Au mitan du dernier millénaire
Timide retour sur la planète blog. Babelio et Gallimard ne m'oublient jamais. Je les en remercie. Dernière livraison, le pavé historique de Nadeije Laneyrie-Dagen. Histoire intéressante mais long, très long bouquin, que L'étoile brisée, entre Christophe Colomb et Léonard de Vinci, entre fin du Moyen Age et Renaissance. C'est cette période en effet qui constitue la toile de fond de l'histoire de deux frères juifs dans l'Espagne de la fin du XVe siècle. Encore enfants ils échappent aux massacres et vont connaître un destin très différent. L'un marin cartographe proche d'Amerigo Vespucci, l'autre médecin ami de Martin Luther. Mais ce ne sont que les deux protagonistes initiaux de cette saga de cinquante ans où nous allons rencontrer une foule d'autres personnages, tous à la croisée des chemins, au noeud de l'Histoire qu'a constitué le début du Cinquecento.
Ils sont très nombreux, et ont 742 pages à remplir. Il n'en reste pas moins que L'étoile brisée est un bon livre qui brasse large tant culturellement que géographiquement. Florence, Londres, Alger, Séville, l'Allemagne, le Nouveau Monde, et la Renaissance, l'intolérance, l'esclavage, rien ne manque. Comme rien ne manque j'aurais aimé qu'un thème soit privilégié. Mais peu importe, on se laisse emporter, chapitres relativement brefs, personnages bien construits, intrigues dans les cours royales. On fait même un petit tour au Camp du Drap d'Or, un sujet en soi.
Madame Laneyrie-Dagen est professeure d'histoire de l'art, spécialiste de la Renaissance. Son ouvrage est parfaitement documenté, notamment sur l'essor du commerce maritime, les luttes d'influence, les monarchies s'adaptant aux récentes découvertes, la science encore incertaine de la cartographie (le plus passionnant à mon goût). Cette fresque historique est une lecture tout à fait recommandable. Le temps parfois nous est compté et d'autres livres méritent peut-être davantage notre urgence. J'en ai lu quelques-uns dernièrement. En ferai-je un billet? Peut-être. Mais on a tous quelque chose en nous de lacéré, il me semble.
Le milieu de l'Europe (deuxième mouvement)
Leonardo da Vinci, Piazza della Scala
L'ultime Pieta de Michel-Ange, inachevée (Château Sforza)
Le cloître de l'Université Catholique
A Milan le côté hyperbranché cotoie le quasi éternel. Et Michel-Ange, de cette Pieta interrompue, semble faire la promesse d'un art neuf qui signifierait déjà le crépuscule de la Renaissance. Mais Milan ce n'est pas que la fashion week même si les boutiques de luxe font partie de la grande cité lombarde.
Santa Babila, Corso Vittorio-Emanuele
... à suivre.
Retour de là-bas
Photo mensongère. Sur la Piazza del Duomo, là-bas, on est en fait environ 2000. Assaillis de mendicité, de vendeurs de bouts de ficelle colorés, de selfie-made people qui ne considèrent la cathédrale que comme le théâtre qui leur permettra de dire "j'y étais", de centaines de pigeons qui défigurent la statue équestre de ce pauvre Victor-Emmanuel. Le vrai voyage n'est plus. Moi, j'aurais voulu voyager comme Liszt ou Chateaubriand, mes malles arrivant au port, et être en tête à tête avec la Cène de Leonardo. Mais bien sûr je faisais partie de cette foire aux vanités. Sans perche à selfie, faut pas exagérer.
Ceci dit, beaucoup de choses intéressantes à Milan, à commencer par le Duomo. Quelques images et quelques impressions bientôt.
Avec vue sur l'Arno
Très judicieuse livraison de Babelio dans le cadre de l'opération Masse critique qui me fait toujours confiance et que je remercie. J'avais choisi dans le cadre de la non-fiction parmi de nombreux ouvrages ce délicat livre sur la perle de Toscane, cette cité que j'aime tant. En v.o. est une jolie collection où l'on trouve aussi Rome, Berlin, Bruxelles, New York. Le livre se décline comme une suite d'articles, une quarantaine, autant d'entrées sur des mots italiens, noms communs ou propres, de afa (chaleur) à viola (le violet du club de foot Fiorentina). Chaque présentation d'Annick Farina est complétée par un extrait littéraire en version bilingue italienne et française dans la plupart des cas.
