07 octobre 2020

L'art du marteau

41CjmYQSYcL

                                 La littérature japonaise a souvent sa propre musicalité. J'en lis quelquefois, Yoko Ogawa notamment. C'est particulièrement le cas dans Une forêt de laine et d'acier, au titre énigmatique. Ce livre est étonnant. Est-il passionnant? La réponse n'est pas si simple. La forêt dont il est question est double et je ne souhaite en dire davantage. Le héros principal est un jeune homme modeste qui est élève accordeur de piano. C'est peu dire que ce roman n'est pas trépidant ni pittoresque. L'auteure, Natsu Miyashita, est capable de consacrer toutes ses pages à une sorte de mini-symphonie de chambre, bâtie uniquement autour de l'art d'accorder l'instrument.

                                 J'ai apprécié le tour de force que constitue ce roman. Il y a un peu la rivalité entre les élèves, un peu le thème de la transmission du maître au disciple. Il y a plus que ça, un travail de fourmi (fa sol la si do ré) sur le son, la richesse des fréquences dans un salon feutré ou une salle de concert, la réaction des pianistes après passage des accordeurs, l'extrême finesse, la délicatesse de ces travaux d'orfèvre du marteau. Ne jamais oublier que le piano est instrument à cordes frappées, on pense à l'art campanaire (je suis d'une ville à carillon). Vbrations, étouffoirs, table d'harmonie, 88 touches, la magie de l'espace qui s'emplit d'indéfinissable. 

                                Une forêt de laine et d'acier se déguste tel un rituel autour d'un thé, un cérémonial traditionnel,  un film japonais qui vous demande un peu de votre temps. D'infinies nuances, même si les pianistes ne sont que les acteurs secondaires, car Natsu Miyashita désigne clairement les auteurs du rêve musical, les tutoyeurs de la perfection, que sont les accordeurs, après des années de formation. Tout au long des 250 pages on marche au bord du sublime, à la lisière d'une forêt (le titre prend tout son sens) qu'il faut caresser, ménager, deviner. Ce livre se mérite, peut-être un peu plus accessible aux lecteurs déjà familiers du Japon. Il n'est pas nécessaire par contre d'être soi-même pianiste, ni même musicien, pour en apprécier la grâce.

                               Je vais altérer cette chronique d'un demi-ton, un bémol en l'occurrence. On a le droit de s'y interroger au bout de dix pages, de s'y ennuyer au bout de vingt, et de jeter l'éponge et le livre au bout de trente. C'est que le fil en est si ténu.

Posté par EEGUAB à 17:49 - - Commentaires [5] - Permalien [#]
Tags : , , ,


02 octobre 2020

All that jazz

masse_critique

 

JAZZ-A-L_AME-couche3D-540x298

 

              Redécouverte au programme avec Babelio (thank you Babelio), ou découverte sur un tempo jazz, d'un roman sorti en 1965, d'un auteur noir américain inconnu en France. Je n'avais jamais entendu ce nom, William Melvin Kelley. La quatrième de couv, dont on ne se méfie jamais assez, évoque James Baldwin et William Faulkner. Ludlow Washington, cinq ans, aveugle, est confié ou plutôt abandonné à une institution. Surdoué il devient un musicien reconnu, passera d'un bouge du Sud profond aux néons de New York. Mais en ces années cinquante le monde du jazz est bien loin d'être un jardin de roses. Le monde tout court.

              Le livre a un coeur qui bat comme une pulsation. Il est percutant comme un solo de trompette, âpre et amer. Jazz à l'âme est un bon titre français mais A drop of patience, titre original, rend mieux compte de l'urgence de ce livre. Tout ira relativement vite à partir de l'âge de seize ans pour Ludlow, après les longues années d'institution (rude, l'institution). Vieille antienne, notamment dans la musique, la Roche Tarpéienne est près du Capitole et s'il devient une sorte d'icône de l'avant-garde (et là les jazzeux y mettront leur sihouette favorite, Bird, Miles, etc.) il ne va pas tarder à perdre ses rares repères et même Harlem, en quelque sorte, l'expulsera.

