Géographie: Erie, Pennsylvanie
Mnémotechnie oblige, je n'ai pas oublié les Grands Lacs nord-américains, Supérieur, Michigan, Ontario, Huron et... Erie. Ca sent bon son Dernier des Mohicans. En fait la ville d'Erie, Pennsylvanie, 100 000 habitants, fait surtout référence au canal, ce canal qui relie l'Hudson au lac, et qui fut un axe de communication crucial vers l'Ouest avant le rail. On pinaille là. Mais on pinaille pas musicalement puisque c'est le Boss qui s'y colle en personne en cette fin d'année.
La chanson Erie Canal, aussi nommée Low bridge,est un traditionnel à la gloire des ouvriers... et des mules qui ont bâti l'ouvrage. Composée par un certain Thomas Allen en 1905. Bruce Springsteeen l'a enregistrée en 2005 à Dublin sur son mémorable album de reprises, We shall overcome/ The Seeger sessions. Le même et grand Pete Seeger et des pointures folk, Kingston Trio par exemple, l'ont aussi beaucoup chantée dans les années 50. Mais sur la toile on peut en écouter des versions datant de 1912. Attention ça grince. La toute dernière version date d'aujourd'hui, en tout petit face au Boss. Elle grince un peu aussi. Mais c'est une version courte dont vous me saurez gré, vu que ces chansons du patrimoine américain durent parfois dix minutes.
Evidemment cela a peu à voir avec le Joyeux Noël et les Heureuses Fêtes que je souhaite à tous ceux qui me font l'amitié de passer par chez moi. Mais on n'est pas obligé de passer tous les ans par Jingle bells ou Silent night.
La poésie du jeudi, Edualc Eeguab
La Dame aux traits tirés
Espérée, laide et magnifique.
J'ai toujours su que tu viendrais,
Tu es femme de rendez-vous,
Il suffisait d'un soir.
As-tu un prénom?
Ne te soucie pas, je t'en donnerai un,
J'en ai tant écrit et chanté
Qui m'ont brûlé les ailes,
Ordinaires pourtant.
Je me surprends à t'accueillir, presque bienvenue
Il est, il fut
Des compagnes moins proches,
Plus clandestines, plus âpres
A l'amertume tenace.
Ainsi voyagerons-nous tous deux,
Deux vieilles connaissances,
Au long des docks d'antan,
Ils ont bien changé.
Méconnaissables, et la ville et la vie,
J'y suis bien moins à l'aise,
Même les fantômes passés
Semblent avoir déserté.
Je me voulais princier
Et ne suis que servile.
J'ai cru jouer avec les fées,
Mais tombé de l'arbre,
Je me relève mal.
Rien dans mon cas ne doit révolter,
J'ai eu ma chance.
Quelques rencontres m'ont enorgueilli
Mais souvent leurs dagues m'ont frôlé.
Il en est qui m'ont bien meurtri.
Sans me permettre
Ni gloriole ni allégresse.
Maintenant que tu es là tout ira mieux,
Désenchanté, enfin sans sortilèges,
A l'abri,comme au chaud,
Pourvu du bel alibi,
Celui de la tournée d'adieu,
Que, cabotin malgré tout, l'on souhaite,
Incorrigible de vie,
Et, pianiste de bar claudiquant,
Interminable.
Itinéraire d'un enfant perdu
Chancelant sous les critiques si élogieuses et si nombreuses sur les blogs je me suis attelé à la roulotte du Garçon. En même temps que Valentyne, (La jument verte de Val) une compagne idéale pour ce voyage. Venant après des dithyrambes mon éloge sera un peu moins vibrant mais quand même, quel bouquin! Un flux torrentiel, lit-on parfois, mais un flux qui charrie des images magnifiques d'un bout à l'autre, poétiques, horrifiques parfois puisque Le garçon est aussi un roman sur la Grande Guerre. Parti de rien, puis cahotant avec un lutteur de foire, un hongre tout de sobriété et de cran, le garçon, qui restera sans identité, voyageur sans bagage, le garçon, donc, nous ne le lâcherons plus tant son histoire nous passionne. De champ de foire en marché, du sud au nord, le garçon finira par faire connaissance d'Emma. La passion sera torrentielle et nous vaudra de longues pages (un peu trop) et un enfer (les livres interdits) sur cet amour tant spirituel que charnel. Mais mutique restera le garçon dans identité et sans voix.
