Deep River
Saga classique de l'émigration aux Etats-Unis, ce roman vraiment fleuve (Deep River titre original curieusement traduit en France) en est la version finlandaise avec la diaspora nordique à l'extrême nord-ouest américain, le Washington au début du siècle précédent. Faire bientôt éclater la terre comporte 850 pages. La littérature et le cinéma ont souvent relaté l'arrivée et l'installation des Européens. Italiens et Irlandais fournissant le plus gros contingent.Voici l'histoire des Finlandais devenus bûcherons ou pêcheurs du côté de la Columbia River, contée par Karl Marlantes, lui-même né à Astoria, Oregon, en 1944 et auteur d'un des meilleurs livres sur le Vietnam, Retour à Matterhorn.
Les ingrédients sont bien là. Une fratrie de nouveaux venus en Amérique, ceux-là ont fui l'oppression russe en Finlande au début du XXe siècle. Dans ce bout du monde américain tout est à construire. Ilmari, Matti et leur soeur Aino se retrouvent ainsi dans une colonie de bûcherons. La tache est colossale mais l'espoir est là. Land of freedom? Certes, mais ça va prendre du temps. Entre parenthèses lire Faire bientôt éclater la terre aussi, ça prend du temps. Nous n'échapperons donc pas aux préjugés des autochtones, à la volonté des arrivants, aux débuts d'une déforestation artisanale. Rien de vraiment inédit dans cette histoire. Mais outre que c'est une histoire à laquelle on adhère facilement n'oublions jamais que l'inédit n'existe plus depuis belle lurette.
Ce roman présente Aino, la soeur, comme l'héroïne principale, la plus engagée socialement, la plus pugnace, une Scarlett O'Hara de l'abattage des arbres, une pasionaria de la cause des exploités, une précurseure... (comment dit-on) du syndicalisme. Normal dans le contexte actuel, néanmoins sympathique. On y rencontre Joe Hill, immmigrant suédois, militant célèbre, héros des chansons folk de ma jeunesse. Les frères d'Aino et tous les autres ne s'en laissent pas conter malgré tous les malheurs de la ruée vers l'Ouest. Accidents du travail (terme anachronique bien sûr), amours-désamours, mariages, fièvres, bals, 14-18, ascension sociale avec quelques pannes, tout ce qui fait l'intérêt et la limite de ces bouquins-tendinites (parfois le kiné resurgit vu le poids de l'ouvrage) est là.
Et puis il y a les détails. Et là Marlantes ne fait pas dans le détail avec tous ces détails techniques un tantinet fastidieux. Sur la pêche au chinook dans l'estuaire, ce saumon géant plus lourd encore que le bouquin. Le travail de documentation de cette saga dû être considérable. Et que dire des pages entières sur le labeur si dur des bûcherons, élagueurs, débardeurs face aux gigantesques séquoias? On en sort un eu essoré parfois, les bras lourds de tant d'efforts.
Mais ne boudons pas. Faire éclater la terre est un bon roman, bien balisé certes mais ce n'est pas désagréable de cheminer en littérature muni d'une ceinture de sécurité, comme n'avaient pas les pionniers nordiques dans les années 1900. Rappelez-vous, faut un bout de temps. Pour la chanson je n'ai pas mis la célèbre version Woodstock de Joan Baez qui m'énerve un peu mais celle de Luke Kelly (The Dubliners)
Mort d'un Oyseau
Ce blog commence à accuser son âge. Et j'ai vraiment l'impression qu'il tourne uniquement à la rubrique nécrologique. L'adieu à David Crosby est une étape de plus. Les Byrds, chantres du folk électrique, avec Stills and Nash, puis avec Stills, Nash and Young, en duo, seul, avec d'autres. Six décennies. Allez, pas de dithyrambes, pas trop de larmes, la musique...Je ne vais pas refaire l'historique. Tamalpais High.
David Crosby ne fut pas un parangon de vertu. C'est le moins qu'on puisse dire. Moi non plus. Mais je suis peut-être moins bon 🎸. Alors je partage avec lui Guinnevere, toutes proportions gardées.
