Soucis siciliens sourcilleux
De Taormine nous ne verrons rien, ni les îlots ni le légendaire théâtre. A peine un hôtel et un garage. L'hôtel est de luxe. Le garage douteux quant à ses tarifs. Melvil et Luisa, couple au bord de la rupture, tente une escapade ultime, comme si ça marchait, ce truc là, pour repartir à zéro. Exit donc la délicieuse Taormine, bon souvenir qui s'éloigne en ce qui me concerne. Taormine ne fait pas 140 pages, en courts chapitres. Trois quarts d'heure suffisent à l'excursion.
Melvil est antipathique, et Luisa guère moins. Mais nous on n'est pas comme eux. Je n'avais jamais lu Yves Ravey. J'ai seulement lu qu'on évoquait à son sujet Simenon, les hard-boiled américains, voire Modiano. Une écriture sèche, sobre et behavioriste (ça fait cuistre ça, non?). Bref, c'est le cas de le dire, Taormine ne laisse guère place aux sentiments, mais l'absence totale d'émotion rend très efficace cette espèce de mini thriller autour de la lâcheté. Et ce qui fonctionne c'est qu'on se dit, c'est un peu l'objectif: Qu'aurais-je fait, moi, en ces circonstances?
Mais au fait, qu'a-t-il fait? Et surtout que n'a-t-il pas fait? Délit de fuite, enfin, disons qu'il n'a pas daigné vérifier l'objet non identifié qu'il a percuté violemment avec sa voiture de location à la sortie de l'aéroport de Catane. Tout le roman ne sera que l'itinéraire et le séjour du couple en perdition. C'est peu dire qu'entre petits arrangements avec les mécaniciens et serveurs d'hôtel, visites touristiques avortées vu l'ambiance, et querelles incessantes entre Melvil, homme sans qualités et Luisa qui peine à sortir de sa pusillanimité, ces deux voyageurs ne pensent bientôt plus qu'à échapper à leur éventuelle responsabilté.
Petits trafics sans importance avec les autochtones que leur carte de crédit intéresse en priorité, tractations de minables à minables, bien veule l'humanité au pays du Guépard. On passe pas mal de temps en et autour de la voiture, une caisse de passage moche et étriquée où ils resteront quand même une nuit entière. Bienvenue chez les mesquins presque assassins. Laideur et bassesse que les beautés d'Agrigente ou Syracuse n'occultent pas. Mais un très bon roman, sec et à l'essentiel.
Une chose est claire? Luisa, ai-je repris. On aurait eu tort de revenir sur nos pas. Si je t'avais écoutée, on aurait fait demi-tour. C'est bien ça que tu voulais, non? faire demi-tour? à toute force, retourner au snack-bar? Tu te souviens que j'ai laissé le dépliant de l'hôtel sur la table...Et alors, Melvil, qu'est-ce que ça change qu'on l'ait oublié, ton dépliant? Qu'est-ce que j'en ai à faire de ce truc...? J'ai repris: Et toi, Luisa? Tu te vois entrer dans le bar à ce moment-là? Tu ne comprends vraiment pas! Imagine, on vient de percuter un obstacle, et toi tu débarques là au milieu...? non...? franchement? Tu te serais jetée dans la gueule du loup.
Le nom de famille qu' a choisi Yves Ravey pour son couple, et ça n'étonnera personne...Hammett. Et l'avis favorable de Dasola Taormine - Yves Ravey
Que tout change pour que rien ne change
Scènes de la vie quotidienne de Mimmo et Cristofaro, Palerme, Sicile, une Palerme contemporaine, pas celle de Don Corleone. Borgo Vecchio, le vieux bourg, quartier pauvre, c'est peu dire. Les deux enfants y traînent beaucoup, l'un battu par son père, l'autre se consumant pour Celeste, fille de Carmela. Celeste est souvent sur son balcon tandis que sa mère reçoit des hommes, c'est son métier qu'elle exerce consciencieusement sous le regard de la Vierge au manteau. Mais il y a un héros, Toto, un peu Robin des Bois d'une métropole sicilienne archaïque. Borgo Vecchio pourrait friser voire respirer le misérabilisme. C'est sans compter la verve et le punch de l'écriture de Giosuè Calaciura.