             Causes multiples à cette rupture, à ce riff cassant, à ce pétage de plomb. La cécité de Luddy n'est pas la plus grave de ses inadaptations. Les rapports avec les blancs, les femmes notamment, même si le racisme n'est pas lourdement asséné dans ce récit. Querelles musicales aussi, intemporelles, version jazz des anciens et des modernes. Et que dire de l'ambiguité des spectateurs, sincères quelquefois, "branchés" souvent, en un snobisme universel assez souvent. Fils largué à cinq ans, Luddy sera père à dix-huit, père "largueur' incapable d'assumer. Médicaments, substances, cures....Air connu. L'amitié même est aléatoire chez le virtuose. Ou comment se construire, démoli en la plus tendre enfance.

             William Melvin Kelley ne nous entraîne pas dans une réelle empathie avec son personnage (proche de lui-même qui quitta l'Amérique en 1965 pour Paris puis la Jamaïque pendant une dizaine d'années). Enfant du Bronx (1937-2017) WMK  avait écrit un premier roman publié en 1961, Un autre tambour. Je lis que le livre avait fait un triomphe critique. Je n'en avais jamais entendu parler. 

            D'autres lieux plus accueillants l'attendaient. Peut-être trouverait-il la petite église de quartier à laquelle il aspirait, ou bien une chapelle dressée au bord d'un chemin de terre dans le Sud, à peine plus grande qu'une cabane, fréquentée par une douzaine de fidèles, privée d'un orgue pour encourager leurs voix tremblantes et haut perchées à porter les mélodies de leurs cantiques. Un endroit comme celui-là aurait besoin d'un bon musicien.

           Aiki, femme de l'auteur signe une jolie postface dans laquelle elle cite quelques musiciens références et sources pour son mari. Par exemple le trompettiste Clifford Brown, mort à sur la route à 25 ans. 

           

Posté par EEGUAB à 10:58 - - Commentaires [5] - Permalien [#]
Tags : , , ,

24 septembre 2020

Ne pas jeter l'encre

41JyBw-hLSL

masse_critique       Le livre  proposé par Babelio, que je remercie une fois encore, m'avait attiré tout de suite. Cette histoire, double, d'une universitaire anglaise amenée à étudier le destin d'une jeune femme juive qui à Londres en 1660, scribe pour un rabbin aveugle, fit preuve d'une grande indépendance eu égard à la situation des femmes, et notamment des femmes juives à l'époque. Helen Watt se penche longuement sur des lettres anciennes retrouvées dans une maison du XVIIème siècle. Proche de la retraite, malade, elle s'investit à fond dans cette mission.

                                        Ester Velasquez a fui l'Inquisition espagnole et, devenue secrétaire du rabbin aveugle et malade à Londres, écrit pour son propre compte quelques lettres concernant la foi, voire la place de la femme à cette époque. Autant de brûlots. De sang et d'encre, bâti en montage alterné sur les deux femmes à tant d'années de distance, est un très long roman dans lequel on n'entre pas si aisément. J'ai peiné bien des fois tant la réflexion sur la doctrine de Spinoza, dont je ne suis pas familier, ou les Sabbatéens, que je définirais très prudemment comme Juifs dissidents, m'ont été d'un abord difficile. Se plonger dans les doutes philosophiques d'Ester et les querelles des différents rabbins ont failli m'étouffer.

                                       J'ai tenu bon et lentement, très, Helen et Ester, à trois siècles et demi d'intervalle, ont fini par prendre corps et j'ai terminé avec davantage d'enthousiasme. Mais je suis loin d'être un exégète du judaïsme. Je me suis donc contenté d'apprécier le Londres d'après Cromwell aux prises avec la peste et la grande culture, rarissime à l'époque, d'une jeune femme sans fortune, juive de surcroit. Les descriptions des documents anciens sont minutieuses et laissent un peu distants. The weight of ink, titre original, prend toute sa signification. Le parallèle entre l'érudite juive de 1660 et l'universitaire aigrie de 2000 est par contre un peu laborieux. Et ces 560 pages dont aura compris qu'il s'agit d'une ode à la femme, voire au féminisme, auront paru parfois bien longuettes. Au demeurant c'est un roman intéressant que Rachel Kadish a à mon sens étiré un peu inutilement. L'avis de Luocine De sang et d’encre – Rachel KADISH est nettement plus sévère, mais ne manque pas de justesse.  