Fin d'une histoire (West Side Story)
Babelio Masse Critique m'a cette fois expédié en Californie pour un récit plaisant sur les traces des bâtisseurs, ou dynamiteurs, c'est selon. Michel Moutot, journaliste, signe là son quatrième roman. Les trois premiers étaient aussi consacrés à l'Amérique. 1935. Un jeune et brillant ingénieur responsable de la construction de la Route One qui doit border toute la côte du Pacifique se heurte à l'hostilité d'un richissime propriétaire terrien, Mormon polygame de surcroît.
L'histoire demeure manichéenne et l'on choisit vite son camp, le riche et le pauvre, l'intolérant (sauf pour lui-même) et le progressiste, le pervers et le romantique. Peu importe la facture très classique de ce roman. L'intérêt en est plutôt d'ordre historique et documentaire. C'est que tracer une route de cette longueur dans un Ouest extrême, sur une étroite bande entre le Pacifique souvent vindicatif et les Rocheuses toutes proches et avec un sous-sol qu'on sait pour le moins pas sans faille, c'est le mot, n'est pas chose facile.
L'auteur revient en arrière au début du livre pour conter la migration des disciples de l'Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et leur influence grandissante, leurs dérives aussi. Puis retour aux années trente, et les passages obligés de tout roman sur l'Amérique des pionniers. Par ordre d'apparition la mafia, la grande crise, celle des Raisins, quelques travailleurs / trafiquants chinois, les taulards de San Quentin embauchés sur les chantiers, les barrages notamment. Cette époque signe la fin du Go West. Bien décrite par Michel Moutot, qui connait son sujet, longtemps correspondant de presse aux U.S.A.
Le travail colossal de ces années pré-Roosevelt a souvent été évoqué dans le folk song américain à commencer par les ballades de Woody Guthrie. Ce sont les dernières cartouches de la Conquête de l'Ouest, à coup de dynamite et de pelles mécaniques rugissantes. Il y aura des gagnants et des perdants. Parmi ces derniers... les grizzlys et les lions des montagnes.
Route One est une lecture aisée et dépaysante, bien étayée par les recherches, soignée, que je conseille amicalement. Babelio et le Seuil ont bien fait.
Old Jim
Coup double pour ma seule animation cinéma de la saison, Seule la terre est éternelle. Réunir deux pôles, littérature et cinéma. Et si possible quelques fidèles. Tous n'avaient pas lu Jim mais tous semblaient heureux. Retrouvailles aussi avec Seule la terre est éternelle, document consacré par Busnel et Soland à ce vieux grizzly des lettres d'Amérique. Trois semaines de tournage intensif où Jim crève l'écran, sorte de cabotin suprême si l'on veut, mais de cette sorte de personnages qui dépassent leur propre légende, car légataires et transmetteurs de ces valeurs littéraires et humaines dont nous avons tant besoin.
Courant 2016, François Busnel a enfin obtenu qu'Harrison se laisse filmer dans son repère de Patagonia, Arizona. Ce n'est pas un film sur Jim Harrison, mais avec lui, martèle Busnel dans la promotion du film. Seule la terre est éternelle est resté dans les tiroirs quelques années. Le voici enfin en nos salles. Je ne voulais pas le manquer et les Picards du Nord, une tribu comme les aurait aimées Jim, ont ainsi pu le voir. Un vrai spectacle cinématographique à lui tout seul Old Jim, 78 balais, du "qui a vécu", insuffisant respiratoire au stade ultime qui allume une clope à chaque plan, déambulant lentement, de travers, claudiquant, surcharge pondérale, whisky partageur, l'oeil resté vif, son seul et unique, et la voix d'un plantigrade des Rocheuses sous acide. Jim est mort quelques mois plus tard.
Ce fut un joli moment qu'ont apprécié, je pense, les spectateurs. Y compris ceux, pas rares, qui n'avaient jamais lu Harrison, ni même ne connaissaient son nom. C'est que ce diable d'homme excelle à se raconter, sans effets de manche, de sa voix comme venue du Grand Canyon, entouré de ses chiens, l'une des grandes amitiés de sa vie. Le sort des Amérindiens qui fut l'un des combats d'Harrison, la condition des femmes, la douteuse évolution américaine sont au coeur de la dernière partie de cette joyeuse mais profonde pérégrination dans l'oeuvre de Big Old Jim.
