Pas pour moi
Quand j'ai vu les propositions de Masse Critique, grazie, je me suis précipité, cinéphile particulièrement italianophile, sur Le Pigeon de Mario Monicelli. Ce film est un joyau de la comédie italienne des belles années (1959). Cette chronique sera différente de toutes les autres. En effet l'étude de Loig Le Bihan est sérieuse mais ô combien précise, technique, professionnelle. Et pour tout dire absconse. Et ne s'adresse qu'à quelques personnes suffisamment compétentes en théories du septième art. Or, si je suis un grand amateur du cinéma italien, je suis en deça de ce cénacle. J'ai beau avoir vu beaucoup de films néoréalistes ou de comédies italiennes, j'ai beau avoir une grande affection pour les Monicelli, Comencini, Germi, Scola et autres Risi à qui je dois tant de bons moments, je me sens incapable de donner un avis autre qu'indicatif sur cet essai très savant.
Quelques ligne seront, je crois, assez explicites. Enfin explicites, c'est une façon de parler. Attention, ça va commencer. J'ai respecté parenthèses et guillemets.
De nombreux films de fiction "problématisent"leur intention ("sémantique" au sens de Levinson) lorsqu'ils endossent une dimension discursive, voire allégorique, plus ou moins manifeste ou lorsqu'ils adoptent une forme, si ce n'est radicalement ouverte (Eco), du moins suffisamment" indéterminée" (Iser) pour inciter à un questionnement en ces termes. Ils structurent une intentionnalité qui, même à l'oeuvre, témoigne de diverses stratégies sémiotiques. ☹
Ou Or la frustration que cette longue scène atténuée peut induire renforcera un sentiment dilatoire, voire digressif. On sait que la digression s'identifie à partir des éléments caractéristiques que sont le rapport d'extériorité et de superfluité de son contenu vis-à-vis du sujet e l'oeuvre et, du point de vue formel, des marques qui en signalent les seuils. 😩
Qu'allais-je donc faire dans cette galère? Bon, admettons que quelques passages de cet essai sont tout de même lisibles. L'analyse de la géoscénie romaine, les héritages que la comédie italienne a tirés des peintures "grotesques" de la Renaissance, et ceux de la comedia dell'arte, les stéréotypes régionaux de la picaresque distribution du film, tout cela est accessible. Mais l'essai pour happy few, plus few que happy à mon sens, présente un avantage formidable. Il donne envie de revoir Le pigeon de Mario Monicelli. Ce que je vais faire ce soir.
Sept fois deux
Je reviens juste avec quelques mots sur ce septennat cinéma que je viens de terminer. Il s'agissait d'explorer, modestement, l'alchimie très particulière, parfois l'osmose, entre un cinéaste et son actrice de référence. 10h30 d'intervention avec quelques extraits de films ne se résument pas facilement. Alors, en quelques lignes et quelques photos, si vous le voulez bien, mon sentiment. Et mes remerciements au public, constitué de fidèles essentiellement qui me suivent depuis pas mal d'années.
Marlene ne serait rien sans Josef von Sternberg mais les films de Sternberg sans Marlene sont en général à peu près sans intérêt. Délaissant un peu L'Ange Bleu j'ai privilégié le mélo des sables Morocco. C'était un temps déraisonnable où la légion était de mise. Pour les beaux yeux de Gary Cooper Dietrich jette ses chaussures et rejoint l'escouade sur le sable chaud. Elle prend une chèvre en laisse et avec quelques autochtones accompagne les hommes. Filmé à travers cette ogive mauresque, inoubliable. Le film fut distribué en France sous le titre Coeurs brûlés. Si ça vous fait pas fondre...
Ensemble séparés, souvent notre lot. Toute l'incompréhension entre Ingrid Bergman et George Sanders dans le sublime Voyage en Italie. Corps calcinés de Pompéi, âmes en perdition divisées par quelques marches. Le scandale du cinéma mondial de l'après-guerre. Roberto Rossellini maître du Néoréalisme, catholique père de (bonne) famille et la star suédoise adoubée et adulée par Hollywood. Plus dure sera la chute.