 

Posté par EEGUAB à 08:37 - - Commentaires [4] - Permalien [#]
Tags : , , ,

20 septembre 2020

Alaska nous voilà

Au-bord-de-la-terre-glacee-poche(1)                Lecture commune avec mon amie Val*  j'ai beaucoup apprécié ce journal de voyage/correspondance qui a bien rafraîchi la fin de l'été. Je parierais volontiers que Val sera de mon avis. On verra. Il s'agit d'une expédition de 1885, menée par le colonel Forrester pour cartographier les abords de la Wolverine River, en Alaska, qui vient d'être acheté aux Russes. Authentique mais joliment romancée Au bord de la terre glacée est une aventure passionnante qui se lit comme un feuilleton de très belle facture. Les Indiens ne sont ni ostracisés ni béatifiés et on comprend mieux l'histoire de cette immense région, l'Alaska, dernier territoire continental à rejoindre les Etats-Unis (1959).

              Le colonel Allen Forrester a laissé près de Vancouver sa femme Sophie, enceinte, mais il l'ignorait et les courriers qu'ils tentent d'échanger sont très aléatoires. Cette partie épistolaire du livre s'intègre très bien entre les notes du colonel et le propre journal de Sophie. L'amour des deux époux transparait joliment et sans mièvrerie ni complaisance. Bien sûr on peut voir cela comme de l'aventure et des grands espaces, Fenimore Cooper, James Oliver Curwood, Jack London, et l'on a raison. Mais il y a dans ce récit une rigueur militaire bien compréhensible, le lieutenant-colonel Forrester a des comptes à rendre à sa hiérarchie. Pas de question existentielle sur le bien-fondé de l'expédition. Il ne s'agit d'ailleurs que de trois soldats accompagnés de deux éclaireurs et de guides indiens plus ou moins fiables. J'ai suivi ce périple avec beaucoup d'intérêt. Les descriptions de la nature ne prennent pas de proportions pénibles (au contraire du récemment chroniqué Sous l'aile du corbeau, qui se déroule dans la région de Vancouver et dont la couverture ressemble à celle de Au bord de la terre glacée). Et le côté humain est heureusement préservé même si les trois militaires restent avant tout des envoyés officiels en quête d'un territoire. 

             Et puis je voudrais insister sur le plaisir de lire, très évident, Au bord de la terre glacée. J'espère me faire bien comprendre. Assez souvent nous avons l'occasion de chroniquer-critiquer de très bons livres qui nous ont quelquefois coûté un peu d'efforts, et un peu de sueur spirituelle, bref, quelques obstacles, cela est normal et n'empêche pas l'adhésion et l'enthousiasme. Avec le livre d'Eowyn Ivey c'est le souffle du Nord, le choc des glaces et des forêts, les nuits longues et les charges incessantes. Un grand livre d'aventures conduit avec maestria par l'auteure, ancienne journaliste, comme une envoyée spéciale couvrant l'expédition Forrester. Car le personnage de Sophie n'est absolument pas sacrifié. Les pages sur sa passion pour la photographie et les oiseaux sont magnifiques, faisant naître une vocation majeure. Je crois qu'Eowyn Ivey vit toujours dans cet état américain, ultime sur le plan historique comme sur le plan géographique. A l'heure où j'écris je ne sais ce qu'en pense Val mais j'ai ma petite idée. 

La jument verte de Val

Posté par EEGUAB à 06:36 - - Commentaires [7] - Permalien [#]
Tags : , , , , , , ,

26 août 2020

L'émancipation

51qrOog79gL

                    Washington Black est une belle aventure romanesque, souvent surprenante, contrairement à l'idée que je m'en faisais. J'avais peur d'un texte un peu bien-pensant, la toute première partie se déroulant dans une plantation à la Barbade, où le très jeune Washington Black est esclave sous la férule d'un maître odieux à souhait. Mais on quitte très vite les Antilles pour un périple de quelques années qui nous mènera tour à tour en Virginie, en Arctique, en Angleterre, au Maroc. C'est que, Washington, gamin intelligent et obsearvateur, a été choisi par Titch, le frère du maître, savant progressiste et abolitionniste, qui vient de mettre au point un ballon dirigeable. On verra plus tard que Titch a aussi sa part un peu sombre.

