Noire forêt
Ce petit livre m'est très cher. Et il est excellent. Je n'avais jamais lu cet auteur que je ne connaissais pas. Le mystère des Trois Frontières est un très court roman de 112 pages. Arrivé par cette bonne vieille poste ce cadeau d'un vieil ami qu'il est convenu d'appeler virtuel m'a beaucoup plu. Cet ami, qui voudrait nous faire croire qu'il porte des gros sabots dans la rude plaine des livres et des musiques alors que la culture japonaise lui est devenue familière, pas mal l'Amérique du Sud aussi, me connait fort bien et, m'envoyant dans une forêt germanique non clairement identifiée, se doutait que je m'y sentirais à l'aise bien que ces confins des Trois Frontières soient un peu effrayants.
Logique, une frontière c'est relativement net. Relativement. Trois pays ça démultiplie les embrouilles et les inquiétudes. C'est bien le cas dans cette histoire où le narrateur, ethnologue, s'installe dans une peite pension au coeur de la forêt, et tente de se remettre d'une rupture amoureuse. Un randonneur lui raconte des choses curieuses. Moi, il m'a semblé que cette forêt, on aurait pu y croiser, dans une ambiance Richard Wagner/ Fritz Lang, Siegfried se baignant à la source à défaut du sang du dragon. Le promeneur, lui, y a vu une ou des créatures, peut-être en armes. Une milice?
Constammment à la lisière de fantastique ce récit impressionne par ce climat, cette ambiance romantique, un peu nietzchéenne, ces lieux-dits à consonnance germanique toujours un peu inquiétante dans ce contexte, Opferstein, Krähenberg. On frissonne. La tempête continentale est aussi, et surtout,dans le cerveau du convalescent. Mythe et réalité voyagent ensemble sur les chemins forestiers comme dans ses neurones. Ce récit s'accommode parfaitement de la brièveté. Plus une assez longue nouvelle qu'un court roman, peu importe le nom qu'on lui donne.
Huit textes courts à tendance myhtologique complètent le livre d'Eric Faye, un peu inégaux. J'ai aimé l'humour potache d'Un dîner chez les Zeus et le parfum buzzatien qui entoure Le jour de la fin du monde.
Merci ami virtuel. Qu'il soit rassuré. J'ai bien obéi aux consignes, lu avec beaucoup d'appétit Le mystère des trois frontières, une jolie chope de bière m'accompagnait. Vous le reconnaitrez facilement. Mais je n'ai pas sa compétence en zythologie. 🍻
Notre-Came brûle
Avec mon amie Val (La jument verte de Val) voici Nos vies en flammmes, récent roman de David Joy, dont j'ai il y a peu parlé très favorablement de Ce lien entre nous. Une fois de plus incursion dans les Appalaches cette région dont la littérature nous abreuve ces temps-ci. C'est devenu un genre en soi. Je vais prendre mes distances peut-être avec ces massifs est-américains. Quelque chose m'a gêné dans ce roman, quelque chose en partie expliqué par la postface de David Joy en personne, Génération opioïdes. J'en ai assez de la prime au sordide et l'omniprésence de la drogue dans tant de ces romans m'indispose. Dire que quelques attardés y voient un anticonformisme me semble consternant. Nos vies en flammes est l'oeuvre d'un bon écrivain, nul doute. Cependant les détails précis sur les façons de manier la seringue sont-ils vraiment nécessaires? Et peut-être y-a-t-il plus gênant encore?
David Joy est lui-même un ex-addict, on l'aura compris et son excellente postface en témoigne. Mais je n'adhère pas vraiment à toutes ces circonstances atténuantes face à la flambée de la toxicomanie dans ces Appalaches devenues dans leur magnificence une sorte de cul de basse-fosse de l'Amérique. A lire ce roman on se prend à rêver de New York ou L.A. comme des havres de paix. L'image des Appalaches est-elle à ce point justifiée?
Ray Mathis, veuf solitaire, voit son fils sombrer dans la drogue, dans la mort. A qui la faute? Le venger, Ray y songe. Thriller rural matiné d'une sociologie décourageante Nos vies en flammes (When these mountains burn en V.O.) établit un parallèle entre les déliquescences du climat et de l'humain. Pas trop envie de m'y attarder malgré l'indéniable talent de David Joy. Manifestement cet écrivain porte mal son nom. D'aucuns trouveront peut-être ce billet trop moralisateur. Pour une fois, tant pis. Deux petits et terrifiants extraits non du roman mais de la postface.
