Des années difficiles,toute une vie difficile
Ce mois-ci l'Italie m'a fait défaut sur le plan littéraire.Ni le laborieux polar Renaissance de Giulio Leoni La conjuration du troisème ciel où Dante mène l'enquête,ni les écrits d'Anna Maria Ortese datant de 1953,La mer ne baigne pas Naples,ensemble de deux nouvelles et trois reportages sur le quart monde napolitain après guerre,ne m'ont convaincu. Fort heureusement le cinéma veillait, avec deux films méconnus.
L'histoire du cinéma d'Italie passe par Luigi Zampa.Or, aucun livre et très peu d'articles, très peu de DVD à se mettre sous la dent.En fait je découvre mon premier film de lui, datant de 1947. Le film s'appelle Les années difficiles et revient sur le parcours d'Aldo Piscitello,un fonctionnaire municipal moyen qui sera plus ou moins forcé d'adhérer aux Faisceaux à seule fin de garder son modeste emploi. Adapté d'un roman du Sicilien Vitaliano Brancati (auteur du Bel Antonio) nommé Le vieux avec ses bottes, le film s'inscrit dans le registre, malgré tout pas trop alourdi par le thème,d'une certaine comédie discrète qui n'en fait pas des tonnes,avec des dignitaires fascistes que les auteurs semblent avoir voulu relativement point trop méchants.Point trop méchants mais certes opportunistes car Les années difficiles s'avère un chef d'oeuvre dans la description du fréquent syndrome de fin de guerre,syndrome dit du "retournage de veste". L'écrivain Brancati avait, lui aussi, en ses jeunes années, frémi pour le Duce au point d'écrire une pièce à sa gloire.Faut bien que jeunesse se passe. Ce film,une rareté, prouve si besoin était que le cinéma italien ne se limitait pas aux géniaux,c'est pas moi qui dirai le contraire,Ross., Fell., De Sic., Visc. ou Anton.Géniaux mais parfois encombrants. Le cinéma italien a souvent dans son histoire eu la faculté rare d'être vraiment en phase avec un peuple, une époque, un pays. Croyez-moi ce ne fut pas le cas en France à quelques exceptions près. Mais ceux qui me lisent savent qu'au moins sur le plan Septième Art mon coeur bat la romaine. Ne me demandez pas l'objectivité.
Pour Dino Risi (Le fanfaron, Les monstres, Parfum de femme), en 1961, Alberto Sordi est absolument génial et incarne à lui seul toute une Italie post-fasciste avec ses contradictions. Pourtant Une vie difficile ne sortit en France que dans les années 70, mais là je fais peut-être erreur. C'est un des meilleurs films de Risi, analyste plus fin qu'il ne l'a été écrit souvent de cette société italienne de l'après guerre.Sordi est l'interprète le plus italianissime parmi les cinq colonels (Gassman,Tognazzi, Manfredi, Mastroianni), somptueux dans la petite bourgeoisie,souvent pleutre et fayot, parfois grandiose d'humanité, tellement vrai ici dans le rôle d'un journaliste fauché,résistant puis courageux pourfendeur des trop nombreux "aménagements". Mais voilà, la vita c'é la vita et on est amené à changer parfois. Comme dans le film de Zampa on peut retourner un peu sa veste et ses idées.Quoi de plus humain. Quinze années de la vie de l'Italie sous l'oeil taquin et finaud de Dino Risi,à la fin d'un film comme ça on en sait un peu plus sur ce pays dont j'attends au moins une statue équestre à mon effigie sur la Piazza della Signoria de Florence depuis que je l'encense.
Travaillant actuellement sur Cinécitta j'ai apprécié aussi dans Una vita difficile l'incursion dans les studios quand Sordi tente de vendre les droits de son roman. On y croise dans leur propre rôle Gassman, Silviana Mangano et Alessandro Blasetti, encore un cinéaste sur lequel j'ai envie de me pencher.Ciao amici miei é supratutto Nathalie da Chez Mark et Marcel per l'ultima volta.