Ce voyage dans l'Ouest est aussi l'occasion de quelques plans sur cette nature extraordinaire (le Wyoming notamment, état le moins peuplé) dont on souhaite qu'elle ne devienne pas victime de son succès. Dame, les livres sur le Montana sont maintenant presque devenus un rayon de librairie. Eternelle question des happy few dépassés par les many many.
La sortie du film fait suite à la parution Flammarion de La recherche de l'authentique, recueil de chroniques écrites tout au long de sa vie dans différents journaux. Notammment sur la pêche, les chiens, et quelques écrivains qu'il révère, Neruda, Thoreau, Steinbeck. Brice Matthieussent, son traducteur historique, en signe la préface, somptueuse. Il y fait référence à Key West, berceau floridien de la pêche au (très) gros, jadis narrée par Hemingway, et qui est une chanson du dernier album de Bob Dylan, Rough and rowdy ways. Pour mon compte j'évoquerai, extrait de ce même disque, I contain multitudes, qui définit si bien Jim Harrison.
Si vous êtes un lecteur de Jim Harrison vous en m'avez pas attendu. Si non, go West amis, go West. Pas mal de cinémas l'ont programmé. Il faut le dire quand c'est bien. 🎬
Iles mineures
Deuxième envoi de Babelio en ce qui concerne les toutes nouvelles éditions Les Avrils, un roman que je qualifierai néo-terroir. Plan-plan, le roman, et moins intéressant que le précédent, Les grandes occasions. Un jeune homme, un chantier naval artisanal, divorcé, une petite fille, la construction d'un pont gigantesque, l'île qui bientôt n'en sera plus une, une séduisante photographe. Les ingrédients sont là pour une gentille fiction régionale évidemment tendance verte, qui a la bonne idée de bannir toute radicailité démago, ce qui n'est déjà pas si mal.
Pour le reste, en ferry ou sur le futur pont, j'ai trouvé la météo marine assez insipide. Tant qu'il reste des îles se lit vite et s'oublie de même. Pourquoi pas? On peut trouver à son goût cette balade aux embruns mais aucun des personnages ne m'a semblé sortir du lot et s'imprimer quelque peu en moi. La jolie artiste parisienne et le ténébreux divorcé amateur de voile, les purs et durs (presque) prêts à dynamiter l'ouvrage d'art qu'il trouvent insupportable alors même que le référendum lui est favorable, le patron du petit chantier, veuf, vieillissant et en passe d'être insolvable, les copains braillards et prompts à trinquer. Tout cela m'a donné l'impression d'un téléfilm un peu archaïque, pas désagréable.
Mais le temps presse et si possible j'aimerais lire autre chose que du pas désagréable. De même que doucement je souhaite distribuer une partie de mes livres, je souhaite maintenant, comment dirait-on, l'essentiel. Oui, c'est ça l'essentiel. Tant qu'il reste des îles ne relève pas de cette catégorie. Cela dit, Martin Dumont, auteur et architecte naval, rend là un hommage sympathique aux îles et aux insulaires.
Alaska nous voilà
Lecture commune avec mon amie Val* j'ai beaucoup apprécié ce journal de voyage/correspondance qui a bien rafraîchi la fin de l'été. Je parierais volontiers que Val sera de mon avis. On verra. Il s'agit d'une expédition de 1885, menée par le colonel Forrester pour cartographier les abords de la Wolverine River, en Alaska, qui vient d'être acheté aux Russes. Authentique mais joliment romancée Au bord de la terre glacée est une aventure passionnante qui se lit comme un feuilleton de très belle facture. Les Indiens ne sont ni ostracisés ni béatifiés et on comprend mieux l'histoire de cette immense région, l'Alaska, dernier territoire continental à rejoindre les Etats-Unis (1959).
