24 juillet 2022

A l'est d'Aden

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                 Pierre Assouline est un excellent raconteur qui revisite l'histoire d'une façon très précise et vivante. Il est aussi grand biographe (Simenon, Hergé, Dassault, Gallimard). Parfois le personnage principal est un lieu, l'hôtel Lutetia au retour des camps de la mort, Sigmaringen ultime refuge de ceux qui avaient fait le mauvais choix. Ici nous embarquons sur le Georges Philippar, flambant neuf (expression tristement prémonitoire) et quittant Marseille pour le Japon. Il porte en toute modestie le nom du patron, bien vivant, des Messageries Maritimes.

                Février 1932, direction Yokohama pour ce luxueux ocean liner. Nous allons faire connaissance avec le beau monde, ce qu'on appellerait maintenant la business class. Des ponts inférieurs on ne saura pas grand-chose.Jacques-Marie Brauer, libraire spécialisé en bibliophilie sera notre conteur. On ne peut s'intéresser à tous, nous resterons donc plutôt au gotha. Cette période dite maintenant de la montée des périls a si souvent été le cadre de bien des romans. Dans le huis clos plutôt élégant du Georges Philippar toutes les sensibilités s'affrontent à fleurets mouchetés. Les sujets délicats en manquent pas, le Duce par exemple, ou cet agitateur autrichien devenu patron d'un nouveau parti en Allemagne. 

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               On s'occupe. Jeux de cartes et d'échecs. Piano, piscine, essais de théâtre. On parle de Claudel, de Flaubert, de Proust. De Freud, de Thomas Mann. Des Juifs. De grands boxeurs et de courses automobiles.Plusieurs générations, le commandant Pressagny, ancien pacha et sa petite-fille Salomé, Sokolowski musicien russe, le jeune Philippe, gamin astucieux, la belle mystérieuse Anaïs,  des diplomates, hommes d'affaires, militaires, fonctionnaires coloniaux. Et le jeune aveugle Numa, surdoué des 64 cases noir et blanc, l'un des rares qui monte de la plèbe d'en bas. Et puis un personnage réel, qui n'apparait que très peu et seulement au retour car il y aura un voyage retour, enfin à moitié. Albert Londres le célèbre reporter auquel Pierre Assouline a consacré une bio il y a des années (Albert Londres. Vie et mort d'un grand reporter).

                Le Georges Philippar, bien sûr, c'est notre monde en ces années trente. Plus tard ça s'appellera l'Entre Deux Guerres mais on ne le sait pas encore. Quoique...Aux sombres rumeurs sur les fragilités du navire, bien curieuses pour un vaisseau de prestige et qui sort des chantiers, technologies dernier cri, luxe, calme et volupté au programme, font écho d'autres bruits quant à l'Europe. Le monde d'hier s'apprête à devenir le monde d'avant-hier. Le destin foudroyé du paquebot, flammes sur le golfe, n'anticipe-t-il pas sur le sort du monde?

 

            

 

 

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11 août 2021

Au mitan du dernier millénaire

Masse

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                                      Timide retour sur la planète blog. Babelio et Gallimard ne m'oublient jamais. Je les en remercie. Dernière livraison, le pavé historique de Nadeije Laneyrie-Dagen. Histoire intéressante mais long, très long bouquin, que L'étoile brisée, entre Christophe Colomb et Léonard de Vinci, entre fin du Moyen Age et Renaissance. C'est cette période en effet qui constitue la toile de fond de l'histoire de deux frères juifs dans l'Espagne de la fin du XVe siècle. Encore enfants ils échappent aux massacres et vont connaître un destin très différent. L'un marin cartographe proche d'Amerigo Vespucci, l'autre médecin ami de Martin Luther. Mais ce ne sont que les deux protagonistes initiaux de cette saga de cinquante ans où nous allons rencontrer une foule d'autres personnages, tous à la croisée des chemins, au noeud de l'Histoire qu'a constitué le début du Cinquecento.

            Ils sont très nombreux, et ont 742 pages à remplir. Il n'en reste pas moins que L'étoile brisée est un bon livre qui brasse large tant culturellement que géographiquement. Florence, Londres, Alger, Séville, l'Allemagne, le Nouveau Monde, et la Renaissance, l'intolérance, l'esclavage, rien ne manque.  Comme rien ne manque j'aurais aimé qu'un thème soit privilégié. Mais peu importe, on se laisse emporter, chapitres relativement brefs, personnages bien construits, intrigues dans les cours royales. On fait même un petit tour au Camp du Drap d'Or, un sujet en soi. 

