Ballade pour un traître
Amos Oz est dans ma galerie. J'étais donc emballé par le choix de Babelio, commenter Judas, le dernier roman de l'écrivain israélien. Pas déçu. Trois personnages à Jérusalem, 1959. Shmuel Asch, 23 ans, est embauché pour tenir compagnie et faire la lecture et la conversation à Gershom Wald, septuagénaire invalide, fantasque, un intellectuel jadis engagé dans le sionisme. Dans la même maison vit Atalia Abranavel, 45 ans, veuve et bru de Wald. Shmuel a abandonné ses études prometteuses, ses parents ruinés. Il va ainsi entrer dans l'intimité des deux autres. Sur fond d'histoire si spéciale d'Israel, état qui en 59 n'a encore que douze ans d'âge, dirigé par David Ben Gourion, figure légendaire du sionisme.
Un peu comme assigné à résidence, Shmuel écoute longuement Gershom parler, et parler encore, du passé, de la Palsetine, des Anglais, de l'état hébreu. Ce n'est même plus pérorer, c'est aussi tourner en rond, et le jeune homme ne tarde pas à faire la même chose, membre du défunt Cercle du Renouveau Socialiste, six personnes dans l'arrière-salle d'un café de Jérusalem. Leurs points de vue sont certes assez dissemblables mais un point leur est commun, le dialogue sur l'essence même d'Israel. On peut perdre un peu pied si on ne maîtrise pas bien les différents éléments historiques ayant abouti à la création du pays. Alors Amos Oz, habilement, nous emporte bien plus loin dans le temps, et évoque la figure si mal connue de Judas Iscariote devenu le symbole même de la trahison. La vérité serait autrement complexe. Et Judas apparait presque comme le plus proche du Christ, le plus lettré, qui n'avait nul besoin de trente deniers et qui devait permettre par son baiser l'accomplissement.
Judas est un livre qui m'a passionné bien que truffé parfois de références qui m'ont échappé. Mais j'aime beaucoup la littérature de ce pays si différent et Amos Oz en est l'un des fleurons. Ainsi je me suis attaché à ce trio complexe de trois générations, chacune ayant sur le pays sa propre conception, toujours douloureuse. Shmuel, Gershom et Atalia, trois figures d'Israel, pays qui parmi tant de soubresauts, entre sécurité et paranoia, nous propose une littérature souvent d'une grande profondeur. Merci à Babelio, ce fut pour moi un grand cru.
Déjà chroniqué ici, d'Amos Oz, Scènes de vie villageoise, Entre amis, L'histoire commence, Une panthère dans la cave. Autres avis sur Judas Judas - Amos Oz (A sauts et à gambades) et Judas - Amos Oz (rentrée 08-2016) (Sylire).
Une dose d'Oz
Qu'elles sont belles et simples ces huit nouvelles d'Amos Oz qui rejoint ce jour ma galerie de chouchous. D'une simplicité biblique,c'est le cas de le dire,au coeur de l'Israel des kibboutz des années cinquante, sous la gouvernance de David Ben Gourion.Ecoutez leurs titres: Un petit garçon, Papa, Entre amis, Deux femmes. Beaucoup est ainsi déjà dit, huit histoires de tous les jours, de l'ordinaire dans une vie extra-ordinaire en cet Israel encore presque naissant. Comme vous l'avez vu en lisant les titres il s'agit la plupart du temps de problèmes de famille à l'intérieur de la plus grande famille,le kibboutz,cette entité si spécifique, cette communauté aux règles strictes et qui conjugue la solidarité jusqu'à en faire une extravagance. Ainsi se posent des questions qui ne sont faciles nulle part mais moins encore au sein de cette drôle d'assemblée proche encore de l'esprit pionnier du sionisme.
Comme c'est le cas dans le recueil Scènes de vie villageoise il y a en fait une trentaine de personnages qui se connaissent tous très bien forcément et qui sillonnent les pages et entrecroisent leurs soucis à peu près au vu de tout le monde.Faut-il laisser un petit de cinq ans dormir dans la maison commune des enfants malgré sa faiblesse ou l'autoriser à rejoindre ses parents? Un jeune homme de vingt ans aura-t-il l'autorisation de partir étudier en Italie si ce n'est pas tout à fait utile à la vie du kibboutz? Et David,instituteur gardien du dogme et de la plus ferme obédience,qui s'accommode fort bien de vivre avec la fille de son vieux compagnon,dix-sept ans à peine, qu'en penser?
Témoignage passionnant et limpide de cette vie en autarcie, où règne le travail mais où crépitent de minuscules velléités d'autonomie,chez les femmes surtout, le recueil Entre amis fait en 160 pages le tour de cette micro-société laborieuse et tout à sa foi. Ici et maintenant le vie est rude mais l'union fait la force avec cependant quelques maillons faibles. Après tout là comme ailleurs et de tout temps les hommes ne sont que des hommes.Et encore,pas souvent. Dire que sur la surface de deux régions françaises vivent Oz, Grossman, Appelfeld , Yehoshua. Rêveur je suis... A la fin octobre Amos Oz déjà lauréat de très importantes distinctions en Allemagne, en Espagne, recevra à Prague le Prix Littéraire Franz Kafka. Ci-dessous un court extrait et cinq minutes formidables avec Amos Oz.
