Cinéphilie m'était contée en quatre mouvements
...Ou quelques ressentis sur ce qui me semble le crépuscule de la cinéphilie à moins que ce ne soit le mien.
Le cinéphile est un roman de de l'auteur américain Walker Percy, National Book Award en 1962. Ca passe pour une oeuvre maîtresse. J'ai enfin décidé de le lire, espérant m'y retrouver au moins un peu. Foin de tout ça, Le cinéphile est plutôt perçu comme un parent du Sud américain, la Louisiane en l'occurrence, vaguement proche selon certains du Roquentin de La nausée, voire de Meursaut L'étranger. Comme d'habitude on ajoute Faulkner qui plane toujours sur toute littérature sudiste, bien que relativement peu lu en France.
Ceci dit j'ai moi-même découvert Le cinéphile bien tard. En toute logique, et sans aller jusqu'à en être nauséeux, je suis resté totalement hermétique, comme étranger à l'histoire de Binx. Binx habite la Nouvelle Orléans, Binx a un emploi stable, Binx est un distant, tellement distant que je l'ai très vite perdu de vue. Binx s'ennuie, et m'a bien ennuyé. Binx est ou serait cinéphile mais bien peu de références véritables qui m'auraient réjoui. Bref c'est une chronique très court métrage que je vous délivre à propos de ce Cinéphile dont l'ironie m'a conduit à l'ire ennui très rapidement. Et apparemment à ma connaissance aucune adaptation du Cinéphile au cinéma. Restons-en là.
Le multiplexe de ma ville propose depuis peu une programmation patrimoine. C'est louable et ce n'est pas moi qui trouverai à y redire. Pour cela il faut être deux, un écran et un spectateur. Ce fut le cas. Bergman et moi en tête à tête en copie restaurée. L'insulaire de Faro n'a certes jamais été un roi du box office. A travers le miroir n'a rien de la gaudriole ni du blockbuster. Mais tout de même l'effort eût mérité un peu mieux. Nostal je suis, voire passéiste, m'accusera-t-on. La semaine prochaine Accattone. Qui pour voir le premier film de Pasolini? Baroud d'honneur avant liquidation?
Versant un peu plus rose de la cinéphilie, cette maladie en voie d'extinction (pas comme certaines), je présentais il y a deux semaines Azor, film helvético-argentin d'Andreas Fontana. Et...des spectateurs relativement nombreux pour un film totalement inconnu, y compris ou presque, de moi-même. Azor, c'est la quête d'un banquier suisse dans l'Argentine des colonels, suite à la disparition de son associé. Le film est glacé, très peu explicite, secret comme Fort Knox, feutré comme une ambassade, voire labyrinthique. Rien de tape à l'oeil, ni simpliste ni angélique. J'aime bien les films qui laissent le spectateur à sa réflexion, à ses interprétations, parfois à sa sieste car Azor emprunte un chemin discret.
Les gens ne parlent guère à la suite d'un film. Mais j'aime à croire que quelques pépites dignes d'intérêt peuvent encore de ci de là intéresser, émouvoir ou amuser. Fabrizio Rongione, l'un des acteurs fétiches des Dardenne, trouve là un rôle très éloigné, aux antipodes de leur univers.
Et pour finir molto allegroso, se réfugier sur ARTE replay, certes parfois un peu hautaine et condescendante, mais qui nous emmène quelquefois loin des sentiers battus. Sentiers parfois très enneigés, empruntés presque par hasard. Ce fut le cas, consultant les films proposés, quand j'ai découvert que le roman Pas facile de voler des chevaux, de Per Petterson, norvégien de son état, l'un de mes auteurs favoris, avait fait l'objet d'une adaptation au cinéma. Ca s'appelle L'été où mon père disparut. Je ne vous en dis pas plus. De grace, regardez-le. Je crois qu'il n'est jamais sorti en France.
Faux et usage de faux
Val (La jument verte de Val) et moi c'est une vieille histoire, une collaboration trimestrielle qui cette fois nous a conduit en Suisse, la Suisse plutôt privilégiée de Zurich. Adrian Weynfeldt est un expert en peinture, le dernier d'une vieille famille helvétique, célibataire et plutôt casanier, qu'une jolie aventurière, Lorena, va entraîner dans une malhonnêteté avec la complicité d'un vieil ami, tout cela à propos d'un tableau de Félix Valloton. Cette variation sur le domaine faussaire, dans le calme et l'opulence des rives du lac, sur fond de boutiques de luxe et de restaurants gastronomiques, distille un charme désuet, feutré, cossu, qui m'a beaucoups séduit. un monde dont j'ignore tout.