Quand j'avais onze ou douze ans, j'avais du mal à dormir. Le pharmacien m'a donné du Zoloft pour la dépression et du Sonata pour le sommeil. Le Zoloft me laissait dans un état de stupeur, comme si mon moi avait été enfermé dans une coquille, et le Sonata me faisait faire des rêves étranges et me donnait parfois des hallucinations quand j'étais éveillé.
Quand je repense à ce qui a défini ma génération, je ne vois pas tant la musique et les vêtements, le grunge et le hip-hop, les jeans baggy et les casquettes de base-ball serrées que la naissance de "Big Pharma". Tous les gamins avec lesquels j'ai grandi s'étaient fait prescrire quelque chose. Chaque pub à la télévisions'achevait par une liste indéchiffrable d'effets secondaires. Encore maintenant, chaque armoire à pharmacie contient des cachets qui peuvent être pris à tort et à travers, des médicaments qui peuvent servir à se défoncer.
Je déchante
Ce livre, parvenu chez moi par Babelio et Masse Critique, fidèles, et le Seuil, est traduit du catalan, une rareté dans mes lectures. Irene Sola semble avoir réuni pour ce roman une somme de récits traditionnels ruraux, en connection avec la nature et l'histoire de la Catalogne montagnarde, dans ces Pyrénées où le culte des ancêtres et des légendes semble très prégnant. Je serai peu prolixe sur ce livre, estimable, joliment écrit, mais qui m'a laissé de pierre ou de glace, peu familier de cet univers.
Si les fables sur l'ours et ses réincarnations vous enchantent, si les rites ancestraux vous séduisent, si le rond des sorcières vous branche, cheminez ces Pyrénées un peu hors d'âge (pas péjoratif). La poésie de ces récits ne me touche pas beaucoup. Il me faut admettre que ce Sud là m'est étranger. Je chante et la montagne danse est un livre court. J'ai pourtant peiné à le finir, je n'ai plus trop le temps de m'ennuyer.
Certes j'ai fait court, court mais honnête. Merci à Babelio à qui je dois des billets autrement laudatifs. Mention légale ou presque, cet avis n'est que le mien. Bref.
J'irai jamais sur ton Islande
Masse Critique Babelio et les éditions Métaillié, que je remercie, distillent avec ce roman un air glacé, celui, bien connu maintenant, du polar nordique. Mankell, Nesbo, Indridason and co. sont passés par là. Probablement peu de surprises à attendre me disais-je. Je me disais bien. Aurora, qui vit en Angleterre, part en Islande à la demande de sa mère, car Isafold, sa soeur ainée, n'a plus donné de nouvelles depuis plusieurs semaines. Même dans ce petit pays où l'on croit que tout le monde se connait on peut donc disparaître. Curieuse Islande. Ce sont d'ailleurs les quelques particularités distillées à travers le livre sur la vie dans l'état insulaire qui m'ont paru les plus intéressantes, voire les seules car l'intrigue policière et les personnages n'offrent guère d'empathie. Froid comme l'enfer est un polar banal qu'on lit dans le train, au moins ainsi 100% des voyageurs ne seront pas rivés sur les boîtes diaboliques. Et si le lecteur n'a pas fini Froid comme l'enfer et l'oublie au terminus ça n'a guère d'importance.
Par contre j'ai été relativement troublé par le mal que semble penser l'auteure à propos de son propre pays. Lilja Sigurdardottir démolit consciencieusement l'Islande. Loin de l'univers de Jon Kalman Stefansson dont l'Islande est pourtant rude mais si profonde et lyrique. Mais ne comparons pas. J'espère ne pas divulgâcher en évoquant les violences conjugales dont l'île semble être une championne. Pour l'alcoolisme on était au courant. Pour les différentes addictions si sympathiques on s'en doutait mais là encore Madame la fille de Sigurdar appuie sur le champignon (hallucino cela va sans dire).
N'oublions pas les fraudes financières historiques et les montages complexes. L'Islande n'en détient pas le monopole mais tout s'exacerbe dans cet espace clos si souvent dans la nuit. Les disparus, vu le peu de population et le relief tourmenté de cette île encore trop grande, sont plus rarement retrouvés que partout ailleurs. Et, mais peut-être en ai-je déjà trop dit, cette conception très particulière de la justice à propos de l'homicide. Là-haut, pas très loin du pôle, les prétoires aussi seraient glaciaux. Seize ans de prison maximum, la plupart du temps ramenés à dix. Je sais pas vous, mais moi...froid dans le dos.