Car y figurent aussi Sade, Dumas, Taine, Stendhal, Montaigne et d'autres étrangers, Dickens, Keats, Andersen, Brecht, Forster (d'où le titre de ma chronique) témoignant de la fascination de l'Europe entière pour la cité toscane. De ces fous d'Elle bien sûr je fais partie. N'allez pas penser qu Florence en v.o. est un ouvrage un peu snob pour happy few. C'un bien joli livre que peuvent emporter les voyageurs et aussi les gens qui ne marcheront jamais dans les allées des Médicis. Quelques exemples.
Le Falo delle Vanita, le Bücher des Vanités, où l'on raconte que Botticelli lui-même jeta dans le feu ses propres dessins de nus scandaleux selon Savonarole. Vraie ou pas l'histoire est fascinante. Le terme Inglesi a lontemps été synonyme d'étrangers tant était prépondérante la place des Britanniques dans la Florence du XIXe siècle. "Sono arrivati degli inglesi. Ma non ho capito se sono o tedeschi" (Des Anglais sont arrivés mais je n'ai pas compris s'ils sont russes ou allemands).
Le si célèbre Ponte Vecchio est illustré de quelques très belles lignes du Nobel russe 1987 Joseph Brodsky "A midi les chats vont voir sous les bancs, pour s'assurer que les ombres sont noires. Sur le Ponte Vecchio-on l'a restauré-où sur un fond de collines s'embuste Cellini on fait un commerce effronté de bimbeloteries de toutes sortes, les vagues dans un murmure roulent une branche après l'autre et les boucles dorées d'une belle femme qui se penche pour chercher quelque chose de rare, qui fouille au milieu des boîtes sous les regards insatiables de jeunes vendeurs, semblent une trace d'ange au royaume des corbeaux". (Décembre à Florence).
Annick Farina raconte joliment que, privée des grands aqueducs romains, la belle Florentine offre peu de grandes fontaines mais surtout des petites, au départ plus pratiques que décoratives (Fontane é fontanelle). Joli texte de Taine sur les Tritons, les Néréides, et "l'harmonie des troncs, des cuisses et des nuques". Fantasmes... Quand je vous disais la séduction de ce petit livre ensorcelant...Felice viaggio tutti. Per me sara Milano in settembre. Grazie Babelio.
Bologna é Ferrara
En un mot...
Ascension
Juxtaposition
Incarcération
Education
Dissection
Hertzification (Marconi)
Canonisation
Sanctification
Domination
Déception
Interprétation (des chansons sur... Paris)
Vénération
Fortification
Négociation (Loggia della Mercanza)
Commercialisation
Le livre mystère d'Asphodèle
Asphodèle, sur une idée de Jérôme, m'a proposé un livre mystère, reçu couvert et anonyme, mais pas sans charmes, chère Aspho, à charge pour moi de le lire sans aucune indication d'auteur, de date d'édition, sans illustration,sec. Curieuse sensation sur laquelle je vous livre d'abord mes impressions, puis une critique du roman, puis enfin je dévoilerai le pot aux roses pour vous... et pour moi. Evidemment il est déconseillé de faire ça avec un Maigret ou un Sherlock Holmes, le suspens serait vite expédié. Donc pas de place pour les récurrents dans le livre mystère.
