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11 octobre 2020

Commis d'office

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                           Bernard Malamud est ce qu'il est convenu d'appeler de l'école littéraire juive newyorkaise ( Saul Bellow, Philip Roth). Je n'avais lu que Le meilleur où en bon lecteur européen je m'étais un peu perdu dans les méandres du base-ball. Le commis est nettement plus concret et réussit à nous passionner pour le cadre très très modeste d'une petite épicerie besogneuse et sans avenir, tenue par Morris, la soixantaine bien fatiguée, pas un veinard, oublié par la fortune, mari d'Ida et père d'Helen dont il ne peut financer les études et qui lui reverse une bonne partie de son maigre salaire.

                          Victime d'un braquage Morris finit par accepter l'aide de Frank, immigré italien famélique. Et l'auteur orchestre de belle façon les rapports entre le patron et son employé en une passionnante chorégraphie dans le cadre de cette boutique cafardeuse où les clients se font rares. Les commerçants voisins, juifs eux aussi pour la plupart, sont plus rivaux que solidaires, calculateurs plus qu'amicaux et l'antisémitisme est quotidien, un quotidien de la rue, ordinaire. Brooklyn n'est pas Manhattan et cette Amérique là, Bernard Malamud l'a bien connue. Son propre père, qui avait fui la Russie, a tenu une épicerie à Brooklyn où il est né en 1914.

                           Il est souvent question d'argent dans Le commis. D'argent liquide, de petites sommes, quelques dollars, quelques pièces. Frank est un commis sérieux et ne détourne que quelques billets qu'il se promet de remettre discrètement dans la caisse. Mais la rédemption est l'un des thèmes de ce livre. Le lecteur se trouve bien dans ce local exigu et insalubre, au coeur de cette classe laborieuse, où qualités et défauts se combattent et se complètent. Malamud, juif de l'Est né à New York, n'est pas tendre avec  certains aspects du judaïsme, ce qui n'est pas pour surprendre, tant la dramaturgie qui met en scène Morris, Helen, et Frank, qui n'aime pas les Juifs mais ne sait pas pourquoi, se révèle universelle. 

                          N'hésitez pas devant Le commis, oeuvre très riche, essentielle. Une bonne part de vérité s'échappe de cette échoppe au bord de la faillite. 

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7 octobre 2020

L'art du marteau

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                                 La littérature japonaise a souvent sa propre musicalité. J'en lis quelquefois, Yoko Ogawa notamment. C'est particulièrement le cas dans Une forêt de laine et d'acier, au titre énigmatique. Ce livre est étonnant. Est-il passionnant? La réponse n'est pas si simple. La forêt dont il est question est double et je ne souhaite en dire davantage. Le héros principal est un jeune homme modeste qui est élève accordeur de piano. C'est peu dire que ce roman n'est pas trépidant ni pittoresque. L'auteure, Natsu Miyashita, est capable de consacrer toutes ses pages à une sorte de mini-symphonie de chambre, bâtie uniquement autour de l'art d'accorder l'instrument.

                                 J'ai apprécié le tour de force que constitue ce roman. Il y a un peu la rivalité entre les élèves, un peu le thème de la transmission du maître au disciple. Il y a plus que ça, un travail de fourmi (fa sol la si do ré) sur le son, la richesse des fréquences dans un salon feutré ou une salle de concert, la réaction des pianistes après passage des accordeurs, l'extrême finesse, la délicatesse de ces travaux d'orfèvre du marteau. Ne jamais oublier que le piano est instrument à cordes frappées, on pense à l'art campanaire (je suis d'une ville à carillon). Vbrations, étouffoirs, table d'harmonie, 88 touches, la magie de l'espace qui s'emplit d'indéfinissable. 