Le Japonais fou de la France, âme et coeur
Dans la lignée du très beau Ame brisée le grand romancier japonais a écrit en français le non moins chaleureux Reine de coeur. Il y a tout dans ce beau livre, l'amour, la guerre, les mots et, plus que tout, la musique. C'est aussi un hommage d'un jeune couple réuni par les hasards de la vie à leurs grands-parents, fracassés, eux, par les horreurs de la guerre.
On entre dans ce livre brutalement, une scène de la guerre sino-japonaise, particulièrement brutale. Et le livre oscille tel un métronome entre le pire de l'homme, qui hélas a fait ses preuves et qui a encore une belle carrière devant lui, et le meilleur, en l'occurrence les somptueuse pages sur l'interprétation de la Huitième Symphonie de Chostakovitch. Ce monument de 70 minutes accapare une douzaine de pages extraordinaires. Et ces pages donnent grande envie d'écouter cette oeuvre hors normes.
Akira Mizubayashi voue un culte à la littérature française, à la langue notamment. Cela transpire tout au long ce roman sur la mémoire et la transmission, dont on sort l'âme enchantée, brisée aussi pour citer le premier roman en français de l'auteur. L'âme est aussi le coeur du violon et sur l'émotion que peuvent procurer ces quatre cordes point n'est besoin de s'appesantir. Quelques lignes sur la prégnance de la guerre dans les entrailles de cette Huitième Symphonie selon Mizubayashi.
Les yeux d'Oto étaient fixés non seulement sur le bras droit de Mizuné qui manoeuvrait fougueusement son archet, mais aussi sur son corps qui se penchait naturellement lorsque son instrument produisait des sons graves. Bientôt les altos cédaient leur place aux violons qui, maintenant le principe des notes martelées, subissant régulièrement l'intrusion des violoncelles et des contrebasses comme des coups de poing reçus en plein ventre, suscitaient l'intervention des clarinettes et d'autres instruments à vent émettant, quant à eux, comme des cris stridents proférés par des bouches tordues de douleur. Bref, une fois de plus, les violences de la guerre déferlaient dans la salle implacablement.
Ce n'est là qu'un court aperçu. Je ne crois pas avoir jamais lu aussi tellurique, aussi obsessionnel, aussi cataclysmique sur la musique. Chostakovitch a connu des hauts et des bas, des heures claires et bien des tourments. Le Japon aussi. Mizubayashi, qui traduit lui-même ses livres français en japonais, est à lui seule une belle passerelle.
Gand de fer
Le romancier belge Stefan Hertmans m'avait enchanté avec Le coeur converti. Il nous revient avec un bouquin très original dont le personnage central est une maison, une grande bâtisse au coeur de Gand, que l'auteur a vraiment achetée en 1979. A l'abandon, elle a visiblement connu des jours meilleurs derrière sa grille ornée de glycines. Il y vivra vingt ans et ne découvrira qu'assez tard qu'elle fut la propriété d'un SS flamand, très zélé collaborateur du Reich avant et pendant la guerre. Très original, Une ascension parsème le récit de quelques photos de cette fameuse maison et de la ville de Gand lors de ces années de plomb, certains dont Willem Verhulst étant particulièrement engagé puis compromis dans la sympathie avec Berlin.
Stefan Hertmans nous immerge ainsi dans la vie quotidienne de cette famille, le père, plus que dévoué collaborateur de l'occupant (nazi pendant les guerres, et catholique entre elles, dixit Jacques Brel), la mère, Mientje, pas du tout du même bord, et leurs trois enfants. Et c'est toute la logique de collaboration que l'on comprend, à observer Wilhelm, entraîné dans le toujours plus de compromission. Malgré tout il restera un semblant de lien familial au travers de ces conflits culturels, linguistiques, etc.
Et après avoir lu Une ascension, avec sa chute bien entendu, il me vient à l'esprit quelque chose de curieux. J'habite non loin de la Belgique. Et pourtant je n'y suis que très peu allé. Comme si c'était un pays exotique, très différent du nôtre. Je crois que c'est le cas. Le magnifique roman de Stefan Hertmans et cette grande maison gantoise, sombre et peuplée de fantômes, en est le personnage central. On y entre par effraction, et l'on est fasciné. L'âme humaine n'y est pas grandie, elle est ainsi. Et comme je l'ai écrit souvent, les guerres sont des périodes difficiles, les avant-guerres ne sont pas commodes et les après-guerres déchantent méchamment. Le reste du temps ça va.