           Madame Laneyrie-Dagen est professeure d'histoire de l'art, spécialiste de la Renaissance. Son ouvrage est parfaitement documenté, notamment sur l'essor du commerce maritime, les luttes d'influence, les monarchies s'adaptant aux récentes découvertes, la science encore incertaine de la cartographie (le plus passionnant à mon goût). Cette fresque historique est une lecture tout à fait recommandable. Le temps parfois nous est compté et d'autres livres méritent peut-être davantage notre urgence. J'en ai lu quelques-uns dernièrement. En ferai-je un billet? Peut-être. Mais on a tous quelque chose en nous de lacéré, il me semble. 

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14 avril 2021

Transat au XVIIème

Masse

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                       Babelio (merci encore) m'a cette fois proposé un roman d'aventures mâtiné de polar qui nous entraîne sur l'Atlantique en 1665. Les passagères du Paragon nous offre une enquête en huis clos où l'ancien juge Howard et le comédien Garin tentent de percer le mystère d'un marin vidé de son sang dans la cale du navire. Le Paragon est un trois-mâts qui effectue des voyages réguliers entre Plymouth, à l'ouest de l'Angleterre, et la Virginie. Embarqués officieusement les deux hommes vont connaître une traversée agitée. Les matelots du voilier n'ont rien d'angélique,  les passagers rien de loups de mer. Cependant Howard résout l'énigme un peu vite à mon gré. Peu importe, cela ne nous mène qu'à la moitié de cette histoire. Débarquant à Jamestown, Virginie, les deux hommes, étrange attelage entre le magistrat et le bateleur, vont s'apercevoir que le monde colonial qui s'éveille a tout de la piraterie, comme l'univers marin qu'ils viennent d'affronter.

                       Trafiquants d'armes, massacreurs d'indiens, esclavagistes, rien ne manque...sauf le suspense. Si le côté voyage fonctionne pas mal l'enquête n'est vraiment pas menée de main de maître. Je ne suis pas sûr qu'elle intéresse vraiment Guillaume Dalaudier, et du coup, on traverse la deuxième partie dans une propriété familiale dont le maître s'avère un tyran local acoquiné avec une brochettes de marins malhonnêtes et de négociants véreux, tout cela n'est pas vraiment passionnant. Sans être catastrophique l'histoire, cousue de fil blanc, est de celles qu'on oublie vite. 

                        Le plus réussi est peut-être le duo d'enquêteurs lui-même, improbable tandem de l'ex-juge et du baladin, tous deux seuls pour des raisons différentes. Howard, le magistrat, homme mûr à la recherche de son épouse, et Garin, comédien tinérant auquel la peste a ravi femme et enfant, s'ils ne sont pas du même monde, forment une bonne équipe, qui pourrait être récurrente en cas de succès de librairie. Pour l'enquête ce n'est pas Conan Doyle, pour l'aventure ce n'est pas Dumas. Mais pourquoi pas?

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11 mars 2021

Envoyé spécial au delà du Nil

Abys  C'est toujours un plaisir de voyager avec Jean-Christophe Rufin. Ca fait du bien de rouvrir un livre qu'on a laissé 20 minutes plus tôt et de se retrouver happé par le souffle de l'auteur. L'Abyssin est son premier roman. Elle est fort bien troussée, cette histoire de Jean-Baptiste Poncet, médecin, pas très officiel, au Caire, à la fin du règne de Louis XIV, période où le Roi-Soleil finissait sa vie confit en dévotions, et où les Jésuites exerçaient une grande influence. Il est amené à devenir ambassadeur auprès du Négus, souverain d'Ethiopie, alors Abyssinie.