                   Le ballon et l'aspect scientifique évoquent bien sûr Jules Verne. Pourquoi pas? C'est d'ailleurs un compliment. Mais Washington Black va au delà. Esi Edugyan réussit pour chaque personnage à dépasser les archétypes. Les souvenirs de Wash concernent sa mère se rapprochent par exemple de Toni Morrison. Et l'auteure excelle aussi à rendre la complexité des rapports entre Titch et son frère, dont l'éducation similaire a pourtant fait deux êtres très dissemblables, entre Titch et son père aussi.

                   Le monde scientifique, encore hésitant, est également un personnage à part entière. Au hasard des rencontres et des voyages Washington l'analphabète, d'abord avec son mentor, puis au jour le jour, deviendra un spécialiste de la faune sous-marine. Tout ceci dans un monde où la haine et le racisme règnent un peu partout. Washington Black n'est pas l'histoire de toute une vie et ne couvre qu'une douzaine d'années de l'existence de l'ancien esclave. D'où peut-être à mon sens une impression d'avoir brûlé les étapes. Mais cette façon de découvrir le monde au XIX° siècle, ce monde de merveilles et d'horreurs, est très beau voyage, initiation, à la science et à la liberté, deux mots inconnus dans l'enfance de Washington, sur cette île des Antilles, infernale.

Posté par EEGUAB à 14:35 - - Commentaires [4] - Permalien [#]
Tags : , , ,


11 août 2020

Ile sous le vent

51+YO34--iL

                Sous l'aile du corbeau est un livre étrange. Il n'est pas d'un accès si facile. Je le qualifierai d'an-héroïque. le décor en est une île de l'Ouest canadien, près de Vancouver. Nature writing + Indianité, vous avez une idée du cocktail. Mais on est aussi un peu dans le survival. Cinq personnages se retrouvent dans la profondeur des forêts, fuyards, chasseurs, justiciers, ils sont tout cela à la fois. Nous ne quitterons jamais cette île fictive de Colombie Britannique. Fictives, la nation amérindienne Cumshewa et la tribu des Corbeaux le sont aussi, mais partiellement, l’auteur s’étant inspiré pour les décrire des traditions et des mythes des tribus amérindiennes de la Côte-Ouest et de plusieurs nations amérindiennes de l’Amérique du Nord. Une tragédie ancienne de dix-sept ans relie les participants à ces scènes de chasse dans l'Ouest.

               Ce vieux drame, on le devine mais on peine à joindre les pièces du puzzle. Hallucinante est la quasi-totalité de l'action qui se déroule au coeur de la forêt hostile. Montagneuse, froide, toujours pluvieuse, l'île n'offre aucun répit. Et l'ours n'est pas le plus à craindre. Ni Doc, médecin alcoolique, ni Henry, vaguement historien, ne provoquent notre empathie. Encore mois la fratrie des Duff, dégénérés et violents, dont Morgan qui revient dans l'île longtemps après. Sous l'aile du corbeau ne joue donc pas sur l'émotion et diffère ainsi de la plupart des récits que je rattacherai à l'Indian nature writing.

             La lecture de ce roman n'est donc pas addictive à mon sens et l'histoire ne reprend que très partiellement les archétypes du récit amérindien. Même si le message écologique est présent. Il est d'ailleurs surtout présent pas les descriptions dantesques de la pluie sur les arbres, des cours d'eau, des ravins, de l'imbroglio végétal de cette fuite mutuelle et brutale évidemment teintée largement de mysticisme. Le roman n'est pas récent, 1977. Je préfère son titre original, High water chants. Foisonnant, enivrant, fatigant. 

 

Posté par EEGUAB à 07:48 - - Commentaires [3] - Permalien [#]
Tags : , , , ,

16 juillet 2020

Des nouvelles du Montana

1944-fall-5dfa4cf40408e

                           Cap à l'Ouest, Montana. Un état qu'on connait bien, devenu un genre en soi, presque un label, avec les quelques limites que cela peut induire. Il s'agit bien sûr de la diffculté à renouveler les thèmes très nature writing de cette tendance littéraire. Premier roman de Joe Wilkins, Fall back down when I die, je vous laisse juges de l'à-propos du titre français, est un bon et solide roman qui mêle au message écolo une histoire de vengeance très westernienne. 