Car Borgo Vecchio est un roman délicieux, bref, c'est souvent une qualité, mais qui explore l'humanité palermitaine avec la tendresse d'un film néoréaliste (à cette référence ceux qui me lisent depuis longtemps savent que je fonds), l'humour en plus, un peu désespéré, l'humour. Souvent brutal, le propos de l'auteur ne s'embarrasse pas d'un exotisme rédempteur, ni de facilités descriptives. Mais qu'est-ce qu'on les aime ces figures d'un Mezzogiorno toujours englué dans une misère endémique et une délinquance précoce inextinguible. Carmela, la sainte putain, la petite Celeste, rêveuse et décidée. Mimmo, relativement privilégié et Cristofaro, dans cette chronique d'un martyre annoncé, et Nana, cheval de son état, à la fois déifié pour ses performances en course et maltraité comme une bête de somme.
De belles et longues phrases, d'une grande poésie, traversent, fulgurantes, ce Borgo Vecchio, sorte de chorégraphie de rêves et de violence, parfois drôles, avec par exemple le curé, receleur au tabernacle, souvent émouvantes, je pense à l'ode au pain et aux scènes de marché. A ce beau ballet ne manque même pas la trajectoire fantastique d'une balle dans la cité sur les traces de Toto. Du grand baroque, de l'opéra, grandiose et pouilleux. Un déluge d'images, envoûtant, ce déluge étant à prendre au sens propre durant tout le troisième chapitre, impressionnante symphonie pour navires en folie et flux punitif sur le peuple des ruelles.
Aux premières lumières du jour, on découvrit que la mer avait brisé toutes les digues et avait pénétré dans la ville par la porte du Quartier. Il régnait un calme de déluge universel. Ceux qui dormaient encore furent réveillés par les sirènes des bateaux qui ne trouvaient plus le port et s'enfonçaient versl'intérieur car ils voyaient encore de la mer à l'horizon alors que les instruments indiquaient la fin de la navigation.
La Sicile a ses grands, très grands romanciers. Le Lampedusa du Guépard, le Sciascia des pamphlets politiques,le Pirandello des Nouvelles Sicilennes, et aussi Brancati (Le bel Antonio), Vittorini, Camilleri et son commissaire Montalbano. De toute évidence Giosuè Calaciura, né en 1960 à Palerme, ne dépare pas.
Le tour de l'île
Le jadis célèbre auteur du Quatuor d'Alexandrie Lawrence Durrell, diplomate, poète, enseignant, voyageur, anglo-français a publié en 1977 ce carnet de voyage, Le Carrousel sicilien, bien joli périple en autocar en cette île enchanteresse. Bien que l'ancienne Trinacria n'ait pas que de merveilleux côtés j'ai aimé suivre le sillage dans un voyage pourtant convenu comme la plupart des voyages organisés. Mais en compagnie d'un méditerranéiste comme Durrell, haute culture et haut humour, c'est un délice. On effeuille avec lui un journal de voyage, bénéficiant de ses connaissances à Catane comme à Syracuse, à Agrigente comme à Taormine.
Donc la balade sicilienne est souvent drôle, accessible la plupart du temps, même si des connaissances en histoire du Sud dont les bienvenues. Là-dessus j'ai parfois été un peu court mais peu importe, l'esprit de Lawrence Durrell, sa nostagie et ses souvenirs constituant le plus doux des viatiques à travers temples et théâtres, aussi bien que vergers, amandiers et oliviers. L'auteur s'y entend en archéologie comme en botanique et l'on s'émerveille des effluves comme des fresques. Lawrence Durrell a longtemps vécu à Corfou, Rhodes, Chypre avant de finir ses jours dans la région de Nîmes.
Si vous connaissez la Sicile, bien, ou un peu, comme moi, embarquez dans le petit autocar rouge avec le petit monde parfois lourd des tour operators où les compagnons de route ne sont pas forcément raccord. Dame, on est toujours l'autre de quelqu'un. Et si vous ne l'avez jamais vue prenez ce même autocar rouge avec Mario le chauffeur et Roberto le guide, pittoresques amphitryons de cette insulaire auberge. Je vous y promets belles pierres et vins capiteux entrecoupés de quelques poèmes de l'auteur. Et une envie rouge Etna et Sud extrême.
Un livre, un film (énigme 77), la solution
Ont triomphé de ce piège cahotique Dasola, Pierrot Bâton, Celestine, Asphodèle. Les réponses...