                           Rufin a la plume aisée et nous entraîne dans cette aventure qui tient de Dumas pour la truculence et de Voltaire pour l'esprit frondeur. Bien que trop long à mon gré d'une centaine de pages, on se régale des héros et des fourbes. Les premiers, Poncet, son ami Juremi, maître d'escrime et protestant, la belle Alix, fille du consuL du royaume de France au Caire, sont dignes de toute notre estime. Les ennemis sont évidemment à chercher du côté des Jésuites et des Capucins, par ailleurs très querelleurs entre eux. On connait bien l'auteur, médecin, diplomate, académicien, marcheur, longtemps au coeur de plusieurs ONG. Il aime raconter, Rouge Brésil, Le grand Coeur, et virevolte joliment autour de la vérité historique.

                          Mais quelle joie de plonger et replonger dans ce roman, 700 pages en poche, et de retrouver le climat de liberté et de tolérance, sans message lourdaud, que le futur prix Goncourt distille tout au long du récit. Précisons à nouveau que Louis XIV sur sa fin n'était plus qu'une ombre souffrante, l'objet des manipulations d'un catholicisme outrancier. Après deux romans un peu punitifs, l'un suédois, l'autre néerlandais que j'ai renoncé à vous présenter (mon goût pour la découverte d'auteurs européens inconnus me conduit parfois à quelques déconvenues), je ne peux que conseiller ce joli voyage en Afrique précoloniale. Cet adjectif s'applique mal à l'Abyssinie qui ne connut qu'un bref épisode italien. Quoi qu'il en soit, en selle!

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01 février 2021

Le camion des confins (dédié au Bison)

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               Vraie réussite que cette lecture commune avec La jument verte de Val, du moins en ce qui me concerne. J'attends le verdict de ma collègue avec  confiance. C'est bien d'un voyage qu'il s'agit mais la Patagonie n'est pas un bout du monde comme les autres. Chilienne ou argentine, personne ne sait plus très bien et ça n'a d'ailleurs aucune importance. La Patagonie a beau être comme une longue pomme de pin se perdant en Terre de Feu, Parker, le héros parvient remarquablement à y tourner en rond. Parker a un ami, un seul, son camion. On pense un peu au docu télé Les routes de l'impossible où d'improbables bahuts cahotent et s'encalminent sur des trajets de caillasses et d'éboulis, où la vie ne vaut pas un centavo et où les pièces de rechange arrivent à pied. 

             Parker finit par rencontrer l'âme soeur en la personne de Mayten, charmante foraine hélas, mariée à une brute itinérante bien que jouant aux échecs, certes avec ses propres règles. Mauvais joueur en plus. Mais sur les chemins, routes et pistes patagons, la poésie surgit au détour d'un rocher ou attendant une hypothétique décrue. Deux jumeaux boliviens évangélistes, des néo-nazis tatoués, blouson Deutschland über alles, dont l'un plutôt sympa dès qu'on a évité ses tessons de bouteille, un journaliste enquêtant, sûr que la rumeur sur les sous-marins allemands du Reich qui hantent encore les golfes pacifiques est fondée. 

             Et dans cet itinéraire labyrinthique, la pluie, le sel, le sable, et, last but not least, le vent. Le vent terrible, omniprésent, qui vous emporte là où vous ne voulez pas, mais ça n'a pas d'importance vu qu'on tourne en rond, le chargement, plus ou moins négociable, plus ou moins périssable, attendra. Je vous recommande particulièrement une gare fantôme, aux horaires à la Raymond Devos, mais où somnole cependant un chef de gare montrant la pancarte "trains supendus jusqu'à nouvel ordre". Et puis des villages qui vont et viennent, pas toujours où l'on croyait, hier à l'est, demain au nord-ouest, et après demain qui sait...

             Plongez-vous dans le premier roman de l'Argentin Eduardo Fernando Varela, Patagonie route 203. Vous ne pouvez pas vous tromper, au deuxième jour vous tournez sur la droite, et vers 14h30 vous prenez la troisième sur la gauche. Ou la quatrième, je sais plus bien. Une fois revenu sur vos pas, vous n'êtes plus très loin. Plus très loin de ces lieux-dit aux noms idylliques, Colonia Desperacion,  Indio Maligno, San Sepulcro, Vallemustio (Vallée Fanée). Allez, Felice viaggio. Je sais c'est de l'italien et on parle là-bas plutôt espagnol. Oui mais, seulement plutôt. 