                                Une forêt de laine et d'acier se déguste tel un rituel autour d'un thé, un cérémonial traditionnel,  un film japonais qui vous demande un peu de votre temps. D'infinies nuances, même si les pianistes ne sont que les acteurs secondaires, car Natsu Miyashita désigne clairement les auteurs du rêve musical, les tutoyeurs de la perfection, que sont les accordeurs, après des années de formation. Tout au long des 250 pages on marche au bord du sublime, à la lisière d'une forêt (le titre prend tout son sens) qu'il faut caresser, ménager, deviner. Ce livre se mérite, peut-être un peu plus accessible aux lecteurs déjà familiers du Japon. Il n'est pas nécessaire par contre d'être soi-même pianiste, ni même musicien, pour en apprécier la grâce.

                               Je vais altérer cette chronique d'un demi-ton, un bémol en l'occurrence. On a le droit de s'y interroger au bout de dix pages, de s'y ennuyer au bout de vingt, et de jeter l'éponge et le livre au bout de trente. C'est que le fil en est si ténu.

2 octobre 2020

All that jazz

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              Redécouverte au programme avec Babelio (thank you Babelio), ou découverte sur un tempo jazz, d'un roman sorti en 1965, d'un auteur noir américain inconnu en France. Je n'avais jamais entendu ce nom, William Melvin Kelley. La quatrième de couv, dont on ne se méfie jamais assez, évoque James Baldwin et William Faulkner. Ludlow Washington, cinq ans, aveugle, est confié ou plutôt abandonné à une institution. Surdoué il devient un musicien reconnu, passera d'un bouge du Sud profond aux néons de New York. Mais en ces années cinquante le monde du jazz est bien loin d'être un jardin de roses. Le monde tout court.

              Le livre a un coeur qui bat comme une pulsation. Il est percutant comme un solo de trompette, âpre et amer. Jazz à l'âme est un bon titre français mais A drop of patience, titre original, rend mieux compte de l'urgence de ce livre. Tout ira relativement vite à partir de l'âge de seize ans pour Ludlow, après les longues années d'institution (rude, l'institution). Vieille antienne, notamment dans la musique, la Roche Tarpéienne est près du Capitole et s'il devient une sorte d'icône de l'avant-garde (et là les jazzeux y mettront leur sihouette favorite, Bird, Miles, etc.) il ne va pas tarder à perdre ses rares repères et même Harlem, en quelque sorte, l'expulsera.

             Causes multiples à cette rupture, à ce riff cassant, à ce pétage de plomb. La cécité de Luddy n'est pas la plus grave de ses inadaptations. Les rapports avec les blancs, les femmes notamment, même si le racisme n'est pas lourdement asséné dans ce récit. Querelles musicales aussi, intemporelles, version jazz des anciens et des modernes. Et que dire de l'ambiguité des spectateurs, sincères quelquefois, "branchés" souvent, en un snobisme universel assez souvent. Fils largué à cinq ans, Luddy sera père à dix-huit, père "largueur' incapable d'assumer. Médicaments, substances, cures....Air connu. L'amitié même est aléatoire chez le virtuose. Ou comment se construire, démoli en la plus tendre enfance.

             William Melvin Kelley ne nous entraîne pas dans une réelle empathie avec son personnage (proche de lui-même qui quitta l'Amérique en 1965 pour Paris puis la Jamaïque pendant une dizaine d'années). Enfant du Bronx (1937-2017) WMK  avait écrit un premier roman publié en 1961, Un autre tambour. Je lis que le livre avait fait un triomphe critique. Je n'en avais jamais entendu parler. 

            D'autres lieux plus accueillants l'attendaient. Peut-être trouverait-il la petite église de quartier à laquelle il aspirait, ou bien une chapelle dressée au bord d'un chemin de terre dans le Sud, à peine plus grande qu'une cabane, fréquentée par une douzaine de fidèles, privée d'un orgue pour encourager leurs voix tremblantes et haut perchées à porter les mélodies de leurs cantiques. Un endroit comme celui-là aurait besoin d'un bon musicien.

           Aiki, femme de l'auteur signe une jolie postface dans laquelle elle cite quelques musiciens références et sources pour son mari. Par exemple le trompettiste Clifford Brown, mort à sur la route à 25 ans. 

           

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