A première vue je ne rentre pas très vite dans l'histoire, me consacrant à tenter de percer le nom de l'auteur. C'est déjà fausser un peu ma lecture. Bon, déjà un élément, le livre est court, format de poche, alors une histoire de détective, de grand détective? Mais non, pas d'enquête à proprement parler. Cependant comme on est en pleine Renaissance et que le héros s'appelle Michel-Ange, génie créateur de son état, je pense à Sophie Chauveau par exemple dont j'ai déjà lu une très moyenne Obsession Vinci. C'est pas tout ça,les amis, mais vu qu'il ne compte que 170 pages dont certaines de douze ou quinze lignes, il faudrait que je me concentre un peu sur la lecture proprement dite. Etrange sentiment que celui de découvrir le grand peintre de Florence face au sultan de Constantinople, en tant qu'architecte ce qui n'est pas une surprise.Le livre se lit maintenant avec beaucoup de plaisir, presque distraitement. L'auteur n'a pas lésiné sur les descriptions des épices et des marchandises, ce qui m'a fait un effet catalogue un peu gênant.Cipolin, sérancolin, brocantin, cinatique , des matières à couleurs. Ou cavet et scotie, des moulures. Ca c'est un peu ce que j'appelle l'effet dico, martelant des vocables à peu près inconnus du profane. Instructif, certes, un peu procédé à la longue. Et puis quand même cette présentation clairsemée, on dirait presque que le responsable a été payé à la page. Ne boudons pas notre plaisir, on respire l'air de la Corne d'Or et l'on imagine le pont selon Buonarotti, fier et florentin. Belle histoire, romanesque à souhait, de ce romanesque un peu hautain qui caractérise la Renaissance dont la vertu cardinale n'est pas la modestie.
Le roman ? ne m'a pas vraiment convaincu et j'en suis fort triste pour ma chère Asphodèle dont je crois savoir qu'elle a aimé ce livre. Pourtant la Renaissance me passionne mais X, l'auteur m'a semblé saupoudrer son récit de scènes attendues sur l'exotisme un peu appuyé des tavernes de Constantinople, de ses odalisques et de ses éphèbes. Et puis encore une fois j'aime m'installer dans un livre, les chapitres m'apportant une latence, une douce indolence favorisant mon imagination. C'est tout le contraire dans ? qui s'apparente un peu, le mot est fort, je sais, à une sorte de zapping écrit, plaisant et aérien. Nous en venons, maintenant que j'ai fait de la peine à mon amie Asphodèle, mais je crois qu'elle n'aurait pas aimé un enthousiasme factice de ma part, à l'auteur que j'ignore encore à cette heure. Certaine phrase très précise renvoie au titre d'un livre récent de Mathias Enard. Mais je n'ai jamais lu cet auteur et ça n'a peut-être strictement rien voir. Il y est question de rois, de batailles et d'éléphants? Demain soir j'aurai enlevé la couverture de papier et je vous dirai ce que j'ai lu.
P.S. Asphodèle, merci encore.Et pardon...
Dernière minute,il s'agit bien du roman de Mathias Enard dont voici un exemplaire. Merci encore Aspho pour cette belle pirouette littéraire.
Atout Coeur
Vraiment une réussite que ce grand Coeur,bien au delà du roman historique classique, ou de la bio romancée bien agréable. Jean-Christophe Rufin, académicien toubib diplomate marcheur, rien là-dedans de déshonorant, nous immerge dans cette époque charnière si prometteuse après les interminables conflits de la Guerre de Cent Ans. Absolument passionnant.Foin d'Anglois boutés hors de France,c'est l'Italie et ses richesses qui vont changer la France et l'Europe. Le modeste fils de fourreur au nom inoubliable va devenir en quelques dizaines d'années un précurseur,un visionnaire en matière d'échanges et d'économie,alors même que la France sort exsangue du Moyen Age. De l'avènement et de la grandeur du bourgeois en quelque sorte,j'y reviendrai. Avant maudissons la langue française qui a presque fait de ce vocable une injure en ne retenant que le moins bon de ce nouveau venu sur la scène sociale et politique.
Jacques Coeur, compatriote berruyer de Jean-Christophe Rufin, est d'origine assez modeste (pas si modeste que ça selon certains historiens, peu importe) et de prestance très moyenne. Mais cet homme a de l'énergie à (re)vendre. Son histoire nous est contée sérieusement, sans grande fantaisie, mais l'auteur a parfaitement su éclairer la profondeur de cet homme et surtout ses dons de précurseur,presque de visionnaire quant à l'avenir d'un pays,le Royaume de France, dont le souverain Charles VII est surnommé le petit roi de Bourges. Coeur fut l'un des premiers en Occident a compris l'attrait de l'Orient pas seulement celui de Jérusalem.Il a compris aussi que l'ère du pré carré est appelée à disparaître.