             J'espère que Val n'a pas filé trop vite, tout droit. Ca m'inquiète un peu. On ne sait jamais, la Terre de Feu, le Cap Horn...J'ai des frissons, j'espère avoir des nouvelles. Par ailleurs j'ai pour la première fois participé au mois Amérique Latine d'Ingannmic et Goran.

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           Enfin je dédie particulièrement cette critique à mon cher ami Le Bison, dont je crois savoir le penchant pour la Patagonie. S'il n'a pas déjà lu ce livre il va lui falloir le faire au plus vite. S'il ne l'aime pas c'est ma tournée. Peu de chances, car, amoureux de ce continent sud-américain, même en chroniquant un livre norvégien il trouve le moyen d'y retourner. Hasta luego. 

 

 


20 décembre 2020

Comme la plume au vent

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                          Exceptionnellement ce n'est pas un roman, ni un livre d'histoire, ni une biographie auxquels m'a convié Babelio. J'adore les oiseaux. J'ai donc eu l'occasion de recevoir et de lire un joli livre, Oiseaux Sentinelles de la nature. Le texte présente l'anatomie et la physiologie des oiseaux, ces êtres supérieurs dont certains me toisent le long du chemin de halage. Je parle des hérons qui me narguent à quelques mètres avant de gagner l'autre rive me laissant scotché en face d'eux, ou des grèbes huppés qui semblent toujours folatrer et plonger à qui mieux alors que je ne nage qu'à partir de 25 degrés. 

                          Le livre détaille les chants de façon très savante, les plumes, une matière très intelligente, les couleurs et les nidifications, parfois du vol pur et simple, du squat, souvent de complexes architectures. C'était même trop savant pour moi. Mais à l'heure où les humains se voient sérieusement comme en volières j'ai trouvé bien agréable ce festival multicolore et mélodieux. Et puis je ne dirai plus ni appétit ni cervelle d'oiseau. Ce sont des dévoreurs et les dernières recherches, très innovantes, les ont trouvés d'une intelligence qui ne se contente pas d'imiter. High flying birds! Hallelujah! Merci à Babelio et aux éditions Quae pour ce moment de liberté et de grands espaces. Frédéric Archaux, manifestement, connait son sujet. Patience et passion pour l'ornithologie.

                         Et puis le rêve absolu, en savoir davantage sur les fascinants voyages des grand ou petits migrateurs. Très étonnant. Et si peu d'actualité pour les pauvres bipèdes. Du coup si vous voulez je vous renvoie chez mon ami Jonathan. 

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16 novembre 2020

Fjord ever

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                   Très grand cru que ce pavé nordique que l'on m'a prêté. Auteur inconnu pour moi. Kim Leine est dano-norvégien, mais surtout un grand écrivain très apprécié en Scandinavie, et très engagé pour l'autonomie du Groenland. Morten Falck, fils de pasteur, a suivi lui-même des études de théologie, et quitte Copenhague où il n'a pas fréquenté que des enfants de choeur. Sa quête d'un certain absolu, parfois de dissolu, le mène jusqu'aux terres glacées du Groenland. Il y assez peu de romans situés dans cette région ultime, en dehors des récits de science-fiction. Nous le suivrons pendant trente ans, à partir de 1782, cela inclut 1789 et ce n'est pas un détail. Car Rousseau, Voltaire et la révolution Française sont passés par là. Et c'est peu dire que Morten Falck, pasteur, aventurier, escroc, est une figure romanesque ambigüe, complexe et passionnante. 

                 Après les frasques de la jeunesse de Morten c'est le voyage vers le Nord, rude et fascinant. La seule amie de Morten à bord est une vache laitière, Roselil, au destin tragique. L'humour n'est pas absent dans Les prophètes du fjord de l'Eternité. Devenu homme de Dieu, très tolérant sur certains plans, et digne d'un film de Bergman auquel on ne peut pas ne pas penser un peu, Morten débarque sur l'île continent, avec la charge de convertir les autochtones. Ces derniers sont parfois récalcitrants, ayant déjà subi la loi des colons du royaume du Danemark, où il y avait déjà quelque chose de pourri un siècle plus tôt (Shakespeare ne prend plus de droits d'auteur). Les femmes, la foi, la débauche, l'alcool, l'ignorance font bon ménage, façon de parler, dans ce bout du monde glacé, où l'on se parfume à l'urine et à la graisse de phoque. 