Tourmente et tourments dans le cinéma et dans la vie d'Ingmar Bergman et Liv Ullmann. Ici dans L'heure du loup. L'île de Farö réceptacle idéal des interrogations du maître. L'occasion pour moi, pas le meilleur connaisseur de Bergman, loin s'en faut, de me familiariser un peu avec son oeuvre unique, et d'en proposer à l'auditoire une approche accessible. J'avais un bel outil pour ça, le DVD du metteur en scène indien Dheeraj Akolkar, bouleversant document sur le couple, guidé par Liv elle-même.
Dernier volet de la tétralogie existentielle que d'aucuns considèrent comme nihiliste et que je tiens pour essentielle, le moins connu, Le désert rouge où Monica Vitti, dans la banlieue industrialisée de Ravenne, dynamite le personnage de la femme italienne. A sa manière, au début des années soixante, Michelangelo Antonioni changeait l'Italie. Loin des girondes Sofia ou Gina, des verbes hauts, et des rondeurs de marchés, ainsi parut Monica, ici dans la griseur des choses.
John Cassavetes et Gena Rowlands, autre couple en fusion fission, nous ont conduits plusieurs fois aux lisières. Ce cinéma américain, en quasi autonomie, est une merveille d'étude clinique dans Gloria, dans Love streams et plus encore dans Une femme sous influence. Son personnage de Mabel, en permanence sur le fil du rasoir, nous bouleverse tant Gena parvient à maîtriser les excès souvent inhérents à ces types de rôle.
Woody Allen m'avait téléphoné pour me proposer Mia Farrow. Je lui ai préféré Diane Keaton, si élégante dans Annie Hall (Hall était le vrai nom de Diane Keaton). Peut-être les plus belles années de M. Allan Stuart Konigsberg, où le célèbre piéton binoclard de Big Apple trouve à mon avis l'état de grâce. Elle irradie aussi dans Manhattan et dans l'hyperbergmanien et sans une once d'humour Intérieurs que je recommande spécialement à ceux qui l'ignoreraient.
M. le Président du Festival de Cannes 2017 n'a certes pas constitué avec Carmen Maura un couple tel qu'on l'entend généralement. A titre exceptionnel j'ai inclus l'oeuvre commune de la riche héritière Carmen et du modeste fils d'une famille rurale de la Mancha dans ce florilège du syndrome de Pygmalion évoquant l'artiste et sa créature. Et c'est dans leur troisième film ensemble (il y en a sept), Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça! que j'ai trouvé la Maura réellement bouleversante. Assez éloigné de l'esprit BD des tout premiers opus ce film hisse l'actrice au rang d'icône, de mère courage, de femme forte dans un univers d'hommes, une Magnani espagnole, une oubliée de la Movida. Pour moi, le meilleur film de la première période d'Almodovar.
Ce fut pour moi une belle expérience que d'assurer de mon mieux cette sorte de "formation continue" du Septième Art, sans aucune qualification que celle d'un amateur de longue date. C'est aussi pour moi la chance de revoir et rerevoir des films anciens, et dans l'immense majorité des cas, de les apprécier plus encore. Parfois aussi de mieux connaître l'univers d'un cinéaste que j'avais a priori pas mal négligé (Pedro Almodovar, allez savoir pourquoi, probablement parce que j'ai toujours coché la case Italie depuis des décennies de cinéma). Merci aux organisateurs de ces universités du temps libre (elles ont changé de nom) et merci à mes "étudiants" toujours très attentifs.
