La poésie du jeudi, Pablo Neruda
Je sais que c'était un jeudi plutôt vert mais Neruda que j'ai beaucoup pratiqué ces derniers jours n'a eu aucun mal à ôter les mots de ma plume, cette dernière plutôt paresseuse. A Matilde sa troisième épouse il consacra une centaine de poèmes. Il les a appelés ses Sonnets de bois.
Extrait de La centaine d'amour
Matin
J'ai faim de tes cheveux, de ta voix, de ta bouche,
sans manger je vais par les rues, et je me tais,
sans le soutien du pain, et dès l'aube hors de moi
je cherche dans le jour la bruit d'eau de tes pas.
Je suis affamé de ton rire de cascade,
et de tes mains couleur de grenier furieux,
oui, j'ai faim de la pâle pierre de tes ongles,
je veux manger ta peau comme une amande intacte,
et le rayon détruit au feu de ta beauté,
je veux manger le nez maître du fier visage,
Je veux manger l'ombre fugace de tes cils,
J'ai faim, je vais, je viens, flairant le crépuscule
et je te cherche, et je cherche ton coeur
brûlant comme un puma dans le désert de Quitratùe.
Pablo Neruda (1904-1973)
La poésie du jeudi, Edualc Eeguab
Tes doigts, noir et blanc
Octaves, tant d'émotions
Oui, Rachmaninoff
Je crois que les haïkus n'ont pas de titre. Pas eu vraiment le temps de faire long. Mais comme j'aime Serguei. Puis, prenant conscience de ma pingrerie...
Elle a dit -"paresse"
"C'est pas un peu court, jeune homme?"-
-"Mais bien sûr. Pardon."-
La poésie du jeudi, Edualc Eeguab
La Dame aux traits tirés
Alors te voilà, attendue, crainte,
Espérée, laide et magnifique.
J'ai toujours su que tu viendrais,
Tu es femme de rendez-vous,
Il suffisait d'un soir.
As-tu un prénom?
Ne te soucie pas, je t'en donnerai un,
J'en ai tant écrit et chanté
Qui m'ont brûlé les ailes,
Ordinaires pourtant.
Je me surprends à t'accueillir, presque bienvenue
Il est, il fut
Des compagnes moins proches,
Plus clandestines, plus âpres
A l'amertume tenace.
Ainsi voyagerons-nous tous deux,
Deux vieilles connaissances,
Au long des docks d'antan,
Ils ont bien changé.
Méconnaissables, et la ville et la vie,
J'y suis bien moins à l'aise,
Même les fantômes passés
Semblent avoir déserté.
Je me voulais princier
Et ne suis que servile.
J'ai cru jouer avec les fées,
Mais tombé de l'arbre,
Je me relève mal.
Rien dans mon cas ne doit révolter,
J'ai eu ma chance.
Quelques rencontres m'ont enorgueilli
Mais souvent leurs dagues m'ont frôlé.
Il en est qui m'ont bien meurtri.
Sans me permettre
Ni gloriole ni allégresse.
Maintenant que tu es là tout ira mieux,
Désenchanté, enfin sans sortilèges,
A l'abri,comme au chaud,
Pourvu du bel alibi,
Celui de la tournée d'adieu,
Que, cabotin malgré tout, l'on souhaite,
Incorrigible de vie,
Et, pianiste de bar claudiquant,
Interminable.
La poésie du jeudi, Edualc Eeguab, vraiment pas tout seul
Quitter la table
L'avalanche nous l'a brisé
Il était notre homme
Plus noir, plus noir, disait-il hier encore
Pas une façon de dire au revoir
A elles toutes,les Dames de Minuit,
De l'Hiver, de la Solitude
Nous demeurons nombreux
Mais chacun, seul, un oiseau sur le fil
A qui le tour, par l'eau, par le feu?
Nous l'avons tant chanté
La chanson de l'étranger
La chanson du maître
Boogie Street, les soeurs de la Miséricorde
Il fut l'homme de l'an dernier
Il y a si longtemps de ça, Nancy
Chelsea Hotel tremble sous les ombres
Eternal Ladies, Janis, Nico, Patti
J'y étais un peu
J'y reviens, d'abord, reprendre Manhattan
Tout le monde le sait
L'amour nous appelle par notre nom
Commençons de rire et de pleurer
L'adieu à Marianne
Et à l'inoubliable dont un soleil miel
Ruisselait sur Notre Dame du Port
Parmi les ordures et les fleurs
Nous avons vu le futur
Il est meurtre.
Vous aurez compris que bien peu de choses dans ce texte sont vraiment de moi.
L'Ecrivraquier/8/Rentrée
Septembre gris bleu
Les si beaux marrons, marron
Cours moyen, moyen.
L'Ecrivraquier/7/L'amour du lot
Ce texte, délivré par L'Ecrivraquier, s'inscrit aussi dans la délicieuse fantaisie ludique et mensuelle de Filigrane (La Licorne), qui ce mois-ci nous priait d'un sonnet dont le premier vers serait celui d'un poème célèbre.