               Morten Falck a une mission, mais tout est difficile en ce pays. Il y a notamment des dissidents dans une île isolée et les fragiles idéaux de Morten vont se heurter aux croyances et moeurs pour le moins différentes de ces insulaires. Différents des continentaux, pas forcément pires. Une société arctique brutale et primitive face à la colonie danoise, policée en apparence mais tout aussi dangereuse. Paraphrasant l'un des grands Bergman, je dirais que L'heure du loup n'est jamais loin. Et Morten Pedersen Falck n'exorcisera jamais complètement le sang sur ses mains.

               Mais Les prophètes du fjord de l'Eternité ne se limite pas  à ces questions. Le roman d'aventures, secret et initiatique, est tout aussi présent dans ce bouquin magistral. Un coup de maître. Par exemple les 80 dernières pages sont consacrées au légendaire incendie de Copenhague (Morten y est alors de retour) en 1795. Le souffle sur les braises en est hugolien. Rien de moins. Et ce gros livre se lit sans peine, presque feuilletonnesque, un compliment sous ma plume. 

               KIm Leine, né en 1961, a vécu quinze ans au Groenland, terre qu'il aime mais dont il ne cache pas les revers. Eternelle dualité qui fit de lui un écrivain majeur, mais aussi, c'est bien sûr lui qui le dit, un toxicomane qui dut regagner la métropole pour se sevrer. Les sirènes nordiques ne sont pas toutes aussi fraîches que celle d'Andersen dans le port de Copenhague.

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26 juin 2020

Zibeline et Aurel

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                   Jean-Christophe Rufin est un excellent raconteur d'histoires (vous avez vu j'ai évité storyteller). Et Auguste Benjowski, jeune noble né en Europe Centrale, contemporain de Voltaire, est un personnage authentique et romanesque. Du Kamchatka à Madagascar en passant par la toute jeune Amérique la vie d'Auguste passera par la guerre, la détention, la déportation, la révolte, la fuite, les honneurs, sans se séparer d'Aphanasie, son épouse du bout du monde.

                  Les latitudes sont extrêmes, les bienvenues rares, et le jeune Auguste connaitra bien des vicissitudes en cette fin de XVIIIème siècle avant de devenir le roi Zibeline. Adoubé par la Révolution Américaine et notamment le patriarche Benjamin Franklin il lui faudra des années de voyages et de palabres avant de'être reconnu par les tribus malgaches comme l'un des leurs. Le plus étonnant étant peut-être l'ignorance totale dans laquelle les Français ont été tenus à props d'Auguste Benjowski, méprisé des mémorialistes et des historiens. Rufin nous apprend qu'il est honoré dans la Grande Ile et "revendiqué" par la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne comme un symbole des combattants de la liberté. Une sorte d'anticolonialiste d'avant la colonisation.

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              Jean-Christophe Rufin signe aussi un héros récurrent, Aurel, modeste consul de France en Guinée dans ce premier épisode. Il y en a eu deux autres où il est en poste au Mozambique et en Azerbaïdjan. Le suspendu de Conakry est un roman policier délicieux, Aurel étant un fonctionnaire subalterne mais un enquêteur astucieux et roué. Ancien ambassadeur au Sénégal, l'académicien se régale et nous régale à décrire les habitudes pas toujours très nobles de la diplomatie dans ces pays du Tiers Monde. Bien envoyée et très alerte cette satire d'un certain post-colonialisme reste drôle et donne envie de suivre les voyages d'Aurel le consul, pas issu du sérail très fermé des ambassadeurs, amis dont on loue la perspicacité.

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11 mai 2020

Le lac réussi

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                             Barry Cohen n'est a priori pas très intéressant. Ce spéculateur, on pense un peu au Loup de Wall Street, en quadragénaire, traverse une passe difficile. Son mariage bat de l'aile, son fils de trois ans est autiste sévère, et il se trouve sous le coup d'une enquête de la Commission Boursière. Tout cela ne me branchait guère. Mais l'auteur, Gary Shteyngart, a eu l'excellente idée d'expédier Barry Cohen dans un car, les fameux Greyhound, direction l'Ouest, le Nouveau-Mexique. On the road again donc, une fois de plus, avec ces rencontres improbables qui mettront Barry au contact d'une partie du vrai pays.