Sorte de polar sans cadavre, de thriller trois étoiles, sans violence et (presque) sans arme, Le dernier des Weynfeldt a le parfum de ces romans d'entre deux guerres, avec femme fatale et robes prestigieuses, artistes fauchés pique-assiette et bienséance à tous les étages. Juste un peu de technologie, la vente aux enchères de l'exemplaire (le vrai, le faux, l'original, la copie, le pareil, le même, je ne sais plus) bénéficiant des progrès de l'hyperconnection. Une once de chantage devant un distributeur d'espèces, généreux, mais bien élevé.
Le dernier des Weynfeldt n'est pas un suspense haletant ni une plongée à l'hémoglobine dans les bas-fonds helvétiques. Ni James Ellroy ni les enquêteurs scandinaves alcoolo-dépressifs. A peine une enquête mais un monde soi-disant policé où les coups tordus se parent de l'habit d'or des amateurs d'art éclairés. Adrian, à l'orée de la retraite, se laissera-t-il ainsi corrompre, qui se targuait d'être exemplaire ès galeries et vernissages? Martin Suter (Le diable de Milan, Eléphant) est un auteur hautement recommandable. Un vrai bon livre. A savoir, un téléfilm germano-suisse a été réalisé mais je ne sais s'il a été diffusé en France.
Vanité, été, indianité
Les gens de Ciné-philo nous proposaient ce mois-ci un film suisse, La vanité. Ce film, assez court, est une fable sur la fin de vie et évoque l'assistance au suicide, où la Suisse fait figure de pionnier. Nullement mélodramatique, jouant un petit air absurde limite burlesque, La vanité estainsi nommé à cause du tableau dans la chambre du motel où David Miller, en phase terminale, vient en finir avec la vie. Mais ça ne se passera pas comme ça. Espe, une Espagnole de son âge, censée être son aide, et le jeune prostitué slave de la chambre d'à côté, vont peut-être donner à sa vie, ou à ce qui lui en demeure, une autre direction.
C'est un joli film dont je n'irai pas jusqu'à dire qu'il nous fait voir la vie en rose. Dont je ne dirai pas non plus qu'il traite vraiment d'une forme d'euthanasie, ce que certains participants ont cru déceler. Mais c'est le propre des débats de... débattre. J'y ai vu une sorte de fantaisie, permettant de faire de ce David Miller, architecte vieillissant arrogant et acariâtre, quelqu'un de... disons quelqu'un de mieux.
Le film de la Lituanienne Alanté Kavaïté est une histoire jouant à plein de la sensorialité, de la sensualité, du mouvement à l'occasion d'un été balte (Summer, titre choisi pour l'exploitation en France). A tort perçu parfois comme une Vie d'Adèle nordique, Summer est essentiellement un joli frémissement sylvo-aquatique tant les arbres et l'eau y sont symboliques d'une liberté, notamment sexuelle, qu'on a parfaitement le droit de trouver appliqué et ennuyeux. Souvent plus intéressante est la proximité d'un passé soviétique pour ces lacs septentrionaux, avec le côté métallique des passerelles et des usines, ainsi qu'avec l'architecture si souriante (?) des immeubles staliniens. Reste de ce Summer un bon bol d'air et de jeunesse, un espoir un peu vain parfois, surtout à travers ce que j'ai ressenti comme un isolement de Sangaïlé, une héroïne de 18 ans, vis à vis de parents forcément peu compréhensifs. Tout cela m'a paru un peu trop attendu. Le public a semblé curieux de ce film exotique en quelque sorte. L'exotisme n'est pas fait que de ti punch sous les cocotiers. Pas besoin d'en nordire davantage.