Le cinéma, mon vélo et moi/11/Un beau dimanche
Domenica d'agosto, le délicieux film de Luciano Emmer, date de l'an 1949. Journée de plein air du petit peuple romain direction les bains de mer d'Ostie.Ce n'est pas l'Ostie de Pasolini. Non c'est bien plus simple. Et surtout c'est la vie dans toute sa splendeur et ses petits arrangements. Ce n'est pas encore le miracle économique. Au moins on vit en paix dans cette synthèse du Néoréalisme et de la Comédie italienne. Mastroianni, en tout petit sur l'affiche, n'a pas encore rencontré Fellini. Les maillots de bain y sont d'une pudeur. Veille la mama. Ho quattro mesi. Si. E la ringrazio la mia cara Asphodèle per Lo cinema, la mia bicicleta é mi.
La poésie du jeudi, Giorgio Bassani
Pour l'Italie, pour Ferrare que je n'ai jamais vue mais dont j'arpente les rues quand la vie m'ennuie, pour Giorgio l'écrivain, pour le Nord néoréaliste, pour Asphodèle dite Le Lien, voici quelques lignes du grand romancier, qui fut aussi scénariste et poète.
Vers Ferrare
C’est à cette heure que vont à travers les chaudes herbes infinies
vers Ferrare les derniers trains, avec de lents sifflets ils saluent le soir,
plongent indolents dans le sommeil qui peu à peu
éteint les bourgs rouges et leurs tours.
Par les fenêtres ouvertes, le remugle des prés inondés s’infiltre
et voile la patine des banquettes misérables.
Des pauvres amants en chandail il dénoue les doigts fatigués,
et les baisers désertent leurs lèvres desséchées.
Giorgio Bassani (1916-2000) Histoire des pauvres amants (1945)
Ferrare, forcément mieux que Rome ou Florence ou Naples. Et pour cause, je ne connais toujours pas la ville. Mais la province y porte un beau nom de femme, l'Emilie. Et vous voudriez que ça m'indiffère?
Mon été avec le grand Will, scène 8
Promis. Encore un billet la semaine prochaine et je ne vous embête plus avec mon copain Will. Jules César occupe une place un peu à part dans l'oeuvre de Shakespeare. Ni pièce historique (tous les rois d'Angleterre) ni tragédie HamMacOth (j'adopte parfois le langage geek) Jules César est toute entière centrée autour du climax du meurtre du consul, Jules n'ayant jamais été empereur. Peu de films vraiment axés sur la pièce, mais deux chefs-d'oeuvre qu'il m'a beaucoup plu d'évoquer devant mes élèves, les plus studieux qui soient.
1952, Joseph Mankiewicz réunit le très officiel acteur shakespearien John Gielgud, James Mason et leur adjoint à la stupéfaction générale Marlon Brando dont la toge en Marc-Antoine semble encore auréolée de la sueur de son tee-shirt dans Un tramway nommé désir. Mankiewicz refuse le spectacle, le peplum alors que triomphent La tunique ou Quo vadis. Le film Jules César magnifie le génie de Shakespeare sans grandes scènes de foule, juste les Romains devant le sénat lors des discours de Brutus et d'Antoine. Bien sûr on envisage la fameuse accusation de "théâtre filmé". D'abord pourquoi pas? Une pièce bien captée peut valoir un film platement tourné. Et puis ce n'est pas vrai. Les ombres du verger des conjurés, les statues pontifiantes par exemple sont de belles idées de mise en scène. Et, morceau de bravoure, l'oraison funèbre de César prononcée par Antoine, douze minutes, est un régal de manipulation de l'auditoire servi par un Brando retors, cauteleux, démagogue de génie.
César doit mourir est une extraordinaire reconstruction d'une expérience ayant cours dans la prison romaine de Rebibbio. Les frères Taviani, octogénaires, bien délaissés depuis leurs chefs-d'oeuvre des années 70, frappent très fort à la Berlinale de 2012. L'Ours d'Or est attribué à ce film coup de poing, 1h15 au coeur et à l'estomac. La couleur très tranchée de la dernière scène de Jules César, représentation donnée par les condamnés longue peine, pas des voleurs de boosters, des durs, fait place après leur triomphe à leur retour en cellule. La vie continue, enfin la vie à Rebibbio. Retour au noir et blanc carcéral pour le casting, les répétitions de ce beau projet. Paolo et Vittorio ont retrouvé l'acuité de Padre Padrone ou de Saint Michel avait un coq.Les convicts s'investissent avec enthousiasme, s'accaparant les défroques de César, de Brutus, d'Antoine. Il y a même, oui, des sourires.