Extraordinairement écrit et très entraînant (j'aime bien cet adjectif pour un roman qui vous prend et vous emmène) Le garçon me semble idéal et tellement romanesque au bon sens du terme, jouant sur tous les tableaux et les émotions. Il y a dans ce livre du Sans famille, du Paul et Virginie, des réminiscences d'apprentissage, une belle leçon de vie. Et des instants de grâce, musique, érotisme, nature. Marcus Malte entretient avec la musique un rapport à la fois sacré et charnel. On le savait déjà mais là nous sommes dans la symphonie avec choeurs et orchestre sans être jamais noyés. Secoués, meurtris, bouleversés, oui. Nombre de blogs sont revenus sur Le garçon et en parlent souvent avec fougue et talent. Me précipitant sur l'occasion, je n'en citerai qu'un qui ne vous surprendra pas, Les lectures d'Asphodèle, ici .
La machine infernale
C'est Dermot Bolger qui parle de machine infernale à propos des années du Tigre Celtique, où les Irlandais se sont crus les maîtres du monde. Ensemble séparés ce n'est pas l'Irlande des pubs et des banjos et du rugby même si l'on y boit pas mal. L'auteur y démontre les mécanismes du profit de ces quelques mois où Erin s'est prise pour Wall Street et Las Vegas en même temps. Soit deux couples à Dublin, des voisins, Chris et Alice, remise mentement d'un grave accident, Ronan et Kim, sa seconde épouse jeune et philippine. 2007, selon un processus que je n'ai pas très bien compris, étant une buse en économie, les deux hommes tentent de s'enrichir dans l'immobilier. En ce temps là en quelques semaines se bâtissaient des fortunes sur les rives de ma chère Liffey. Voisins, amis, rivaux, ennemis, Chris et Ronan sont tout cela à la fois. C'est l'un des atouts de ce très bon roman de suivre ce rapport entre deux hommes qui ne se sont jamais vraiment quittés.
Tanglewood (titre original) est passionnant bien qu'un peu laborieux dans le premier tiers, avec ses précisions sur la situation financière de l'ancienne lanterne rouge de l'Europe, promue du jour au lendemain tête d'affiche. Mais après quel régal. Dermot Bolger brasse avec bonheur les intimités des deux couples, et les brutalités sociales qui voient s'opposer winners et losers, les winners d'un soir ruinables dès la semaine suivante. Et le romancier dépeint aussi sans démagogie ni misérabilisme cette population ex-yougoslave qui trime sur les chantiers de la nouvelle Irlande, et notamment dans le jardin commun de Chris et Ronan. Vers la fin du livre Bolger revient sur la Yougoslavie post-Tito et les guerres fratricides qui jetèrent sur les routes de l'exil tant d'amis ayant choisi des camps différents, emportant à l'Ouest, par exemple à Dublin, rudes souvenirs et lourdes rancoeurs.
Je suis admiratif de tant de livres irlandais que je vais me répéter. Quatre millions d'Irlandais et de si beaux textes. A croire que famine, omniprésence d'un catholicisme longtemps terrible, encombrant voisinage britannique, violences civiles un siècle durant, et pubs embierrés forment pour la littérature un coktail idéal. Je pense souvent ça aussi pour Israel et l'Afrique du Sud. Les deux titres, c'est assez exceptionnel, sont très beaux. Tanglewood insistant sur le côté embrouillé, tangle, de cette spéculation immobilière. Et Ensemble séparés pour la complexité et l'imbroglio qui enrichirent certains et ruinèrent d'autres, ou parfois les mêmes. Bref je vous invite, mitoyens que vous serez chez Chris et Ronan pendant 366 pages, à partager ce très beau roman qui en dit long sur l'Irlande, sur quelques Irlandais, sur les hommes en général et sur notre siècle compliqué où éclatent parfois des bulles meurtrières à leur façon.