                           Wendell Newman vivote comme employé de ranch du côté des Bull Mountains. Son père a disparu depuis longtemps quelque part au coeur de montagnes. Wendell se retrouve en charge d'un petit cousin autiste, Rowdy, sept ans dont la mère est incarcérée.  Cette nouvelle raison de vivre va influer sur l'existence de Wendell, amené à prendre ses responsabilté dans la région. Celle-ci est en effet déchirée entre milices séparatistes chevillées au territoire et officiels fédéraux. Et, on le sait, l'Amérique dégaine assez vite. L'auteur ne prend pas vraiment parti et nous laisse aux prises avec une montée de la violence qui mêle les fantômes du passé et les rêves d'avenir. 

                          Les relations entre Wendell et le tout jeune Rowdy sont au centre de l'histoire. On sent poindre une véritable osmose entre le jeune enfant replié sur lui-même et son éventuel tuteur. Mais le pays est rude et Wendell est pris entre deux feux, héritier de son père ultra et en proie à toujours plus extrême. Le message écologique est ainsi brouillé tant il peut chez certains prendre la forme d'un retour en force aux brutalités d'un pays qui n'en finit jamais des soubresauts de son histoire. Le symbole étant une reprise de la chasse aux loups. Mais est-il d'autres pays?

Posté par EEGUAB à 20:35 - - Commentaires [6] - Permalien [#]
Tags : , , ,

12 juillet 2020

Echo, es-tu là? Oui, un peu las

616ZzJ-+b7L 

                               Je ne suis pas très en avance pour ma LC avec Val  La jument verte de Val. Mais à propos d'écho le très long roman de Richard Powers La chambre aux échos n'a provoqué en moi qu'un retentissement très moyen. Richard Powers est un auteur important dont j'avais aimé Le temps où nous chantions, beaucoup moins Trois fermiers s'en vont au bal. J'ai mis bien du temps à venir à bout des 702 pages de La chambre aux échos, roman essentiellement basé sur les neurosciences à travers le syndrome de Capgras, pathologie très complexe associant troubles de la mémoire et prosopagnosie, qui consiste à croire qu'une personne proche n'est en fait que le sosie de cette même personne.

                               Richard Powers abonde en détails scientifiques précis. Et bien qu'ayant exercé si longtemps une profession qui traitait entre autres de séquelles neurologiques j'ai très vite attrapé le tournis au point de ne lire que quelques pages à la fois, ce qui n'est jamais bon signe. La chambre aux échos est loin d'être un page-turner. Donc, un frère gravement traumatisé de la route ne reconnait plus sa soeur. Nous sommes dans le Nebraska, rural et bien éloigné du Dr. Weber, neuroscientifique de renommée qui vient étudier le cas. Powers analyse très bien le comportement des personnages, leurs doutes et leurs interrogations, pour lesquels j'ai hélas eu du mal à éprouver une certaine empathie. Il me semble que ce roman nécessite une disponibilité d'esprit qui me manque un peu. 

                               De ce livre par contre je garderai surtout une dose de poésie bienvenue, le souvenir de ces rassemblements annuels de grues, comme il en existe en Champagne. A l'origine d'une invasion touristique limitée dans le temps ces oiseaux n'ont pas que des amis. Il y a dans ce coin de l'Ouest américain et dans le livre quelques belles envolées sur la magie de ces rendez-vous ornithologiques. Mais je me suis bien souvent posé la question suivante: qu'en-est-il du plaisir de lire, réellement? Je crois que je ne lirai plus Richard Powers. Le temps est un peu compté.

Posté par EEGUAB à 05:15 - - Commentaires [2] - Permalien [#]
Tags : ,

26 juin 2020

Zibeline et Aurel

M02072793254-source

                   Jean-Christophe Rufin est un excellent raconteur d'histoires (vous avez vu j'ai évité storyteller). Et Auguste Benjowski, jeune noble né en Europe Centrale, contemporain de Voltaire, est un personnage authentique et romanesque. Du Kamchatka à Madagascar en passant par la toute jeune Amérique la vie d'Auguste passera par la guerre, la détention, la déportation, la révolte, la fuite, les honneurs, sans se séparer d'Aphanasie, son épouse du bout du monde.