Les nuages couraient sur la lune enflammée
L'avait bien dit, l'Alfred et l'agonie canine
En une lande alpestre ou faut-il dire alpine
Eut son petit succès, hop, un quatrain. Calmé,
Canis lupus, se sachant ainsi en sursis
Ni agneau ni renard lui laissant le beau rôle
La Fontaine tari, la Faucheuse le frôle
Maître Loup voit sa fin, le mode en est précis.
Oublions le cruel et ne pensons qu'aux yeux
Lubriques à souhait que le Tex intégral
Lui octroya devant des appâts généreux.
Ainsi je m'ysengrine, ainsi, je m'enlouvise
Exophtalmé, étoilé devant le sein graal
Qui et le coeur et l'âme et les sens m'atomisent.
Outre la Licorne je me dois de remercier par ordre d'entrée en scène Alfred de Vigny, Jean de La Fontaine et Tex Avery.
L'Ecrivraquier/6/Lendemains
Guilllaume et Charles, merci d'avoir existé, et d'aider les désarçonnés.
Passent les jours et passent les semaines,
Ni temps passé ni les amours reviennent.
Comme il avait raison le trépané grippé.
Rien à espérer sur ce thème horloger.
Tant d'autres l'on déjà fait, me cachant l'or du ciel
Qui dessèchent et ma plume et tarissent le miel
Qu'immodeste je croyais un peu mien
Aux jours d'antan émouvants et sereins.
L'heure ne semble plus aux lits d'odeurs légères
Seuls les divans tombeaux restent de Baudelaire.
Se résoudre au calme de l'oubli
De ces médiocrités alourdi
Cheminer sous la dague, claudiquer
Voir là-bas l'érèbe guetter
Fièvre ultime
Déraison de l'intime
S'en accommoder, s'assoupir?
Non, ce serait susciter l'ire
De ces deux soeurs,
Leur briser un petit bout de coeur
Alors, bosselé et goutteux
Couturé, besogneux
Je ne mouline ni ne claironne
Ni ne fanfaronne
Ce retour de guerrier fatigué
Décidé.
La poésie du jeudi, Edualc Eeguab d'après Dino Buzzati
Vacillant
Terreur de ce quartier laid de Turin
Il avait broyé des échines
Près d'une décennie
Maîtres et chiens de la basse ville
En frissonnaient si souvent
Ses morsures cuisaient toujours ça et là
Et les fuites apeurées
Rythmaient comme avant des journées
Jusqu'à ce petit matin de novembre
Froid piquant Piémont
Où le hideux molosse jaunâtre
Lui avait longtemps résisté
Finalement vaincue, la bête en rupture
Haletait dans quelque ruelle sombre
Mais le maître, cette fois blessé
Savait dorénavant
Sa chute prochaine
Et la fatale échéance
Vainqueur une fois encore
Pour combien de temps.
Avant le glas.
Ce texte doit tout à l'immense Dino Buzzati, adapté, modestement, d'une de ses nombreuses et fabuleuses nouvelles, l'une des plus inquiétantes, et il y en a beaucoup, d'inquiétantes. Il y a aussi beaucoup de chiens dans les nouvelles de Dino. Et donc de chiens inquiétants. Le tyran malade raconte l'histoire d'un chien qui fait régner l'ordre ou la terreur, c'est selon, jusqu'au jour où d'inquiétant, il devient inquiet. Et c'est plus grave. On retrouve évidemment la thématique de l'attente du jour, de l'attente de l'attaque des Tartares, proches, probablement. Et plus généralement toute la littérature de Buzzati, le temps assassin, les quotidiennes déceptions, la vacuité. Le pire étant toujours sûr chez Buzzati, on ne devrait donc même pas s'en émouvoir. Et pourtant... C'est parfois à rendre malade, comme le tyran. Oh Dino, pourquoi t'ai-je rencontré?
La poésie du jeudi, Edualc Eeguab
Jeté, comme ça
L'heure bleue du matin
Chemin de halage
J'entends les oies
Place de la Gare, les gravats, les engins
Parkings laborieux
M'en fous, je suis à pied
Ne suis plus des vôtres
On me dit disponible
Drôle d'adjectif
Restrictif
Canal rare en péniches
Simenon disparu
J'aimerais la rivière oscillante
Pourtant ils ont leurs charmes
Ce chenal habité
Et ces étangs voisins
Ces barques plates et
Leurs touristes empluviés
Au printemps venant
Poésie suburbaine un peu étrange
Le vol d'un héron, quotidien
Le train du Nord, indifférent
La passerelle dentelle
Un bout de ma ville
Ni pire ni meillleure
Chez moi, partout.
L'Ecrivraquier/4/Lac aux âmes
Le cygne était seul et immense
Plus de reflets dans l'onde
Plus même les assassines saulaies
De la blonde Ophélie
Le grisâtre veillait au grain
Enfuis les lustres, les couleurs
C'est peu de choses un lac
Réceptacle inaudible
Regrets de soirs d'été
Zéphyr cinglant la houle
Le reste, inanimé, comme à vau-l'eau
Vie qui s'assèche
Galets exsangues
Mutique ressac.