L'acteur Omero Antonutti incarne Luigi Pirandello dans l'épilogue de Kaos (Entretien avec la mère). Si le premier film est considéré comme un chef d'oeuvre,en 98,quand sort Kaos II (tu ridi ) l'aura des Taviani a beaucoup pâli. Paolo et Vittorio, pour moi, restent parmi les maîtres de ma folie du cinéma italien. Avec probablement une préférence pour Allonsanfan. La prossima volta, sabato 30 novembre, tutti a la casa di Claudia é Wens.
Des années difficiles,toute une vie difficile
Ce mois-ci l'Italie m'a fait défaut sur le plan littéraire.Ni le laborieux polar Renaissance de Giulio Leoni La conjuration du troisème ciel où Dante mène l'enquête,ni les écrits d'Anna Maria Ortese datant de 1953,La mer ne baigne pas Naples,ensemble de deux nouvelles et trois reportages sur le quart monde napolitain après guerre,ne m'ont convaincu. Fort heureusement le cinéma veillait, avec deux films méconnus.
L'histoire du cinéma d'Italie passe par Luigi Zampa.Or, aucun livre et très peu d'articles, très peu de DVD à se mettre sous la dent.En fait je découvre mon premier film de lui, datant de 1947. Le film s'appelle Les années difficiles et revient sur le parcours d'Aldo Piscitello,un fonctionnaire municipal moyen qui sera plus ou moins forcé d'adhérer aux Faisceaux à seule fin de garder son modeste emploi. Adapté d'un roman du Sicilien Vitaliano Brancati (auteur du Bel Antonio) nommé Le vieux avec ses bottes, le film s'inscrit dans le registre, malgré tout pas trop alourdi par le thème,d'une certaine comédie discrète qui n'en fait pas des tonnes,avec des dignitaires fascistes que les auteurs semblent avoir voulu relativement point trop méchants.Point trop méchants mais certes opportunistes car Les années difficiles s'avère un chef d'oeuvre dans la description du fréquent syndrome de fin de guerre,syndrome dit du "retournage de veste". L'écrivain Brancati avait, lui aussi, en ses jeunes années, frémi pour le Duce au point d'écrire une pièce à sa gloire.Faut bien que jeunesse se passe. Ce film,une rareté, prouve si besoin était que le cinéma italien ne se limitait pas aux géniaux,c'est pas moi qui dirai le contraire,Ross., Fell., De Sic., Visc. ou Anton.Géniaux mais parfois encombrants. Le cinéma italien a souvent dans son histoire eu la faculté rare d'être vraiment en phase avec un peuple, une époque, un pays. Croyez-moi ce ne fut pas le cas en France à quelques exceptions près. Mais ceux qui me lisent savent qu'au moins sur le plan Septième Art mon coeur bat la romaine. Ne me demandez pas l'objectivité.
Pour Dino Risi (Le fanfaron, Les monstres, Parfum de femme), en 1961, Alberto Sordi est absolument génial et incarne à lui seul toute une Italie post-fasciste avec ses contradictions. Pourtant Une vie difficile ne sortit en France que dans les années 70, mais là je fais peut-être erreur. C'est un des meilleurs films de Risi, analyste plus fin qu'il ne l'a été écrit souvent de cette société italienne de l'après guerre.Sordi est l'interprète le plus italianissime parmi les cinq colonels (Gassman,Tognazzi, Manfredi, Mastroianni), somptueux dans la petite bourgeoisie,souvent pleutre et fayot, parfois grandiose d'humanité, tellement vrai ici dans le rôle d'un journaliste fauché,résistant puis courageux pourfendeur des trop nombreux "aménagements". Mais voilà, la vita c'é la vita et on est amené à changer parfois. Comme dans le film de Zampa on peut retourner un peu sa veste et ses idées.Quoi de plus humain. Quinze années de la vie de l'Italie sous l'oeil taquin et finaud de Dino Risi,à la fin d'un film comme ça on en sait un peu plus sur ce pays dont j'attends au moins une statue équestre à mon effigie sur la Piazza della Signoria de Florence depuis que je l'encense.
Travaillant actuellement sur Cinécitta j'ai apprécié aussi dans Una vita difficile l'incursion dans les studios quand Sordi tente de vendre les droits de son roman. On y croise dans leur propre rôle Gassman, Silviana Mangano et Alessandro Blasetti, encore un cinéaste sur lequel j'ai envie de me pencher.Ciao amici miei é supratutto Nathalie da Chez Mark et Marcel per l'ultima volta.