Quand sous l'oeil du génial duo et la plainte d'un saxo déchirant les taulards s'emparent de cet espace de liberté qu'est l'art, quand la fièvre du jeu, de la parole et la magnificence du texte déchirent les hauts murs de la périphérie romaine, on vit avec Cesare deve morire une expérience inoubliable, dirigée par le metteur en scène Fabio Cavalli. Et l'on a vu l'un des films les plus forts de ces dix dernières années. Cette totale congruence du théâtre relayée par un solide et bouleversant témoignage cinématographique semble héritée de Rossellini. On ne peut mieux dire. Nanni Moretti, autre grand ami, a permis la distribution de ce film. M'étonne pas de lui.
Dasola a vu César doit mourir à sa sortie: http://dasola.canalblog.com/archives/2012/10/12/25278828.html
L'autre Michel-Ange
Il faudra que j'aille à Ferrare un jour. Je le savais depuis longtemps déjà, vous connaissez ma passion pour l'Italie en général, sa litté et son ciné en particulier. J'ai décidé de dire litté comme on dit ciné, à savoir une belle apocope, histoire d'avoir l'air de frayer avec tout ce qui s'écrit et se lit. Vanité...Humour, ça je précise toujours. Faute d'aller en Emilie-Romagne je me suis contenté pour l'instant de visiter à la Cinémathèque de Bercy, curieux endroit ou snobisme et perdition voisinent avec nostalgie et fascination, l'expo (encore une apocope) consacrée à Michelangelo Antonioni, un beau et patricien patronyme, presque aussi beau qu'Edualc Eeguab. C'est un modèle pour les cinéphiles, un endroit où je me suis senti mal, donc en phase avec le cinéma d'Antonioni, où tous les personnages ne vont pas bien, donc j'étais bien là bas à Bercy, à ma place, pas aux Finances. Le cinéma antonionien, on lui reproche parfois son nombrilisme, et l'on n'a pas complètement tort. Mais voilà, un nombril peut parfois, pourvu qu'il soit bien observé, nous apprendre beaucoup.
Les films d'Antonioni prêtent le flanc aux accusations d'élitisme un peu comme s'ils venaient d'un homme qu'on estime mais à la réputation ésotérique. Il y a dix ans déjà, présentant les cinq géants du cinéma italien d'après guerre, j'avais pris pour incipit: Rossellini le professeur éclairé, De Sica le médecin prévenant, Fellini le roi-bouffon, Visconti le cousin aristocrate et contradictoire et Antiononi un autre cousin, intellectuel un peu éloigné.
Il faudra que j'aille à Ferrare un jour. Ferrare, héroïne des si beaux livres de Giorgio Bassani mais aussi ville natale d'Antonioni . L'expo n'oublie pas ses débuts néoréalistes, le court métrage Les gens du Pô, cette Italie juste après guerre qui initiait un nouveau courant, celui d'un cinéma qui sera comme aucun autre en totale adéquation avec un pays, un peuple, une époque. Je rabâche. L'influence du Duc de Modrone, Luchino Visconti, est bien là dans le premier quart de sa carrière, dont surtout après une incursion dans les coulisses du Septième Art, La dame sans camélias et sa première muse, Lucia Bose, il s'affranchira pour défricher une terra incognita en cinéma, la fameuse incommunabilité qui devait le poursuivre toute sa vie. Très bien initiée par Le cri, avec quelques séquelles néoréalistes, cette période culmina avec sa trilogie L'Avventura, La notte, L'eclisse. Ce fut aussi l'incompréhension, y compris d'une partie de la critique dérangée dans ses certitudes.