                             Le voyage réserve son lot de surprises qui mêlent un brin d'invraisemblance à l'humour souvent très amer de Gary Shteyngart. Nous sommes à la veille de l'élection de Trump. Et Lake Success est une vraie petite ville américaine pas très éloignée de New York. Un nom étrange, difficile à assumer. Mais Barry n'en a cure. Car le temps des succès est peut-être derrière lui et c'est dans la poussière des freeways, highways, et dans des Greyhounds au relents d'urine et de fast food, qu'il taille la route en fait. L'envers du capital, son fond spéculatif, prend l'eau et sa tour pour milliardaires de Manhattan ne sera bientôt plus qu'un souvenir.

                             On pense à Tom Wolfe, genre Bucher des vanités, avec un zeste de nostalgie fitzgeraldienne. Attention on n'est pas dans l'élégance un peu décadente de Gatsby le magnifique. Et l'Amérique des losers attend Barry à chaque escale sur la route de Phoenix, Nouveau-Mexique, où il espère retrouver Layla son amour de jeunesse. Barry, qui se définit lui-même comme un républicain fiscal modéré, se retrouve au contact de camés, mais de bas étage plus que de haut vol genre Wall Street, de barmaids de cinoche, de SDF crasseux, de chicanos édentés. 

                             Alors le fameux lévrier sur les autocars transaméricains, un Greyhound rédempteur? Vous verrez bien. Mais le monde U.S. donc un peu le nôtre, résistera mal aux coups de boutoir drôles et péremptoires, antipathiques fréquemment, mais humains sans être forcément pleins d'humanité. Le long périple New  York, Virginie, Georgie, Mississippi, Texas, Nouveau-Mexique est très instructif sur le pays à l'aube de l'ère Trump, mais épuisant. J'ai des envies de Wyoming, de Montana.

                            Merci à la personne qui m'a offert ce livre dont je ne connaissais pas l'auteur. Bientôt peut-être partagerons- nous un banc public, dans un jardin public. Do you remember?

                             

                            

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19 mars 2020

Le binôme des confins

Masse critique

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                         Babelio ce mois-ci m'a entraîné dans les glaces du nord et celles du sud. Mais alors très nord et très sud. Bernard Lugaz, voyageur, nous livre son journal de bord de ses récentes aventures dans l'archipel norvégien du Svalbard (souvent réduit à l'île principale Spitzberg) et du côté de la Péninsule Antarctique. L'invitation est sympathique et l'auteur essaie au mieux de faire partager sa passion pour les confins. Mais il faut bien reconnaître qu'à l'heure des images multipliées, pas toujours pour le mieux, on peut avoir du mal à s'immerger dans l'écrit en ce qui concerne les récits de voyage.

                         L'intérêt, pour moi, dans Ultimae Terrae, réside dans le fait que Bernard Lugaz est un voyageur, je ne dirai pas lambda, mais qui emprunte les circuits classiques proposés par certaine agences. Certes les déplacements y sont un peu musclés mais on n'est pas dans la performance extrême, avec son petit côté un peu m'as-tu vu parfois. Cette modestie est de bon aloi et n'empêche pas les mérites de l'auteur car l'histoire reste physique. J'ai bien aimé aussi la dualité, cette réconciliation par dessus les pôles (ou presque). Le Svalbard, cet ensemble d'îles septentrionales, apparait sombre, hostile et angoissant, évoquant désarroi et désolation. Une certaine fascination aussi.

                        Toute aussi attractive s'avère la Péninsule Antarctique à laquelle Bernard Lugaz octroie un vocabulaire différent. Vierge, majestueux, lumineux, enthousiasme, ravissement. Les icebergs sont les vraies stars du récit austral de Bernard Lugaz. Fantasmagoriques et très concrets, protéiformes, multiplicité des teintes et des blancs et des bleus. L'écrivain-voyageur montre bien la féérie mais aussi le danger de ces contrées in extremis. Bien sûr un film, surtout avec les moyens actuels, serait probablement plus parlant. Mais j'estime bien ce récit modeste car Bernard Lugaz s'inscrit dans le voyage (relativement) ordinaire et nous épargne les parfois un peu égotiques propos des champions du toujours plus loin, plus froid, plus haut... Avec lui on un peu l'impression de faire partie de la croisière.

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