Isabel quitte son mari
Mme Osmond est un roman de l'Irlandais John Banville. Roman parfaitement hors du siècle et le revendiquant, à la fois exercice de style et hommage à Henry James. C'est ainsi que l'a imaginé John Banville, une variation virtuose sur Portrait de femme. Isabel Osmond, joli morceau de gratin londonien, quitte son palais de Rome, décidée à quitter son mari dont lle vient de découvrir la trahison. Je crois que de nos jours on ne s'exprimerait plus ainsi. Un temps déstabilisée elle renaît doucement de ses cendres, les prétendants ne manquant pas.
Qui peut s'intéresser à un roman type fin de siècle, l'avant-dernier, mettant en scène des aristos britanniques, tellement, aux prises avec peines de coeur et parfois finances fragiles? Tout le monde, à mon avis. Tant la finesse de l'auteur, sa précision méticuleuse m'a séduit. De retour à Londres Mrs. Osmond renoue avec ses vieux amis, et loin de l'Italie si à la mode, tente d'assumer sa liberté nouvelle bien qu'elle ne soit pas du genre à se laisser étourdir. Quittant le luxe romain, gouffre aux chimères qui ne lui a guère apporté que déception et mépris, il n'est pas certain pourtant que Londres en son égocentrisme lui apporte une sérénité nouvelle.
John Banville détaille, en cela la référence assumée à Henry James est patente. Rappelons ici qu'Henry James, américain de New York, ne devint citoyen britannique que queques mois avant sa mort en 1916. Banville écrit Mme Osmond comme le peintre qu'il souhaitait devenir en sa jeunesse. Un thé reste un cérémonial par exemple et fumer un cigare peut donner ceci dans la belle prose de l'écrivain irlandais. N'est-ce pas minutieux?
Elle lui remit l'étui, et il se choisit un cigare, qu'il alluma; la flamme de l'allumette brilla d'une pâle clarté irréelle au soleil, et, en la regardant se consumer, Isabel éprouva à nouveau un malaise inexplicable. Osmond l'observa à travers un petit accroc bleu dragée dans la fumée qui se dispersait.
Tout comme dans le modèle, Portrait de femme, Mme Osmond peut être d'une rare violence car c'est avant tout de vengeance qu'il s'agit. On ne dégaine aucune arme dans ce roman. Mais on y ironise, on y persifle, on y meurtrit à merveille. Et je vais vous faire une confidence: je me sens bien parmi ces gens là. Scones, muffins et marmelade ne sont pas pour me déplaire. On a les madeleines qu'on peut. Et Isabel, toute en retenue, est diablement séduisante.
Vive Nous
Nous c'est eux, les Petersen, un couple anglais et leur fils de 18 ans. Mais Nous c'est aussi nous, forcément. Délicieux épisode de l'éternelle histoire d'un homme et d'une femme, Nous nous est conté du côté Douglas, cinquante balais et quelques poussières, sympathique chercheur pas débordant d'imagination mais qui aura tenté la paternité, sans grand succès. Connie, veut partit, plus poète et plus artiste, mais sans haine et sans rancune. Alors Douglas a l'idée du Grand Tour, façon XIXème, Paris, Amsterdam, Munich, Vienne, l'Italie... Avec Connie en instance de séparation et Albie, dix-huit ans, buté comme c'est pas possible à moins d'avoir dix-huit ans. Je le sais, j'ai eu dix-huit ans.
C'est avec pas mal de drôlerie que David Nicholls et Douglas Petersen racontent alternativement le temps de leur rencontre et trente ans plus tard le temps de leur éventuelle rupture. J'ai vraiment aimé Douglas, cet homme un peu falot, et surtout moins branché que son épouse Connie. Leur relation est parfois hilarante à mesure que le temps passe et j'aurais envie de citer des passages entiers, délicieux et mordants. "Les premières fois- (il y a 179 petits chapitres comme ça sur 539 pages)- Les débuts de n'importe quelle relation sont ponctués d'une série de premières fois- première vision de l'autre, premiers mots, premiers rires, premier baiser, premier déshabillage, etc..., tous ces jalons partagés s'espaçant et se banalisant à mesure que les jours, puis les années passent, jusqu'à ce que, pour finir, il ne reste plus que la visite d'un quelconque site historique classé par le National Trust". Ne trouvez-pas que ça ressemble à la vie? L'humour très présent tout au long du roman n'empêche pas, bien au contraire, la tendresse et une certaine dérision, ou tout au moins du recul, et agit comme une caresse pour nous dire que même chez nous ce n'est, disons... pas si mal.
Evidemment reste le cas Albert, Albie, fils de Connie et Douglas, qui fut précédé de Jane qui ne vécut que quelques heures. Faut-il y voir une cause et un effet mais Albie et son père se comprennent assez mal. Quoi, c'est normal? Et l'on a envie de gifler cet ado tellement, tellement, tellement ado, quoi... Du coup le Grand Tour romantique vire au cauchemar entre réglements de compte maritaux et disparition de la grande asperge prénommée Albie. Souvent désopilant, parfois grave, un peu comme notre vie, sauf que notre vie est moins désopilante peut-être. Enfin notre vie, là je m'avance un peu. Un très bon roman de David Nicholls, fin observateur de ces années à cheval sur deux siècles comme pour une chasse au renard dans le Sussex, très Angleterre, très vieille Europe, très Nous. Et pour terminer continuons de désopiler avec cette charge vélophobe que j'ai adorée, moi, plutôt vélophile.
"Je me suis surpris brusquement à détester Amsterdam. Dans mon amertume je me suis laissé gagner par cette idée. Je les défierais tous, les cyclistes d'Amsterdam, avec leur éclairage inadéquat, leur manie de tenir le guidon d'une main, leur selle haute et leurs airs supérieurs. Tel Caligula, impitoyable et sans peur, j'allumerais un feu de joie et jetterais ces foutues bécanes dans les flammes. Au bûcher, les vélos, au bûcher!"
On connaissait les autodafés. Voici les cyclodafés. Ca c'est pas en italiques parce que c'est de moi, moi-même, personnellement. Si.