Le pognon de la vioque
Le prolétariat vu par Comencini dans L'argent de la vieille n'est pas tout à fait affreux,sale et méchant.Le personnage joué par le génial Alberto Sordi conserve une lueur d'humanité qu'a perdue depuis longtemps Bette Davis,la richissime américaine en villégiature en Italie.Prodigieux cinéma de là-bas qui nous amène à nous pencher sur le scopone,jeu de carte à l'italienne qui oppose la vieille,son chauffeur chien battu,Joseph Cotten, et le couple Sordi le ferrailleur et Silvana Mangano.La tradition annuelle met en scène ces quatre roublards qui s'aiment bien malgré tout:il faut voir le couple italien s'habiller pour ces parties de bluff,dérisoires et grandioses dans leur lutte pour survivre,fauchés qu'ils sont en permanence.D'ailleurs ils jouent avec l'argent de la vieille,n'ayant pas le premier dollar,à peine la première lire.Pourtant la douairière est susceptible et ne s'en laisse pas compter et n'a de cesse que de plumer les modestes qui repartent raides comme avant.
L'immense tendresse de Luigi Comencini pour ces quatre fantoches nourrit un film cruel mais délicieux ,délibérément et terriblement humain.Silvana Mangano,peut-être la seule "raisonnable" du lot,affublée du "tocardisssime" histrion,l'immortel Sordi,pare même cette fable tardive de la comédie italienne(1973) d'un joli épilogue amoureux.Enfin on se doute que Comencini immense peintre de l'enfance(Cuore,L'incompris,Un enfant de Calabre) n'oubliera pas d'enrichir le tableau de famille d'un joli rôle d'adolescente fragile mais décidée.
Veuf et pigeon
De l'âge d'or de la Comédie italienne j'ai extrait aujourd'hui le célèbre Pigeon de Monicelli et le moins célèbre mais cocasse Veuf de Risi.Même millésime à peu près,1959.Le pigeon n'a rien perdu de ses ailes qui paillonnent toujours au firmamentdes comédies drôles (pas si fréquent),défintivement drôles.On connaît l'argument que l'on doit un peu à Jules Dassin et à son Rififi chez les hommes,célèbre récit d'un hold up que Monicelli souhaitait parodier.On parle aussi d'une vague nouvelle d'Italo Calvino mais je n'en ai guère trouvé trace.De toute façon Le pigeon devait très vite creuser son propre sillon er devenir lui-même film référence du casse manqué (à ce niveau de ratage c'est du grand art) et surtout du renouveau de la Comédie italienne qui,si elle existait avant Le pigeon,n'avait pas cette fougue ni cette ironie.Le film de Monicelli,au titre italien I soliti ignoti,Les inconnus habituels,autrement plus fort et dérisoire,marche en fait sur les brisées du Néoréalisme maintenant défunt puisque ses cinq maîtres ont tous suivi d'autres voies.Mais un néoréalisme version optimiste,ce qui n'est guère le cas du Voleur de bicyclette ou de Sciuscia.
Sans refaire l'histoire du cinéma italien rappelons vite fait les origines multiples de la comédie italienne,le théâtre antique de Plaute,Goldoni,la farce napolitaine,les intermèdes comiques du cinéma muet,et une certaine littérature,par exemple Nouvelles romaines de Moravia .Beaucoup de choses passionnantes dans Le pigeon.Le parrainage du grand Toto qui en prof de casse joue presque son propre rôle de passeur de relais de la comédie à ces jeunes loups que sont Gassman et Mastroianni.Le melting pot à l'italienne qui inclut un Sicilien plus qu'ombrageux,un Nordiste(Gassman) hâbleur et un peu méprisant pour ceux du Sud,un orphelin romain qui cache pudiquement sa condition et ses trois "mamans" de l'institution.Le ratage permanent qui inonde le film dès les premières images de vol de voiture,l'humour désespéré,typiquement italien,italianissime dirai-je,de ces branquignols qui croient peut-être aux lendemains qui chantent(pas sûr).Toutes ces scènes pour moi inoubliables,l'enterrementde Cosimo où ce grand flandrin de Gassman n'ose pas lui-même porter son bouquet,la visite de Mastroianni à sa femme en prison,scène ou Monicelli renverse habilement le cliché du mari incarcéré avec ce personnage féminin fort qui a fait bouillir la marmite devant l'infantilisme de son époux;ceci en trafiquant les cigarettes,l'ahurissant hold up,pas loin de vingt minutes avec le butin que l'on sait.
