous comme moi,à n'y comprendre goutte (de whiskey),à moins d'en connaître un rayon (de bicyclette) sur les bizarreries de la gravité pas toujours au centre et les mutations génétiques de l'homme-vélo ou du vélhomme,non,pas du vélum.On y croise entre autres sept unijambistes qui unissent leurs pilons deux par deux pour qu'il soient quatorze. Quelques extraits ne feront qu'ajouter à votre perplexité,j'en suis tout rouge,de confusion,mais d'un rouge vert d'Irlande.

    "N'y-a-t-il pas de danger d'avaler un piège à rats?"-"Si l'on porte un dentier il faut qu'il soit solidement agrafé et collé contre les gencives avec de la cire rouge." 

    "Où allons-nous?Sommes-nous sur le chemin d'un aller ou sur le chemin du retour d'un autre aller?"

     Par ailleurs notez l'effrayante violence de ce passage sur la délinquance, proprement cauchemardesque:

"La criminalité a terriblement augmenté dans cette localité.L'année dernière nous avons eu soixante-neuf cas de circulation sans feux et quatre vols.Cette année nous avons quatre-vingt-deux cas de circulation sans feux,  treize cas de circulation sur voie réservée aux piétons et quatre vols.Un dérailleur à trois vitesses a été bousillé pour rien,il y aura sûrement une plainte déposée au tribunal et la paroisse paiera les pots cassés.Avant que l'année s'achève vous pouvez être sûr qu'on volera une pompe,ce qui est un acte criminel aussi abject que pervers,une tache sur l'honneur de la région".

P.S. A propos de pompe à vélo Raymond Devos avait-il lu Flann O'Brien?Lui qui dans un sketch mémorable se promenait avec sa pompe à vélo pour éviter qu'on ne la lui vole:"Et j'ai bien fait parce que mon vélo on me l'a volé". 

 

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