Une trentaine de petites photos, très judicieuses, s'avère une excellente idée qui convient particulièrement au sujet. Des photos de famille, des lieux emblêmatiques, quelques objets aussi, certains très marqués du sceau de la solide incursion nazie au pays de Belgique.
Dialogue Nord Sud
Quel régal que ce roman qui nous plonge dans les affres de la guerre de Sécession. Cette dernière a donné lieu à quelques chefs d'oeuvre, notamment The red badge of courage de Stephen Crane. Le Cercueil de Job, c'est une constellation que Bell Hood, jeune esclave en fuite, suit tant bien que mal dans sa cavale. Jeremiah Hoke, lui, dans les rangs confédérés, presque par hasard, est gravement blessé à la bataille de Shiloh, il erre, fantomatique survivant en quête de rédemption d'un passé obscur. June, un affranchi, mais que vaut au juste la vie d'un affranchi, traverse le conflit sans bien comprendre comme beaucoup.
Les affres de la guerre civile, cette horreur parmi les horreurs, sont décrites par Lance Weller de façon à la fois réaliste et hallucinante. Le long cauchemar n'épargne personne. Et l'on n'est très vite happé par cette apocalypse au point de ne plus bien savoir dans quel camp l'on est tant l'enfer est neutre mais obsédant. Les rives des fleuves, les collines, les bosquets ne sont que poudrières susceptibles d'embrasement à chaque seconde. Les généraux d'un côté comme de de l'autre sont la plupart du temps arrogants et peu comptables des cadavres de la piétaille.
Hoke le soldat sudiste malgré lui et Bell la toute jeune esclave sont reliés, c'est un peu un truc de scénariste mais on le comprend dès le début. Peu d'importance. Ce qui éclate dans Le Cercueil de Job, c'est la gigantesque fracture que fut la Civil War dans un pays tout jeune à l'aube de son extraordinaire ascension. L'Amérique ne s'en remettra jamais tout à fait. Peu de jugements sentencieux, peu de considérations morales dans ce livre foisonnant. Mais des héros broyés, dispersés, niés par l'Histoire, de ceux qui trinquent dans le grand maelstrom du Nouveau Monde contemporain. C'est un roman historique qui fait preuve d'un souffle impressionnant, jouant avec les silhouetttes des hommes, des pantins désarticulés par la haine, ce sentiment pire encore dans les guerres civiles.
Un très beau personnage traverse brièvement le roman. Henry Liddell, pionnier de la photographie, qui entend témoigner avec ses daguerréotypes, et qui, en une scène magnifique, agonisant à cause des produits toxiques des premiers studios photographiques, signe l'acte d'émancipation de June. June auquel il restera néanmoins un long long chemin vers la liberté.
Au bonheur des loups
La montagne à nouveau avec son chantre magnifique, Paolo Cognetti après Le garçon sauvage et Les huit montagnes. La félicité du loup, quel joli titre, est un enchantement, une ode, un hymne à ces Alpes que l'auteur connait si bien. Particulièrement ce Val d'Aoste, presque autant français qu'italien. Premier de cordée, Cognetti met en scène un écrivain quadra, c'est sa génération, en panne d'inspiration mais en plein divorce, qu vit en partie à Milan, en partie dans ses chères montagnes. Fausto, à l'évidence Paolo, s'est provisoirement reconverti cuisinier du Festin de Babette, modeste restaurant du village de Fontana Fredda. Il y fait la connaissance de Silvia, libraire plus ou moins en rupture, qui officie comme serveuse.
L'histoire d'amour est simple, c'est même une histoire sans histoire. Cela durera au moins l'hiver et le début du printemps. Puis, paisibles tous deux, Fausto devrait rejoindre Milan et Silvia grimper vers les glaciers. Répondront-ils à l'appel de l'automne? Ce n'est pas le sujet de ce beau roman. On croise des modestes, souvent chez Cognetti. Santorso, Saint Ours, aisteur dameur garde-forestier, un taiseux, à peine bonjour ni merci, mais qui répond présent et connait la montagne mieux que les chamois. Pourtant celle-ci ne lui fait pas de cadeaux.