Mais pour moi le plus beau du Pigeon c'est ce petit matin,nos héros attendant leur bus,pour une nouvelle journée qui,qui sait,sera peut-être moins galère.Je ne serai pas aussi affirmatif.Je le serai par contre sur la prodigieuse réussite de ce film et de son équipe car les scénaristes ont fait là un bien beau travail.Allez vous en étonner sachant qu'il s'agit d'Age-Scarpelli et de Suso Cecchi d'Amico.I soliti ignoti est aujourd'hui aussi drôle qu'à sa sortie.Comme Chaplin et comme,comme qui au fait?
Avec Le veuf de Dino Risi c'est toute la veulerie d'Alberto Sordi,prodigieux pleurnichard hypocrite de tant de comédies plutôt acerbes.Contrairement aux héros du Pigeon le personnage de Sordi,homme d'affaires milanais,mais surtout époux d'une dame fortunée,n'attire pas immédiatement notre sympathie.Mais comme souvent chez les "monstres" de Risi toute leur mauvaise foi,leur vénalité,leur misogynie,leur comédie face à la vie finissent par nous convaincre qu'avec tant de défauts un homme ne peut être complètement mauvais.Füt-il un Sordi assassin de sa femme ou qui tente de l'être.Pleutre et génial Sordi,moins exportable que Gassman ou Mastroianni,plus romain courtelino-combinard que vrai Matamore,apporte à la plupart de ses films ce délire à l'italienne,troppo troppo.
Un cheik en blanc
Et vogue le navire (hommage au maestro)
En 1952 Fellini signe son premier film seul après Les feux du music-hall,coréalisé avec Alberto Lattuada.Le cheik blanc est une sympathique initiation à l'oeuvre totale.En effet on trouve déjà dans Le cheik blanc l'univers du grand montreur d'images.On sait que Fellini s'est vite affranchi du Néoréalisme,lui dont l'imagination se serait très tôt sentie bridée au côté de Rossellini.Fellini pose ici son regard un peu gouailleur,d'une gouaille romaine,mais surtout plein de tendresse sur les petits.En l'occurence son héroïne, Wanda, aimée d'Ivan sans fantaisie,se réfugie dans le monde bien oublié aujourd'hui du roman-photo.Je crois que l'on ne mesure plus très bien l'importance du courrier du coeur et du roman-photo qui ont eu plus que leur heure de gloire dans les années cinquante et particulièrement en Italie.Le cheik blanc est le personnage flamboyant aux yeux de Wanda qui séduit les midinettes de façon hebdomadaire. Wanda va réaliser son rêve et découvrir le vrai Fernando(le pathétique et génial,bellâtre et couard Alberto Sordi).Le rêve tourne alors au cauchemar et l'affaire se conclut très dignement sur la Place Saint-Pierre.N'oublions pas que nous sommes à Rome en 52 et que La dolce vita n'a pas encore immortalisé la Fontaine de Trevi.
Si personnellement j'ai un faible pour Les Vitelloni en ce qui concerne le premiers tiers de la carrière de Fellini j'ai apprécié de voir pour la première fois Lo sceicco bianco d'autant plus que le maestro,encore tout jeune,y est déjà accompagné de Giulietta Masina qui joue une prostituée nommée Cabiria,cela doit vous dire quelque chose et de la musique d'un certain Nino Rota,débutant plutôt doué lui aussi.