Trio pendant la guerre du Kippour
Publié en 1977 en Israel, peu après la guerre du Kippour, L'amant est une passionnante variation d'Avraham B. Yehoshua sur la si complexe situation du pays et sur la société israélienne. Ce roman, vieux de 40 ans, n'a à mon avis pas pris une ride. Adam, garagiste prospère, recherche Gabriel, fraîchement revenu en Israel, disparu pendant ce conflit, et accessoirement l'amant de sa femme Assiah. Autres personnages, leur fille Daffy et le jeune mécano arabe Naïm. Curieuse errance des différents protagonistes. Si l'on a peu de nouvelles de Gabriel on s'attache aux pas d'Adam qui sillonne la nuit dans s a dépanneuse le pays à sa recherche. C'est que depuis le départ de Gabriel les relations conjugales d'Adam et Assiah ont pris un sérieux coup de vieux. Elle, professeur, semble ne se vouer qu'à ses élèves, à en devenir quelque peu fantômatique.
Le très jeune Palestinien Naïm est amené à être apprenti au garage, avec le statut particulier des ouvriers arabes. Et, confus et fasciné, tombe amoureux de la la toute aussi jeune Daffy. A eux deux, sauront-ils poser un regard neuf sur ce pays? Un autre personnage compte beaucoup, qui paraît presque fantasmé, irréel et en même temps deus ex machina, la grand-mère de Gabriel, mourante et ressuscitée. Dépeinte un peu monstrueuse en son agonie, ces lignes m'on mis mal à l'aise, elle se ré-humanise au cours de l'histoire. L'amant est un beau roman qui illustre bien l'incommensurable complexité israélienne. 42 ans après sa publication il ne semble guère plus simple d'y démêler espoir et crainte.
Après Shiva, Le directeur des ressources humaines, L'année des cinq saisons, Rétrospective (celui qui m'a le plus passionné), nul doute qu'Avraham B. Yehoshua, maintenant octogénaire, ne soit devenu un classique contemporain majeur de la littérature israélienne, l'une des plus vives au monde.
Films de jeunesse à Compostelle
Ce roman, Rétrospective, est le tout dernier livre d'Avraham B. Yehoshua,l'un des plus grands écrivains israéliens dont j'ai chroniqué déjà Shiva, mais surtout Le responsable des ressources humaines et L'année des cinq saisons.Le sujet m'a plu immédiatement,que je n'ai jamais lu dans aucun ouvrage.Yaïr Mozes, réalisateur israélien,plus très jeune,est invité à Saint Jacques de Compostelle,pour un hommage à son oeuvre.Il est accompagné de son actrice fétiche et entre eux le fantôme de son scénariste des premières années,avec qui il est fâché depuis si longtemps.Plusieurs surprises l'attendent à Compostelle.D'abord un tableau dans sa chambre d'hôtel le trouble profondément,une Charité romaine où une femme allaite un vieillard.Bouleversé,Yaïr Mozes y voit un symbole qui colle avec le côté enterrement de première classe de ces trois jours d'hommage.C'est parfois le cas dans ces cérémonies un peu officielles,déjà un peu posthumes.Et d'autant plus que,autre surprise,les organisateurs n'ont programmé que des films très anciens,dont le metteur en scène lui-même peine à se souvenir.A l'évidence Avraham B. Yehoshua et Yaïr Mozes ont bien des traits en commun.
Ruth,cette actrice à peine moins âgée,partage sa chambre et son lit en toute fraternité mais leur complicité ancestrale est un peu mise à mal pendant ces trois jours dans la cité des pélerins.Malgré tout Yaïr s'inquiète pour la santé de Ruth,et l'on comprend la complexité de leur relation.La rétrospective en elle-même couvre une bonne moitié du livre.Pour en avoir un peu participé à ce genre de manifestations j'ai trouvé excellente cette description de ces séances où quelques cinéphiles chevronnés tentent de décrypter des films très anciens devant des jeunes passionnés et parfois devant des spectateurs rameutés pour faire un peu nombre.L'organisateur des débats est par ailleurs un prêtre,ce qui entraîne parfois les discussions sur un tout autre terrain.Et comme il peut parfois être ardu de répondre avce cohérence et clarté sur des oeuvres vieilles de quarante ans.Il y a les souvenirs,les pièges de la mémoire,les émotions qui resurgissent,les erreurs du passé qu'on reprend en pleine face.Et,en ce cas précis,il y a surtout l'ombre de Trigano,ce scénariste des premières années,rival amoureux auprès de Ruth,ça,on s'en serait douté.
Plus tard,de retour en Israel,Mozes et Trigano,proscrits l'un à l'autre,se retrouvent en un moment fort peu chaleureux.Est-ce l'heure de la réconciliation ou sera-ce un ultime rendez-vous manqué?Rétrospective est un livre infiniment riche de ces confrontations d'un homme avec son passé, riche de ces amours d'une vie qui durent cinquante ans sous différentes appellations, riche de ces scénarios pour une plénitude,souvent avortés,scénario s'entendant ici au sens large et englobant nos propres existences, riche aussi d'une belle interrogation sur le temps et la maladie.J'ai peur de m'engluer dans un jargon malaisé mais le plus simple est encore de s'embarquer dans cette Rétrospective d'un écrivain maintenant célèbre,qui n'oublie jamais que son pays n'est pas tout à fait comme les autres,ni dans sa brutalité, ni dans sa douleur.Médicis Etranger 2012,ce formidable roman est ma première pierre au sympathique challenge A tous prix initié par Laure.Et s'il fallait une seconde raison,Avraham B. Yehoshua fut lauréat dès 1995 du Grand Prix de Littérature d'Israel pour l'ensemble de son oeuvre.