                  Les latitudes sont extrêmes, les bienvenues rares, et le jeune Auguste connaitra bien des vicissitudes en cette fin de XVIIIème siècle avant de devenir le roi Zibeline. Adoubé par la Révolution Américaine et notamment le patriarche Benjamin Franklin il lui faudra des années de voyages et de palabres avant de'être reconnu par les tribus malgaches comme l'un des leurs. Le plus étonnant étant peut-être l'ignorance totale dans laquelle les Français ont été tenus à props d'Auguste Benjowski, méprisé des mémorialistes et des historiens. Rufin nous apprend qu'il est honoré dans la Grande Ile et "revendiqué" par la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne comme un symbole des combattants de la liberté. Une sorte d'anticolonialiste d'avant la colonisation.

41WWc9mz8ML

              Jean-Christophe Rufin signe aussi un héros récurrent, Aurel, modeste consul de France en Guinée dans ce premier épisode. Il y en a eu deux autres où il est en poste au Mozambique et en Azerbaïdjan. Le suspendu de Conakry est un roman policier délicieux, Aurel étant un fonctionnaire subalterne mais un enquêteur astucieux et roué. Ancien ambassadeur au Sénégal, l'académicien se régale et nous régale à décrire les habitudes pas toujours très nobles de la diplomatie dans ces pays du Tiers Monde. Bien envoyée et très alerte cette satire d'un certain post-colonialisme reste drôle et donne envie de suivre les voyages d'Aurel le consul, pas issu du sérail très fermé des ambassadeurs, amis dont on loue la perspicacité.

Posté par EEGUAB à 07:45 - - Commentaires [3] - Permalien [#]
Tags : , , , , , , ,

03 juin 2020

Sweet Caroline

ppm_medias__image__1996__9782226087713-x (1)

                                Le grand Santini était le seul roman de Pat Conroy que j'avais lu. Je l'avais aimé. Beach Music est un pavé de 700 pages qui emporte les suffrages. Truffé d'éléments autobiographiques ce livre explore les années soixante à l'est des Etats-Unis. Jack McCall, dont la femme Shyla s'est suicidée, quitte la Caroline du Sud pour l'Italie avec sa petite fille Leah. Et c'est toute l'histoire de sa famille, riche en péripéties, qui nous mène de l'Europe des années trente aux années Vietnam, en passant par les parties de pêche adolescentes et les amitiés trahies. Cette saga est un navire qui tangue bien un peu, Pat Conroy s'attardant par exemple sur l'holocauste et l'insoutenable mais il est vrai que le judaïsme joue un rôle important dans le roman. Nous sommes là dans une littérature classique américaine sans allusion péjorative.

                                Les McCall sont une fratrie, les quatre frères de Jack le retrouvant à l'occasion de la maladie de leur mère Lucy. Leur père aussi est de la partie, ancien juge alcoolique, ainsi que les amis d'adolescence, de ceux qui marchèrent contre la guerre en ces années peu nuancées. la musique, la plage, les fraternités étudiantes très fortes en Amérique, les relations avec les parents, les engagements, les addictions. L'air est connu et je suis d'une génération à peine plus jeune. J'ai bien souvenir des images télé de ces manifs sur fond de Joan Baez. Pat Conroy, je l'ai dit, s'attarde parfois un peu longtemps à mon sens. Et à force de vouloir relier passé et présent cela m'a donné une impression d'artifice un peu pesant.

                                L'auteur excelle encore une fois dans la peinture de la ville de Waterford, ce fameux Deep South qui n'est toutefois pas l'Alabama. Oui même chez les sudistes U.S. il existe des différences de tons. N'est pas redneck qui veut. Les prises de conscience politique sont à géométrie un peu variable. Il y a un père général plus général que père, ou père à la manière d'un général. On découvre sur le tard les talents de passionaria de Shyla. Pat Conroy prend un parti de théâtralisation des évènements du passé, presque au sens propre. C'est assez surprenant mais on se prend au jeu. Beach Music est donc un (très) long roman d'une Amérique aux prises avec ses démons, et les thèmes de l'engagement, de l'activisme, du pardon, de la réconciliation, qui se lit assez facilement et qui a du souffle. De quoi donner envie de découvrir Le prince des marées, autre roman célèbre de Pat Conroy.

                                Et puis je ne  connais aucun livre qui décrive aussi bien la quête des petites tortues de mer vers le rivage juste après l'éclosion. Et très peu de livres où éclate l'amour, musclé, capricieux mais ô combien réel, d'un fils pour sa mère.

Posté par EEGUAB à 20:45 - - Commentaires [5] - Permalien [#]
Tags : , ,