Le colonel Allen Forrester a laissé près de Vancouver sa femme Sophie, enceinte, mais il l'ignorait et les courriers qu'ils tentent d'échanger sont très aléatoires. Cette partie épistolaire du livre s'intègre très bien entre les notes du colonel et le propre journal de Sophie. L'amour des deux époux transparait joliment et sans mièvrerie ni complaisance. Bien sûr on peut voir cela comme de l'aventure et des grands espaces, Fenimore Cooper, James Oliver Curwood, Jack London, et l'on a raison. Mais il y a dans ce récit une rigueur militaire bien compréhensible, le lieutenant-colonel Forrester a des comptes à rendre à sa hiérarchie. Pas de question existentielle sur le bien-fondé de l'expédition. Il ne s'agit d'ailleurs que de trois soldats accompagnés de deux éclaireurs et de guides indiens plus ou moins fiables. J'ai suivi ce périple avec beaucoup d'intérêt. Les descriptions de la nature ne prennent pas de proportions pénibles (au contraire du récemment chroniqué Sous l'aile du corbeau, qui se déroule dans la région de Vancouver et dont la couverture ressemble à celle de Au bord de la terre glacée). Et le côté humain est heureusement préservé même si les trois militaires restent avant tout des envoyés officiels en quête d'un territoire.
Et puis je voudrais insister sur le plaisir de lire, très évident, Au bord de la terre glacée. J'espère me faire bien comprendre. Assez souvent nous avons l'occasion de chroniquer-critiquer de très bons livres qui nous ont quelquefois coûté un peu d'efforts, et un peu de sueur spirituelle, bref, quelques obstacles, cela est normal et n'empêche pas l'adhésion et l'enthousiasme. Avec le livre d'Eowyn Ivey c'est le souffle du Nord, le choc des glaces et des forêts, les nuits longues et les charges incessantes. Un grand livre d'aventures conduit avec maestria par l'auteure, ancienne journaliste, comme une envoyée spéciale couvrant l'expédition Forrester. Car le personnage de Sophie n'est absolument pas sacrifié. Les pages sur sa passion pour la photographie et les oiseaux sont magnifiques, faisant naître une vocation majeure. Je crois qu'Eowyn Ivey vit toujours dans cet état américain, ultime sur le plan historique comme sur le plan géographique. A l'heure où j'écris je ne sais ce qu'en pense Val mais j'ai ma petite idée.
Ile sous le vent
Sous l'aile du corbeau est un livre étrange. Il n'est pas d'un accès si facile. Je le qualifierai d'an-héroïque. le décor en est une île de l'Ouest canadien, près de Vancouver. Nature writing + Indianité, vous avez une idée du cocktail. Mais on est aussi un peu dans le survival. Cinq personnages se retrouvent dans la profondeur des forêts, fuyards, chasseurs, justiciers, ils sont tout cela à la fois. Nous ne quitterons jamais cette île fictive de Colombie Britannique. Fictives, la nation amérindienne Cumshewa et la tribu des Corbeaux le sont aussi, mais partiellement, l’auteur s’étant inspiré pour les décrire des traditions et des mythes des tribus amérindiennes de la Côte-Ouest et de plusieurs nations amérindiennes de l’Amérique du Nord. Une tragédie ancienne de dix-sept ans relie les participants à ces scènes de chasse dans l'Ouest.
Ce vieux drame, on le devine mais on peine à joindre les pièces du puzzle. Hallucinante est la quasi-totalité de l'action qui se déroule au coeur de la forêt hostile. Montagneuse, froide, toujours pluvieuse, l'île n'offre aucun répit. Et l'ours n'est pas le plus à craindre. Ni Doc, médecin alcoolique, ni Henry, vaguement historien, ne provoquent notre empathie. Encore mois la fratrie des Duff, dégénérés et violents, dont Morgan qui revient dans l'île longtemps après. Sous l'aile du corbeau ne joue donc pas sur l'émotion et diffère ainsi de la plupart des récits que je rattacherai à l'Indian nature writing.
La lecture de ce roman n'est donc pas addictive à mon sens et l'histoire ne reprend que très partiellement les archétypes du récit amérindien. Même si le message écologique est présent. Il est d'ailleurs surtout présent pas les descriptions dantesques de la pluie sur les arbres, des cours d'eau, des ravins, de l'imbroglio végétal de cette fuite mutuelle et brutale évidemment teintée largement de mysticisme. Le roman n'est pas récent, 1977. Je préfère son titre original, High water chants. Foisonnant, enivrant, fatigant.
Des nouvelles du Montana
Cap à l'Ouest, Montana. Un état qu'on connait bien, devenu un genre en soi, presque un label, avec les quelques limites que cela peut induire. Il s'agit bien sûr de la diffculté à renouveler les thèmes très nature writing de cette tendance littéraire. Premier roman de Joe Wilkins, Fall back down when I die, je vous laisse juges de l'à-propos du titre français, est un bon et solide roman qui mêle au message écolo une histoire de vengeance très westernienne.