Israel est à mon avis le pays le plus talentueusement littéraire au km2. Songez:Yehoshua, Appelfeld, Oz, Grossmann et quelques autres.Et s'il y avait à cela quelques raisons...que je vous engage à découvrir.
Tel-Aviv ma douleur
Voyage un peu longuet à mon gré que ce Shiva du grand Avraham B. Yehoshua.Pas sans intérêt vu l'étoffe de cet écrivain mais moins prenant que L'année des cinq saisons ou Le responsable des ressources humaines,déjà évoqués sur ce blog.Benjamin Rubin, jeune médecin israélien,promis à un bel avenir,voit sa vie changer à la suite d'un voyage aux Indes où il est envoyé pour rapatrier la fille du directeur de l'hôpital où il travaille.Il va tomber amoureux,mais,et c'est là le problème,de la mère de cette jeune patiente.De retour en Israel,malgré un mariage un peu hâtif,une paternité et des soucis professionnels en ce milieu si hiérarchisé de l'hôpital,il va se trouver dans cet état comme d'apesanteur,amant fugace et transi d'une femme de vingt ans plus âgée,rondelette et pas précisément séduisante.Mais justement comment fonctionne la séduction?Et qu'est-ce qui fait que cette femme plutôt falote le fascine?Et pourquoi Benjamin,brillant et mesuré,n'est-il plus tout à fait capable de libre arbitre depuis l'irruption de cette femme,Dori, dans sa vie tracée pour la réussite?Shiva est une histoire d'amour vraiment pas comme les autres où la mort du mari semble enrichir encore la relation du jeune médecin et de la femme mûre,où les liens familiaux sont de part et d'autre très forts mais aussi explosifs.
Mais j'avoue être resté de marbre pour tout ce qui concerne le "transfert" de l'âme du défunt à son rival et plus généralement pour les pesantes références à la civilisation traditionnelle indienne dont mon rationalisme s'accomode décidément assez mal.Certes il y a dans Shiva comme des pages d'un amour à la fois léger comme un nuage et lourd comme une préparation à une intervention chirirgicale compliquée.C'est une belle écriture,riche et profonde.J'y ai parfois trouvé le temps long comme en une salle d'attente anxieuse.Pourtant les dialogues finaux entre Benji et sa mère sont de la très haute littérature.
Enterre promise
Avraham B. Yehoshua n'en finit pas d'ausculter avec talent la société israélienne.Le DRH (on ne connaîtra jamais son nom) d'une boulangerie industrielle se voit chargé de mission pour identifier le corps d'une ouvrière,victime d'un attentat suicide à Jérusalem.Il a lui-même embauché cette femme mais ne s'en souvient pas.Il va peu à peu prendre conscience de l'absurdité particulière de cette situation qui le mène à s'occuper du rapatriement de cette étrangère. Et, imperceptiblement, l'image de cette femme morte va s'immiscer en lui,lui dont la vie privée naufrage et dont l'avenir semble incertain.
On n'est pas très loin de Kafka dans ce conte contemporain où le DRH finit par vaincre ses à priori et une certaine sécheresse pour en quelque sorte rendre hommage et justice à cette femme dont il ignorait jusqu'à l'existence.Nulle trace physique du conflit dans Le responsable des ressources humaines et pourtant on y décèle très bien un impalpable sentiment,celui de voir cette région danser sur un volcan qui risque d'emporter les destins individuels ou collectifs.La très grande finesse d'analyse de Yehoshua est particulièrement tangible dans les rapports familiaux ou professionnels du DRH.Confirmation de la richesse littéraire israélienne.
Le veuf d'Haïfa
Voici un livre que je considère comme essentiel,remarquable de sagacité dans Israël il y a vingt ans...C'est la première fois que j'aborde la littérature israélienne mais je sais qu'elle est très riche,et riche d'un vécu qu'on imagine porteur d'expérience en cette terre pas tout à fait comme les autres.Avraham B.Yehoshua, septuagénaire, m'a emballé avec L'année des cinq saisons,plus sobrement intitulé Molkho en hébreu(c'est le prénom du personnage). Quinquagénaire, fonctionnaire à l'Intérieur Molkho vient de perdre son épouse.C'est l'automne à Haïfa et sa vie va (peut-être) changer après des années de soins dévoués.Ce n'est pas qu'il tienne tant que cela à batifoler tout de suite,Molkho,mais tout de même il entrevoit une certaine liberté. Mais on ne se détache pas si facilement d'un passé aussi présent et il va faire l'expérience d'une difficile réinsertion à l'existence.Ses rapports ombrageux avec son fils cadet,la présence de sa belle-mère à la maison de retraite voisine,ses aventures féminines oscillant entre burlesque et infantilisme vont s'avérer bien décevants et l'englueront dans une sort de "ni bien ni mal,ni lié ni libre" qui prend une couleur particulière à l'aune de ce pays petit par la taille mais si prégnant.Il semble que l'on se connaisse tous entre Haïfa et Jérusalem,ce qui n'est pas sans compliquer les choses.
Sur un thème très sérieux A.B.Yehoshua trace avec humour et distance le portrait d'un homme ordinaire confronté à la solitude et aux méandres d'un retour dans le monde.Molkho nous touche à chaque instant,au coeur même de ses petites médiocrités,parfois mesquin,parfois rapace et surtout tellement humain.On s'identifie vite à cet homme,manifestement dominé sa vie durant par sa femme,et dont on pense qu'il n'a pas vraiment fini de lui rendre des comptes.A l'évidence cet auteur aura ma visite à nouveau très prochainement.