Pasang, un Népalais, ses quelques mots d'italien, venu comme guide, un roc, qui n'oublie pas son pays qu'il rejoint en fin de saison. Babette la patronne, confiante et libre, heureuse ici, mais qui partira. Fontana Fredda se bat pour exister avec foi et courage. Une vie en altitude doit être possible, respectant nature et saisons. Pas de nostalgie malsaine dans La félicité du loup, mais la conviction que l'homme y a toute sa place.
Dans cette élégie aux Alpes italiennes (bien sûr, Mario Rigoni Stern y est cité, Dino Buzzati, on y pense en voisin), Hokusai,le génial peintre japonais, le vieillard fou de dessin, le rêveur du Fuji, est joliment convoqué. Et le paysage, mieux, le "pays" nous offre ce qu'il a de plus somptueux, ruisseaux, arbres, oiseaux, ruminants et, le loup probablement. Minéral, végétal, animal, que les règnes arrivent et vous enivrent.
Entre le chien et le loup, entre le crépuscule et la nuit les petits coqs de bruyère sortaient pour en découdre, ils y allaient à coup de pattes, de bec, d'ailes, tout ce qu'ils avaient pour combattre, et leur fureur était telle en ce début de saison des amours qu'ils pouvaient ignorer un engin chenillé...Santorso observa les beaux sourcils rouges des deux coqs, leur plumage gonflé pour intimider l'adversaire. Dns un coin les femelles aussi attendaient de connaître le vainqueur. Neige ou pas neige, ce moment avait toujours marqué pour lui le début du printemps.
Fausto avait lu quelque part que les arbres, contrairement aux animaux, ne pouvaient chercher la félicité autre part. Un arbre vivait là où sa graine était tombée, et pour être heureux, il devait faire avec. Ses problèmes il les résolvait sur place, s'il en était capable, et s'il ne létait pas il mourait. La félicité des ruminants, en revanche, suivait l'herbe, à Fontana Fredda c'était une vérité manifeste: mars au bas de la vallée, mai dans les pâturages des mille mètres, août dans les alpages aux alentours de deux mille, puis de nouveau en bas pour la félicité en demi-teinte de l'automne, la seconde modeste floraison. Le loup obéissait à un instinct moins compréhensible. Santorso lui avait raconté qu'on ne comprenait pas très bien pourquoi il se déplaçait, l'origine de son intranquillité.Il arrivait dans une vallée, y trouvait peut-être du gibier à foison, pourtant quelque chose l'empêchait de devenir sédentaire, et tôt ou tard il laissait tous ces cadeaux du ciel et s'en allait chercher la félicité ailleurs. Toujours par de nouvelles forêts, toujours derrière la prochaine crête, après l'odeur d'une femelle ou le hurlement d'une horde ou rien d'aussi évident, emportant dans sa course le chant d'un monde plus jeune, comme l'écrivait Jack London.
Mais c'est en entier qu'il faut tenter de percer La felicità del lupo.🐺
Deep Heart
Lecture commune avec Val La jument verte de Val au coeur du pays le plus exotique qui soit, le Royaume Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. Déjà l'appellation...J'aime bien Jonathan Coe (La pluie avant qu'elle ne tombe, Billy Wilder et moi) toujours très fin observateur. Le Brexit ne vous passionne pas? Je demande ça parce que le Brexit est le personnage principal de cet excellent roman tout à la fois émouvant et cocasse, acéré et distant. Un exploit que de faire aimer cet imbroglio insulaire aux Frenchies d'outre Channel.
Plusieurs destins se nouent et se dénouent lors des années d'avant la décision so British d'envoyer paître Dame Europe. Benjamin, quinqua qui vit seul et tente une carrière littéraire. Sa soeur Lois à l'aube d'un divorce. Doug, journaliste plutôt proche du Labour, partisan du Remain mais dont la maîtresse est une parlementaire conservatrice plutôt favorable au Leave mais pas trop quand même. Sophie, la fille de Lois, au mariage hasardeux. La toute jeune Coriandre (comment peut-on s'appeler Coriandre?), ultragauchiste sans concession, aux seize ans stupides et navrants (mais les miens ne l'étaient-ils pas un peu?). Charlie, ancien condisciple de Benjamin, qui fait le clown au sens propre dans les goûters d'enfants et dort dans sa voiture.
