On vit tous dans un sous-marin jaune
/image%2F1209912%2F20240323%2Fob_099d68_jaune.jpg)
On est prié de vagabonder volontiers. Le dernier roman de Jon Kalman Stefansson dépasse parfois notre capacité. Mais quel souffle et quelle poésie dans cette abracadabrante aventure qui se fiche de la chronologie comme d'une guigne. Tout le contraire de l'air confiné d'un sous-marin, fût-il jaune. La couverture de ce livre, je ne vais pas y revenir. Elle est assez claire, limpide et délicieuse. Le titre qui s'y inscrit, ça y est, vous y êtes. Oui, on rencontre bel et bien les Beatles dans Mon sous-marin jaune. Et bien d'autres personnages autour du héros, tour à tour huit ans ou quatorze ou cinquante-neuf quand, devenu écrivain, dans un parc londonien, il rencontre Paul McCartney octogénaire (ça, ça fait toujours un peu mal). Il a envie de l'aborder mais il faut se préparer. Et que lui dire?
Une Trabant, tout un symbole, est de ce road mais aussi time movie septentrional. Le père du héros y transporte parfois Johnny Cash, parfois Simon et Garfunkel. Souvent aussi Dieu lui-même, dit l'Eternel, très copain avec Cash, lequel partage son goût pour le whisky. La Bible tient également un rôle important. On y voit que l'Eternel, assez versatile ne s'entend guère avec son fils Jésus. C'est le cas aussi pour notre héros qui, enfant puis ado, se querelle avec son père, veuf remarié.
Rassurez-vous amis de JKS, les fjords islandais, les cascades, les moutons et les si plaisantes conserveries de poissons n'ont pas déserté l'oeuvre du magique Islandais. Mêlant agréablement l'Ancien Testament, la bibliothèque et son sous-sol où il passe des heures, qu'il appelle d'ailleurs son sous-marin jaune, et des leçons de conduites aléatoires, notre héros, en recherche de je ne sais trop quoi, retrouve les Fab Four au fond d'un car bringuebalant, faisant fi de toute logique temporelle, dans une sorte de Magical Mystery Tour où Ringo Starr manque de perdre la tête au sens propre.
Point n'est besoin pour ce voyage au bout du Nord de connaître l'oeuvre intégrale des Beatles. Ca ne nuit pas cependant et ces quatre là ne sauraient de toute façon être nuisibles, bienfaiteurs qu'ils sont de l'humanité depuis soixante ans. Ce statut de bienfaiteur planétaire, c'est aussi pour moi celui de Jon Kalman Stefansson, qui n'a pas besoin du prix Nobel de littérature, même si je pense qu'il aura peut-être du mal à l'éviter.
Certes il ne fait pas toujours beau temps sur les landes islandaises. Il y souffle parfois des vents polaires et la pluie glaciale qui s'y abat est capable d'anéantir toute joie. Mais ce n'est pas si grave: Jésus rassemble des rayons de soleil, les change en sous-marin jaune et nous plongeons ensemble dans les profondeurs du lac de montagne qui nous offre refuge, amitié et joyeux poissons. Le sous-marin jaune vogue dans ce royaume de sécurité, d'amitié, tandis que la pluie de la réalité frappe le monde. Puis le temps se lève, le vent s'apaise, nous remontons à la surface, le sous-marin se change à nouveau en rayons de soleil qui éclaboussent l'herbe, l'herbe odorante, Jésus me sourit, heureux, il s'apprête à me dire quelque chose - mais voilà que, tout à coup, l'air s'assombrit.
Le ciel se fait ténèbres, un vent froid vient rider la surface du lac, et Jésus disparaît.
PS. Mon ami Le Bison ne s'y est pas trompé. https://memoiresdebison.blogspot.com/2024/02/leternel-et-johnny-cash-larriere-dune.html