Lettres, manuscrits, photos, et les magnifiques affiches, toutes plus belles les unes que les autres, composent ce chemin d'étoiles, interrogeant nos souvenirs cinéphiles et existentiels. Bien trop jeune pour la trilogie, j'ai découvert ces films et leur richesse trente ans après, stupéfait devant une telle modernité, un tel cran, qui devaient laisser au début des sixties bien des spectateurs au bord de la route. Un visage illumina ces années, Monica Vitti, même si dans La notte Jeanne Moreau, si souvent insupportable par la suite, forme avec Marcello un couple reflet, un duo miroir extaordinaire.
Cette expo s'intitule Aux origines du pop car Michelangelo Antonioni, très intéressé par la culture pop, Carnaby Street, le pop art, et la musique émergente, choisit de quitter l'Italie pour mijoter en Angleterre Blow up, Palme d'Or, parabole sur le voyeurisme et sur la presse qu'on n'appelait pas encore people, qui fit de lui une icône d'une certaine jeunesse, l'un des rares cinéastes à s'aventurer dans cet univers étrange et un peu effrayant pour qui avait dépassé trente ans. Moi j'en avais seize et, fou de cette musique, je retenais surtout la scène où Jeff Beck cassait sa guitare au sein des Yardbirds (Beck et Jimmy Page réunis, c'est le seul document).
Puis ce fut l'Amérique de Zabriskie Point et Profession reporter, visions désespérées des seventies, déjà évoquées sur ce blog. Mais je ne vais pas faire l'analyse exhaustive de Aux origines du pop, j'engage seulement ceux qui en auront l'occasion, à s'attarder rue de Bercy pour découvrir un artiste protéiforme et qui ne se retourna pas, le contraire d'un créateur de recettes, et qui fut aussi peintre et photographe, l'influence d'un Giorgio de Chirico notamment.
Il faudra que j'aille à Ferrare un jour. Car Michelangelo Antonioni n' apas usurpé son prénom, participant à une nouvelle renaissance de ce cinéma italien phenix, des paysans de la plaine du Pô aux esthètes oisifs romains, du Swinging London à la Chine postmaoïste. Il ya comme ça, des choses qu'il faut faire. Autre chose qu'on peut faire, sans être un italocinémaniaque comme moi, regarder ce beau montage travelling proposé par la Cinémathèque. http://www.cinematheque.fr/expositions-virtuelles/antonioni/index.htm
P.S. Pour retrouver quelques-unes de mes chroniques sur les films de M.A. tapez Antonioni dans "Rechercher".
Le cinéma, mon vélo et moi / 4 / Ferrare antebellum
Années trente. Une famille juive dans Ferrare la belle,le magnifique roman de Giorgio Bassani, l'un des derniers films de De Sica, une Italie du Nord, certes assez éloignée du Néoréalisme historique, mais tout aussi vraie. Je m'imagine, en blanc, mince et sportif, chevalier servant de Dominique Sanda et rejoignant de toute la vélocité de ma bicyclette Le jardin des Finzi-Contini. Trente ans après Le voleur de bicyclette le vélo retrouve toute sa place dans le cinéma italien. Un homme dans la ville. Et merci encore à Asphodèle pour la belle illustration de cette chronique.
Le cinéma, mon vélo et moi/2/ L'héritage néoréaliste
Un cinéma à hauteur d'enfant, une filiation de De Sica aux Dardenne, un peu plus de soixante années séparent les deux films, le coeur commun, et le vélo-vecteur social et objet d'envie d'insertion. Deux films sans âge, sans grands mots. Taisons-nous. Rome, Liège.