Wendell Newman vivote comme employé de ranch du côté des Bull Mountains. Son père a disparu depuis longtemps quelque part au coeur de montagnes. Wendell se retrouve en charge d'un petit cousin autiste, Rowdy, sept ans dont la mère est incarcérée. Cette nouvelle raison de vivre va influer sur l'existence de Wendell, amené à prendre ses responsabilté dans la région. Celle-ci est en effet déchirée entre milices séparatistes chevillées au territoire et officiels fédéraux. Et, on le sait, l'Amérique dégaine assez vite. L'auteur ne prend pas vraiment parti et nous laisse aux prises avec une montée de la violence qui mêle les fantômes du passé et les rêves d'avenir.
Les relations entre Wendell et le tout jeune Rowdy sont au centre de l'histoire. On sent poindre une véritable osmose entre le jeune enfant replié sur lui-même et son éventuel tuteur. Mais le pays est rude et Wendell est pris entre deux feux, héritier de son père ultra et en proie à toujours plus extrême. Le message écologique est ainsi brouillé tant il peut chez certains prendre la forme d'un retour en force aux brutalités d'un pays qui n'en finit jamais des soubresauts de son histoire. Le symbole étant une reprise de la chasse aux loups. Mais est-il d'autres pays?
L'hiver de notre plaisir, version orignal
En lecture commune avec Val (Winter – Rick Bass), c'est en pleine canicule que j'ai lu Winter, récit de Rick Bass sur son installation fin 1987 dans le Montana. Et rien que voir la couverture du livre semblait rafraichissant. J'aime bien cet écrivain dont j'ai déjà savouré cinq autres oeuvres, dont Le ciel, les étoiles, le monde sauvage et La décimation. Avec son épouse Elisabeth, et Homer et Ann dont il faut préciser qu'is sont chiens, ces premiers mois au Nord-ouest sont un peu difficiles pour ce Texan. Le climat, à deux miles du Canada, n'est pas précisément le même qu'à Houston. Et ce journal de bord de septembre à mars est une ode à cette saison si marquée. Rick Bass n'est lui-même qu'en hiver. C'est ce que l'homme découvrira dans ce pays extrême, sans électricité ni portable, où une poignée d'hommes vivent l'essentiel.
L'essentiel c'est le bruit de la tronçonneuse, amie quotidienne quand il s'agit de faire la fête àces mélèzes géants, déjà morts mais indispensables sous ces latitudes. Rick Bass nous fait vibrer comme ces engins parfois dangereux. Les gens de là-haut n'y pratiquent pas le célèbre massacre avec cet instrument mais emmagasinent soigneusement le bois. L'essentiel c'est la trace d'un ours dodelinant vers l'hibernation, celle des wapitis, ces grands cerfs se raréfiant, le bruit d'enfer des rameaux d'orignal dans la forêt. L'essentiel c'est le doux bruit, bien que graisseux, de la camionnette hors d'âge qui permettra in extremis de ne pas passer la nuit dehors. Winter n'est cependant pas un précis de géographie, botanique ou zoologie. Plutôt un constat de la vie ensemble en milieu naturel, ou presque. Enfin ensemble avec des voisins pas trop proches. Ce qui n'empêche pas une solidarité discrète et presque muette car le silence fait partie du décor. Une vie à hauteur d'hommes, à scruter les environs, avec un sens du corps et de l'effort physique, alors même que Rick Bass, dans sa serre mal chauffante, écrit cette saison blanche au jour le jour.
On peut bien sûr rattacher si l'on veut Rick Bass à l'école dite du Montana, la Montana connection, et à la Nature writing. Ce genre de tiroirs a peu d'intérêt. Disons simplement que j'ai lu avec pas mal de plaisir beaucoup d'auteurs qui ont traîné leurs boots dans ces coins-là. Certains sont des Indiens, d'autres non. Vous voulez quelques noms? Welch, McGuane, Harrison, Crumley, O'Brien, Watson, Alexie. Quelque chose me dit que Val a dû apprécier. A l'heure où je termine ce billet, je l'ignore. Mais je lui propose de chausser les raquettes direction U.S.A North-Northwest.