Une réserve indienne aux Etas-Unis ne passe pas pour l'endroit le plus jovial qui soit et l'espoir n'y coule pas tant que l'alcool. Les chansons que mes frères m'ont apprises est un film d'une jeune sino-américaine, Chloe Zhao. Estampillé Sundance, c'est un film sensible et assez authentique, tourné avec les les Oglalas de Pine Ridge, Dakota Sud. Cette réserve, d'après quelques recherches, est l'une des plus miséreuses et déprimées de tout le pays. Johnny vient de terminer sa High School et souhaite quitter Pine Ridge et son cortège chômage alcool trafic violence prison pour L.A. avec sa petite amie. Son père (père aussi de 24 autres enfants avec neuf femmes, pour un peuple qui vénère ses ancêtres c'est fou le nombre d'enfants qui ne connaissent pratiquement pas leur père) vient de mourir. Johnny aime beaucoup sa petite soeur Jashaun, douze ans. Difficile de partir. Difficile de rester.
C'est là toute la trame de ce film modeste et un peu déprimant dans sa réalité. La plupart des protagonistes y jouent sous leur propre nom, et quasiment leur propre rôle. L'espace traditionnel du western a fait place à une résignation cafardeuse malgré les pow-wow frisant le pathétique et les belles phrases légendaires, loyal comme le cheval du brave, libre comme le vent, résonnent maintenant à vide en cette contrée aride, ces badlands prison à ciel ouvert. Johnny a en mains son avenir (pas sûr). Et quel sera celui de Jashaun? Vieil adage que j'aime bien: un peuple qui s'adapte est fichu, un peuple qui ne s'adapte pas est fichu.
La poésie du jeudi, Robert Walser
C'est avec un immense plaisir que je fouine chaque quinzaine pour cette superbe idée d'Asphodèle. Cette fois c'est outre Rhin que j'ai voyagé. Je me suis souvenu de Robert Walser, que j'ai peu lu mais dont Vie de poète m'avait enthousiasmé Couleurs en marche.
Temps
Je suis couché, j’ai bien le temps,
je réfléchis, j’ai bien le temps.
Le jour est sombre, il a le temps,
plus de temps que voulu, du temps,
j’en ai à mesurer, du temps, du long temps.
La mesure croît avec temps.
Une seule chose dépasse le temps,
c’est le désir, car aucun temps
n’égale du désir le temps.
Robert Walser (1878-1956)
Robert Walser, Suisse de langue allemande (1878-1956) fut un promeneur fragile. Après quelques années de bohème à Berlin il mena en Suisse une vie d'errance et de solitude. Sa faiblesse mentale le conduira à un internement psychiatrique dès 1929. Il n'écrira plus. Admiré par les grands Germains, Hesse, Hoffmanstahl, Musil, il est considéré comme un maître du minimalisme. Cela apparaît bien dans ce court texte sur le temps. Pour Stefan Zweig Walser était "le miniaturiste par excellence". Grand marcheur, il mourut le jour de Noël 1956, tombé dans la neige de son pays qu'il avait tant arpenté.
Une consoeur sur la montagne
C'est la première fois que je lis le Suisse alémanique Martin Suter.Cet auteur a souvent bonne presse et j'ai pris un titre à la B.M.,un peu au hasard. Hasard marrant car c'est la première fois que le héros d'un roman,en l'occurrence une héroïne,est une collègue.J'ai donc suivi avec intérêt la saison de Sonia, kinésithérapeute,dans un hôtel alpin de remise en forme,en Engadine, Suisse, l'Hôtel Ganander.Ma jolie consoeur,en pleine dépression suite aux violences de son mari maintenant en taule,va vite prendre conscience qu'un village de cure helvétique peut receler bien des surprises.Les curistes sont assez rares en ce début de saison et l'accueil du personnel pas plus que celui des villageois ne sont des plus chaleureux.
Peut-être hypersensibilisée par ses récents traumatismes moraux,Sonia se découvre de drôle de sensations.On dirait qu'elle sent les couleurs,qu'elle voit les sons.Un peu tourneboulée aussi par cette inscription sur une voiture "Le diable de Milan", elle apprend que ce n'est qu'une comptine,un peu étrange et qui semble avoir des échos sur les jours plutôt mornes de la station thermale.Une horloge qui sonne douze coups à cinq heures du matin,une fleur dans le hall qui se dessèche en quelques heures,des bizarreries dans l'univers ouaté et high-tech de l'espace-forme de l'Hôtel Ganander.
Martin Suter s'y entend pour installer son climat d'inquiétude et de mystère. De plus aucune surenchère d'hémoglobine,ce qui est devenu assez rare.Mais là où l'écrivain suisse le plus vendu actuellement excelle,c'est dans la peinture de la vallée,et dans l'observation de la nature et du climat,parfois idylliques mais qui s'encolèrent très vite,comme si sous l'apparente nonchalance helvétique il n'y avait pas que les coffres des banques à contenir de l'explosif.