Monnayeur ,commerçant, banquier, financier, armateur, à la tête aussi bien d'une gigantesque entreprise privée que de la maison France sur le plan économie, Jacques Coeur dont l'intelligence en affaires se double d'une grande clairvoyance quant à ses collaborateurs,connaîtra des triomphes,puis la disgrace,la prison et la torture,puis l'évasion et la mort en grec exil. Cependant il aura eu le temps de restaurer l'autorité du roi et de lancer les prémices du mécénat,de la libre circulation des biens,du commerce moderne. Rufin est un écrivain que je n'avais pas lu et j'ai beaucoup aimé la justesse de ce portrait d'un homme en avance. On sait qu'il n'est pas confortable d'avoir raison trop tôt. Le grand Coeur s'honore aussi de fouiller les personnages de Charles VII et Agnès Sorel, première maîtresse officielle de l'Histoire de France, autrement que comme le prince chétif qui devait tout à Jeanne d'Arc et la courtisane sans vergogne avide de puissance
. Un beau roman, suffisament ample mais introspectif,assez pour que l'on regarde à Bourges, le fameux Palais Jacques Coeur ,à deux visages,l'un médiéval l'autre renaissance,superbe bâtisse qu'il n'eut pas le temps d'habiter, comme le témoignage d'un homme d'une grande complexité comme il y en eut peu dans l'Histoire. On a longtemps fait de Jacques Coeur un symbole de bourgeois.Je hais ces approximations. Admettons le toutefois comme un bourgeois, certes, mais alors très éclairé. Des comme ça,j'en redemande.
J'peux vraiment pas les voir en peinture(14)
Il y a longtemps qu'on n'a pas parlé peinture.La Renaissance est ce qu'il y a de plus beau au monde,juste après après le Cinéma Néoréaliste et Le désert des Tartares.Quoi,il n'y en a que pour l'Italie?J'ai toujours admiré ce diptyque de Piero Della Francesca,peintre du Quattrocento.Ce double portrait du Duc et de la Duchesse d'Urbino est visible à la Galleria degli Uffizi de Florence,bien malade paraît-il.J'ai lu que le duc avait 38 ans et elle 14 au moment de leur mariage.J'ai lu aussi que Piero Della Francesca aurait peint la duchesse après sa mort.J'ai lu enfin que l'ordre des portraits doubles était inversé par rapport à ce qui se faisait,à savoir le mari à gauche,la femme à droite.Et que ce profil inédit était dû pour le duc à un oeil droit énucléé.
J'ai vu ce tableau très jeune dans des livres sur la Renaissance et il m'a toujours inspiré,voire inquiété.La fermeté des traits,la pâleur de la duchesse,ce face à face où je crois entrevoir un brin de tendresse.Pourtant ils ne débordent pas de sympathie ces époux lointains.Et l'arrière-plan des paysages très proches des Flamands.Si on a déjà fait mieux pour la bonhommie la précision de cette union-opposition est vraiment troublante.Quelle magie que cette Renaissance Italienne qui nous fait nous sentir proches d'aristocrates toscans du XVème Siècle.
J'peux vraiment pas les voir en peinture(12)
J'peux vraiment pas la voir cette Madone du Belvedere du Musée des Beaux-Arts de Vienne,du sieur Raphael.Comme si on avait le droit de donner à voir la perfection en un visage,comme si l'on pouvait essayer de peindre après ça,comme si l'ovale de ces traits ne touchait pas au sacré.Comme si cette Madone au pré (son autre appellation) qui veille sur les rondeurs auréolées des putti et l'arrière-plan des collines et du lac ne semblaient une divine osmose.Sur le Net on trouve des études très poussées sur la géométrie,le nombre d'or,les isocèles et les équilatéraux qui forment le tableau.Ces vilains souvenirs de mes cours de math n'ont même pas réussi à me gâcher le plaisir de cet au-delà de la beauté.