Méridionales ancestrales
"Vittorio De Seta est un anthropologue qui s'exprime avec la voix d'un poète". Ainsi parle Martin Scorsese,le si cinéphile cinéaste,chose pas si fréquente.On sait Marty très impliqué dans la restauration des films et passionné de son cher cinéma italien.Si vous ne deviez voir qu'un document sur l'histoire du cinéma je vous rappelle ce Voyage à travers le cinéma italien,magique évocation des souvenirs de Scorsese où la filiation paraît évidente entre le Néoralisme et les premiers films de Scorsese.
Le très bon boulot de la maison Carlotta permet de se pencher sur l'un des plus singuliers metteurs en scène italiens,le Sicilien Vittorio De Seta (1923-2011). Hommage aussi à la Cineteca Bologna qui oeuvre pour le patrimoine. L'homme ne s'est presque jamais intéressé à la fiction mais est l'auteur de documentaires sur l'Italie du Sud des années cinquante quelque part entre le Robert Flaherty de L'homme d'Aran,le Georges Rouquier de Farrebique, voire certains films de Jean Rouch.Ces noms n'évoquent pas grand chose dans le monde du ciné-show-business dont l'authenticité n'est pas souvent la vertu cardinale.Tous ceux qui aiment vraiment l'Italie seront passionnés par le regard de De Seta sur le Mezzogiorno au milieu du siècle dernier,encore un peu moyenâgeux, tribal et solidaire.Dans ce Sud là on ne prise guère les hommes d'affaires milanais,ni les fonctionnaires romains. Hommage au labeur, Le monde perdu décrit les toutes dernières années de ces communautés rurales avant la mécanisation,le tourisme même si Calabre,Sicile et Sardaigne de 2013 ne sont pas que des clubs de vacances,loin de là.
Ce qui passionne De Seta,c'est le plus vieux sujet du monde,la vie des hommes.Dix films d'une dizaine de minutes,sans commentaires, rythmés par des chants la plupart du temps en dialectes régionaux.Rien de plus simple que ce cinéma,rien de plus épuré,épidermique aussi.Nul sociologue ou ethnologue,seule la caméra de cet étonnant cinéaste qui n'est pas des leurs bien que sicilien.Il dit lui-même qu'il fréquentait plus les clubs de voile de la jeunesse dorée palermitaine que les travaux et les jours de ses héros du quotidien.Parlons-en de ces héros.Mineurs dans les soufrières, pêcheurs de thons et d'espadons, bergers sardes aux troupeaux faméliques (le film Bandits à Orgosolo fut le premier long métrage de De Seta,en 61,souvent honoré dans les festivals et les frères Taviani clament haut et fort la filiation de Padre padrone avec cet univers néoréaliste), paysans calabrais éloignés de tout.
Les "immenses", Rossellini avec Stromboli, Visconti avec La terre tremble, avaient déjà juste après la guerre posé la question de ce cinéma direct loin de Cinecitta.Ils choisirent ensuite d'autres voies,souvent royales.Plus tard bien après Vittorio De Seta, en 1978, L'arbre aux sabots d'Ermanno Olmi sera Palme d'Or. Tout arrive. Même un DVD de belle tenue, couleurs magnifiques et intervention modeste et claire de Signore De Seta. Amoureux de l'Italie ce recueil est fait pour vous,qui savez que ce pays n'est pas que celui de la Renaissance ou du bel canto,de Florence ou de Venise.
Sculpteur de maux
Quatre récits composent cette ballade aux trois quarts italienne (d'où le clin d'oeil au Viaggio de http://chezmarketmarcel.blogspot.fr/ ) de Laurent Gaudé,un des auteurs français que j'apprécie. Cette phrase,je l'ai écrite après avoir lu trois de ces textes.Maintenant que j'ai lu le quatrième je n'hésite pas à ranger Gaudé au firmament des écrivains français actuels.La mort accompagne les héros des ces histoires,elle leur tient la main,au long des fleuves de ténèbres et de boue,omniprésente annonciatrice des charniers hors du temps.Le style de Gaudé est toujours si riche,en hommes et en dieux et en diables.Cet auteur là est lui-même de glaise et de sang,et comme ça se sent dans ses livres, particulièrement dans ce somptueux carré,que je n'ose qualifier de nouvelles,terme parfois un peu précieux et alambiqué,bien à tort d'ailleurs.