Lettre ouverte au Bison
Mon cher Bison
Suite à ta question sur l'origine de mon intérêt pour le cinéma italien sache qu'il a de multiples causes mais la principale est une histoire de riz. Rollin' down the rizière mais pas le Mississippi,non, le Pô, d'où l'expression manquer de Pô pour qui n'a pas vu vers l'âge de dix ans Silvana Mangano dans ce film dont je sais maintenant qu'il n'est pas tout à fait le chef d'oeuvre de mon enfance émoustillée mais le souvenir d'un trouble d'une nature qui m'était mystérieuse et qui n'était pas que pure cinéphilie éthérée d'un esthète du Septième Art.
Je joins deux images, mais j'en perds un peu le souffle. Dame j'ai,quelques années de plus et le riz n'est plus ce qu'il était, le Pô non plus et Mangano damne maintenant la-haut au paradis des enfants émus et des cinéphiles nostalgiques.
Voilà, tu sais tout, cher ruminant libre des vastes plaines. Nul doute que tu sois tout à fait apte à comprendre ces émotions. Reçois pour finir ma fraternelle accolade, moi qui souvent fais escale en un certain ranch innommé où l'accueil est riche et bien pourvu spirituellement et spiritueusement.
L'un de mes péchés mignons...
... on le sait,est le cinéma italien. Animant au Temps Libre une série de six exposés sur le sujet j'ai décidé cette année d'ignorer les géants,déjà souvent présentés, pour me consacrer à l'équipe réserve du cinéma italien des annèes 50-80. Et croyez-moi la réserve se compose des quelques réalisateurs passionnants dont Luigi Comencini et Mario Monicelli. Je dois à Comencini probablement l'un de mes tout premiers souvenirs de cinéma,encore est-ce plutôt vague. L'histoire entre Vittorio De Sica et Gina Lollobrigida connut un immense succès au milieu des années cinquante.1954, bon enfant et pétillant, une pagnolade dans les Abruzzes en quelque sorte, Pain, amour et fantaisie marqua pour le metteur en scène un tournant important. Le triomphe public en Italie et son succès en France valurent à Comencini l'étiquette infamante de cinéaste à visées commerciales. Che vergogna!
Sa suite, Pain, amour et jalousie n'arrangea rien on s'en doute. Pourtant au moins le premier du binôme est délicieux, tordant gentiment le cou au Néoréalisme exsangue d'avoir été trop brillant. Le prestige de l'uniforme,quoique modeste maréchal des logis d'une brigade de carabiniers d'un village du Sud, et la jeunesse de Lollobrigida, annonçant gaiement Esmeralda de Notre-Dame de Paris, expédient vivement l'affaire, rappelant que le cinéma italien a eu ses heures sympas et toniques, en dehors des "Immenses". Dame, on ne peut regarder tous le jours Le Guépard, La dolce vita, Rome ville ouverte ou L'avventura. Mon intérêt pour le cinéma italien tient aussi au fait que,parfois médiocre, il est toujours resté terriblement italien jusque dans ses errances.
Plus tard avec A cheval sur le tigre, vers 1960, Comencini parvient à marier de belle façon le film de prison avec tentative d'évasion, presque un genre en soi, et la chronique sociale héritière de l'après-guerre. Quatre petits malfrats se trouvent libres après bien des difficultés et une description carcérale assez précise pour l'époque. L'un des protagonistes tombe d'un toit de cinéma,le toit était ouvrant, fréquent en Italie en ces années. Cette mort violente au milieu d'une comédie est déjà en soi une audace. Le héros principal, impeccable Nino Manfredi, retrouve sa famille et, l'accent du film virant au grave, chose essentielle dans la comédie italienne, n'aura de choix que la trahison de son dernier compagnon. La truculence de la première partie, parfois hilarante, s'est mâtinée de sombre et de désespoir. Nul mieux que les Italiens de la comédie, cette fameuse équipe B, Comencini ou Monicelli ou Risi ou Germi ou Scola, ne sait faire ça. Che dice? Que je suis partial. Si,si... Etre A cheval sur le tigre n'est pas confortable, mais en tomber risque d'être pire.