Un Suisse qui compte
Claudialucia eu la bonne idée de me faire parvenir le très original roman de Patrick Deville.Je connaissais Alexandre Yersin comme découvreur du bacille de la peste et je l'imaginais rivé à sa paillasse dans un institut,fut-il l'Institut Pasteur. Mais Deville est un voyageur de l'écrit qui comme Yersin pense que ce n'est pas vivre que ne pas bouger. Rimbaud est cité presque plus que Pasteur dans ce roman que l'auteur du très bon Equatoria a mis en scène afin de nous faire vivre l'aventure Yersin, du canton de Vaud à son installation en Asie du Sud-Est. Cet homme là tenait d'Arthur l'Ardennais pour ses chaussures aériennes,mais aussi de Livingstone pour la ténacité. Et le jury Femina,lui,a été très clairvoyant car ce livre est formidable et terriblement stimulant.Saluons Laure à l'occasion avec son joli challenge.
C'est que ça le démange,Yersin,peu de choses de l'activité humaine lui sont indifférentes.Après le bacille de la peste en 1894,qu'il identifia déjà à Hong-Kong,le savant ne revint en France qu'avec parcimonie.Nha Trang au Vietnam actuel fut le havre de ce travailleur acharné que passionnaient aussi bien le vélo que l'automobile ou l'aviation.Souvent le premier à expérimenter tel ou tel objet,ce pasteurien convaincu fut entrepreneur,multipliant les observations scientifiques tant sur la botanique que sur les marées ou sur l'élevage.Il fut aussi l'un des maîtres du caoutchouc,développant la culture de l'hévéa.Et s'intéressa à l'arbre à quinquina, source de médication par la quinine.
On oublie souvent que la recherche de cette époque était fréquemment mortelle pour les hommes,avant que de l'être pour les bacilles.Plusieurs collaborateurs de Yersin payèrent de leur vie les asepsies approximatives.On croise des politiques comme Paul Doumer,des collègues dans le sillage de l'immense Pasteur,Calmette,Roux,un certain Dr.Destouches aussi,auteur d'une thèse célèbre sur Semmelweiss.Peu de femmes dans la vie d'Alexandre,peu de place pour l'art et la littérature.Mais Patrick Deville signe un livre très novateur,efficace,sur un personnage somme toute secret,le contraire de ce que l'on appelle aujourd'hui people,dans toute sa richesse d'homme de science et de volonté,inébranlable.
Grâce à Claudia,et tout comme Deville ou Yersin,Peste et choléra voyage lui aussi.Le voilà en partance pour la Bretagne où l'attend Gwen,en attendant d'autres destinations.
Helvète underground
Bon,maintenant soyons sérieux... Le livre de mon père est l'histoire d'un alpiniste myope amoureux d'une sirène sur les rives d'un lac suisse.Ah mais non vous m'induisez en erreur.J'admets qu'avec un titre pareil mon article méritait ces plaisanteries de garçon de bain.Il y a bien un lac suisse malgré tout....
Dans ce canton rural de la Suisse de l'immédiate avant-guerre la tradition veut que les cercueils soient fabriqués dès la naissance.Urs Widmer conte ainsi la vie de son père,né d'une famille paysanne des hauteurs alémaniques en remplissant à sa manière le livre blanc que chaque enfant reçoit à douze ans.Son père, omniprésent tout au long du récit,professeur passionné de littérature française et proche des milieux bohêmes et artistes,apparaît comme protéiforme,intellectuel et charnel,travailleur forcené qui n'a de cesse de faire connaître les auteurs.Un bref passage en politique du côté du parti communiste suisse ne le convaincra pas.Prodigue de ses forces comme de ses maigres gains le père du narrateur nous plonge dans l'histoire de ce pays si mal connu,la Suisse,qu'il est de bon ton de brocarder mais dont on sait depuis Mars de Fritz Zorn que la douleur de l'homme y est tout aussi âpre qu'ailleurs.Il doit être plus intéressant de lire ce livre avec son pendant maternel qu'Urs Widmer a publié peu avant,L'homme que ma mère a aimé.
Sur ce livre l'avis de Camille Urs Widmer - Le livre de mon père