«Au début de la fondation du kibboutz, nous formions une grande famille. Bien sûr, tout n’était pas rose, mais nous étions soudés. Le soir, on entonnait des mélodies entraînantes et des chansons nostalgiques jusque tard dans la nuit. On dormait dans des tentes et l’on entendait ceux qui parlaient pendant leur sommeil.»
http://videos.arte.tv/fr/videos/litterature-rencontre-avec-amos-oz--7331252.html
Incipits, pas insipides
Catégorie non fiction,que je fréquente assez peu,j'ai trouvé très intéressant cet essai de l'Israélien Amos Oz sur la littérature,plus précisément sur les débuts de romans,ces amorces d'histoires qui posent les premières pierres de l'aventure-livre.L'histoire commence c'est une étude érudite mais accessible (assez) sur les incipits,premières lignes de quelques romans célèbres ou non.Ca m'a donné envie de regarder à deux fois les commencements des prochains romans car c'est très important,ça peut stimuler ou assoupir notre intérêt.Ca peut aussi nous fourvoyer.Ou nous épargner un bouquin qu'il faut avoir lu mais dans lequel on va traîner un ennui incommensurable.
Amos Oz revient sur une douzaine de livres dont deux livres en hébreu strictement inconnus de mes services (mes services c'est moi, Eeguab, Blogart, la Comtesse, dire si ça fait du monde).Par contre sa réflexion sur Le nez de Gogol,Le violon de Rotschild de Tchekhov ou Un médecin de campagne de Kafka. est très structurée et ouvre ainsi l'univers de ces grands maîtres.La plus active à mon sens de ces exégèses d'incipits,si c'est pas savant,ça,est cependant celle de L'automne du patriarche de Gabriel Garcia Marquez,un auteur que je ne goûte pas.Oz nous décrypte les premières pages de ce roman sud-américanissime très précisément. Après avoir lu Oz parlant de Marquez j'ai toujours très envie de lire le premier et toujours aussi peu le second.Pourtant Oz aime L'automne du patriarche. Comprenne qui pourra.
Maux d'auteur
En pleine Ozmania et j'aime les textes brefs voici Vie et mort en quatre rimes.Un grand écrivain s'ennuie lors d'une soirée au centre culturel en son honneur.Alors il anticipe un peu les questions du public,passablement banales en général en ces moments. Et son esprit recrée,vagabonde,invente à ces admirateurs un nom,une histoire, un passé,des parents,des amours.Lui-même pourrait bien être piégé en homme amoureux.C'est que quelquefois ces cérémonies peuvent un peu déraper, pas méchamment .On reste en pays de comédie mais il peut s'avérer troublant de mélanger les sphères privée et publique.Alors il vadrouille dans la petite ville,qui ressemble à celle de Scènes de vie villageoise (je trouve les deux livres très proches).Des silhouettes,un chien menaçant puis un peu collant,et ses pensées vont aux lecteurs là-bas au centre,qu'il imagine, qu'il reconstruit déjà en écrivain de profession,peut-être pas très capable d'une vie propre.Alors reste l'aventure,une lectrice,une complicité,ça m'étonnerait mais qui sait?
Le titre Vie et mort en quatre rimes serait celui d'un recueil poétique d'un auteur flou et tout aussi incertain que cette nuit de perplexité. D'une perplexité cependant finement observée par l'une des belles plumes israéliennes.
Calme Israel
Amos Oz nous plonge dans la vie ordinaire d'une bourgade israélienne et c'est superbe de simplicité, d'humanité, d'attente, d'inquiétude.Le grand écrivain israélien est particulièrement convaincant dans ce format court qui lie cependant les personnages des nouvelles.Creuser,Attendre, Chanter,voilà quelques titres brefs et somme toute explicites.Les habitants vivent comme tout le monde,rien de typique de la part d'Amos Oz.Au contraire un sentiment d'universalité court au long de ces nouvelles où l'on rencontre maire,médecin,agent immobilier ,bibliothécaire, étudiant arabe,jeunes et vieux.Toute cette société est ordinaire,fragile et se pose des questions sur la fidélité,l'avenir,la santé.Ma préférée serait peut-être celle où la plupart des protagonistes se retrouvent pour chanter,sûrement pour avoir moins peur.
On ne dira jamais assez la richesse du monde littéraire israélien.Dans cette promenade à Tel-Ilan,ce village qu'on pourrait croire immobile,l'urbanisation gagne comme dans tout le pays.Est-ce une gangrène touristique,une spéculation?Est-ce aussi l'évolution inéluctable?Oz ne verse pas dans la nostalgie.Il se contente de nous accompagner aux chaudes soirées de Tel-Ilan,avec un zeste de mélancolie,beaucoup de doutes,et l'envie d'en lire plus.Je n'en regrette que davantage la huitième et dernière nouvelle,qui m'a mis mal à l'aise.Il est possible que je l'aie pas comprise,elle s'appelle Ailleurs,dans un autre temps.