Tous un peu perdus en une symphonie d'Albion qui perd la tête, ces hommes et ces femmes nous vont droit au coeur. Humains, trop humains. J'ai envie d'un tee-shirt "Je suis British". Parfois désopilant à l'instar de la couverture vraiment hilarante, Le coeur de l'Angleterre est un grand roman sur le désenchantement et l'égarement qui peut prendre le contrôle des hommes. Et même des Français peuvent s'insinuer dans cette passionnante English story. Le Brexit aura au moins donné naissance à un livre assez génial. Quelques toutes petites concessions aux minorités, il est devenu si difficile de faire autrement. Mais je n'en dirai pas plus. Si, un tout petit extrait. Funny, isn't it?
Le directeur de département de Sophie, Martin Lomas, cinquante-deux ans, était professeur d'histoire européenne, spécialisé dans le rôle joué par le lin dans les accords commerciaux entre la Grande-Bretagne et les pays Baltes au début du XVIIe siècle, sujet sur lequel il avait déjà écrit quatre ouvrages.
A l'heure où je rédige j'ignore totalement le vote de mon amie Val. Read-remain ou read-exit? So long, dear friends.
L'ami nordique
Je me retrouve volontiers dans les livres du Norvégien Per Petterson que j'aborde pour la cinquième fois. Arvild Jansen était déjà le héros de Maudit soit le fleuve du temps (Grand du Nord). On ne le quitte pas au long des 300 pages de Des hommes dans ma situation. En pleine séparation d'avec Turvid, Arvid dérive tranquillement, écrivain qui n'écrit guère, père de trois filles qu'il peine à voir, écumant Oslo de bar en bar, s'alcoolisant raisonnablement, oisif, quelques conquêtes de hasard. La vie, la vie dans tout ce qu'elle a d'erratique. Alors on pense un peu à Drieu La Rochelle, au Feu follet, au cinéma du jeune Wim Wenders, tout cela version smorgasbord, et ce Nord que j'aime tant.
Nous sommes certes dans une littérature de la mélancolie, du spleen, du blues. Mais ceux qui me lisent un peu me connaissent de même depuis longtemps savent mon goût pour cette atmosphère. Je me sens mieux quand je me sens mal. Des hommes dans ma situation ne convient pas aux boute-en-train, mais aux hommes dans ma situation, oui. Alors j'ai aimé accompagner Arvid dans sa déréliction, sacrifiant ainsi au romanesque sombre. Attention je connais mes limites et apparemment Arvid aussi. Restons dans le cadre de la raison et rien ne vaut la vie.
Léger bémol pour altérer un peu ma tendance laudative au sujet du roman. Je ne pense pas que Per Petterson sache que j'ai passé cinq jours de ma vie à Oslo en 19... je sais plus. Il doit croire que j'y aie une résidence secondaire. Car j'ai rarement lu un tel lame dropping géographique. Gallimard aurait dû agrémenter Des hommes dans ma situation d'un plan de la ville. Des centaines de noms de rues, de places, de banlieues, de ponts, de gares, etc. constellent le récit et l'errance, mesurée, d'Arvid Jansen à sa propre recherche. Je suis sensible aux noms nordiques que j'essaie de prononcer à voix haute, mon exotisme à moi. D'aucuns trouveront cela un peu abusif.
Embarquez pour ce street trip septentrional, c'est ma conclusion, si vous aimez ce dépaysement immersif et si vous avez envie d'accompagner Arvid, comme un voisin un peu ombrageux mais qui mérite toute votre attention. Quelques lignes où il n'est pas question de l'urbanisme de la capitale norvégienne.
Ma vie s'en allait à vau-l'eau, tout disparaissait, je ne retenais rien, les choses se détachaientde moi les unes après les autres et flottaient dans l'air. Et elles ne reviendraient plus. Comme dans le poème de Yeats, où le faucon n'entend plus l'appel du fauconnier, s'envole au-dessus des collines pierreuses et disparaît quelque part entre les montagnes de Mongolie. Ou dans l'ouest de l'Irlande, près des îles Blasket avec leurs maisons sans toit et leurs murets en pierre sèche à moitié écroulés; ce paysage noyé sous la pluie que j'avais vu autrefois depuis les hautes falaises de la côte.
Tiens. On dirait qu'il sait aussi que que j'ai passé quelques heures aux îles Blasket. C'était en 20... je sais plus.