Les oliviers du Négus,c'est l'Italie sinistrée après l'Ethiopie,une Sicile mortifiée qui semble ignorer le Prince Salinas,ce guépard éclairé,bien que nous soyons maintenant dans l'Entre Deux Guerres.Le catafalque de la cathédrale de Palerme,le roi des Deux Siciles,Frédéric II,Zio Négus le vétéran d'Abyssinie et le narrateur nous plongent aux arcanes de cette terre,toute de pierre et de lumière, baignée de tant d'obscur.L'écriture,je n'y reviens pas,elle est magnifique.
Le bâtard du bout du monde nous ramène plus au Nord,quand Rome commençait à se gangréner et dont ce centurion honnête et rude préfigure l'agonie.Lucius,retour d'une lointaine et froide Calédonie,l'Ecosse,le mur d'Hadrien, presque à lui seul, endosse les malheurs de l'empire romain.Au contact des Barbares,l'homme s'est endurci sur les chemins boueux de Germanie et de Gaule.Lucius a tué,beaucoup, et ce fils de personne,né dans la poussière des quartiers populaires parmi les chiens faméliques et les esclaves,de retour sur l'Aventin,clame son amour pour sa ville,Rome,lascive et putassière.Ses larmes scelleront le sac de Rome. Quarante pages,un Tibre de passion,de terre et de douleur.
Je finirai à terre nous transporte dans la France de 1914,qui s'y connaissait en boue et en douleur,dans l'Artois voisin de ma Picardie. La violence ne le cède en rien à Rome et Laurent Gaudé revisite en quelque sorte le mythe du Golem, né, je pense, en Mitteleuropa.Gaston Brache,soldat,comprend que la terre de France,meurtrie et mutilée,a créé un sur-être de glaise et de feuilles, destiné à punir les hommes,ces matricides.
J'ai écrit ici-même à propos de la Mafia qu'aucun roman ne lui rendait,si j'ose dire,justice.Car le sujet est fort.C'est fait. Vingt-quatre pages de Tombeau pour Palerme,et c'est le plus beau texte que j'aie lu sur l'hydre assassine.Nous accompagnons pendant quelque temps un juge anti-mafia qui tient en personne le sinistre compte à rebours le séparant de sa propre exécution.On comprend que c'est Paolo Borselino qui narre la chronique de sa mort annoncée.Carlo Alberto Dalla Chiesa,Giovanni Falcone y sont nommément cités.D'autres aussi...Dédié par l'auteur "Aux seuls véritables hommes et femmes d'honneur de Sicile", ce récit est splendide de retenue et d'une ampleur inouie.
La perplexité de Trinacria
Parfois une force nous pousse à aller au bout.J'ai ressenti ceci à la lecture de ce livre de Vincenzo Consolo.Cet auteur né en 33 vient de mourir. J'ignorais sa mort mais de toute façon j'avais toujours ignoré son existence. Renseignements pris il s'agirait d'un très grand auteur réputé difficile, un intellectuel engagé (entendez par là plutôt du côté où il est bien vu de s'engager). Je n'ai pas vraiment aimé ce livre,à propos duquel on peut parler d'un certain hermétisme.D'une pagination agréable et d'une longueur réduite à 150 pages Le palmier de Palerme m'avait attiré car les lettres italiennes attisent toujours ma curiosité. Mais j'eusse déclaré forfait s'il y avait eu 400 pages.Le récit se veut douleur,dans ce regard d'un père écrivain sicilien ont le fils a cotoyé le terrorisme. Mais j'ai eu beau m'appliquer,il m'est souvent arrivé d'être largué,de ne plus savoir ni où ni quand...De plus la ponctuation est comme dans nombre d'ouvrages "modernes" bien peu précise.Les rares moments qui m'ont touché faisaientt référence à Moravia,à Sciascia,à Vittorini, écrivains que j'ai un peu lus. Pourtant j'ai eu à coeur de terminer Le palmier de Palerme,me refusant à quitter cette ambiance complexe où les références sont ardues et la culture immense et parfois pesante.