La poésie du jeudi, Czeslaw Milosz
Don
Jour si heureux.
Le brouillard était tombé tôt, je travaillais au jardin.
Des colibris s’arrêtaient au-dessus de la fleur du chèvrefeuille.
Il n’y avait rien sur terre que j’aurais voulu posséder.
Je ne connaissais personne qui aurait valu d’être envié.
Le mal qui était advenu, je l’oubliais.
Je n’avais pas honte d’être celui que je suis.
Je ne sentais dans mon corps nulle douleur.
Czeslaw Milosz (1911-2004)
Le Prix Nobel 80, né en Lituanie alors russe et mort américano-polonais, a toujours refusé les autoritarismes, ce qui fait partie en quelque sorte du cahier des charges de la poésie. J'aime l'apparente simplicité de ce Don. Ni envie, ni rancoeur, ni regret, ni douleur. Asphodèle, merci.
Géographie: Seattle, Washington
Curieusement la grande cité Pacifique Nord, dans le Washington, pourtant pourvoyeuse de talents ( le mouvement grunge des nineties, Nirvana, Pearl Jam, Soundgarden) n'avait jamais été à l'honneur. Y virent le jour Quincy Jones, Jimi Hendrix, Bill Gates, Kurt Cobain. Sans avoir l'aura de Vancouver au Canada Seattle jouit d'une réputation plutôt flatteuse.
Shawn Mullins n'est pas connu en France. Qu'importe. J'ai découvert ses chansons depuis peu. Je conseille aux amateurs de Richard Brautigan d'écouter Twin Rocks, Oregon (c'est juste après la chanson d'aujourd'hui). Mais aujourd'hui c'est à un automne à l'Ouest que je vous confie (September in Seattle).
La poésie du jeudi, Eugène Dabit
Eugène Dabit est bien oublié. Sauf pour L'Hôtel du Nord et encore, indirectement, car Hôtel du Nord pour l'essentiel, perdant son article au passage, c'est plus Carné, Jeanson, Jouvet, Arletty et une atmosphère. Il a pourtant écrit bien d'autres choses et en particulier ce texte. Je suis d'une région où fleurissent les cimetières, les nécropoles. Y flottent des drapeaux différents, allemand, anglais, français, australien (la mémoire de ce pays des antipodes est particulièrement impressionnante et soignée pour l'entretien de ces lieux de souffrance), canadien, américain, néo-zélandais, chinois (travailleurs civils). Il y a aussi, enterrés là des Sud-Africains, et des Africains pas du Sud. Le monde entier est inhumé près de chez moi.
J'ai été soldat
J'ai été soldat à dix-huit-ans
Quelle misère
De faire la guerre
Quand on est un enfant.
De vivre dans un trou
Contre terre
Poursuivi comme un fou
Par la guerre.
J'usais mon coeur
Aux carrefours crucifiés
Oh mourir dans la plaine
Au soir d'une sale journée.
J'ai connu des cris,
La haine
Des souffrances longues comme une semaine.
La faim, le froid, l'ennui.
Trois années ivres de démence
Plus lourdes à porter qu'un crime
Ma jeunesse est morte en France
Un jour de désespérance.
Tous mes amis ont péri
L'un après l'autre
En quelque lieu maudit
Est notre amour enseveli.
Défunt Lequel le parisien,
Masse et Guillaumin d'Amiens,
Pignatel dit le marseillais
Tous endormis à jamais.
On les a jetés dans un trou
N'importe où
D'en parler mon coeur saigne
Ah que la mort est cruelle
Mon Dieu était-ce la peine
De tant souffrir.
Las je reviens humble et nu
Comme un inconnu,
Sans joie sans honneur
Avec ma douleur
Les yeux brûlés
D'avoir trop pleuré
Pour mes frères malheureux
A ceux qui sont aux cieux
Contre la guerre
A ma mère
Adieu.
Ecrit pendant la Guerre, Eugène Dabit (1898-1936)