Alors interrogeons-nous ,cela vous est arrivé,qu'est-ce qui nous pousse à heurter de la sorte nos vieux conforts et à "ne pas lâcher prise"? Mais malgré tout la musicalité des phrases de Consolo est réelle,par son accumulation de vocables,tant pour décrire l'évolution d'une église au fil du temps que les arbres et les fleurs dont beaucoup m'étaient inconnus.Et puis Cervantes,des poètes arabo-espagnols s'invitent à ce bal sicilien d'où la Pieuvre n'est certes pas absente.C'est probablement un livre important mais là je me trouve un peu victime du syndrome Ruy Blas,le ver de terre amoureux d'une étoile.Difficile d'adhérer complètement.Et curieusement cela m'a fait penser pour les portes fermées au Léo Ferré de la fin,quand ses albums qu'on aimait malgré tout tournaient aux incantations sacrées et ésotériques (ça n'engage que moi).Ce qui ne m'a jamais empêché d'adorer le vieux lion y compris dans ses "égarements".Le rapport avec Le palmier de Palerme est douteux mais je m'y retrouve,enfin un peu.Cette chronique souffre sûrement d'une in-clarté notoire.Ce fut la mienne à la lecture de Vincenzo Consolo.
Brasse coulée
Andrea Camilleri est assez populaire en France,avec son commissaire sicilien au langage fleuri d'Agrigente,fort joliment traduit de façon chatoyante par Serge Quadruppani.Liberté grammaticale sympa donc avec Montalbano,flic humaniste,mais vous avez remarqué qu'ils le sont presque tous dans les polars de maintenant,qu'ils viennent de Suède, de Venise, d'Islande, d'Afrique du Sud,du bush australien,etc...C'est même un peu le problème,une certaine banalisation de ces braves mecs un peu fatigués,un peu divorcés,un peu enrobés,un peu imbibés,un peu bien-pensants.Au fait Montalbano,comme Winter ou Wallander veut démissionner. Comme tout le monde.D'ailleurs moi aussi j'ai un peu lâché là-dessus.
En fait je ne conserverai pas un grand souvenir de ce Tour de la bouée où le commissaire se trouve à nager en tandem avec un cadavre.Très au sud de notre Europe on trouve bien sûr des salauds qui exploitent les clandestins,ceux du moins qui ne sont pas passés par dessus bord avant Lampedusa ou les côtes siciliennes ou Bari (spécialité albanaise).Heureusement Salvio Montalbano et ses auxiliaires veillent au grain et c'est sans véritable suspense ni interrogation qu'on se dirige "pépèrement" vers un épilogue presque bâclé que Maurice Leblanc et Arsène Lupin imaginèrent en d'autres mers.Voila donc une lecture,empruntée,ce qui est d'ailleurs sa principale qualité pour moi,qui n'aura guère stimulé mes neurones ni mes indignations.
Ne tirez pas sur le pianiste
Embarquez si vous le voulez pour une énième histoire d'immigration et de mafia.Mais le voyage est longuet et Le parrain il y a 40 ans fera tout aussi bien l'affaire et coûtera moins cher.Enfin j'ai emprunté Willy Melodia à la Bibliothèque et ne regrette pas,enfin ne regrette pas de l'avoir emprunté plutôt qu'acheté.J'ai certes un peu la dent dure mais c'est vrai qu'il y a une bonne idée de départ,à peu près la seule.C'est que le héros narrateur maintenant très âgé n'a vécu tout ça que comme spectateur,privilégié,proche certes,mais jamais tout à fait partie prenante.Willy,né Guglielmo Melodia,n'a qu'un talent,très utile.Il est pianiste né,excellent,et c'est souvent au son de ses accords qu'ont lieu les réunions,querelles,voire massacres inhérents à cette littérature.
Soyons juste,ce livre se lit assez bien,de bouge minable en hôtel de luxe,de corruption en soutiens électoraux douteux,de bellicisme très intéressé en trafics de toutes sortes.Comme dans ce genre d'ouvrages ce personnage de fiction est amené à rencontrer les grands de ce monde,bien réels eux.On y croise même Elliot Ness,Duke Ellington,Frank Sinatra.D'où l'envie de réécouter Satin doll ou Sweet Lorraine.C'est une idée,ca.Peut-être même qu'on n'est pas obligé de lire Alfio Caruso,pas vraiment un ténor.Sur les rapports de la mafia et du pouvoir,ou par exemple sur l'étonnant moment où la Sicile faillit devenir américaine,ou indépendante,le même Alfio Caruso a écrit une Histoire de Cosa Nostra.